" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 28 novembre 2020

Le bouddhisme occidental ou le néo-bouddhisme, mensonges et préjugés. Un piège savamment organisé...


Les communautés asiatiques représentent la majorité des bouddhistes en France et en Occident. Elles pratiquent leur religion traditionnelle selon des rites ancestraux. Pourtant, ce n’est pas ces formes de bouddhisme qui intéressent vraiment nos contemporains, et encore moins les médias. Le néo-bouddhisme occidental est plus visible, voire envahissant, sur les ondes. Les études sociologiques, les thèses et les ouvrages que nous pouvons trouver portent aussi sur ce bouddhisme particulier et minoritaire. Comment pouvons-nous expliquer ce paradoxe ? Ces mêmes études analysent le phénomène et nous éclairent davantage sur cette mode insistante. Leurs conclusions ne sont pas sans intérêt pour notre étude et même pour l’apologétique chrétienne. Tentons d’en faire une synthèse…

Le bouddhisme, une thérapeutique au profit du culte du bien-être

Aux yeux de nos contemporains, le bouddhisme apparaît d’abord comme une « science de l’esprit », un ensemble de pratiques thérapeutiques destinées à l’épanouissement de soi et capables de libérer nos contemporains du stress que génère notre société afin qu’ils puissent prendre le temps d’être. En un mot, il procure le bonheur aux contemporains abîmés par une société matérialiste et consumériste. Il leur donne le mieux-être, la sérénité et la paix intérieures. Des études scientifiques sont même réalisées pour démontrer les qualités intérieures de la méditation bouddhiste comme le fait si bien un des grands apôtres du bouddhisme tibétain en France à partir la neuroscience.

Le néo-bouddhisme occidental est donc parfaitement attirant dans une société où le culte du bien-être ne cesse de croître. Il répond parfaitement à ce moi qui s’exalte et s’élève de manière démesurée. Et c’est ainsi que certains lecteurs décident de se rendre dans des centres bouddhiques afin de trouver ce qu’il leur manque, un mieux-être.

Le bouddhisme, une sagesse et une morale laïque

Les livres et revues ne manquent pas pour vanter toutes les vertus des pratiques bouddhistes : sa rationalité, son universalisme ou encore la liberté d’être. Le bouddhisme apparaît alors différent du christianisme avec ses dogmes, sa morale et ses rites tout en apportant une certaine spiritualité. Il n’est plus qu’une sagesse rationnelle plus élevée que toutes les religions.

Or comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, ce bouddhisme n’est qu’une construction intellectuelle, née au XIXe siècle, auprès d’anticléricaux et de positivistes, décidés à substituer au christianisme un mouvement spirituel attrayant [1]. Les livres sacrés ont été traduits, lus et interprétés selon une vision biaisée du monde et un regard bien précis. Il est totalement étranger aux véritables formes du bouddhisme traditionnel, profondément religieux, aux multiples doctrines et rites, fondées sur une métaphysique particulière. En dépit de nos connaissances, c’est encore cette image du XIXe siècle qui s’impose à nos contemporains. Le bouddhisme apparaît encore et toujours comme une religion sans y être, comme une sagesse toute laïque. Une image idyllique, conforme à leur laïcisme et à leur conception de la religion, ainsi que la volonté de combattre le christianisme structurent finalement une image d’un bouddhisme prétendu idéal mais faussé.

Ce n’est pas seulement une idée d’un siècle dépassé. Le néo-bouddhisme d’origine asiatique et influencé par les pensées occidentales a agi de même. Tout ce qui peut caractériser une religion, un dogme ou un rite a été soigneusement retiré de leur description. C’est ainsi qu’il se présente comme une morale laïque suffisamment élevée pour concurrencer le christianisme.

Un bouddhisme identique au christianisme idéal mais supérieur

Il est par ailleurs étrange que le bouddhisme soit si souvent comparé au christianisme au point que certains y voient des ressemblances. On n’hésite même pas à voir dans Notre Seigneur Jésus-Christ un Bouddha qui s’ignore ! Il est vrai que, parfois, de nombreuses notions chrétiennes sont subtilement utilisées pour présenter le néo-bouddhisme et l’enseigner.

Mais contrairement au christianisme, le néo-bouddhisme apparaît plus sympathique, moins rigide, moins dogmatique. L’absence de « dogme » et de « rite » est en effet souvent soulignée pour le caractériser. À l’opposé du bouddhisme traditionnel qu’il considère comme décadente et superstitieux, obsolète pour notre temps, le néo-bouddhisme a réussi à retrouver sa pureté originelle. Sa modernité est un retour à sa source.

Par conséquent, le néo-bouddhisme a toute sa place dans une société anciennement chrétienne, qui relègue le christianisme dans le passé et rejette ses dogmes comme sa morale. Il lui apporte une spiritualité aussi élevée tout en lui laissant la liberté d’être. Une telle image ne peut qu’être attrayante pour nos contemporains.

Un bouddhisme au secours du christianisme ?

Des chrétiens s’imaginent même que le néo-bouddhisme pourra leur apporter ce que le christianisme ne peut pas leur donner. Sa spiritualité, ses méditations et bien d’autres pratiques se mêlent à la vie chrétienne de certains fidèles. Ceux-ci en viennent même à le louer, voire à les confondre. Jésus et Bouddha, même chose…

L’ignorance de ces chrétiens sur leur propre religion est affligeante. À force de réduire le christianisme à l’activisme social et aux œuvres à l’efficacité facile, confondant bien-être et salut, ils ont oublié la force de sa spiritualité contemplative, la richesse et la diversité de ses prières et de ses oraisons, les élévations intérieures de ces hommes et femmes enflammés de la présence divine. Pères du désert, fondateurs des Ordres religieux, Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse de l’Avila… La vie contemplative a fait l’objet de tant de contestations et de vives oppositions, voir de terribles persécutions depuis le XVIIIe siècle, que ce trésor accumulé n’est plus que vagues souvenirs. Et encore, épris d’innovations et plus ouverts au monde, ils ont délaissé ces secrets de l’âme. Et désormais, éloigné de ces merveilles inaccessibles, ils recherchent dans le néo-bouddhisme ce qui peut nourrir leur âme, affamés et las d’un monde si froid et rationnel, sans mystère ni murmure…  Perdus dans un vide spirituel et désarmés de sacré, ils sont des proies faciles pour ces faiseurs de rêves et ces manipulateurs de sens, qui peuvent alors sans difficulté les appâter et les attirer, mêlant à leurs croyances fragiles des pensées exotiques dans un syncrétisme étonnant.

Un bouddhisme, sauveur de la civilisation

Le néo-bouddhisme est aussi associé à une certaine conscience de la décadence de notre société, et ce depuis le XIXe siècle. L’une des premiers adeptes et apôtres français du bouddhisme, Alexandra David-Neel, le désigne en effet comme un remède à la décrépitude de la civilisation occidentale qui génère angoisse et souffrance. « Est-on encore justifié en parlant de la faillite de notre civilisation, ou faut-il employer le terme de catastrophe ? […] Il est, cependant, une autre expression, moins dramatique, mais plus poignante […] : c’est celle de décrépitude. […] Ne convient-il pas que nous nous efforcions d’écarter de nous, hommes de l’époque actuelle, le plus grand nombre possible d’éléments producteurs de souffrance, et de multiplier les facteurs susceptibles de contribuer à notre confort matériel et spirituel ? Or, il existe un enseignement dont le but, formellement affirmé, consiste précisément dans la Suppression de la Souffrance. Ne serait-il pas sage de lui accorder notre attention ? »[2] Ce n’est pas un hasard si la souffrance est l’un des thèmes majeurs du néo-bouddhisme.

L’activisme des maîtres bouddhistes

C’est ainsi que depuis deux siècles, le bouddhisme sous sa forme occidentale ou moderniste est revêtu d’une image plaisante pour une société déchristianisée, en proie à la souffrance qu’elle génère et à la recherche du bien-être. Le discrédit des religions poussent les déçus et les révoltés vers le centres ou groupes bouddhistes de toute sorte. Le mal-être ambiant, le matérialisme étouffant et le vide spirituel de notre société y poussent aussi tous ceux qui ne supportent plus leur existence sans consistance. Tous espèrent y trouver du sens à leur vie. L’image d’un bouddhisme propice à l’épanouissement personnel, non religieux et remède à la souffrance attire ainsi bien des contemporains désarmés et conscients d’un manque de bonheur certain.

Les néo-bouddhismes asiatiques ont développée cette image idyllique du bouddhisme, avec l’aide et le soutien des bouddhistes occidentaux. Ils sont intervenus aux États-Unis et en Europe pour la diffuser et gagner de la notoriété. Ce ne sont pas des asiatiques aux mœurs étranges et inquiétants. Ce sont en effet généralement des intellectuels et des universitaires qui ont su admirablement adapter leur vocabulaire et leur doctrine à la culture occidentale.

Des maîtres asiatiques se sont installés en Occident, fondant des sociétés et centres bouddhistes, offrant des stages et des méditations répondant aux vœux de nos contemporains. Leurs ouvrages se sont diffusés avec souvent du succès. En outre, ils ont cultivé leur image médiatique, rayonnant de tolérance et de quiétude.

Une manne financière

Ces maîtres bouddhiques ont tout intérêt à développer une image si agréable du bouddhisme, même si elle est inauthentique et dénature ce qu’ils professent. La conception fantasmée leur assure non seulement une réelle propagande et une grande notoriété médiatique mais leur offre également des ressources financières non négligeables. Les livres bouddhiques de vulgarisation, les conférences et les stages bouddhistes sont un réel débouché économique pour de nombreux maîtres et lamas asiatiques.

N’oublions pas en effet que ces derniers ne travaillent pas et doivent être soutenus par les fidèles. Or ces maîtres n’ont guère de fidèles dans leurs pays d’origine. En Asie, sont-ils vraiment appréciés, ces laïcs qui dénaturent les religions traditionnelles, et souvent insuffisamment formés ? D’origine asiatique ou occidentaux, ils sont en fait bien différents des véritables maîtres religieux du bouddhisme et de leurs ancêtres. Et en Europe, les communautés asiatiques de bouddhisme traditionnel ne les apprécient guère.

Un témoignage intéressant

Dans sa thèse de doctorat en anthropologie, présentée en 2013 [3], Marion Dapsance nous décrit la réalité des centres bouddhistes installés en France et à Monaco, en particulier le centre Rigpa [4]. Elle participe aussi à des conférences données par des lamas tibétains. Son témoignage illustre de manière éclatante le phénomène bouddhiste tibétain qui se développe en Europe. Elle découvre aussi l’enseignement direct d’un lama tibétain, Gyalwang Drukpa, lors d’une retraite bouddhiste qui s’est déroulé en Bretagne.

Dapsance s’engage dans un centre bouddhiste par curiosité, par attractivité. « Je souhaitais éprouver moi-même ce que pouvait réellement apporter une « pratique spirituelle » si positivement perçue – non seulement des membres du centre, ce qui va de soi, mais également par de nombreux intellectuels occidentaux dont j’avais lu les témoignages. » Elle constate rapidement que bien de « pratiquants » exercent réellement la méditation. L’essentiel est ailleurs…

Notons ses premières appréciations. Elle est d’abord agacée par une présentation d’accueil qui lui paraît trop commercial et stéréotypée. Dans la bibliothèque d’un centre, elle découvre des ouvrages de bouddhisme, d’ésotérisme, de yoga, de théosophisme [5], de végétarisme. Progressivement, pris par une curiosité plus grande à l’égard d’un univers inconnu, elle s’enthousiasme et approfondit sérieusement ses découvertes. L’étrangeté et le mystère qui enveloppent la liturgie et les rites la galvanisent.

Dapsance constate rapidement une contradiction entre l’image que l’opinion se fait du bouddhisme et la réalité qu’elle découvre. D’une part, elle prend conscience de l’importance des traditions religieuses et de leur richesse dans son enseignement et ses pratiques contrairement à ce qu’elle a pu lire. En effet, les livres et les commentaires en faveur du bouddhisme le dépeint comme une spiritualité non religieuse, sans rite ni autorité au contraire du christianisme. Pourtant, elle rencontre un univers centré sur la liturgie et fondée sur l’obéissance d’adeptes à un maître qui fait l’objet d’une véritable dévotion.

En outre, d’une manière répétée, les discours comparent le bouddhisme avec le christianisme. « Le dispositif de transmission mis en place par ce centre faisait émerger et entretenait constamment la comparaison entre un christianisme délétère et dégénéré et un bouddhisme salvateur, que les observateurs reprenaient à leur compte en privilégiant les discours des convertis plutôt que l'analyse de leurs pratiques effectives. » Elle note que la plupart des adeptes sont des chrétiens déçus.

Puis, Dapsance est aussi surpris de l’influence de la culture tibétaine dans le bouddhisme alors que son universalisme est souvent loué dans les ouvrages au point « qu’il était impossible de comprendre les pratiques tibétaines proposées sans une étude approfondie de la doctrine, de la théologie, de la cosmologie, du panthéon et de la société dans lesquels elles s’insèrent. » Dapsance s’interroge alors sur la conception que peuvent se faire des adeptes occidentaux sans une connaissance précise de la culture tibétaine, voire celle de la langue. « Le décalage culturel n’était-il pas trop important pour parvenir à une pratique rituelle qui ait encore du sens ? »

Enfin, l’enthousiasme en elle se transforme rapidement en incompréhension, voire en colère, devant l’aveuglement ou la mauvaise foi des adeptes. En effet, Dapsance constate le caractère éminemment religieux de leurs pratiques alors qu’ils se déclarent pratiquer uniquement une sagesse ou une science de l’esprit sans aucun rapport avec la religion. Les discussions qu’elle engage avec eux aboutissent aussi toujours à une comparaison entre le bouddhisme et le christianisme, sur leurs avantages et désavantages, sur la supériorité du bouddhisme sur le christianisme.

Conclusion

Dans un de ses ouvrages [6], l’anthropologue Dapsance remet en cause le bouddhisme tel qu’il est décrit en Occident. Il est décrit comme une philosophie salvatrice, capable de fournir à nos contemporains l’épanouissement personnel qu’ils recherchent. Or la conclusion de ses expériences est bien différente de cette intention : « le Bouddha est devenu philosophe quand nous avons cessé d’être chrétiens ». Elle dénonce l’objectif idéologique que porte le néo-bouddhisme occidental, celui de faire du Bouddha « un anti-Christ », ou plutôt un « messie oriental duquel viendrait la régénérescence de l’Occident moribond ». Le contraste entre la description du bouddhisme par les médias et les intellectuels et la réalité ne permet pas toujours aux adeptes d’y déceler le mensonge et le piège.

L’objectif n’a pas évolué depuis les travaux de Burnouf [7] et de ceux qui ont utilisé une interprétation biaisée des textes sacrés du bouddhisme dans un but de supplanter le christianisme et de développer une morale laïque.  La situation a néanmoins changé depuis le XIXe siècle.


D’une part, au lieu de devenir un objet intellectuel ou encore livresque, le néo-bouddhisme profite du culte du bien-être et de ses pratiques pour attirer nos contemporains. Il n’hésite pas à s’appuyer désormais sur des études scientifiques pour prouver la valeur rationnelle de la méditation bouddhique [8]. Il loue encore les valeurs morales du bouddhisme, son altruisme, sa tolérance et son universalisme, sans rapport avec une religion, c’est-à-dire avec le christianisme. C’est ainsi que le bouddhisme est décrit soit comme une spiritualité moderne, à la fois rationnelle et mystique, non prosélyte mais salvatrice dans notre civilisation en déclin [9], ou comme une religion missionnaire, universelle, conquérante [10]. Dans le premier cas, le bouddhisme répondrait aux besoins nouveaux des contemporains en quête de religiosité raisonnable, de liberté, d’autonomie, ce qui expliquerait ses succès. Dans le second cas, plus sérieux, ce succès est le résultat de son prosélytisme international.

D’autre part, la déchristianisation de la société, la pauvreté spiritualité, l’absence du sacré et le vide des rites chrétiens actuels poussent d’anciens chrétiens déçus vers d’autres formes de religiosité. La réalité est claire pour celui qui veut la voir. La nature n’aime pas le vide. Ce que les hommes d’Église ne proposent plus est recherché ailleurs, laissant alors bien d’individus aux mains des maîtres et des gourous. Voilà sans-doute un des fruits amers de la révolution qui frappe l’Église depuis plus cinquante ans. Est-ce cela la charité chrétienne ?...

 

Notes et références

[1] Voir Émeraude, novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[2]Alexandra David-Neel, Le Bouddhisme du Bouddha, édition de 1989 dans Sur le déni de la religiosité du bouddhisme. Un instrument dans la polémique antichrétienne, Le Débat, 2015.


[3] Dapsance, « Ceci n’est pas une religion » L’apprentissage du dharma selon Rigpa (France), thèse de doctorant d’anthropologie, mention « religion et système de pensée », école pratique des hautes études, 7 décembre 2013.

[4] L’organisation internationale Rigpa a été fondée en 1978 par Sogyal Rinpoché, célèbre depuis un livre devenu un best-seller. Or Dapsance a dénoncé ses pratiques du lama, fondateur des centres tibétains Rigpa, en 2016 dans son ouvrage Les dévots du bouddhisme. Quelques mois plus tard, la direction de l’organisation Rigpa l’a démis de ses fonctions pour « abus psychiques, émotionnels, psychologiques et sexuels » (La Croix, 29 août 2017). Et pourtant, certains intellectuels ont dénoncé cet ouvrage.

[5] Voir le centre de théosophie dans Émeraude, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[6] Dapsance, Qu’ont-ils fait du bouddhisme ?, Bayard, 2018.

[7] Voir Émeraude, novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[8] Dapsance dénonce notamment quatre auteurs, qui, en effet, s’active dans les médias et publient de nombreux ouvrages sur le sujet, comme nous avons pu le constater. Ce sont Matthieu Ricard, Christophe André, Fabrice Midal et Frédéric Lenoir. Je rajouterai un autre auteur prolifique Raphaël Liogier.

[9] Voir Bouddhisme et Occident. La diffusion du bouddhisme tibétain en France, Lionel Obadia, L’Harmattan, 1999, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident et Le bouddhisme en France, Fayard, 1999, et Être bouddhiste en France aujourd’hui, Bruno Etienne et Raphaël Liogier Paris, Hachette, 1997.

[10] Voir Le maître dans la diffusion et la transmission du bouddhisme tibétain en France, Cécile Campergue, thèse soutenue en 2008 et publiée en 2012 chez L’Harmattan, Le bouddhisme des Français, Thierry Mathé, L’Harmattan, 2005

samedi 21 novembre 2020

L'élaboration, l'implémentation et la diffusion de différentes formes du Bouddhisme en Occident : bouddhismes occidental, natif et néo-bouddhisme...

À la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, plusieurs formes de bouddhismes se développent dans les sociétés occidentales. Sans avoir la même importance que les autres religions traditionnelles, elles demeurent néanmoins suffisamment visibles pour ne pas être ignorées et même suffisamment fortes pour les concurrencer. Des signes évidents montrent que leur influence s’étend dans notre société, ce que le marketing a rapidement constaté et profité. Attrayantes, elles attirent de nombreux contemporains. Alors que les religions traditionnelles souffrent d’un discrédit inégalé et que la société s’enfonce dans le désordre et l’insatisfaction à un rythme effréné, les bouddhismes présentent en Occident une image bien agréable par leur exotisme, leur tolérance, leur discours de paix et de quiétude, par des pratiques qui proposent l’épanouissement individuel. Pour nombre de contemporains, ils seraient une solution à leur vie qui a bien souvent perdu toute cohérence, tout sens

Mais derrière cette image idéalisée du bouddhisme, il existe une réalité ou encore une histoire que nous devons connaître. Car les bouddhismes ont aussi un passé en Occident. C’est par cette connaissance que nous pourrons briser bien des chimères et dévoiler les mensonges

Nous trouvons en Occident de nombreuses formes de bouddhismes qui se caractérisent notamment par leur origine. Essayons de les connaître les unes après les autres…

Le bouddhisme occidental originel

    Burnouf (1801-1825)    

Le bouddhisme le plus ancien, dit « bouddhisme occidental » provient des travaux et études effectués par des intellectuels, comme Burnouf (1801-1852) et Schopenhauer (1788-1860), ou encore par la société théosophique [1]. De nombreux textes sacrés sont traduits et diffusés en Occident, popularisant le bouddhisme. « Le bouddhisme est apparu sur la scène européenne, non pas exporté de l’étranger par des émissaires asiatiques, mais importé par des orientalistes européens. »[2] La société théosophique, que défend l’éminent scientifique Burnouf, diffuse par différents moyens sa version du bouddhisme. Notons que des occidentaux convertis et devenus moines bouddhistes ont cherché à implanter des sociétés bouddhistes en Europe mais après de rapides succès, ils n’ont guère réussi à perdurer.

Le bouddhisme occidental est un produit des études menées au XIXe siècle, imprégnées de rationalisme, de positivisme et de laïcisme. Il est utilisé pour combattre le christianisme, voire « trouver un substitut au christianisme »[3]. Il n’est finalement que l’interprétation de connaissances biaisée par une certaine conception de la vie et de la religion. Il n’est finalement qu’un instrument aux mains des anticléricaux et de certains savants, à la recherche d’une morale laïque ou d’une religion universelle idéale.

Mais le bouddhisme occidental est aussi marqué par une certaine réticence et par la désapprobation. Alors que les uns s’appuie sur lui à des fins politiques ou idéologiques, d’autres le méprisent, le considérant comme une religion d’anéantissement de la personne ou un culte nihiliste. Mais selon de nombreux commentateurs, ce « bouddhisme occidental » ne serait qu’une tentative de répondre à l’angoisse des Occidentaux devant le vide spirituel dans lequel ils sont plongés depuis le XIXe siècle.

La diffusion du bouddhisme en Europe

Au-delà de la littérature ou de l’étude intellectuelle du bouddhisme, nombreux sont les érudits ou artistes qui se convertissent et s’emploient à le diffuser. Nous pouvons citer le chimiste Allan Bennett McGrégor (1872-1923), le musicien allemand Anton W. F. Gueth (1878-1957) ou encore l’indianiste allemand Karl Seidenstücker. Ce dernier fonde en 1903 la Society for the Buddhist Mission in Germany. Ces convertis insistent sur les avantages liés à la pratique du bouddhisme, les opposant alors aux inconvénients de la religion qu’ils ont abandonnée, c’est-à-dire le christianisme ou la religion juive. Ils opposent la connaissance et la raison à la foi et aux dogmes chrétiens, la responsabilité personnelle et l’autonomie morale à l’œuvre de la Rédemption. Bien sûr, ils épurent leur bouddhisme des pratiques rituelles et cultuelles qu’ils considèrent comme folkloriques et inauthentiques. « Les symboles religieux et actes de dévotion étaient tenus pour inutiles, voire comme des détractions de la voie originelle. Des motifs rationalistes et intellectuels, associés à une critique énergique du christianisme, et un accent mis sur l’autonomie de l’individu […] forment la maxime des Européens convertis au bouddhisme theravâda depuis le premier jour. »[4]

En raison de nombreuses initiatives dispersées et isolées de bouddhistes européens et laïcs, de nombreuses organisations se mettent en place en Europe, et plus particulièrement en Allemagne. En France, nous pouvons par exemple citer la Société des amis du bouddhisme, fondée en 1929 par une riche Américaine Miss Lounsberry. Ainsi, avant la deuxième guerre mondiale, les activités du bouddhisme en Europe sont surtout le fait d’Européens convertis, le plus souvent des laïcs. Elles ne durent guère.

Le bouddhisme natif

Pagode vietnamienne à Marseille

D’autres formes de bouddhismes s’implantent aussi en Europe par l’immigration. En effet, des communautés asiatiques, surtout chinoises, japonaises et tibétaines, fuient leur pays pour s’installer surtout aux États-Unis, en Amériques Latines, en Russie et en Serbie. C’est pourquoi elles sont plus conformes aux bouddhismes traditionnels.

Si ces formes de bouddhisme sont diverses et varient en fonction de leur origine, il s’appuie sur un socle commun[5] sur lequel s’élèvent des croyances religieuses, mêlées à des religions préexistantes, croyances qui s’expriment au travers de rites et de symboles. Ce socle commun ne peut être compréhensible et donc séparé d’une métaphysique particulière, celui du védisme.

Depuis le milieu du XIXe siècle, des bouddhistes fuient leur pays en raison des persécutions dont ils sont victimes dans leur pays d’origine et de la misère qui gagne les institutions bouddhiques. En France, ils proviennent surtout du Laos, du Vietnam et du Cambodge. De nos jours, les réfugiés et migrants bouddhistes sont deux ou trois fois plus nombreux que les occidentaux convertis. En 1990, selon une estimation, ils représentent en France 85 % sur une population de bouddhistes de 350 000, 70% en Angleterre (180 000) et en Allemagne (170 000) [6]. Dans les pays de l’Est, c’est plutôt l’inverse, 20% en Tchéquie, 14% en Hongrie, 10% en Pologne.

Dans le but de préserver leur identité et leur culture, les communautés asiatiques fondent des institutions, développent des pagodes pour leur culte selon leur rite, célèbrent en collectivité leurs fêtes traditionnelles. Ces bouddhistes ne se mélangent guère avec leurs homologues européens dont ils ne reconnaissent pas le bouddhisme. Cependant, selon des études, les bouddhistes asiatiques récemment immigrés tendent à universaliser leur religion pour la rendre compatible avec les valeurs occidentales en insistant sur sa modernité, sa spiritualité et sa rationalité, même s’ils insistent sur leurs différences culturelles. C’est pourquoi ils ont tendance à abandonner leurs rites dévotionnels et magiques. Néanmoins, des conflits peuvent éclater entre les bouddhismes natifs et occidentaux.

Le néo-bouddhisme

Le troisième bouddhisme est issu à la fois de l’Europe et de l’Asie. C’est un mélange entre des pensées occidentales et orientales. Il est souvent appelé « néo-bouddhisme » ou « bouddhisme moderniste ». Il est conçu comme « un mode de pensée rationnel »[7]. Il est dépeint comme « pragmatique, rationnel, universel et socialement actif. »[8]8]

Le néo-bouddhisme s’oppose aux bouddhismes traditionnels qu’il considère généralement comme dénaturés et corrompus. Enfin, la métaphysique qui supporte le bouddhisme est soit rejeté, soit mis sous silence. Nombreux sont les débats qui l’attaquent, le relativise ou les défendent.

Il est d’abord très lié au pays dans lequel il a pris naissance avant d’être un mouvement international. Comme au Japon, il est nationaliste et se montre comme un moyen d’affirmer la supériorité culturelle du pays face à l’hégémonie occidentale. Ses dirigeants ou maîtres sont souvent des intellectuels asiatiques en contact avec des savants occidentaux et connaisseurs de la philosophie et de la littérature occidentale.

L’autre élément caractéristique est l’affaiblissement du rôle des moines, voire leur disparition. Le néo-bouddhisme est fondamentalement laïc.

Quelques exemples de néo-bouddhismes

 Anagarika Dharmapala 
1864-1933)

Un des représentants du néo-bouddhisme issu de l’école Theravâda est sans-doute Anagarika Dharmapala (1864-1933). En 1891, en relation avec la société théosophique, Dharmapala fonde la première société bouddhique en Asie puis en Occident, d’abord aux États-Unis en 1897, puis en Allemagne en 1911 et en Grande Bretagne en 1926. Ce bouddhisme est épuré, modernisé, rationalisé. Notons que pour la première fois, une institution bouddhique est dirigée par un laïc. Lors du Parlement mondial des religions, qui se tient à Chicago en 1893, Dharmapala est considéré comme un des représentants du bouddhisme modernisé en Asie et en Europe. Il sillonne les pays occidentaux comme un missionnaire.

Au Japon, l’exemple le plus typique de néo-bouddhisme est le bouddhisme Zen développé par Daisetz Teitaro Suzuki, universitaire et intellectuel. C’est par lui et surtout par ses livres qui le font connaître aux Occidentaux. Depuis le Congrès national des religions de 1893 à Chicago, il en est aussi un véritable apôtre. Ses livres sont alors diffusés dans toute l’Europe, surtout dans les années 50. En 1952, il s’enracine en Grande-Bretagne puis en Allemagne en 1956. Des maîtres du bouddhisme zen finissent par s’installer en Occident. Ils donnent des conférences et fondent des centres de bouddhisme. Suzuki a supprimé du bouddhisme traditionnel japonais tout élément contextuel et rituel puis l’a traduit en termes compréhensibles par les Occidentaux, des termes dérivés de l’idéalisme allemand, du romantisme anglais et du transcendantalisme américain. Dans les années 60, la méditation du bouddhisme zen se popularise. Des centres ou séminaires se multiplient.

En Inde, nous pouvons citer le bouddhisme Navayana, dit « le Nouveau Véhicule » en opposition aux bouddhismes traditionnels, « Grand Véhicule » ou « Petit Véhicule ». Les éléments traditionnels du bouddhisme, doctrinaux et pratiques, sont rejetés au profit de la science, de l’activisme et des réformes sociales. Nous pouvons y trouver des idées de Karl Marx. Le fondateur, Ambedkar, remet en question le socle commun du bouddhisme, c’est-à-dire les Quatre Nobles Vérités [9]. Il supprime le karma, la méditation, le nirvana. Il réinterprète les principes du Bouddha dans une logique de lutte des classes et d’égalité sociale.

Au Tibet, le bouddhisme de la Voie du Diamant est considéré comme une forme moderne du bouddhisme tibétain. Il se diffuse en Occident depuis les années 60, et de nos jours en Europe de l’Est. Dès le milieu des années 70, des lamas de haut rang assurent des conférences en Europe, provoquant la fondation de nombreux groupes.

C’est ainsi que des cercles de méditation, des groupes, centres et sociétés se multiplient en Occident. Selon la société bouddhiste anglaise, ils sont passés de soixante-quatorze à trois cent quarante groupes de 1975 à 1997.

Le néo-bouddhisme occidental

Alors qu’avant la deuxième guerre mondiale, le bouddhisme occidental était plutôt d’origine livresques et le produit d’intellectuels ou d’artistes, à partir des années 60, il s’étend par l’intermédiaire de néo-bouddhistes asiatiques de différentes formes. C’est ainsi qu’il se diversifie considérablement, même si deux tendances s’affirment : les bouddhismes japonais (zen) et tibétains, en raison de leurs pratiques de méditation. Les différents bouddhistes, y compris natifs, sont répartis entre 530 groupes en Allemagne, 400 en Grande-Bretagne, 250 en France. Des monastères de néo-bouddhisme de type Theravâda parviennent à s’implanter et à se diffuser, en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas.

De nos jours [10], les néo-bouddhistes en Occident mettent davantage l’accent sur des vertus morales, telles l’altruisme, la compassion ou la générosité, et rejettent toute idée de religiosité, toute notion faisant référence à une religion ou à la métaphysique. Ils développent surtout la méditation et toute pratique favorable à l’épanouissement personnel. Le bouddhisme qu’ils défendent est « réduit à une éthique ou à un rationalisme désabusé »[11] dont parle Bernard Faure. Selon le même spécialiste, « le néo-bouddhisme tend à devenir une forme de spiritualité aseptisée, sans saveur ni odeur, un véritable bouddhisme à la carte. La préoccupation d’une intériorité toute spirituelle n’est peut-être d’ailleurs qu’une forme de la volonté de se réaliser qui caractérise l’individu des sociétés contemporaines. C’est un peu paradoxal, s’agissant d’une doctrine qui dénie en principe la notion même du Moi. »[12]

L’autre conséquence du développement des pratiques bouddhiques est la prédominance des maîtres de méditation d’origine occidentale, souvent disciples de maîtres asiatiques. Dans le néo-bouddhisme de forme theravâda, ils dirigent des cercles ou groupes pratiquant des formes de médiation dite « vipassana » (« vision pénétrante ») ou encore « satipatthana » (« conscience attentive »). Les maîtres formés par des occidentaux occupent une place de plus en plus importante. Notons que ce sont des maîtres laïcs qui enseignent les pratiques à des laïcs, ce qui est un élément nouveau du bouddhisme natif, voire du néo-bouddhisme du XIXe siècle.

L’autre particularité du néo-bouddhisme occidental, selon la plupart des études, est la part désormais dominante des femmes. Il est vrai que des femmes ont pris une part importante dans la naissance et le développement du bouddhisme occidental originel comme dans la société de théosophie.

Le « bouddhisme occidental » apparaît aussi comme uniquement spirituel. Le rituel si prégnant dans les bouddhismes traditionnels est en effet évacué et rejeté. « Le culte cérémoniellement organisé n’a pas d’intérêt en soi. Il n’est pas essentiel, puisqu’il consiste à faire prendre conscience à l’adepte de la teneur sacrée de sa réalité quotidienne. À la limite, celui qui sait cela n’a plus besoin de culte. »[13] Les rites comme les statues sont présentés comme des symboles sans aucun pouvoir. Bref, pour le « bouddhisme occidental », tout le rituel n’est que le support pédagogique d’un enseignement, qui est inutile pour les sachant. Le caractère magique du mantra est nié. Finalement, il juge les bouddhismes traditionnels superstitieux et contraires à l’enseignement du Bouddha historique, mêlés à au védisme et à des religions préexistantes.

Ce néo-bouddhisme est essentiellement pratique. Selon un maître zen japonais, le « zen occidental populaire […]  a toujours quelque chose pour chacun, ne demande rien à ses admirateurs […] et s’adapte aisément et facilement à une culture affairée et prospère, […] n’accorde que peu de valeur à tout ce qui n’est pas d’une utilité visible et immédiate, sans autre effort. »[14]

Enfin, la dimension individuelle du bouddhisme occidental est assez marquée. Le « bouddhiste occidental » recherche en lui ce qui lui permet de s’épanouir et de vivre des instants d’intériorité intense. Il n’est pas question de se mettre en communauté et de vivre selon une discipline imposée contrairement au « bouddhisme natif ». La notion de « sangha » y est donc rejetée.

Finalement, « on peut […] se demander pourquoi elle doit encore se réclamer du bouddhisme, et n’est pas simplement une forme, relativement modérée certes, de spiritualité de type New Age. »[15]

Le bouddhisme thérapeutique

Enfin, une nouvelle forme de bouddhisme se développe à partir des années 50, dit « bouddhisme thérapeutique », centré sur la méditation et visant la transformation de soi par des pratiques censées être héritées du bouddhisme. L’accent est mis sur leurs pouvoirs thérapeutiques et leur capacité de développer le « moi ».

De plus en plus, ces pratiques ne font plus référence au bouddhisme et ne s’enseignent pas dans un environnement religieux. Elles cherchent plutôt à fonder leur légitimité et leur efficacité sur la science et la psychologie. L’institut Mind and Life réalise des expériences neuroscientifiques pour prouver scientifiquement les bienfaits de la méditation pour le monde occidental. Le scientifique et bouddhiste Matthieu Ricard, porte-parole du Dalaï-lama, tente de reconnaître la méditation comme « science de l’esprit », donc gage de rationalité. Les milieux médicaux s’approprient de ces pratiques.

Conclusion

La première conclusion est évidente : les différentes formes de bouddhismes se sont implantées en Europe et s’y diffusent. Néanmoins, leur développement s’explique surtout, non par la conversion d’Occidentaux, mais par l’arrivée d’immigrés et de réfugiés asiatiques.  Divisés en de nombreux groupes et sociétés selon leur origine ethnique, elles se répartissent aussi en deux grands pôles opposés, un bouddhisme traditionnel ou natif majoritaire et un néo-bouddhisme.

Les différentes formes de néo-bouddhisme en Occident, et plus spécialement en France, sont des produits de la société occidentale ou un bouddhisme asiatique fortement occidentalisé, spiritualisé et pragmatique. Éloignées des bouddhismes natifs, elles ont été conçues ou élaborées pour répondre à des besoins, à des valeurs et à des idéologies spécifiques aux Occidentaux.

D’abord, le bouddhisme occidental a servi d’instruments pour les anticléricaux dans leur lutte contre l’Église au point d’interpréter les textes sacrés selon leur propre théorie. Puis, influencées par les pensées et les idéologies occidentales, et sans-doute pour mieux s’implanter dans les sociétés américaines et européennes, d’autres formes de bouddhismes se sont développées en Asie, s’écartant des formes traditionnelles, avant de toucher l’Occident. Les fidèles des bouddhismes natifs sont aussi tentés d’épurer leur religion de tout élément peu adapté à la mentalité et aux valeurs occidentales. Enfin, devant une société éprise du culte du bien-être ou face à des hommes et des femmes marqués par le vide spirituel ou la pauvreté religieuse de leur société, les formes de bouddhisme ont encore évolué, plus spirituel, plus pratique, plus égocentrique.

Les bouddhismes occidentaux ne donc pas seulement « imaginés, conçus, attaqués ou défendus, assimilés, digérés, transformés, réinventés par les Occidentaux d'hier et d'aujourd'hui »[16]. Ils sont aussi le résultat d’une épuration ou d’une transformation par des bouddhistes asiatiques eux-mêmes, gagnés par les idées occidentales et leur culture. Dans les deux cas, il serait peu pertinent de remonter ces bouddhismes occidentaux à une tradition ancestrale. Les savants ne s’y trompent pas. Leur jugement est clair. Ce n’est qu’un « bouddhisme artificiel et standardisé »[17]. Ils sont unanimes dans leur conclusion. « C’est l’inconsistance idéologique et pratique de ce néo-bouddhisme qui semble prendre forme en Occident, comme une version aseptisée, intellectualisée et surtout travestie dans des figurations occidentales des traditions asiatiques »[18]. Finalement, « on ne peut le rejeter comme inauthentique »[19].

Nous ne sommes donc plus étonnés des incohérences et des contradictions des bouddhismes occidentaux. Leurs partisans cherchent à fuir une société et sa misère dans des mouvements qu’elle a elle-même produits. Ils y recherchent des remèdes à des maux qui sont à leur origine et les nourrissent. Ces maux ne peuvent finalement que s’exacerber ou s’éterniser en eux. Comme la société dans laquelle ils sont nés, les bouddhismes occidentaux témoignent d’une misère spirituelle et intellectuelle, elle-même le fruit d’idéologies et de courants de pensées développées depuis plus d’un siècle en Occident. Ils s’adaptent à la demande et au niveau de leurs adeptes, devenus depuis longtemps des consommateurs.

La situation du bouddhisme occidental révèle un autre point fondamental : la faiblesse ou la naïveté d’un christianisme porté sur le dialogue interreligieux et l’œcuménisme, laissant des formes de religiosité et de spiritualité se répandre sans obstacle dans la société. Car de nos jours, les néo-bouddhismes sont présentés comme « une force capable de concurrencer le christianisme occidental »[20], capable de répondre au mal-être, opposée au matérialisme et aux religions. 


Notes et références

[1] Voir Émeraude, novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[2] Martin Baumann, professeur du département d’histoire des religions, université de Bremen en Allemagne, Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste, dans Recherches sociologiques, 2000/3.

[3] Marion Dapsance, Le bouddhisme à l’occidentale, histoire d’une déformation, 22 août 2018.

[4] Martin Baumann, Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste.

[5] Voir Émeraude, octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun ».

[6] Estimations des bouddhistes et des groupes d’obédience bouddhique à la fin des années 1990 fournie par Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste, M. Baumann.

[7] Martin Baumann, Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste.

[8] Martin Baumann, Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste.

[9] Voir Émeraude, octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun ».

[10] Voir Émeraude, novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[11] Bernard Faure, Bouddhismes, philosophies et religions, Flammarion, 1998, dans Bouddhisme et stoïcisme, Mauro G. A. Rossi, avril 2005.

[12] Bernard Faure, conclusion : bouddhisme ou néobouddhisme ?

[13] Bruno Étienne et Raphaël Liogier, Être bouddhiste en France aujourd’hui dans Idées reçues sur le bouddhisme, Mythe et réalités, Bernard Faure, Le bouddhisme n’est pas une religion mais une spiritualité, éditions Le Cavalier bleu.

[14] Elsie Mitchell, introduction, La Voie de Zazen de Rindô Fujimoto, dans Bouddhisme et stoïcisme, Mauro G. A. Rossi, avril 2005.

[15] Bernard Faure, conclusion : bouddhisme ou néo-bouddhisme?

[16] Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l'Occident, Fayard, 1999 dans Le bouddhisme en France : une lecture critique de Frédéric Lenoir, Éric Rommeluère, Université bouddhique européenne, Recherches sociologiques, 2000/3.

[17] Jacques Barcot, Bouddha, PUF, 1947.

[18] Le néo-bouddhisme occidental : un objet illégitime ?

[19] Faure, Le Bouddhisme, 2004., éition Le cavalier bleu.

[20] Marion Dapsance, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident dans la sphère médiatico-académique française : une sotériologie théosophique, 2015.