" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 31 octobre 2020

Bouddhismes : malentendus et mensonges, confusions et contradictions, causes d'un plus grand mal-être

Les différentes pratiques bouddhiques ne se réduisent pas à de la musique douce et mielleuse, à des massages bienfaisants chinois ou japonais, à de la méditation relaxante dans une salle confinée ou encore à une discipline de vie que décrivent de nombreux livres et magasines. Pour certains occidentaux tourmentés et inquiets, elles finissent pourtant par devenir une sorte de thérapie et de remède miracle pour sortir de leur mal-être ou de leur dépression. Par le bien-être qu’elles procurent, elles apparaissent comme des solutions précieuses et indispensables pour mieux vivre ou encore comme la seule voie de salut dans ce monde stressant. Or « je pense qu’il y a une véritable inadéquation entre la demande de certains Occidentaux, qui cherchent à s’accomplir, et ce que propose réellement le bouddhisme. »[1] Pourtant, en dépit de cette contradiction, les différentes formes de bouddhisme semblent se développer en France. Leur influence n’a jamais été aussi grande. Penchons-nous davantage sur ce malentendu …

Les raisons de la notoriété du bouddhisme

Nous allons d’abord nous appuyer sur l’enquête menée par Frédéric Lenoir. Si certains de ses commentaires comportent des préjugés, notamment à l’égard du catholicisme, ses conclusions nous fournissent quelques éléments intéressants. D’une part, il relativise l’importance du bouddhisme en France. Bien qu’il soit difficile de les comptabiliser, il souligne la part minoritaire du nombre de véritables bouddhistes (dix à quinze mille) alors que sa notoriété est beaucoup plus grande. Il y a donc un décalage entre la présence réelle du bouddhisme et sa popularité. Nombreux sont en fait les partisans de la « philosophie bouddhiste », notamment les intellectuels, les adeptes de pratiques bouddhistes ou encore des chrétiens qui mêlent des éléments bouddhistes dans leur vie chrétienne. En clair, chacun semble prendre ce qui lui plaît dans les bouddhismes. Lenoir explique alors les raisons de ce décalage.

La notoriété du « bouddhisme »[2] s’explique de manière générale par l’image positive qu’il dégage dans les médias et l’opinion. Il apparaît en effet sympathique, pacifique et tolérant, fermé à tout dogmatisme comme le catholicisme. Il serait aussi plus propre à répondre à nos besoins « existentiels » en raison d’une connaissance de l’homme intérieur plus développé. « Ils ont beaucoup à nous apprendre »[3], conclut Lenoir. Selon son étude, fondée sur le résultat d’un questionnaire auprès des pratiquants du bouddhisme « tibétain et zen », les trois principales raisons d’attraction sont les valeurs comme la compassion, la liberté, le respect de vie, la non-violence ou encore la tolérance (28%), les bénéfices de la pratique sur le corps, les émotions, l’aide psychologique, la sérénité (20%) et la rationalité, le pragmatisme (18%). Viennent ensuite la philosophie et la doctrine (14%), l’ancienneté de sa spiritualité (13%), et enfin l’exotisme (5%).

Soulignons l’image du Dalaï-lama dans notre société. Il est considéré comme l’apôtre de la tolérance, de l’altruisme et du pacifisme. Sa réputation s’est accrue depuis son prix Nobel de la paix en 1989. Dans l’opinion, il est devenu l’exemple du « bouddhisme » voire son porte-parole. Or, non seulement le bouddhisme tibétain[4] est un cas très particulier des différents bouddhismes asiatiques en raison de son isolement et de l’influence du chamanisme, mais celui que professe et défend le Dalaï-lama est une de ses écoles non représentatives. En se focalisant sur lui, les médias lui ont donné une importance qu’il ne détient pas au sein des bouddhismes. Il n’est guère représentatif du bouddhisme asiatique…

Enfin, Lenoir explique l’essor de « bouddhisme » par son aptitude à répondre aux besoins des Occidentaux et de la civilisation moderne en raison de sa rationalité. Il est vrai que lorsque nous abordons l’enseignement des bouddhismes, nous sommes impressionnés par sa codification et sa logique. En outre, il prend en compte l’individu dans sa totalité, connaissant et maîtrisant notre vie intérieure, notre être, notre moi. « La méditation bouddhiste est une véritable alchimie des émotions… assurément l’une des plus grandes lacunes de la civilisation occidentale, qui tend à nier le corps et les émotions. »

Une incompréhension profonde du « bouddhisme »

Lenoir voit alors les dangers de ce phénomène. Notre contemporain se forge « un bouddhisme ajusté aux besoins de son égo. » Il rajoute qu’« au lieu de suivre la voie exigeante proposée par le Bouddha et d’abandonner ses dernières illusions, le nouvel adepte ne fera que renforcer les penchants narcissiques de sa personnalité. » Finalement, leur engouement pour les pratiques ou idées bouddhistes ne ferait qu’accroître leur mal au-delà de l’apparente tranquillité intérieure. Les Occidentaux recherchent en effet dans le « bouddhisme » un moyen de s’épanouir alors que l’enseignement du Bouddha historique est tout le contraire. La discipline qu’il a mise en place a pour finalité le détachement de soi, en particulier au sein de l’école de Theravâda, dit encore Petit Véhicule[5].

Certes, selon Lenoir et bien d’autres spécialistes, l’autre école dite Grande Véhicule souligne le « message d’amour et de compassion » qui se trouve dans le bouddhisme, message qu’elle enseignerait et qu’elle pratiquerait. Mais sa finalité reste identique. Faut-il alors être cohérent et suivre cette forme du bouddhisme dans sa totalité, ce qui implique aussi l’obéissance à des pratiques rituelles, à une discipline particulière et à une soumission à l’égard d’un maître. Faut-il aussi définir quels bouddhas ou « boddhisattva » à vénérer ou adorer parmi tous ceux qui habitent dans le panthéon bouddhiste. Faut-il enfin adhérer à un ensemble des croyances, notamment au cycle de renaissance et à la capacité de s’y libérer. En clair, il n’y a pas de bouddhisme sans adhésion à une vision religieuse du monde, à un ensemble de « vérités », à des obligations religieuses et morales, vision qui existe aussi dans l’école du Petit Véhicule, mais demeure plus discrète. Il n’y a pas de bouddhisme sans adhésion à sa métaphysique.

Le bouddhisme, une thérapie ?

Selon une certaine lecture des enseignements bouddhistes, nous pourrions croire que la souffrance soit au cœur de l’individu et de leurs préoccupations, et donc que le bouddhisme cherche à le combattre et le réduire. Nous pourrions aussi apprécier la logique et la clarté de la méthode employée dans « les quatre nobles vérités » : après avoir constaté les « souffrances » et trouvé la cause dans les « illusions », elle affirme sa « guérison » et en définit enfin « la voie ». Telle est le plus souvent la vision du «bouddhisme » que nous retrouvons dans les différents articles et témoignages que nous avons lus.  C’est aussi pour ces raisons que des psychologues et des psychanalystes apprécient et louent le bouddhisme. Ils en sont aussi influencés.

Le « bouddhisme » serait alors une réponse adaptée au mal-être moderne, à « ce que Freud appelait “malaise dans la civilisation”, explique Fabrice Midal, philosophe et bouddhiste. C’est aussi l’avis de Lenoir. « C’est tout l’apport du bouddhisme que de mettre au cœur de son enseignement, avant même une promesse de salut, une écoute de la souffrance et de l’angoisse. Par cette écoute, ouverte et sans jugement, il propose de transformer notre existence et de nous libérer de la confusion qui l’entrave. »[6] Nous pouvons encore citer le psychologue bouddhiste, Éric Fromm, auteur notamment du livre « Avoir ou Être ». Retenons encore l’insistance sur le terme d’« illusion » que le « bouddhisme » serait censé combattre en nous.

Le terme de « souffrance » est une traduction jugée incorrecte du mot » dukkha » que nous trouvons dans les textes sanskrits des « quatre nobles vérités ». Comme le montre clairement les traducteurs et les vrais bouddhistes, le Bouddha historique ne traite pas de la souffrance ou de l’angoisse en employant ce mot. Ce terme est en fait bien difficile à traduire en français. Certains spécialistes le traduisent plutôt par « insatisfaction » ou par « mal existentiel ». Notons que, contrairement à notre culture, les mots qu’emploient les écoles bouddhiques détiennent plusieurs sens, imprécis et indéfinis.

Il est alors tentant pour les psychiatres et psychologues de voir dans le « bouddhisme » une confirmation de leurs méthodes et de leurs doctrines. « Le bouddhisme professe que nous possédons toutes les réponses, pour peu que nous sachions les chercher, à l’intérieur de nous. »[7] Il ne s’agit que de s’écouter et se transformer puisque la guérison se trouve en nous. De même, certains défendent le bouddhisme en s’appuyant sur la psychiatrie et la psychologie qui confirmeraient son efficacité. Or, ce « bouddhisme » est bien éloigné de ce qu’enseignent les différentes formes du bouddhisme.

La finalité profonde du bouddhisme

La réalité est en effet toute autre. Revenons encore sur la finalité des différents bouddhismes qu’est enseignement dans les « les quatre nobles vérités ». N’oublions pas que cet enseignement constitue le socle commun de toutes les formes du bouddhisme. En dépit de leur diversité, ils sont tous fondés sur les principes qu’elles définissent. Or, quelle est sa finalité ? La fin de la souffrance telle que nous l’entendons ? Non. La fin de nos angoisses ? Non. La finalité de Bouddha historique est beaucoup plus élevée et profonde. Il s’agit de rompre le flux des naissances, la « samsâra », de nous libérer du cycle naissance-vie-mort. Pour cela, il faut rompre nos différents attachements et donc s’attaquer à leur cause qui est notre « soif d’existence » ou de non-existence. La « soif » n’est pas une illusion mais bien une réalité. Il s’agit bien d’éliminer en nous le principe de vie. Pour obtenir le « nirvana », il faut vider le « capital d’existence » que nous accumulons au cours d’une vie. Il s’agit donc d’éteindre cette soif, de nous détacher de nous-mêmes, et finalement de faire disparaître en nous toute détermination de vie ou de mort, ou encore de nous dissoudre. Tel est le but ultime du bouddhisme, quel que soit sa forme. Et pour l’atteindre, le Bouddha historique décrit une méthode qui se veut pragmatique et direct.

Selon certains commentateurs, l’illusion réside dans la présence du moi ou dans son absence qui génère alors la soif bien réelle. Or, le moi n’existe pas selon l’enseignement des bouddhismes. Par conséquent, toute pensée personnelle, tout attachement au moi, toute vision où subsiste un « je » sont considérés comme mauvais et donc à éliminer. C’est tout le contraire de la psychanalyse qui tente de structurer le moi, distinguant les « narcissismes » mauvais et sain.

Une contradiction du bouddhisme

Or, pour suivre les méthodes bouddhistes, il faut beaucoup de volonté, c’est-à-dire beaucoup de forces et de fermeté pour le « moi ». « Pour atteindre l'Éveil et la cessation de la souffrance, faudrait-il consentir par exemple à "perdre le Moi" en acceptant de rester, ou de devenir, inconsistant, flottant et dispersé ? Probablement pas, et même au contraire, puisque pour pratiquer régulièrement, tous les jours, toute la vie, la discipline bouddhiste de base qu'est la méditation, il faut une volonté forte et persévérante. Et on peut remarquer que le Bouddha historique tel qu'il est décrit dans les biographies, tout comme les figures dominantes du bouddhisme d'aujourd'hui, sont des personnalités ayant au sens occidental du terme un Moi fort, structuré et cohérent. »[8] Il n’y a point de discipline extérieure sans discipline intérieure. C’est ainsi que pour se détacher et se vider de soi, il faut en même temps l’affermir. Les pratiques bouddhiques ont donc naturellement pour conséquence de le fortifier.

Finalement, les partisans des pratiques bouddhistes finissent par se nourrir de cette force et s’y contenter. « Au lieu d'amener à la libération annoncée, le "n'ayez pas de Moi" supposé bouddhiste amène le méditant à se contenter de force, sous prétexte de spiritualité, d'un Moi fermé, fragile ou fragmentaire. »[9]

Est-ce vraiment une transformation comme la décrit des psychanalystes ? Tout ce qui nous lie à l’existence ou à la non-existence doit être coupé, nous enseigne le bouddhisme. La solution est radicale. Mais en niant le moi, le guérit-on du mal-être ? Nous sommes bien loin d’une méthode avec laquelle nous pouvons combattre efficacement les souffrances que causent nos illusions. Nous sommes encore aux antipodes du développement ou de l’épanouissement personnel. C’est tout le contraire !

Ignorance et insouciance : confondre les moyens avec la finalité

Écoutons quelques témoignages très caractéristiques. « Je suis catholique, mais très attirée par la philosophie bouddhiste. Le bouddhisme est une façon de se réguler, de nettoyer son esprit pour que le corps fonctionne. On s’y forge un grand appétit pour la vie. »[10] Soulignons la fin de phrase : « un grand appétit pour la vie » ! Faut-il encore souligner que cet « appétit pour la vie » est justement le mal que combat le bouddhisme ?! Ce témoignage révèle clairement une profonde ignorance de la « philosophie bouddhiste ».

Un bouddhiste récemment converti affirme aussi que la méditation bouddhiste le réconcilie avec le monde. C’est justement le contraire que veut le Bouddha ! C’est par les liens avec le monde que, selon sa pensée, nous sommes forcés à renaître ! Son aveu traduit une profonde méconnaissance de son enseignement qui apparaît pourtant clairement dans les textes sacrés. C’est « l’idéologie la plus opposée qui soit au bouddhisme. »[11] En fait, le bouddhisme ne relève pas de la thérapie mais de la métaphysique. De là naît la terrible confusion…

Ses « bouddhistes » confondent donc les méthodes avec la fin à atteindre. Alors que nos contemporains recherchent dans les pratiques bouddhistes à affermir leur être intérieur, ces mêmes pratiques ont pour but d’éteindre en eux la « soif de vie », ou de mort. Cette confusion qui aboutit à une profonde contradiction est en fait symptomatique de leur mal : ils ne s’intéressent guère à la finalité des moyens qu’ils utilisent ; ils ne font que consommer ce qui leur est proposé pour éprouver des sensations et des émotions. Ils détournent une pratique pour satisfaire leurs besoins sensibles, les dévoyant ainsi à leur finalité première.

Notons en passant que depuis le XVIIIe siècle, les différentes philosophies, notamment morales, tentent de répondre à la question du « comment », notamment par la description de mécanismes, au lieu de s’intéresser sur le « pourquoi » et en la détachant même du « pourquoi ».

La confusion est aussi ailleurs. Lorsqu’ils parlent de méditation, les partisans des pratiques bouddhistes songent en fait à la relaxation, ce qui n’est la même chose. « On se sent tellement mieux que ça devient une évidence. »[12] La méditation est intérieure, spirituelle, immatérielle quand la relaxation relève du sensible et du corporel. Certes, la méditation peut produit des effets sur le sensible mais ce n’est pas sa finalité.

De telles déclarations nous font sourire lorsque nous revenons encore au Bouddha qui fonde sa pratique sur la vie monastique, c’est-à-dire sur une discipline de vie coupée du monde, une discipline difficile et longue, l’œuvre de toute une vie dédiée à cela. Or quelques minutes suffisent pour une comédienne ! De même, une application installée sur un Smartphone vous permet aussi de méditer en quelques minutes dans le métro parisien… La « méditation » n’est en fait pour eux qu’un exercice de relaxation qui touche le corps, l’apaise et le repose. Cela relève toujours du bien-être, de l’émotion et du sensible. Elle ne touche pas leur esprit.

Un bouddhisme « sans dogme ni rite »

L’essor du « bouddhisme » et son influence grandissante s’expliquent aussi par un autre phénomène aussi caractéristique de notre société. Le « bouddhisme » porte en effet l’image d’une philosophie du bonheur, d’une sagesse aux pratiques bienfaisantes ou encore d’une spiritualité tolérante sans notion de dieu ou de divinité, sans dogmes ni rite. L’expression « sans dogme ni rite » est omniprésent dans les articles qui traitent du bouddhisme de manière positive. En clair, comme l’affirmait déjà Clémenceau, c’est une « religion athée ». Cette image du « bouddhisme » est largement diffusée par les médias, par des intellectuels et des personnalités du monde des arts.

Le bouddhiste apparaît comme une sorte de sage impeccable, généreux, tolérant, végétarien, écologiste, apolitique, bref un « modèle de vertu »[13], voire un stoïcien soixante-huitard. « Sérénité, équilibre émotionnel et psychologique, paix intérieure sont des vertus généralement mises en avant au détriment des aspects cultuels, ritualistes et institutionnels qui sont minimisés, présentés comme de simples concrétions culturelles, voire évacués ou déniés. »[14] L’autre image qui s’affirme aussi est celui du bouddhiste altruiste, qui ne pense qu’aux autres, qui laisse en lui la place aux autres. Nous retrouvons ainsi, de manière encore très simpliste, l’image classique des deux bouddhismes principaux, les écoles du Petit et du Grand Véhicule.

Le bouddhisme apparaît en même temps comme un « outil à rendre heureux », ce qui révèle plutôt une « représentation à la fois simpliste et naïve »[15]. Il n’est qu’un instrument pour contribuer au culte du bien-être et ainsi vivre dans la joie et le bonheur. Comme l’explique un réel connaisseur du bouddhisme, nos contemporains projettent sur le bouddhisme ce qu’ils espèrent, ce qu’ils recherchent, et très souvent en opposition à ce qu’ils pensent des religions ou plutôt à l’image de la religion que véhiculent les médias et l’opinion, c’est-à-dire le christianisme.

Le bouddhisme, marque de l’antichristianisme

Le bouddhisme est finalement perçu comme un ersatz de religion, peu contraignante et très acceptable, donc plus attirante. « Plus que d'une dogmatique ou d'un engagement communautaire rigide, il s'agit d'une "voie spirituelle" extrêmement souple qui se prête facilement à toutes sortes de  réinterprétations, d'arrangements, de combinaisons d'identités. Chacun peut facilement s'y investir ou y "piocher" en fonction de ses besoins. »[16]

Une telle attitude n’est pas sans contradiction ni hypocrisie évidentes. « J’observe que nombre de personnes qui critiquent la hiérarchie pesante et la liturgie de l’Église catholique sont souvent les premières à être en prosternation devant un lama, comme jamais elles ne l’auraient été devant un curé. »[17] Cette attitude contradictoire est en fait le signe d’un véritable désarroi spirituel, marqué par un fort dissentiment à l’égard du christianisme.

Cette attitude n’est guère récente. Au début du XXe siècle, des partisans d’anticléricalisme et de laïcité, notamment Clémenceau, voulaient enseigner le bouddhisme à l’école afin de diffuser une philosophie détachée de toute religion. Jules Ferry fait aussi son éloge pour remettre en cause la morale chrétienne. « Cette religion [le bouddhisme] encore si vivace, affirme-t-il, a une morale, des principes, un idéal véritablement pour le moins aussi pur, aussi exquis que l’idéal chrétien le plus exigeant et le plus raffiné. […] Dans la morale bouddhiste, on étend la charité jusqu’aux animaux et aux plantes. Cela prouve qu’une morale fondée sur la pratique la plus exigeante, la morale du dévouement par excellence, peut exister avec des dogmes qui ne ressemblent en rien aux dogmes chrétiens. Dans le bouddhisme il n’y a ni de peines ni de récompenses. »[18]

Notons que si le Bouddha historique ne parle pas de la religion, du culte et des divinités, cela ne signifie pas que son enseignement n’est pas religieux. N’oublions pas en effet qu’il tente d’apporter une réponse efficace au védisme contrairement au brahmanisme. Il se veut pragmatique. Il cherche donc des moyens et non une métaphysique.

Un enseignement bien peu accessible pour nos contemporains

Il est vrai, et nous l’avons rapidement découvert, que les principes des bouddhismes et leur enseignement nous sont complexes, difficilement compréhensibles. Nous abordons une autre civilisation et une autre culture, bref à une autre manière de penser et d’exprimer sa penser. Or comme nous l’avons déjà noté, contrairement à la pensée occidentale, un mot ne porte pas un seul sens bien défini dans la culture asiatique. Pour bien saisir ce que les textes veulent dire, nous devons donc nous efforcer de penser autrement, selon une autre vision que la nôtre, et par conséquent d’approfondir les recherches. Or, de nos jours, une telle exigence n’est guère abordable pour nos contemporains toujours pressés et consommateurs d’idées toute faites.

Et les auteurs d’ouvrages en faveur du bouddhisme le savent bien. Rares sont en effet les ouvrages profonds et complets sur le sujet. Plus nombreux sont les livres simplistes et superficiels. Ils ont tendance à nous raccrocher à ce que nous savons, ce qui entraîne évidemment de réels malentendus. Des termes qui portent déjà des conceptions occidentales, voire chrétiennes, désignent alors souvent des notions et des pratiques bouddhiques. Ces ouvrages sont aussi épurés de tout ce qui peut paraitre peu compréhensible et acceptables pour un esprit occidental. Ils doivent plaire et attirer le lecteur…

Conclusions

Le bouddhisme est souvent décrit comme une « religion athée » ou une « spiritualité altruiste et tolérante ». Nos contemporains projettent aussi leurs propres visions sur une représentation déjà simpliste et naïve du bouddhisme que véhiculent les médias, le markéting et des intellectuels. Attachés à une vision négative et erronée du christianisme, ils sont plutôt attirés par cette forme de religiosité sensible, émotionnel et peu contraignante. Cela leur permet sans-doute de combler le vide spirituel de leur existence. En outre, ce bouddhisme est vendu comme favorable à l’épanouissement de notre être et propre à nourrir le culte du bien-être. Nos contemporains sont prêts à entendre tout ce qui pourrait répondre à leurs besoins tant spirituels que sensibles. Ils se jettent sur toute méthode qui leur permettrait de continuer à vivre dans une société qui les épuise et les rend malades. Or, cette image n’est pas le bouddhisme. Il n’est finalement qu’un dévoiement des véritables formes du bouddhisme asiatique.

Les différents bouddhismes sont en effet aux antipodes de leurs attentes. Tous, sans exception, ont pour finalité de couper tout soif de vie, tout développement personnel, tout attachement à la moindre trace d’existence. Ils recherchent une sorte de dilution de soi. Par conséquent, nos contemporains ne peuvent adhérer à une telle finalité, encore moins à la métaphysique sur lesquels ils s’appuient. Ils font alors ce qu’ils ne cessent de faire. Ils consomment… Ils prennent ce qu’ils les intéressent et se nourrit de pratiques sans se soucier de ce qu’elles signifient, ne craignant guère les contradictions que génèrent leurs choix. Qu’importe ! Leurs illusions leur permettent de vivre encore. Mais l’illusion n’est pas une solution durable. Leur vie réelle devient encore plus insensée qu’elle ne l’était auparavant. Leur mal ne peut finalement que croître en eux. Ils recherchent de l’être ou du sens là où il n’y en a pas. Ils recherchent une solution à leurs maux en eux-mêmes alors qu’elle réside d’abord en Dieu…


Notes et références

[1] Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Albin Michel, Spiritualités vivantes

[2] Nous désignons par « bouddhisme » l’ensemble des formes du bouddhisme telles qu’elles sont perçues par les Occidentaux. Nous utilisons le singulier bien qu’il soit multiple et divers.

[3] Frédéric Lenoir, entretien dans Frédéric Lenoir : pourquoi le bouddhisme nous attire, 26 juillet 2010, www.psychologie.com.

[4] Voir Émeraudeoctobre 2020, article "Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun".

[5] Voir Émeraude, octobre 2020, article "Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun".

[6] Olivia Benhamou et Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?, 22 octobre 2019, psychologies.com.

[7] Olivia Benhamou et Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?

[8] Pierre Janin, Bouddhisme et psychothérapie. Critiques et réflexions apportées par Pensées sans penseur de Marx Epstein, 16 février 2009, revue Gestalt, n° 19, ORIENTS – OCCIDENTS.

[9] Pierre Janin, Bouddhisme et psychothérapie. Critiques et réflexions apportées par Pensées sans penseur de Marx Epstein.

[10] Liane Joly dans Le bouddhisme est-il une thérapie ?, Olivia Benhamou et Violaine Gelly.

[11] Olivia Benhamou et Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?, 22 octobre 2019, psychologies.com.

[12] Véronique Jeannot, Trouver le chemin, Michel Lafond dans Le bouddhisme est-il une thérapie ?, Olivia Benhamou et Violaine Gelly.

[13] Philippe Cornu, Le bouddhisme vu par les médias français : le grand malentendu, publié le 9 juin 2017 et mis à jour le 19 mars 2019, lu le 20 septembre 2020, larevuedesmedias.ina.fr.Philippe Cornu, ethnologue est un spécialiste du bouddhisme, lui-même bouddhisme tibétain.

[14] Éric Rommeluère, Le bouddhisme n'existe pas dans Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos jours, Pierre Haaese, thèse de philosophie, épistémologie, pour le grade de docteur de l’université de Reims Champagne-Ardenne, 12 décembre 2016.

[15] Philippe Cornu, Le bouddhisme vu par les médias français : le grand malentendu.

[16] F. Lenoir, Le Bouddhisme en France, dans Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos jours, Pierre Haaese.

[17] Marion Dapsance, auteure de Qu’ont-ils fait du bouddhisme, Bayard, dans L’Express, L’occident a-t-il dévoyé le bouddhisme ?, Jérôme Dupuis, publié le 18 mai 2018, lexpress.fr. Marion Dapsance  a mené des enquêtes sur des centres bouddhiques et a dénoncé leurs mensonges.

[18] Jules Ferry, cité par P. Chevallier, La séparation de l’Église et de l’École, Paris, Fayard 1981, dans Jean Baubérot, Transferts culturels et identité nationale dans la laïcité française, Presses universitaires de France, n°218/2, 2007, www.cairn.info.

samedi 24 octobre 2020

Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun

Comme chacun d’entre nous, vous recherchez certainement le bonheur. Or vous vous sentez insatisfait, perpétuellement stressé ou las de la vie que vous subissez. Mais heureusement, des solutions existent pour en finir avec votre mal-être ! Ouvrez en effet certains magazines, écoutez les réclames et regarder les affiches publicitaires. Ils sauront certainement vous apporter le remède à votre problème existentiel. Ils vous proposent toute sorte de produits qui devraient vous procurer du bien-être : massage, musique, méditation, mantra, zen et autres exercices tibétains, taoïstes, bouddhistes, ou encore tantriques. Ils peuvent aussi vous procurer des bracelets et des pierres aux pouvoirs extraordinaires. Certaines d’entre elles vous éloigneront même de toutes idées noires et vous écarteront de tout pessimisme. Ces produits sont suffisamment variés et la gamme complète pour que vous ne soyez point déçu et vous trouviez votre bonheur. Aucun acte de la vie n’est en effet oublié, même le plus intime.

Qui peut en effet ignorer ce commerce qui nous vend du bien-être ? Mais allons au-delà de ces pratiques qui abusent de la crédulité des hommes pour assurer le bien-être de certains individus peu scrupuleux. Portons notre regard sur un autre phénomène, sans-doute plus sérieux. Quand nous nous promenons dans les rues, nous voyons fleurir des statues de Bouddha dans les vitrines des boutiques de bien-être, dans les balcons et dans des jardins. Les livres ne manquent pas non plus pour louer la sagesse bouddhiste. Et dernièrement, dans un des boulevards de la ville de Tours, nous avons été surpris par quelques individus vêtus bizarrement dansant tout en marchant aux rythmes d’un tambourin et de cymbales… Mode d’un jour que l’Occident connaît périodiquement ou réelle avancée d’une certaine culture ou religion bouddhiste dans notre société ?

Le bouddhisme semble en effet faire l’objet d’une certaine attention ou popularité. Il nous apporterait l’apaisement ou la quiétude intérieure, l’épanouissement personnel ou encore la pacification de nos relations avec les autres. Il gagne aussi des âmes. Des « pratiquants » nous témoignent en effet de leur « conversion ». Mais leur témoignage est surprenant. Pour les uns, il ne serait qu’une sagesse, une philosophie ou un mode de vie, pour les autres, une religion sans dieu ni dogme, une « religion non-théiste mais qui n’est pas pour autant athée »[1]. En 2017, en Belgique, une proposition de loi demande même la reconnaissance du bouddhisme en philosophie non confessionnelle. Pourtant, le bouddhisme a ses temples, ses moines, ses rituels comme toute religion. Tout cela nous rend perplexes. Devons-nous nous en inquiéter ? Pour répondre à ces questions, nous allons désormais étudier le bouddhisme…

Plusieurs pistes sont possibles pour bien connaître une religion. Prenons celle qui nous paraît la plus naturelle. Étudions-la par ses origines, c’est-à-dire par son fondateur : Siddhârta Gautama.

Siddhârta Gautama, l’Éveillé

Gautama est né dans l’actuel Népal, à Lumbinî et appartient au clan Shakya d’une caste appelée ksatriya[2], la deuxième caste indienne, celle des rois, des nobles et des guerriers. Il aurait vécu au VIe siècle ou au Ve siècle avant Jésus-Christ, voir au IXe siècle selon une tradition tibétaine. Selon les différentes traditions, Gautama serait en effet né vers 623 ou 543. Sa vie est surtout connue à partir du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Des découvertes d’archéologues en 2013 sous un des plus anciens temples bouddhistes sur le site de Lumbinî confirmeraient la naissance de Gautama au VIe siècle[3] alors que des chercheurs la situaient plutôt au Ve siècle. Elles confirmeraient aussi les circonstances de sa naissance puisqu’ils ont découvert un arbre dans l’enceinte sacré, probablement un « bodhi gara » c’est-à-dire un arbre sanctuaire. Comme l’enseigne la tradition bouddhiste, la mère de Gautama lui aurait donné naissance en se tenant à la branche d’un arbre dans le jardin de Lumbinî, arbre qui serait devenu ensuite lieu sacré. Cependant, comme le suggèrent des chercheurs plus prudents, rien ne permet de croire que les vestiges découverts ont été initialement un temple bouddhiste. Elles indiquent uniquement que le culte des arbres existait au VIe siècle sur le site de Lumbinî. Il semble qu’aucune analyse n’ait confirmé cette thèse.

Le védisme, la religion de l’Inde

Revenons au VIe siècle en Inde. À la naissance de Gautama, l’Inde est profondément marquée par le védisme, appelée ensuite brahmanisme. Celui-ci structure non seulement la mentalité des individus, leur morale et leur piété mais aussi la société indienne. Il explique et défend notamment la société de caste que l’Inde connaît encore aujourd’hui.

Le védisme est une religion comportant un ensemble de doctrines multiformes, de rituels et de dévotions, plutôt polythéistes. Il est fondé sur une révélation, appelée Véda, que des voyants, appelés « rishi », ont transmise comme vision intérieure de la vérité éternelle. Ce sont des témoins passifs de la vérité dont ils se font l’écho à entendre. Ces visions portent essentiellement sur un savoir théologique et ritualiste nécessaire au culte. Elles forment un ensemble de recueils composés d’hymnes de louange, de formules sacrificielles, de mélodies liturgiques et de prières rituelles. Elles sont complétées par une sorte d’exégèse rituelle, des commentaires et des traités spéculatifs

Le védisme est caractérisé par un grand nombre de dieux dont certains sont privilégiés selon les fidèles. Théoriquement, au VIe siècle avant Jésus-Christ, ils sont au nombre de trente-cinq répartis en trois classes fonctionnelles qui correspondent aux trois classes de la société, les classes sacerdotale, combattant et fécondante. Ces classes détiennent respectivement l’autorité spirituelle, militaire ou temporelle, et économique. Il existe aussi des divinités qui n’appartiennent à aucune classe. Elles correspondent à celle des esclaves.

Le védisme, à la recherche du nirvana


Essayons de résumer les doctrines du védisme ou du moins ses traits caractéristiques. Le monde suit des cycles cosmiques, formés chacun de quatre périodes d’expansion qui au fur et à mesure la vie humaine, à l’origine parfaite, se réduit et se dégrade, pour s’achever par une dernière période, celle de la résorption universelle, une sorte de conflagration involutive générale.

Durant une période cosmique d’expansion, l’âme transmigre après leur mort, sauf si elle parvient à se libérer au cours d’une de ses vies. Le but du fidèle est donc d’obtenir cette libération ou du moins une transmigration plus favorable.

Pour être délivrée, c’est-à-dire faire cesser le flux de transmigration ou de renaissance, appelé « samsâra », l’âme doit épuiser une sorte de capital d’existence, que produisent ses actes et ses volitions, appelés « karma », et cela par l’ascèse, c’est-à-dire par renoncement ou détachement.

Mais la libération totale est difficile à obtenir. Après chaque mort, si elle ne se libère pas, l’âme s’incarne dans un nouveau corps dans un état plus excellent ou pire que le précédent selon les fruits de ses activités et volitions antérieures. La finalité de la vie est donc de briser les chaînes qui l’attachent au cycle de renaissance. Quand le fidèle encore vivant y arrive, il est dans un état appelé le « nirvana », un état dans lequel l’âme n’a plus à renaître. 

Vers la renonciation de soi

Une vie s’écoule selon quatre stades ou états de vie qui se caractérisent par un détachement de plus en plus grand à l’égard de ses proches et de ses devoirs rituels afin de se consacrer de plus en plus à sa libération. Le dernier stade correspond à l’état de solitaires ou de semi-solitaires.

Comme le cycle cosmique, tout est ordonné et hiérarchisé. Nous retrouvons cet ordre hiérarchique dans la structure de la société. Celle-ci est en effet formée de quatre castes ou rang. Dans l’ordre décroissant, ce sont les brahmanes, les ksatriya, les vaisya et les sûdra. Les brahmanes sont les autorités religieuses, gardiens de la loi védique, préposés aux rites religieux et à l’enseignement. Les ksatriya désignent le rang des autorités temporelles et les guerriers. Les vaisya correspondent au rang des pasteurs, agriculteurs et marchands. Enfin, le dernier rang, celui des sûdra, est celui des serviteurs.

Chaque caste est organisée selon un « dharma » particulier, c’est-à-dire un ensemble de droits, devoirs et privilèges. Sauf le dernier rang, elle possède des rites permettant à ses membres d’offrir des sacrifices. Des fidèles se rassemblent aussi autour d’une divinité considérée comme suprême.

Gautama devient Bouddha, l’éveillé

Revenons à Gautama. Né au pied de l’Himalaya, il appartient donc à la classe des ksatriya. De famille royale, il mène une vie particulièrement protégée et heureuse. Sur ordre de son père, tout ce qui peut lui affliger lui est épargné jusqu’au jour où las de cette existence cloisonnée, il décide de s’aventurer dans la ville de Kapilavastu. Il découvre alors l’amère réalité des choses : la vieillesse, la maladie, la mort. Lors de sa quatrième sortie, il aperçoit un moine-mendiant dont la sérénité lui révèle la voie à suivre. Le soir, rentrant au palais, il apprend la naissance de son fils, ce qui accroît ses liens et donc son karma. Il a vingt-six ans.

 Gautama décide alors de tout quitter pour vivre en compagnie d’ascètes brahmanes dans les forêts. Il multiplie ses mortifications et ses méditations. Mais il prend conscience de l’inanité de ses efforts démesurés. Il pressent une autre voie, la « voie moyenne », à égale distance du plaisir bas et de l’ascétisme, de l’ignorance et de la spéculation. Il quitte alors les moines-ascètes.

Puis, méditant sous un figuier, Gautama connaît l’illumination, l’éveil (« bodhi »), c’est-à-dire la connaissance des quatre nobles vérités et devient alors bouddha, c’est-à-dire l’éveillé. Il obtient la délivrance, le nirvâna.

Mais Gautama décide de surseoir à son « parinirvâna » pour enseigner aux hommes la vérité, le « dharma », et la discipline libératrice. Il mène alors une vie errante pendant quarante-cinq ans et propage le « dharma » à ceux qui veulent l’entendre. Progressivement, se constituent une communauté de moines et de disciples. À quatre-vingts ans, Gautama meurt. Après avoir été incinéré avec pompes, les princes et les nobles se disputent ses ossements et érigent des reliquaires. Un culte se met alors en place.

L’enseignement du Bouddha

L’enseignement du Bouddha se transmet oralement par ses disciples puis par des moines dédiés. L’ensemble est codifié oralement en 380 avant Jésus-Christ lors de réunions de moines, rassemblant au moins cinq cents moines. Les textes sacrés, le « tripitaka », sont définitivement fixés en 245 lors d’une troisième réunion sous le règne de l’empereur Asoka, converti au bouddhisme. Le « tripitaka » comprend trois recueils, définissant la discipline monastique, des récits de la vie du Bouddha, ses discours et sa doctrine, et des traités métaphysiques destinés aux fidèles bien engagés dans la vision libératrice.

Au 1er siècle de notre ère, la liste des écrits sacrés semble être fixée. Nombreux sont aussi les manuels, les commentaires, les récits qui constituent une littérature abondante. Nous pouvons notamment citer deux ouvrages qui jouissent d’une grande autorité : les Questions de Milinda, rédigé au IIe siècle avant Jésus-Christ, qui, sous forme de questions-réponses, définit la doctrine du bouddhisme, et la Voie de la Pureté, au Ve siècle de notre ère, une sorte d’encyclopédie du bouddhisme.

Le sermon de Bénarès, l’enseignement fondamental

Le Sermon de Bénarès définit les quatre nobles vérités qui constitue l’enseignement fondamental de Gautama ou encore le contenu de son illumination. En les saisissant avec clarté, il est parvenu à la connaissance suprême. « Et la connaissance profonde s’éleva en moi : inébranlable est la libération de mon esprit, ceci est ma dernière naissance et maintenant il n’y aura plus d’autre existence. »[4]

La première vérité concerne les attachements qui nous enchaînent et nous causent nos souffrances, nos insatisfactions ou encore nos imperfections. Les maux qu’ils génèrent se ne réduisent pas aux douleurs. Le terme de « dukkha », qui les désigne, est traduit en français par différents mots souvent réducteurs qui varient en fonction de celui qui enseigne. Le terme de « souffrance » est souvent utilisé. En fait, le « dukkha » pourrait être tout ce qui va à l’encontre du bonheur. Il est donc au-delà de la souffrance qui nous renvoie plutôt à la joie ou aux plaisirs. Les attachements sont au nombre de cinq : la matière, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience.

La seconde vérité donne la cause ou l’origine de ces maux. Elle se résume en une soif de vie qui est liée à une avidité passionnelle et qui trouve sans-cesse une nouvelle jouissance, à savoir la soif des plaisirs des sens, la soif de l’existence et du devenir, et même la soif de non-existence. Elle désigne l’attachement aux impressions et aux substances. Le monde est esclave de cette soif.

La troisième vérité indique l’existence d’un remède au « dukkha », c’est-à-dire la libération, qui dépend du degré de détachement et donc de l’état acquis.

La dernière vérité définit le chemin à prendre pour parvenir à la libération et obtenir le nirvâna. Il s’agit du « sentier du milieu », qui se situe entre deux extrêmes : l’attachement aux plaisirs des sens et l’exercice de mortification inefficace et dangereuse, et qui est constitué de huit directions justes. Il s‘agit de règles de sagesse, de morale et de discipline mentale portant sur la compréhension, la pensée, la parole, l’action, les moyens d’existence, l’effort, l’attention et la concentration.

Le « sentier du milieu » n’est proposé qu’aux moines formant une communauté, la « sangha ». Cependant, les bouddhistes qui ne  sont pas moines y participent aussi sous deux aspects, d’abord par une discipline morale, certes moins exigeante, puis en apportant aux moines ce dont ils ont besoin pour vivre puisqu’ils ne travaillent pas. Les moines leur sont ainsi entièrement dépendants.

Gautama est mort sans laisser de successeur. Il n’a pas institué une autorité garante de son enseignement. C’est ainsi que se sont multipliées les écoles et les communautés. Dès le IVe siècle avant Jésus-Christ et selon des traditions bouddhistes, il existait déjà dix-huit écoles de moines, voie vingt, d’où la nécessité codifier l’enseignement du Bouddha dans une sorte de concile de moines.

De nos jours, le bouddhisme est divisé en trois principales écoles[5] qui se distinguent par leur conception du Bouddha, leurs textes de référence et les solutions qu’elles proposent.

L’école Theravâda

L’école Theravâda[6] est la plus ancienne. Elle est ainsi appelée « Doctrine des Anciens » ou « voie des Anciens ». Elle est aussi dite « école du Sud » en raison de son déploiement principalement au Sri Lanka, au Cambodge, en Thaïlande, au Laos et à une partie du Vietnam.

Son enseignement se fonde sur les textes sacrés de langue pâli, rédigés au Sri-Lanka aux alentours de l’ère chrétienne. Il est celui que nous avons présenté, c’est-à-dire un mélange de sagesse et de disciplines morales. Il insiste donc sur un code de vie.

L’école Theravâda est en fait centrée sur la communauté monastique qui pratique le sentier du milieu. Le Bouddha représente un guide dont il faut suivre le chemin qui conduit à la libération. Il est le seul guide pour atteindre le nirvana.

Notons que si l’enseignement est fondé sur une croyance religieuse héritée du védisme, l’école Theravâda ne développe aucune vérité ou pensée religieuse. Néanmoins, Gautama au titre de Bouddha fait l’objet d’un véritable culte populaire.

L’école Mahayana

L’école Mahayana[7] est plus récente. Elle date du début de l’ère chrétienne. Elle est dite « école du Nord ». Elle représente le bouddhisme de la Chine, de la Japon, de la Corée et d’une partie du Vietnam.

Contrairement à l’école précédente, l’école Mahayana ne considère pas l’enseignement comme figé. Son enseignement ne s’arrête pas en effet sur les paroles transcrites de Gautama ou sur une pratique ancestrale. D’une part, elle transmet une tradition orale provenant du Bouddha que ne connaît pas l’école Theravâda et cela sous forme d’ésotérisme. D’autre part, elle fait référence à l’enseignement d’autres Bouddha. Ceux-ci et Gautama ne sont pas considérés comme des êtres ordinaires mais la manifestation d’un Bouddha transcendant dont l’apparition et la disparition ne sont que des moyens utilisés pour instruire les hommes. Ainsi, leurs textes sacrés ne se réduisent pas à ceux de l’école Theravâda mais comprend aussi de nouveaux textes écrits en sanskrit.

Son enseignement est fondé sur les notions de vacuité et d’illusions qui nous empêchent d’être éveillé, ce qui est parfois appelé la bouddhéité, et sur la notion de « boddhisattva », c’est-à-dire sur « l’être voué à l’Éveil », celui qui a en quelque sorte saisi sa bouddhéité. Le « boddhisattva » n’est pas seulement celui qui a atteint l’Éveil, il est surtout celui qui refuse de quitter le cycle des naissances (« samsâra ») pour conduire les autres à leur délivrance. Il refuse donc d’entrer dans le nirvana contrairement au Bouddha pour aider les autres à obtenir leur libération. C’est ainsi que l’école Mahayana se caractérise par sa compassion à l’égard des autres, contrairement à l’école Theravâda qui se concentre sur la délivrance personnelle des individus. C’est ainsi qu’elle se désigne par « Grand Véhicule » en opposition à l’école Theravâda qu’elle qualifie de « Petit Véhicule ».*

Boddhisattva Avalokitesvara    
Chine, XI-XIIe siècle

L’école Mahayana considère le sentier du milieu comme insuffisant., seulement acceptable comme un prélude à la seule voie méritant d’être empruntée, celle du « bodhisattva » qui mène, non seulement à la libération mais aussi à l’Éveil parfait et complet.

L’enseignement est finalement moins centré sur la communauté de moines, dont la discipline est moins exigeante, mais davantage sur les bouddhas et les « boddhisattva », objet de culte et de dévotion, puisque le « boddhisattva » est considéré comme un sauveur. L’école Mahayana développe donc de nombreuses pratiques de culte et de dévotion. Elle se divise en plusieurs écoles qui se caractérisent notamment par leurs dévotions. Par exemple, l’école de la Très Pure (jingtujiao) voue une dévotion au bouddha Amitabha, qui prend des noms différents en Chine et au Japon.

L’école Vajrayana

L’école Vajrayana, qui signifie « Véhicule de diamant », appelée encore « bouddhisme tantrique », est très minoritaire. Elle est surtout déployée au Tibet. Elle est aussi présente au Japon. Elle utilise des éléments tantriques[8], qui sont des techniques d’invocation de divinités et de récitation de formules rituelles, capables de transformer l’intérieur des individus. Elle propose de nombreuses pratiques fondées sur l’enseignement de l’école Mahayana. Elle « n'est donc pas une école "doctrinale" mais plutôt un prolongement "pratique" du Mahayana. »[9]

La voie qu’elle propose est symbolisée par le diamant car l’école Vajrayana la présente comme la voie la plus rapide. La finalité est toujours de parvenir à l’Éveil, non plus en suivant un parcours étendu à plusieurs vies, mais dès cette vie même. Leurs pratiques s’appuient sur la présence dans chacun des individus d’une nature de Bouddha qu’il convient de révéler grâce à ces pratiques. Constatons qu’elles s’appuient sur une doctrine différente de l’école de Mahayana.

Dans cette école, le maître tient une place essentielle. Au Tibet, nous pouvons citer le Dalaï-lama, considéré comme l’incarnation du boddhisattva Avalokitésvara.

Des bouddhismes « composites » et syncrétistes

Tchénrézi, le bouddha de   
la compassion, Tibet

En se répandant en Asie, les différents enseignements et pratiques bouddhistes se sont mêlés entre elles et à des religions préexistantes, y compris au Tibet. Le bouddhisme chinois est d’abord essentiellement mahayaniste avec une influence tantrique avant de se fondre dans le confucianisme. Au Japon, le bouddhisme mahayaniste s’imprègne de shintoïsme. Le culte des ancêtres a imprégné le bouddhisme vietnamien. En fait, l’école mahayaniste peut accueillir toute sorte de divinité en les faisant des « boddhisattva ». Le bouddhisme du Tibet incorpore des éléments pratiques et culturels du chamanisme.

Le cas du Tibet est spécifique. La discipline monastique y est très forte. Le bouddhisme de type Mahayana est réservé aux hommes d’intelligence ou de spiritualité moyenne alors que le tantrique est réservé à une élite, c’est-à-dire à des disciples doués de          capacités spirituelles et intellectuelle, signes de prédilection.

En France, nous retrouvons ces mélanges de bouddhismes aux multiples influences. « Nous suivons l'enseignement du Theravada pour ses principes, nous pratiquons la méditation Thien ou l'invocation au Bouddha Amida et chacun de nos gestes est accompagné de formules tantriques »[10] La méditation Thien est la transcription du Zen sino-japonais. Le Bouddha Amida relève d’une école Mahayana d’Extrême-Orient.

En outre, chaque école s’est divisée en différentes « sectes » ou lignées. Le bouddhisme tibétain est par exemple actuellement composé de cinq ou six branches.

Cultes et rites

Bouddha ne traite pas de religion, de culte ou de divinités. Il se considère comme un homme et ne se prétend à aucune vénération.

Pourtant, ses reliques ont rapidement fait l’objet d’un culte aux lieux de sa naissance (Kapilavastu), de son éveil (Bodh-Gayâ), de son premier sermon (Bénarès) et de sa mort (Kusinâra). Plus tard, le Bouddha est divinisé sous forme de statues ou des images que l’on vénère selon l’usage traditionnel, c’est-à-dire le rite brahmanique (offrande de lampes ou cierges allumées, bâtonnet d’encens, fleurs, fruits, etc.). Une prière accompagne l’offrande.

Conclusions

En se déployant sans autorité doctrinale ou disciplinaire, le bouddhisme s’est rapidement éclaté en différentes écoles ou mouvements. Il est donc faux de parler d’un bouddhisme mais de plusieurs formes ou écoles bouddhiques. Néanmoins, celles-ci partagent un socle commun, c’est-à-dire quelques principes tirés du védisme et de l’enseignement du Bouddha historique. Le cycle des renaissances, considéré comme le mal, et la nécessité d’une libération pour obtenir le nirvana, considéré comme le bien en sont les deux grands axes de leur enseignement. Cette libération se fonde sur une connaissance, une discipline et des pratiques. Les quatre nobles vérités constituent leur socle commun.

Si le bouddhisme le plus ancien ou originel se concentre sur la voie à suivre qu’a enseignée Gautama, les autres formes ont développé un véritable culte religieux et des pratiques de dévotion sur le Bouddha historique puis sur tous les autres bouddhas ou éveillés qui l’ont suivi. C’est en effet un point fondamental qui les sépare à partir de l’ère chrétienne. Si à l’origine il n’existe qu’un guide, celui-ci finit par être divinisé et par rejoindre un panthéon de Bouddhas, ou encore par refléter un Bouddha transcendant, parfois incarné dans un chef religieux.

Le polymorphisme du bouddhisme explique bien des incompréhensions et parfois des débats vains, voire mensongers. En s’implantant dans un lieu, en raison de sa souplesse et son absence de doctrines proprement religieuses, elle se mêle aux différents courants religieux et idéologies déjà présentes, parvenant ainsi à un syncrétisme déconcertant. Savoir si le bouddhisme est philosophique ou religieux est l’un des débats les plus faux que nous puissions trouver. Tout dépend de l’école bouddhique à laquelle il se rattache et de l’adepte qui le pratique.

En outre, les différents bouddhismes se fondent essentiellement sur une conception de la vie, héritée du védisme, avec des notions de bien et de mal particulières, et sur une métaphysique bien précise, sans laquelle ils n’auraient pas de sens. Toutes les formes du bouddhisme sont donc intrinsèquement religieuses contrairement à ce que pensent certains adeptes de pratiques bouddhistes quelle que soit l’importance de la sagesse qu’elles enseignent et de ses pratiques. Elles portent une vision de la vie qui ne peut qu’influencer les pensées et les comportements de leurs partisans, et une morale qui peut plaire à de nombreux contemporains, victimes d’un mal-être persistant. Là résident certainement les sources d’inquiétudes et de danger…


Notes et références

[1] Philippe Cornu, Le bouddhisme, philosophie ou religion ?, 28 mai 2019, rtbf.be.

[2] « ksatriya» signifie « domination, pouvoir, gouvernement ».

[3] Il s’agit des résultats d’une fouille entreprise sous le temple Maya Devi à Lumbinî. Voir l’article « Des découvertes archéologiques au Népal confirment des dates plus anciennes pour la vie de Bouddha », 25 novembre 2013, unesco.org.

[4] Adaptation du Premier discours de Bouddha dans L’enseignement de Bouddha, Walpola Rahula, Seuil, Points-Sagesse n°13, dans Religions du monde entier, Vladimir Grigorien, chapitre consacré au bouddhisme.

[5] Voir l’article de Henri Tincq, Bouddhisme : les trois grandes écoles, publié le 4 octobre 2007, lemonde.fr. Les informations sont aussi tirées du site bouddhismes.net de l’institut d’études bouddhiques et de Religions du monde entier, Vladimir Grigorien, chapitre consacré au bouddhisme. Notons que l’institut d’études bouddhiques relève de l’école Mahayana.

[6] Le nom est récent. Il apparaît au milieu du XXe siècle.

[7] Mahayana signifie « Grand Véhicule ». Il est tiré de « Maha » (« grand ») et « yâna » (« véhicule »).

[8] « Tantrique » est tiré de « tantra » signifiant « transmission ».

[9] Article Bouddhisme « ancien », Mahayana et Vajrayana, bouddhismes.net.

[10] Article Mahayana vietnamien et Thich Nhat Hanh dans bouddhisme.net.