" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 28 avril 2014

L'empire musulman des Abbassides

Une nouvelle ère musulmane ...
Étrange habitude que celle des califes de vouloir changer leur capitale à chaque changement de dynastie. Après Médine et Damas, Abbas transfert provisoirement le centre du pouvoir près de Koufa sur la rive orientale de l'Euphrate avant que son fils et successeur Mansûr l’établisse à Bagdad. La nouvelle capitale est entièrement construite autour du palais du calife. Elle symbolise effectivement un type de pouvoir : un pouvoir centralisé, monarchique, impérial, davantage tourné vers sa partie orientale et l’héritage de l’ancien empire perse

La révolution d'Abbas achève la domination arabe au profit des non-arabes et plus spécialement des Perses. Il est important de souligner ce bouleversement. Les nouveaux maîtres de l’empire sont des iraniens convertis à l’islam. L’armée est essentiellement constituée des soldats du Khurasan. Pour la première fois, l’empire n’est plus sous la mainmise des arabes. L’avènement des abbassides est une victoire des arabisés sur les Arabes. Ces derniers sont rejetés dans le désert et ne joueront plus de rôle. Désormais, les Perses occupent les postes importants.


Arrivés sur le trône au nom d’un retour à la primauté des croyants, les abbassides mettent effectivement l’accent sur l’appartenance religieuse et sur l’égalité entre les musulmans. L’appartenance religieuse devient ainsi la seule discrimination politique et sociale. L’identité islamique est proclamée et mise en avant au détriment des non-musulmans. C’est sous la règle des abbassides que se sont élaborés les différents règlements sur les interdits et les contraintes faits aux chrétiens. Le statut des dhimmis est légiféré sous les abbassides. La situation des chrétiens se détériore. Ils sont mis dans un état d’humiliation.
Le début de l’ère abbasside est une période féconde et fructueux pour l’islam. C’est en effet au IXe siècle que s’élaborent des commentaires du Coran, des récits biographiques du Prophètes, la sunna et le fiqh. C’est aussi à cette époque que se développent les écoles musulmanes et s’édifie le droit musulman. L’islam tel qu’il est connu aujourd'hui prend forme durablement durant les premiers siècles de la dynastie abbasside.
Abbas a triomphé des Omeyyades en défendant la cause des partisans d’Ali, mais rapidement, il les évince du pouvoir, allant jusqu'à les persécuter. Les abbassides imposent le sunnisme, ce qui provoque de nouveau des révoltes chiites.
Abbas avait légitimé son combat et son accession en prétendant appartenir à la famille du prophète. En se prétendant héritiers directs de Mahomet, les califes prennent alors le rôle d’imam et se proclament Prince des croyants. Ils dirigent la prière publique et doivent sauvegarder l’intégrité de la doctrine du prophète. Les pouvoirs religieux et religions sont entre leurs mains. Néanmoins, pour toute décision, ils consultent les docteurs de la loi, les oulémas, experts du droit coranique. Installés auparavant à Médine, ces derniers rejoignent Bagdad, devenu ainsi le centre religieux de l’Empire musulman.
En dépit du reversement de pouvoir et des réorganisations, les Abbassides poursuivent la politique de leurs prédécesseurs. Le culte du monarque se poursuit selon la vieille tradition orientale. Le fisc et l’administration sont de plus en plus centralisés. Pour maintenir leur autorité, ils s’appuient fortement sur l’armée qui dépend des vizirs désormais attachés au calife et non plus aux gouverneurs de régions. Comme les Omeyyades, les califes mènent un train de vie fastueux. La cour s’illustre par le luxe et le raffinement qui s’y déploient selon la vieille étiquette de l’empire sassanide. Bientôt viendra l’époque raffinée et luxueuse des Milles et une Nuits.
Généralement, l’empire musulman sous les premiers califes abbassides symbolise la grandeur de l’islam dans l’imagination collective aussi bien musulmane qu’européenne. Magnifié grâce aux Mille et une nuits, ce temps est considéré comme «l’âge d’or de la civilisation musulmane»[5], « époque florissante sur le plan culturel, littéraire et artistique »[1]. Bagdad est devenu le symbole même d’une ville florissante, cosmopolite, centre culturel et économique de l’empire, carrefour des sciences et des arts. C’est aussi sous cette dynastie que se naissent et se développent les différentes branches juridiques de l’islam sunnite[2]. Enfin, les premiers siècles de la dynastie abbasside sont aussi marqués par une relative stabilité politique qui garantit la paix et la prospérité économique.


Durant cette période, les troupes musulmanes se sont emparées de certains points stratégiques en  Méditerranée (Crète en 828, Syracuse en 878) et touchent les côtes italiennes (Bari en 842). Les attaques musulmanes se manifestent surtout par le pillage des côtes. La Méditerranée est en effet sous leur domination.
Une prospérité et un rayonnement culturel à relativiser
L’accession au pouvoir des abbassides et la réorganisation administrative n’ont pas enrayé l’inéluctable démembrement de l’empire musulman déjà constaté à la fin du règne des Omeyyades. L’autorité des califes est devenue de moins en moins réelles. Ils n’ont pas pu empêcher la quasi-indépendance de l’émirat andalous ou de la province de Tanger. Les califes abbassides n’ont pas pu non plus empêcher les nombreuses révoltes populaires et les conflits religieux avec les kharidjites et surtout avec les chiites.
Avant que ne se lève le Xe siècle, l’âge d’or de l’empire abbasside n’est plus qu’un souvenir. L’intégrité territoriale et l’unité politique ne sont que des fictions. L’Empire byzantin a repris pied en Syrie du Nord, a atteint Édesse, Antioche (969) et Damas. L’État est en outre miné par des conflits entre les émirs et les vizirs, entre les califes et les gouverneurs de province. L’empire se fragmente en provinces autonomes qui progressivement deviendront de fait indépendantes. 

La contestation n’est pas seulement d’ordre politique. Elle est aussi sociale et religieuse. Une révolte des Zanj (869-883), essentiellement d’esclaves noirs agriculteurs, se déclenche en 871. Dans la région de Bassorah en Irak, les rebelles prennent la villes de Basra dont ils sont originaires puis s’étend vers le sud-ouest de la Mésopotamie engendrant massacres et pillages. Le mécontentement est aussi religieux. Les Qarmates (903-1077) s’opposent au califat. Leurs revendications sont aussi d’ordre social. Ils prêchent l’égalitarisme absolu et professent l’ismaélisme [6]. Ils parviennent à fonder un état dans la région de Bahrein, rançonnent Damas et mettent notamment à sac La Mecque.
Une autre menace s’étend aussi dans la partie occidentale de l’empire. Le calife de Bagdad voit surgir d’autres califes qui contestent sa légitimité religieuse : le calife de Cordoue descend des Omeyyades et le calife du Caire, chiite, se réclame de la descendance d’Ali. Au IXe siècle, se sont constituées des principautés autonomes que contrôlent des dynasties (Idrisside au Maroc, Rostemide en Algérie, Aghlabide au Tunisie). Les Fatimides règnent en Tunisie en 909 puis en Égypte en 969 et s’étendent vers l’Est (Syrie, Palestine, Yémen) avant d’atteindre La Mecque et Médine. Aux confins du Sahara occidental, des nomades convertis à l’islam, les Almoravides, conquiert l’empire du Ghana(1076), le Maroc du Sud, l’Algérie (1082). L’Occident musulman de l’Espagne à l’Égypte finit par échapper aux califes abbassides.
Long processus de déclin de l'empire
Enfin, le calife devient de plus en plus un titre de prestige sans véritable pouvoir. Profitant des troubles qui agitent l’empire, l’armée prend de plus en plus d’importance dans les rouages de l’État. C’est une armée professionnelle, composée essentiellement de turcs islamisés. L’homme fort est désormais leur chef qui prend le titre d’émir. Il appartient à la famille des Bouyides, guerriers montagnards, chiites. Il fonde une véritable dynastie qui dirigera l’empire pendant plus d’un siècle (945-1055). Le calife ne dispose plus que d’une autorité spirituelle.
Depuis 1055, les califes ont finalement abandonné tout pouvoir politique et militaire à leurs gardes prétoriens d’abord iraniens puis turcs, les Ghaznévides puis les Seldjoukides, pasteurs nomades convertis en masse à l’islam. Ils se présentent comme les défenseurs de l’orthodoxie face aux chiites. « Les nouveaux conquérants, islamisés de fraîche date, se réclament d’un sunnisme rigoureux, qui est le reflet de leur psychologie guerrière »[3]. Le chef des Seldjoukides prend le titre de sultan. Les Seldjoukides parviennent à unifier le Proche Orient sous le pouvoir du clan. Ils chassent les Fatimides (1070) et les Byzantins. Par la bataille de Manzikert (1071), ils s’emparent de l’Asie Mineure. L’empire musulman s’étend de la mer Égée au Turkestan. Mais à la fin du XIe siècle, ces derniers abandonnent à leur tour le pouvoir à des régents, issus d’une autre famille turque, les Atabegs. L’empire continue son processus de déclin et de démantèlement.



A partir du XIe siècle, la Chrétienté lance les Croisés contre les possessions musulmanes de la Terre Sainte. Ils parviennent à délivrer Nicée et Antioche (1097-1098) puis Jérusalem et à créer des territoires. Grâce aux renforts venus d’Occident, ils parviennent à se maintenir en Orient jusqu’au XIIe siècle. Jérusalem finira par retomber sous le joug des musulmans en 1187. La dernière place d’arme, Saint Jean d’Acre, se rendra en 1291.
Au XIIe siècle, se lève un nouveau pouvoir : le régent d’Alep. Il se présente comme le défenseur du calife abbasside contre le calife du Caire et contre les Croisés Francs. Il a unifié la Syrie et vaincu les adversaires du calife abbasside en son nom dont il espère la bénédiction. « Cette référence au calife comme autorité religieuse suprême est donc réaffirmée constamment par les dirigeants politiques et devient la véritable dimension du califat, dans ce partage des pouvoirs qui s’effectue de fait entre autorité politique et religieuse : le calife est désormais le gardien de la « vraie foi », c’est-à-dire l’orthodoxie sunnite, ce qui justifie sa position de chef suprême de la Communauté des Croyants. Il est donc également la seule instance justifiant le jihâd, ce qui explique son rôle – symbolique, mais réel – dans la politique du monde musulman médiéval, même lorsque le pouvoir temporel lui échappe définitivement à l’âge des sultanats. »[4]
L’arrivée simultanée de la 7e croisade menée par Saint Louis et des Mongols au milieu du XIIIe croisade provoque la fin de la dynastie abbasside. Après la mort du dernier sultan et la victoire contre les Francs à Mansûra, les Mongols s’emparent du pouvoir. En 1258, ils pillent Bagdad et massacrent les Abbassides. C’est la fin de la dynastie …


Références
[1] Tatiana Pignon, État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée, 1ère partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 25 avril 2012.
[2] Voir Émeraude, février 2013.
[3 ]Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des Chrétiens d’Orient, Des origines à nos jours, Fayard, 1994.
[4] Tatiana Pignon, État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. 2e partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 3 mai 2012.

[5] Les termes sont inappropriés. Le développement des sciences n'est pas du à l'islam ou aux arabes même si les progrès incontestables des sciences ont eu lieu sous l'empire abbassides du IX au XIIIe siècle. Voir Émeraude, mai 2014, article "L'âge d'or de la science sous l'ère abbasside : mythe et réalité".
[6] Courant minoritaire du chiisme.

mardi 22 avril 2014

Le chat de Schrödinger

Pour mieux comprendre les différentes interprétations et leurs limites, mieux vaut parfois une expérience qu’un long discours. La physique quantique a parfois progressé grâce des expériences uniquement réalisées en pensée. Elles permettent de relever des contradictions ou des incohérences pour mettre à défaut un des aspects de la théorie. L’une d’entre elles est restée célèbre. Il s’agit du chat de Schrödinger.
Quand Bohr et Heisenberg ont présenté leur interprétation de la physique quantique à la conférence de Solvay en 1927, quelques physiciens se sont aussitôt opposés à leurs thèses. Parmi eux, Einstein et Schrödinger. Einstein rejetait l’idée d’un indéterminisme fondamental que semblait défendre Bohr. L’idée qu’il n’y avait pas de sens de décrire le Monde quantique entre deux mesures revenait, selon Einstein, à ruiner toute idée de science. « Dieu ne joue pas aux dés ». Plus réaliste encore, Schrödinger voyaient dans les formules la description d’une réalité classique. Chacun ne pouvait accepter que l’interprétation de Copenhague soit la seule possible comme le suggéraient ses partisans. Pour fixer les idées et souligner les difficultés de leurs théories, de longs débats se sont concentrés sur des expériences de pensée. 
Schrödinger en propose une en 1935. Einstein la qualifie comme « la plus jolie manière » de prouver que l’interprétation de Copenhague est une représentation incomplète de la réalité. Cette expérience soulève un paradoxe fondamental de la physique quantique. Elle souligne des faiblesses inhérentes à la théorie au niveau de ses principes et de ses notions. 
Le principe de superposition
Rappelons d’abord le « principe de superposition ». Celui-ci affirme que tant que nous n’avons pas effectué une mesure sur une particule, celle-ci peut se trouver simultanément dans plusieurs états différents, dits superposés. Le fait de la mesurer ou de l’observer actualise son état, c’est-à-dire lui fait choisir un des états superposés de manière arbitraire. La particule est décrite sous forme d’une équation qui admet plusieurs solutions, dites fonctions d’onde, chacune représentant un des états superposés. Le fait de connaître son état revient en fait à réduire l’ensemble des solutions en une seule fonction. Ce processus est appelé réduction ou effondrement de la fonction d’onde.
Expérience de pensée
En 1935, Schrödinger imagine une boîte dans laquelle sont placés un chat vivant, une source radioactive, un détecteur qui enregistre la présence de particules radioactives et enfin une fiole contenant un poison. Le détecteur enregistre une particule radioactive lorsque l’un des atomes du matériau radioactif se désintègre. Lorsque le détecteur enregistre une désintégration de particule, la fiole libère le poison et le chat meurt. S’il n’y aucune désintégration, le chat reste vivant. Le dispositif est élaboré de façon à fonctionner pendant un temps suffisant pour qu’il y ait cinquante pour cent de chance que l’un des atomes se désintègre. Nous avons donc une chance sur deux pour que le chat meurtNous n’avons aucun moyen de connaître l’issue de cette expérience jusqu'à ce que nous ouvrions la boîte pour regarder à l’intérieur.


Cette expérience est irréalisable au sens physique du terme. Nous ne pourrons jamais mettre en évidence l'état du chat dans la boite car le fait de vouloir connaître son état provoquera l’effondrement de la fonction d’onde et par conséquent conduira à un des deux états du chat.
L’atome a une chance sur deux pour qu’il se désintègre. Selon l’interprétation de Copenhague, les deux possibilités forment deux états superposés : un état dans lequel un atome se désintègre, un état où rien ne se produit. C’est seulement à l’instant de la mesure que la fonction d’onde se réduit et laisse subsister un seul état. S’il y a désintégration, le chat meurt sinon il reste en vie. Ainsi jusqu'à ce que nous regardions à l’intérieur, il y a une fiole brisée et une fiole intacte, un chat mort et un chat vivant à la fois. Un chat peut-il être mort et vivant à la fois ? Évidemment non.
L’intérêt de l’expérience de Schrödinger est de mêler l’infiniment petit avec le monde de notre dimension. Dans l’interprétation classique du Monde quantique, il y a une rupture entre ces deux réalités : un monde parfaitement déterminé par l’équation de Schrödinger hors de toute mesure, un monde aux résultats aléatoires dès qu’il est observé. Le premier est décrit comme une superposition d’états potentiels, chacun représentant une fonction d’onde. Le second est obtenu par la réduction de la fonction d’onde, permettant la réalisation effective d’un des états possibles et cela de manière arbitraire. Or ces deux mondes ne sont pas cloisonnés ou isolés. Ils appartiennent à une même réalité. Ils sont le même monde. Nous voyons donc l’intérêt de l’expérience de Schrödinger : elle brise cette rupture artificielle.
Un destin dépendant de nous selon l’interprétation de Copenhague
Pouvons-nous imaginer un chat suspendu entre deux états ? Il n’est pas possible de croire qu’il peut être dans deux états contradictoires, mort et vivant à la fois. Est-il aussi croyable de penser à un électron à la fois particule et onde, deux états aussi aux caractéristiques opposées ?
Que devient le chat selon les différentes interprétations ? Bohr nous demande de ne pas nous fier à notre langage inadapté pour décrire le Monde quantique. Toute description n’a de sens qu’en fonction des conditions expérimentales. Il est donc insensé de vouloir le décrire entre deux mesures. Selon cette conception, nous sommes bien incapables de rendre intelligibles les faits qui se produisent dans la boîte hors de toute mesure, c’est-à-dire tant que nous n’observons pas à l’intérieur. Le destin du chat sera seulement connu lorsque nous ouvrirons la boîte. Mais est-ce insensé de savoir si le chat est mort ou vivant hors de notre vue ? Les notions de mort et de vie sont bien indépendantes de notre langage et de tout concept scientifique. Notre langage devrait donc à même de rendre compte fidèlement cette réalité.

Ouvrons cette boîte dans un espace clos, fermé. A l’extérieur de la pièce se trouvent des personnes qui à leur tour veulent connaître le sort du cobaye et nous demandent donc de décrire l’état du chat. Il y a encore deux solutions. Nous pouvons les informer que le chat est soit encore vivant, soit mort. La pièce se trouve donc dans deux états superposés correspondant à deux fonctions d’onde qui se réduiront au moment où la porte s’ouvrira. L’expérience peut en fait se renouveler à l’infini. L’univers est ainsi dans des états superposés jusqu'à ce qu’un être intelligent unique, extérieur à l’univers donc différent de l’univers, puisse porter son regard sur lui. Ainsi certains scientifiques considèrent que le Monde doit son existence du fait qu’il est observé par des êtres intelligents.
Si le fait d’observer fixe de manière arbitraire un état, aurons-nous les mêmes résultats pour des observateurs différents ? Le chat sera mort pour un observateur et vivant pour un autre ? Si les résultats sont identiques, ce qu’effectivement nous le constatons tous chaque jour, nous pouvons rejeter le caractère aléatoire du mécanisme. Si les résultats sont différents, la situation est alors plus contradictoire puisque l’état de superposition se poursuit lors de l’observation et au-delà.
Pour résoudre ce paradoxe, les tenants de l’interprétation orthodoxe précisent que le détecteur est capable de réduire par lui-même la fonction d’onde. C’est donc l’instrument de mesure qui fait que le chat est vivant ou mort. Mais cette solution soulève deux questions fondamentales. L’instrument de mesure, n’est-il pas lui-aussi dans des états superposés ? Non, nous répondent-ils, puisqu'il échappe au monde dans lequel s’applique l’équation de Schrödinger. Pourquoi ? Nos interlocuteurs sont silencieux… Nous rencontrons de nouveau la rupture entre l’infiniment petit et le monde macroscopique.
A partir de quand se produit la réduction de la fonction d’onde ? Ou plutôt à partir de quelle dimension pouvons-nous considérer cette rupture ? Car dans l’instrument de mesure, se trouvent aussi des particules auxquelles s’applique l’équation de Schrödinger. Nous pouvons le considérer comme une sorte de boîte dans laquelle nous trouvons les mêmes états superposés que dans la boîte du chat. « Il devient de plus en plus délicat de soutenir qu’un appareil de mesure macroscopique se comporte par décret comme un dispositif classique, alors qu’il est fabriqué d’électrons, de protons et de neutrons, et que sa dynamique est régie par des lois quantiques auxquelles on ne connaît pas pour l’instant de limitations. On ne voit pas à quelle échelle un comportement classique pourrait prévaloir pour un objet comme un détecteur, aussi complexe soit-il. »[1] Nous reportons en fait le problème à l’intérieur même du détecteur. Quel est finalement le mécanisme interne qui permet de déterminer un état parmi toutes les possibilités ?
Nouvelle question encore plus fondamentale. La fonction d’onde se réduit du fait de la mesure. Mais qu’est-ce que la mesure ? En regardant la fiole, le chat observe aussi ce qu’il se passe. Il mesure en quelque sorte. Nous aurions pu mettre dans la boîte une fourmi ou une bactérie. Chacun a leur niveau réalise une mesure et donc réduit la fonction d’onde. Dans ce cas, qui assure la fonction de mesure dans l’être vivant ?
Selon la version la plus radicale de l’interprétation de Copenhague, la réduction de la fonction d’onde s’effectue au moment de l’observation par notre conscience, plus précisément par les flux électriques de notre cerveau. Ainsi en regardant à l’intérieur de la boîte, nous interagissons avec les états de façon à ce que le chat soit mort ou vivant. Mais le chat ne peut-il pas aussi réduire la fonction d’onde ? Son cerveau est aussi traversé de flux comme le nôtre. Imaginons alors un ordinateur opérationnel à la place du chat. Il rayonne d’un flux électrique. Le courant électrique sera-t-il aussi suffisant pour réduire la fonction d’onde ? Quelle est finalement la limite de « conscience » dans le processus de réduction ?
Nous ne pouvons rien savoir de l’état du chat sans ouvrir la boîte. Nous savons qu’il est vivant ou mort. La physique ne peut pas répondre avec certitude à notre question non pas à cause de notre langage mais de notre ignorance.
En 1920, Bohr suspendra le principe de superposition, l’élevant au rang d’un axiome donc non démontrable. Il est vain d’en chercher une interprétation, telle est sa réponse à l’expérience.
Un état à l’image de notre connaissance
Nous pourrions supposer que le chat est aussi un observateur. Il peut donc réduire la fonction d’onde. Par conséquent, le chat connaît un seul état de la particule. Étant à l’extérieur, nous la voyons dans des états superposés car manquant d’informations, nous supposons qu’il est vivant ou mort. Selon cette approche, la physique quantique nous décrit ce que nous connaissons de la réalité et non la réalité elle-même. Par conséquent, il n’y a pas de paradoxe. Le Monde quantique est finalement la somme de nos connaissances sur le Monde réel. Il ne décrit pas ce qu’est la réalité…
Pas d’inquiétude pour le chat selon l’interprétation des mondes multiples …




Dans l’interprétation d'Everett, il n’y a plus de réduction de fonction d’onde mais autant de mondes parallèles qu’il y a d’états superposés. Ainsi par l’expérience, nous avons créé deux mondes, l’un dans lequel il y a eu désintégration, le chat est mort ; l’autre dans lequel il n’y a pas eu désintégration, le chat est vivant. Nous sommes dans chacun de ces deux mondes et nous serons dans quel monde nous sommes le moment où nous ouvrirons la boîte. Si le chat est mort, nous saurons que nous sommes dans le monde où il y a eu désintégration et non dans le monde dans lequel le chat est vivant. Nous ne pourrons pas communiquer avec notre double, ni le voir car ces mondes parallèles sont cloisonnés. Mais encore une question : quel est le mécanisme qui permet de rajouter à l’univers deux nouvelles branches ?
Nous ne sommes que des témoins et non des acteurs
Selon la théorie de Bohm-Broglie, il n’y a pas d’états superposés dans la boîte. La formule de Schrödinger ne donne que des possibilités théoriques. Le chat mourra lorsqu'il aura désintégration. L’observateur sera témoin d’une des solutions possibles ; il n’en sera pas l’acteur. Finalement, la théorie quantique n’est pas suffisante pour décrire ce qu’il se passe dans la boîte. Elle est tout simplement incomplète
La décohérence, obstination salutaire ?
Pour résoudre néanmoins ce paradoxe, une nouvelle théorie s’est développée à partir des années 80, la théorie dite de la décohérence.
La décohérence est le « phénomène qui annule le principe de superposition et permet d’assurer la transition entre le monde quantique et le monde classique »[2]. Cela consiste à ne pas considérer les particules et l’instrument de mesure comme un système isolé. Ils sont immergés dans un système qui forme un tout, système en perpétuel interaction avec son environnement. Les systèmes quantiques non observés interagissent entre eux. Un système soumis à une expérience est en fait en interaction avec le reste de l’univers. Cette interaction réduise alors la fonction d’onde.
Plus le système est composé de particules, plus cette interaction est considérable, plus le passage des états superposés en un seul état est rapide. La vitesse de réduction dépend en fait de sa « grosseur », c’est-à-dire de sa composition interne. A partir d’une certaine dimension, le phénomène est tellement rapide qu’il n’est plus visible. Il est quasi-instantané. « Plus précisément, les physiciens ont vérifié que le « temps de cohérence » du groupe de particules (le temps pendant lequel il est possible de mettre en évidence la présence de superpositions) est inversement proportionnel au nombre de particules composant le groupe. »[3]
Selon cette théorie, le chat apparaît vivant ou mort car le temps de cohérence est instantané compte tenu de la dimension de l’expérience. Est-ce enfin la solution de l’énigme ? Certains physiciens le pensent. «  La décohérence [...] décrit le processus qui est d’habitude appelé réduction du paquet d’onde. »[4] Elle serait le principe de continuité entre l’infiniment petit et le monde macroscopique.
La théorie de la décohérence montre surtout au bout de combien de temps les phénomènes apparaissent classiques, c’est-à-dire tels qu’ils sont perçus. Elle donne donc du sens à notre observation et non à la réalité. Elle ne nous dit pas ce qu’il se passe, c’est-à-dire comment la fonction d’onde se réduit [5] mais ce que nous apercevons et donc ce que nous connaissons. Nous sommes loin du véritable enjeu de l’expérience. 

La question n’est pas en effet de savoir si nous savons si le chat est mort ou vivant, mais si le chat est mort ou vivant ou dans des états superposés. Comment dans un court instant, le plus court soit-il, ces deux états contradictoires peuvent-ils en effet se superposer ? Telle est la véritable question. Nous ne sommes pas au niveau de l’observation mais de l’être. La théorie de la décohérence nous explique donc pourquoi nous ne pouvons pas observer les états superposés du chat de Schrödinger mais elle ne nous explique pas pourquoi finalement, le chat est mort ou vivant.
Pourtant, la théorie de la décohérence apparaît comme une solution définitive pour ceux qui considèrent que notre perception est la réalité. « C’est notre incapacité à observer certains états de l’environnement qui serait responsable de l’aspect classique du monde[6]
D’autres solutions possibles pour compléter une théorie insuffisante ?
D’autres théories vont se développer pour tenter d'apporter quelques solutions au problème de la mesure. Feynman introduit dans la physique quantique le principe de moindre action. Mais cette solution apparaît plutôt comme une subtilité mathématique.
Une autre théorie, dite GRW du nom des trois fondateurs Ghirardi, Rimini et Weber, tente de dériver les objets macroscopiques des objets infiniment petits en expliquant comment se produit une réduction de la fonction d’onde. De manière aléatoire, la fonction d’onde réalise un « saut » qui sélectionne un état parmi d’autres selon une constante de temps caractéristique. Ce saut est d’autant plus probable que le système est composé de particules. Ce saut permet de réduire l’état quantique à un état plus localisé. Cette théorie introduit ainsi une propriété intrinsèque à la particule et l’idée de la localisation de la fonction d’onde dans la physique quantique. Elle suggère aussi que cette réduction peut se réaliser en dehors de toute observation.
Appliquons cette théorie à l’expérience du chat de Schrödinger. « Une fois la mesure faite, la théorie GRW nous dit que le nombre suffisant d’atomes partagés entre le système mesuré et l’instrument de mesure nous assure que la fonction d’onde du système a été réduite, indiquant un état bien défini du système. »[7]
Nous retrouvons la même difficulté que dans la théorie de la décohérence : la théorie GRW nous explique en effet pourquoi l’état final est unique mais elle décrit toujours pendant une durée, certes insignifiante mais réelle, un état superposé incompréhensible. « Pendant une fraction de seconde correspondant au temps nécessaire avant que se produise un saut quantique dans le système, le chat demeure dans un état très général de superposition linéaire entre l’état vivant et l’état mort. Si l’expérimentateur peut s’estimer satisfait, le philosophe n’est guère plus avancé dans la compréhension de la nature du système avant que ne s’opère la réduction. » [7]Cette théorie déplace le problème vers des échelles de temps auxquels nous ne sommes plus sensibles. Elle ne résout pas le problème. Elle ne semble guère non plus satisfaisante, n’étant ni falsifiable, ni féconde.
Dans les nouvelles théories, celle de la décohérence, de Feynman ou de GRW, nous constatons une tendance à introduire des principes et de nouvelles propriétés au monde quantique. On multiplie les axiomes et les hypothèses pour tenter de compléter l’interprétation de Copenhague. Nous retrouvons peut-être le processus bien humain qui a conduit à l’invention de l’éther pour expliquer la nature ondulatoire de la lumière. « Mais pourquoi la mécanique quantique doit-elle être la vérité physique ultime? Pourquoi le problème de la mesure ne serait pas le reflet de sa limite?»[7]
La physique quantique est une théorie qui tente de décrire le monde et ses mécanismes avec nos moyens limités. Elle ne nous dit pas ce qu’est le monde et encore moins ce qu’est notre connaissance. Elle apporte un éclairage intéressant mais insuffisant. Elle modélise certes notre environnement pour mieux exercer notre pouvoir sur les choses qui le composent sans apporter néanmoins la connaissance nécessaire pour bien gérer notre monde.
Les interprétations qui résultent de la théorie et de son formalisme complexe décrivent des visions du monde non comme le voient les scientifiques mais comme songent les philosophes. Car elles se fondent sur des philosophies, la science n’apportant que des arguments plus ou moins solides. Elles trahissent alors la science quand elles prétendent ériger la seule connaissance possible du Monde. Elles éloignent l’homme de la vérité qu’elles prétendent pourtant vouloir connaître. Or en  nous égarant dans ces conceptions erronées du monde, nous nous rendons aveugles de la présence de Dieu…


Références
[1] Michel Le Bellac, Existe-t-il une frontière classique/quantique ?, Institut Non-Linéaire de Nice dans Reflets de la physique, n°13, http://refletsdelaphysique.fr.
[2] Harold Olivier et Philippe Pajot, La décohérence livrera-t-elle tous ses secrets ? dans Les dossiers de la recherche, n°29, novembre 2007.
[3]Vincent Ardourel (Université Paris 1-IHPST), Le paradoxe du chat de Schrödinger et la décohérence, 10 décembre 2011 dans www.implications-philosophiques.org.
[4] P. W. Anderson, prix Nobel de physique 1977 dans Vincent Ardourel, Le paradoxe du chat de Schrödinger et la décohérence, 10 décembre 2011.
[5] La théorie de la décohérence est en fait plus complexe. Nous ne pouvons pas observer les états superposés même dans un instant quasi-nulle car notre observation n’est que locale c’est-à-dire cloisonnée dans un espace restreint quand les phénomènes du Monde quantique sont délocalisés.
[6] Zwirn (1992).
[7] Jacques Levrat et Marc Vuffray, Département de Physique, La Problématique de la Mesure en Mécanique Quantique, Travail de Master en Sciences Humaines et Sociales, dirigé par Michael Esfeld, Professeur d’Épistémologie et Philosophie des Sciences, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, 21 mai 2007.

lundi 14 avril 2014

Réalité et science, réponses de la physique quantique

La physique quantique est bien étrange non pas par les contradictions qu’elle révèle mais par les différentes conclusions qui en sont tirées. Certes les résultats de certaines expériences sont déroutants et dépassent ce que le bon sens aurait pu imaginer mais ils ne devraient pas nous étonner quand nous songeons aux limites de notre intelligence et de nos discours. Ce qui est vraiment surprenant est plutôt les interprétations qui sont tirées des formules et du formalisme pour donner du sens à une théorie qui en manque cruellement. 
Nous les avons évoquées dans une série d‘articles : interprétations de Copenhague, de Bohm-Broglie, d’Everett. La première a dominé longtemps la communauté scientifique et semble être aujourd'hui remise en cause. Aucune de ces interprétations ne semble aujourd'hui être rejetable du point de vue scientifique puisque les expériences les confirment toutes avec plus ou moins de difficultés. Qu’importent alors ces interprétations si le physicien parvient avec le seul formalisme à progresser dans le Monde quantique et à le manipuler. Plus enclin à la simplicité et à la rapidité, il serait plus enthousiaste à suivre une interprétation qui le conduit plus assurément aux résultats qu’il attend. Le pragmatisme est un des critères de choix.
Ces interprétations révèlent néanmoins de nombreuses questions d’ordre philosophique, moral et religieux qui peuvent impacter notre manière de vivre et de penser. Si le scientifique peut les ignorer dans le cadre de son travail, l’homme ne peut les méconnaître s’il a une certaine idée de la science. Il ne peut encore moins les ignorer quand vulgarisées, elles tendent à imposer une image erronée du Monde. Après les avoir décrites dans de précédents articles, nous allons désormais mieux en préciser les enjeux.
Interprétation de Copenhague, une interprétation épistémologique
L’interprétation de Copenhague souligne notre incapacité naturelle à décrire le Monde quantique. Il échappe à notre bon sens et à tout langage naturel. Nous sommes donc condamnés à user d’un langage approximatif et imprécis. Selon Bohr, cette ignorance est ancrée dans notre nature et touche aussi le Monde et les autres sciences. Nous ne pouvons pas connaître la réalité telle qu’elle est puisque notre manière de penser et d’exprimer biaise cette réalité. Notre connaissance est donc fondamentalement remise en cause. 
Ce que nous savons finalement de la physique quantique ne décrit pas le Monde quantique mais la connaissance que nous pouvons en avoir. Les tenants de l’interprétation de Copenhague précise néanmoins que leur théorie est complète. : elle est nécessaire et suffisante pour appréhender le Monde quantique. Enfin, il n’y a aucun sens à vouloir connaître le Monde quantique entre deux mesures, donc il est insensé de croire à une science déterministe. 
Ainsi l'interprétation de Copenhague s’interroge davantage sur la connaissance que nous avons de la réalité que sur la réalité elle-même. « L’interprétation de Copenhague peut être qualifiée « d’interprétation épistémologique » de la physique quantique »[1].
Dr Heisenberg Magic Mirror of Uncertainty, 1998
©
 
Duane Michels.
Selon cette même interprétation, la fonction d’onde décrit le Monde quantique sous plusieurs états de potentialités variées. Quand une mesure est réalisée, un seul des états est fixé de manière arbitraire. La valeur de la grandeur mesurée résulte alors du phénomène associé à l’opération de mesure : pas de mesure, pas de grandeur. Aucune grandeur n’existe en soi, hors de toute mesure. Si nous allons jusqu'au bout de cette logique, nous pourrions alors croire que cette valeur existe quand l’homme pose son regard sur le phénomène. La cause de cette connaissance revient-elle finalement à l’homme ? Autre question : comment l’homme peut-il transformer un ensemble d'états superposés en un seul et unique état mesuré ? Est-ce l’instrument de mesure la cause de la réduction de la fonction d’onde ? Mais ce dernier appartient aussi au Monde quantique et donc par conséquent doit être réduit à son tour…

Certains théoriciens donnent ce rôle à la conscience. Selon Eugène Wigner (1902-1995), les flux transitant entre les neurones de notre cerveau seraient la cause de la réduction de la fonction d’onde. La conscience donne donc du sens à la mesure et finalement à la réalité. En clair, l’homme est au cœur de la réalité. Sa conscience crée la réalité telle que nous la connaissons. Devons-nous conclure que le Monde n’existerait pas sans l’homme ?
Einstein comprend rapidement les conséquences des thèses de Bohr. Il s’insurge contre l’idée d’une réalité dépendante de l’homme. « Le physicien doit postuler qu'il étudie un monde qu'il n'a pas fabriqué lui-même et qui est présent, essentiellement inchangé, si le scientifique est lui-même absent. »[4]
Interprétation de Bohm-Broglie, une interprétation réaliste
L’interprétation de Bohm-Broglie tente de donner une vision réaliste et déterministe du Monde quantique. Une particule est accompagnée d’une onde qui la guide de façon régulière au cours du temps. Il n’y a ni états superposés, ni réduction. Selon ses caractéristiques, le phénomène apparaît sous la forme d'une particule ou d'une onde.
Elle s’oppose à l’idée que la physique quantique soit une science complète comme le proclament Bohr et Heisenberg. Elle ne dispose pas en effet de tous les paramètres pour prétendre décrire de manière sûre le Monde quantique.
On accuse alors Bohm de vouloir réintroduire les concepts de la physique classique dans le Monde quantique et de leur donner une réalité pour sauver la conception classique de la physique. Les mêmes accusateurs reprochent à Einstein de ne pas suivre la même audace qu’il a montrée dans ses théories de la relativité. Ils voient donc dans l’interprétation de Bohm une tentative de faire perdurer l’idéalisation de la science, idéalisation qu’ils rejettent absolument. Deux pensées semblent ainsi s’affronter dans des oppositions classiques, entre modernes et anciens, entre continuité et rupture.
Descartes (1596-1650)
Le fondement de la physique classique repose sur le déterminisme, c'est-à-dire sur l’idée que le Monde est régi par des lois que l’homme est capable de connaître, et qu’à partir de cette connaissance, l’homme peut prévoir l’avenir et construire le passé. Les « anciens » ne veulent pas abandonner ce principe. Comme Bohm, ils  veulent « fonder le choix d’une description causale, autrement dit déterministe, en montrant qu’elle était plus fondamentale qu’une description probabiliste comme celle de la mécanique quantique courante ». Leurs adversaires voient dans ce déterminisme le retour des concepts de la physique classique qu’ils trouvent obsolètes et désormais infécondes. Cette interprétation est dénoncée comme « idéologique » et « métaphysique ».


L’interprétation de Bohm arrive aux mêmes résultats que ceux préconisés par l’interprétation de Copenhague. Toutefois, en dépit de cette vérification expérimentale, elle ne parvient pas à s’imposer dans la communauté scientifique. C’est même un échec. Car contrairement aux souhaits de Bohm, elle ne révèle pas une véritable fécondité. « L'on est en droit de penser que c'est bien l’absence de prédictions inédites qui a été l’une des raisons les plus fortes, voire la principale, d’une réception si défavorable. »[2] Il semble donc qu’une interprétation est acceptée dans la communauté scientifique en fonction de sa capacité à faire développer une théorie. Mais en dépit d’un relatif échec, elle montre que « le flou, la subjectivité, et l’indéterminisme, ne nous sont pas imposés de force par les faits expérimentaux, mais proviennent d’un choix théorique délibéré. »[3] Les faits expérimentaux ne permettent pas de les départager. La science est donc incapable par elle-même de confirmer ou non le principe de causalité.
Plus elle s’abstrait de la réalité, moins la science est capable de nous apporter du sens à la connaissance qu’elle nous apporte. Elle s’enferme dans le monde abstrait qu’elle se créé, monde qui ne peut être accessible que dans son propre langage. En ce sens, Bohr a probablement raison. Le langage commun n’est pas adapté pour décrire ce monde abstrait. Son utilisation implique nécessairement des approximations, sources d’erreurs et de paradoxes.
Interprétation d’Everett
La troisième principale interprétation, celle des mondes multiples, est aussi parfaitement déterministe. Toutes les solutions de l’équation de Schrödinger ont une solution mais chacune dans un monde différent et clos. A chaque mesure, l’univers se décompose en autant de mondes qu’il y a d’états superposés, mondes par ailleurs incommunicables. Cette interprétation donne aussi de bons résultats expérimentaux. Les faits expérimentaux ne permettent pas alors de la rejeter. Mais à son tour, elle soulève de nombreuses questions.
Si l’univers se décompose chaque fois qu’il est mesuré, le nombre de mondes parallèles doit être extraordinaire. Il augmente de manière exponentielle. Nous-mêmes nous sommes multipliés à l’infini dans cet univers aux mondes parallèles. Ce modèle a été amélioré pour en limiter le nombre dans le temps. Cependant le problème ne réside pas réellement dans le nombre mais dans leur existence.
Imaginez une expérience qui peut donner lieu à deux résultats. Lors de la mesure, deux mondes se créent. La mesure, donc l’homme, cause la division de l’univers en deux mondes parallèles. Comme dans l’interprétation de Copenhague, nous sommes face à une vision de la réalité anthropocentrique. L’homme serait cause de la réalité.
Est-il possible de rejeter scientifiquement cette interprétation ? Elle fournit les mêmes résultats expérimentaux que donnent les autres interprétations. Elle ne soulève pas non plus de contradictions. Mais ces deux conditions ne suffisent pas pour garantir une certaine véracité scientifique. Car en effet, pouvons-nous prouver quoi que soit dans un Univers où tout est finalement possible sans que nous puissions en vérifier la réalité ? Si un dé donne six, c’est que nous sommes dans le monde dans lequel la valeur du dé est six mais à partir de ce monde, nous ne pouvons pas communiquer avec les autres mondes dans lesquels le dé prend les autres valeurs possibles. Nous vivons comme s’il y a un seul monde dans l'ignorance des autres mondes. Rien n’est donc vérifiable par les faits expérimentaux. Cette solution est-elle alors scientifique puisqu'elle n’est pas vérifiable ? 
Des interprétations d’ordre philosophique et non scientifique
Les interprétations de la physique quantique sont nombreuses et soulèvent chacune des questions essentielles sur la connaissance et plus précisément sur la science. L’interprétation de Copenhague remet en cause l’objectivité de notre connaissance qui résulterait d’un idéalisme scientifique erroné. Et paradoxalement, alors qu’elle dévalorise l’homme, elle le place au centre de la réalité au point de le désigner comme son véritable auteur. Nous retrouvons cet anthropocentrisme dans l’interprétation d’Everett. Seule l’interprétation de Bohm-Broglie lui retire cette puissance en rendant la réalité indépendante de lui.
Quelles que soient leurs divergences, les faits expérimentaux ne parviennent pas à départager ces interprétations. En fait, elles sont rejetées ou acceptées non pour des raisons de validité scientifique mais pour des raisons utilitaristes. Leur « fécondité », c’est-à-dire leur capacité de faire développer la théorie, semble être le véritable critère de choix. Nous pourrions peut-être penser que dans un avenir plus ou moins proche, une expérience pourrait enfin rejeter définitivement l’une des interprétations.
Emmanuel Kant
(1724-1804)
Mais comme dans l’interprétation d’Everett, il est peut-être vain d’attendre une expérience pour les départager car le problème n’est pas d'ordre scientifique mais philosophique. Car elles s’appuient sur des principes philosophiques. Bohr et Heisenberg ont été influencés par les philosophes allemands, en particulier par le néo-kantisme. Einstein, Bohm et de Broglie veulent à tout prix maintenir le déterminisme et garder les concepts de la physique classique. Ils veulent surtout préserver Descartes. Les théories scientifiques deviennent ainsi un argument en faveur de leurs convictions.
Finalement, des scientifiques peuvent défendre des représentations du monde qui n’ont rien de scientifique. Le danger est alors de les imposer au nom de la science. Ce n’est même plus un danger mais une réalité pour des médias qui les diffusent sans prudence.
Le principe d’être, guide du principe d’action
Comme le montrent ces différentes interprétations, il ne suffit pas d’être conforme à des prédictions ou de ne pas être contradictoires pour être dans le vrai scientifique. Les faits expérimentaux ne parviennent pas à les départager. Telle est la limite de la science. Elle ne peut pas par elle-même justifier un modèle
Elle peut aussi donner lieu à des modèles complètement différents. La science recherche surtout dans un modèle l'efficacité au sens où ils donnent de nouveaux moyens et de nouveaux pouvoirs pour progresser dans le Monde. Elle est guidée par un principe d’action quand les interprétations se tournent surtout vers un principe d’être.
Nous constatons donc une séparation entre l’être et l’action, entre le vrai et l’utilité. Des scientifiques ne cherchent pas à être dans le vrai mais à disposer davantage de pouvoir sur le monde. Ce n’est donc pas une quête de vérité mais de puissance qu’ils recherchent. Or si le physicien use d’une science sans se poser de question sur la réalité qu’il manipule, sur l’être finalement, il ouvre une boite de pandore qu’aucune raison ne pourra renfermer. La réalité n’est plus qu’un laboratoire ouvert à ses compétences, à sa perspicacité, à ses ambitions. C’est comme ces organismes sociaux qui à force d’utiliser des numéros pour identifier les administrés finissent par manipuler ces derniers comme des nombres oubliant ce qu’ils représentent. Nous sommes loin d’une science en quête de vérité… Il y a bien une rupture entre la science moderne et la Science.
La Science doit se reposer sur un principe d’être qui guide et encadre son principe d’action. Elle ne doit pas seulement agir sur la réalité mais aussi connaître cette réalité. Elle ne doit pas être seulement instrumentaliste sinon elle nous conduirait vers l’apocalypse. Elle doit aussi être porteuse de connaissance et de sens. C'est pourquoi elle ne peut être autonome. La philosophie lui est indispensable.
Les hommes se disputent non sur la réalité elle-même mais sur la connaissance que nous pouvons en retirer. Nous revenons aux discussions des philosophes antiques et médiévaux. Réalisme ou idéalisme ? Objectivité ou subjectivité de la connaissance ? Nous retrouvons les vieux débats sur le langage, sur la perception de la réalité, sur le sens de la vérité. Heisenberg n’est pas loin de Pythagore.

Une raison enfermée sur elle-même …
Toutes les interprétations ont un autre point commun : tout se ramène à l’homme, à sa conscience ou à sa raison. La pensée se renferme sur elle-même. Bohr est bien conscient de ce renfermement de la pensée qui est source de contradictions. Se figer dans les concepts du XVIIIe siècle en les croyant indépassables, c’est demeurer dans la conviction de Laplace. Or ces concepts n’ont de sens que s’ils portent les pensées qui leur ont donné naissance. L’erreur de Bohr est peut-être de reporter cette limite dans l’ordre de la connaissance au point de rejeter toute rigueur dans un discours et toute  possibilité de décrire la réalité avec un langage adapté. Il commet à son tour l’erreur qu’il dénonce. Il croit en la suprématie de la raison, idée qui a donné naissance à la physique classique. Selon Bohr en effet, si la raison est défectueuse ou incapable de connaître, c’est que la connaissance lui est inaccessible et donc inaccessible à l’homme. Or la raison n’est pas le seul mode de connaissance…
Enfin, de manière paradoxale, les raisons qui justifient l’impuissance de l’homme à connaître le Monde tel qu’il est le conduisent aussi à centrer le Monde sur l’homme. Paradoxe étrange compte tenu de la position marginale de la terre dans l’Univers ! Le Big Bang n’aurait pas de réalité sans l’homme ? Folie d’une raison enfermée sur elle-même …



Références
[1] Daniel Fortier, Mécanique quantique, Animations et interprétations philosophiques, Conférence donnée chez les Sceptiques du Québec le 13 février 2007.
[2] Olival Freire, Michel Paty, Alberto Luiz Da Rocha Barros, Physique quantique et causalité selon Bohm - Analyse d’un cas d’accueil défavorable, 2002.
[3] Jean Bricmont, La non-localité et la théorie de Bohr, Académie des Sciences morales et politiques, www.asmp.fr

[4] W. Heisenberg, Physique et Philosophie,éditions Albin Michel, 1971, cité dans Wikipédia, article L'Ecole de Copenhague.

vendredi 11 avril 2014

Le semi-rationalisme (Hermes, Günther)

Au XIXe siècle, de farouches adversaires de l’Église prônent la primauté de la raison et de la science dans la recherche de la vérité et dénoncent l’obscurantisme du christianisme. Cette confiance effrénée et aveugle dans les capacités intellectuelles de l’homme touche aussi certains catholiques qui finissent par remettre en cause la primauté de la foi dans le salut sans toutefois atteindre l’excès des rationalistes, ce qui rend encore leurs doctrines plus dangereuses. Selon ces « semi-rationalistes », nous ne devons croire aux vérités de la foi que d’une manière provisoire mais qu’ensuite la raison doit garantir leur véracité. Cela revient finalement à reposer notre foi sur la raison. L’Église les a vivement condamnés.
L’hermesianisme
Georg Hermes (1775-1831), professeur de dogmatique à Münster puis à Bonn, veut justifier la foi au regard de la raison et plus précisément à partir du kantisme. Que les vérités métaphysiques soient connues par raisonnement ou par révélation, la raison est nécessaire pour les imposer comme étant vraies. « La foi doit pouvoir s’imposer en vertu d’une nécessité rationnelle contraignante »[1] Tout doute en est exclu. Pour une foi totalement raisonnable, il prône même la mise en doute systématique pour ceux qui sont nés catholiques afin qu’ils trouvent les arguments rationnels qui s’imposent de manière contraignante. Cet acte de foi, purement rationnel, précède toute grâce. Dans sa théorie, l’autorité de Dieu devient un motif de crédibilité parmi d’autres. Ainsi par des méthodes rationnelles, il est possible de comprendre et d’expliquer les vérités de foi.

Maître prestigieux des universités allemandes, notamment celles de Bonn, Hermes a développé ses idées dans des livres comme Recherches sur la vie intérieure du Christianisme. Elles se sont répandues dans les universités et les séminaires allemands[2]. L’hermésianisme est presque devenu une sorte de théologie d’État. L’administration prussienne l’a en effet protégé et répandu. Plus de trente chaires de théologie l’ont enseigné. Des brochures l’ont défendu…
Mais une grande majorité des évêques s’y sont opposés. Le bref Dum acerbissimas du 26 septembre 1835 a condamné le « doute positif considéré comme la base de toute recherche théologique, et par le principe qu’il a établi et selon lequel la raison est la norme première et l’unique moyen par lequel l’homme peut atteindre la connaissance de la vérité surnaturelle. »[3] Ses ouvrages ont été mis à l’Index. La constitution Dei Filius sur la foi catholique (avril 1870) est aussi une réponse au rationalisme d’Hermes.
Le güntherisme
Anton Günther (1783-1863), prêtre éminent de Vienne, cherche aussi à concilier la foi et la raison sur la base de l’idéalisme allemand. Il veut démontrer scientifiquement les vérités de foi tout en donnant un rôle à la foi. « C’est par la foi que nous percevons la réalité de ces vérités dont la raison démontre la nécessité. » Il distingue le fait de la révélation, qui est objet de foi, et son contenu, qui devient objet de science nécessaire. L’homme peut donc arriver par sa raison à la compréhension des mystères même si elle ne peut les expliquer. La Révélation n’est donc pas nécessaire. La raison humaine est capable de comprendre les vérités révélées. Elle les comprend de mieux en mieux au point qu’elle peut transformer les dogmes à mesure qu’elle acquiert une intelligence plus complète. Günther propose donc un développement de la connaissance des mystères en plusieurs étapes, l’intelligence augmentant d’âge en âge, par suite des progrès des sciences humaines et de la philosophie. « Ainsi, dit Günther, les jugements doctrinaux de l’Église n’ont rien de définitif. Ce sont des formules provisoires qui répondent à l’intelligence qu’on possède d’un dogme à une époque donnée ; ces formules admises dans les définitions d’une époque fera place un jour à d’autres formules et à d‘autres définitions ; car un jour viendra où l’on comprendra les dogmes définis et où on leur donnera un nouveau sens ». Nous retrouvons ainsi l’idée d’un évolutionnisme dans l’élaboration du dogme selon les progrès supposés de l’intelligence et de la connaissance.
Ses idées ont d’abord eu un grand succès mais elles a été rapidement condamnées. Dans le bref Eximiam tuam (15 juin 1857), Pie IX a énuméré les différentes erreurs de Günther . Ce dernier s'est soumis « sans détour, de façon pieuse et louable »[4] aux autorités romaines. Mais comme ses erreurs n'ont été condamnées qu’en termes généraux, ses partisans ont continué de soutenir certaines de ses propositions. « Il faut également réprouver et condamner fortement le fait que dans les livres de Günther la raison humaine et la philosophie qui, dans les choses de la religion, ne doivent pas dominer mais rester totalement servantes, se voient attribuer de façon téméraire le droit d’un magistère ». Cette erreur fragilise ce qui doit être ferme, « aussi bien pour ce qui est de la distinction entre science et foi, que pour ce qui est du caractère constamment immuable de la foi »[5]. Or comme le rappellent les condamnations romaines, la philosophie n’est pas exempte d’erreurs. Nous retrouvons des erreurs de Günther dans le catalogue établi par Pie IX, le célèbre Syllabus publié le 8 décembre 1864.
A la recherche d’une apologétique nouvelle
Ecole de Tübingen,
centre de renouveau théologique au XIXe siècle
Ce n’est pas un hasard si les erreurs d’Hermes et de Günther proviennent des universités catholiques allemandes. Elles sont au XIXe siècle le théâtre d’une ferveur religieuse extraordinaire. Elles mènent un véritable effort pour « repenser la foi catholique en fonction des problèmes modernes, spécialement de ceux qui étaient posés en philosophie »[6], en particulier l’hégélianisme. Nous pouvons notamment citer l’université de Tübingen, tournée vers la spéculation et la philosophie, ou l’Université de Munich, qui préconise un renouvellement de la théologie par le travail scientifique, surtout historique.
Pour s’opposer aux philosophies du XVIII et du XIXe siècle qui remettaient en cause la foi et le christianisme, les universités catholiques allemandes ont cherché à rapprocher la foi et la raison, la croyance et les connaissances scientifiques. Mais comme nous constatons souvent dans la longue histoire de l’Église, les défenseurs de la foi vont parfois trop loin dans le combat contre les erreurs. Si les universités allemandes ont été des foyers de renaissance intellectuelle de la foi, elles ont aussi donné naissance à des erreurs. Elles sont allées trop loin dans l’audace au point de dévier dans la doctrine. Hermes a essayé de bâtir les dogmes sur une méthode kantienne, Günther sur l’hégélianisme. Leurs erreurs reflètent l’influence des philosophies du XIXe siècle. « Pour concilier les doctrines qui les fascinent avec la foi, ces catholiques ont cherché à mettre les vérités révélées en harmonie avec elles » [7].
Théologien, un des représentants
de l'école de Tübingen
Nous pouvons constater qu’Hermes et Günther ont perdu leur foi au cours de leur jeunesse en étudiant la philosophie. « Les doctrines de Kant et de Fichte firent naître en son esprit une foule de doutes sur la foi. Ces doutes augmentèrent encore pendant ses cours de théologie ». La doctrine de Wolf a persuadé Günther de l’inutilité de la Révélation avant de connaître les idées de Kant, de Fichte et de Schelling qui ont fini pas l’éloigner de l’Église. Convertis, ils n’ont alors cessé de travailler pour une nouvelle apologétique estimant que « la philosophie des Pères et des scolastiques ne répondait plus aux besoins de notre temps et que les coups du criticisme de Kant en avaient fait un monceau de ruines. » Ils ont alors cherché à offrir une base solide aux dogmes de la théologie chrétienne à partir de la philosophie nouvelle.
Ainsi de manière paradoxale, en voulant chercher à s’opposer à l’influence des nouvelles philosophies pour défendre la foi, Hermes et Günther les ont introduites dans la théologie, menaçant à leur tour la foi qu’ils voulaient défendre…




Références
[1] B. Sesbouë, Histoire des Dogmes, Tome IV, La Parole du Salut, chapitre IV, éditions Desclée, 1996.
[2] Daniel-Rops, L’Église des Révolutions, En face des nouveaux destins, chap.IV, éditions Fayard, 1960.
[3] Grégoire XVI, Bref Dum acerbissimas du 26 septembre 1835, Denzinger 2738.
[4] Noté par le décret qui fut publié après sa soumission. Voir 
Denzinger  2828.
[5] Pie IX, Bref Eximiam tuam à l’archevêque de Cologne, le 15 juin 1857, 
Denzinger  2829
[6] Daniel-Rops, L’Église des Révolutions, En face des nouveaux destins, chap.V.

[7] Jean-Michel-Alfred Vacant, Etudes théologiques sur les Constitutions du Concile de Vatican, tome 1, édition Delhomme et Briguet, 1895, www.liberius.net.