" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 5 juin 2022

Châtiments et bénédictions

Dans des pages admirables, le Livre de Job apporte une réponse au problème du mal. Contre ses amis qui, au lieu de le consoler, aggrave son amertume et ses douleurs en justifiant les maux qui l’accablent par ses péchés, Job défend son innocence et proclame la rétribution des bons et des méchants dans l’au-delà. Une mauvaise interprétation de ses paroles pourrait alors faire croire que la justice divine ne s’appliquerait qu’après la mort et que le bien ou le mal que nous faisons ici-bas n’ont pas de conséquences ici-bas, ce qui rendrait alors bien inutiles nos prières et remettrait en cause la Providence divine. Si le jugement de Dieu après notre mort est une certitude, couronnant les bons et châtiant les mauvais, cela ne signifie pas que Dieu est insensible à ce qu’il se passe dans notre vie terrestre.

La justice divine à l’égard du peuple de Dieu et des hommes

Dès les premiers pages de la Sainte Écriture, Dieu châtie les hommes qui désobéissent à ses ordres ou commettent des péchés. Adam, Ève puis Caïn sont les premiers à subir la justice divine. Pour punir la prévarication généralisée des hommes, le déluge noie l’humanité comme Sodome et Gomorrhe sont anéantis en raison de leurs crimes. En raison de leur fidélité et de leurs vertus, Noé est sauvé de la punition divine comme la servante de Sodome. C’est parce qu’Abraham a obéi aux ordres divins allant jusqu’à vouloir sacrifier son unique fils qu’il est béni de Dieu et fait l’objet de la promesse divine.

Comme le raconte aussi la Sainte Écriture, le peuple élu connait la prospérité ou le malheur selon sa fidélité à l’égard de Dieu et de ses commandements. La victoire et le salut inespéré du roi d’Ézéchias contre les redoutables Assyriens ou la chute finale des rois impies de Juda manifestent la justice divine. L’obéissance à sa parole et la confiance en sa puissance quand tout semble perdu, quand la situation paraît désespérée apportent l’aide divine et la délivrance alors que le doute ou l’appui aux seules forces humaines sont sévèrement punis par la défaite et les larmes. L’infidélité ou l’abandon du véritable culte au profit des divinités étrangères causent la destruction du premier Temple de Jérusalem et le long et terrible exil d’un peuple déchu. Son bonheur comme son malheur dépendent ainsi de son attitude à l’égard de Dieu comme en témoigne la Sainte Écriture.

Ce qui est valable pour le peuple de Dieu l’est aussi pour les individus. La faute de David, les faiblesses de Salomon, l’idolâtrie d’Achab ou les crimes de son épouse Jézabel conduisent Dieu à les punir sévèrement selon la gravité de leurs péchés. Pour désigner la justice divine à l’encontre de leurs comportements, les auteurs sacrés emploient le terme de colère, non pour nous faire croire que Dieu puisse éprouver sentiment ou émotivité mais c’est une manière d’exprimer les effets de sa justice ici-bas.

Cependant, notons que les maux subis par l’homme sont les conséquences et les peines de ses péchés. Y aurait-il en effet autant de misère et de pauvreté si l’homme n’était pas aussi cupide ? Les catastrophes écologiques ne viendraient-elles pas de nos envies et de nos vanités ? Plus l’homme s’éloigne de Dieu, plus il court à sa perte. Et la plus grande misère est justement le silence de Dieu. Abandonné à lui-même, l’homme ne peut que souffrir…

Des peines sans surprise

Avant de châtier les coupables, Dieu les prévient clairement, en particulier au travers de ses prophètes qui leur annoncent les maux qui s’abattront sur eux à cause de leurs fautes ou de leurs crimes. Ils n’ignorent donc pas la cause de leurs malheurs. De même, les bienfaits qu’Il accorde relèvent clairement de Dieu comme récompense de vertus, de fidélité et d’obéissance. Tout n’arrive pas sans que nous puissions ignorer la main de Dieu…

Comme le révèle la Sainte Écriture, Dieu tient donc avec rigueur et constance ses engagements et ses promesses. Il encourage, récompense et épargne les hommes justes mais punit les peuples, les individus lorsqu’ils violent ses droits et ses commandements. La justice divine témoigne donc la fidélité de Dieu

La justice est l’un des caractères de Dieu. Connaissant toute chose, sachant même lire nos pensées et notre cœur, Il n’ignore pas nos intentions ni nos actions bonnes et mauvaises. D’une puissance infinie, Il accomplit parfaitement ce qu’Il veut, rien ne pouvant faire obstacle à ses desseins. Dieu est ainsi le Juste par excellence. Dans l’absolu, Il est le seul Juste…

La miséricorde divine

Cependant, Dieu n’est pas sourd au pardon et aux véritables repentances. Il pardonne ceux qui pleurent leur péché comme David au lendemain de son crime ou le peuple de Ninive après l’appel du prophète Jonas. Dieu est aussi Miséricordieux. La piété du roi Josias et ses œuvres réparent les impiétés de Manassé et sa folie. La justice divine n’est pas froide comme une sentence d’un tribunal d’hommes et de femmes qui tentent d’appliquer des lois selon des témoignages parfois peu sûrs et des jugements faillibles. Et avant que sa justice ne s’applique, Dieu avertit les coupables des événements qui vont le châtier et cherche à les ramener sur le bon chemin avant que cela ne soit trop tard. « Le Seigneur Dieu de leurs pères s’adressèrent à eux par l’entremise de ses envoyés, se levant durant la nuit et les avertissait chaque jour, parce qu’il ménageait son peuple et sa demeure. Mais eux se moquaient des envoyés de Dieu, faisant peu de cas de ses paroles et raillaient les prophéties, jusqu’à la fureur du Seigneur montât contre son peuple, et qu’il n’y eût aucun remède. » (II, Paralipomènes, XXXVI, 15-16).

La même justice, la même Providence

Il est parfois habituel d’opposer la justice de Notre Seigneur Jésus-Christ, plus clémente et plus douce, à celle de Dieu qui manifeste dans l’Ancien Testament, une justice, semble-t-il, plus terrifiante et d’une sévérité impitoyable au point que des esprits désorientés les ont opposés l’un contre l’autre dans un dualisme insupportable comme les Manichéens et les Cathares. Ce serait simplifier leurs œuvres et oublier leurs buts en vue de suivre un même plan qui nous paraît aujourd’hui d’une clarté évidente. Afin de sauver les pécheurs et les convertir, ne faut-il pas d’abord être intraitable avec le péché ? Pour attacher l’homme au vrai Dieu dans un monde où subsiste l’idolâtrie dominatrice, ne faut-il pas non plus insister sur la fidélité et l’obéissance au point de punir sans faiblesse ceux qui les négligent et les fourvoient ?

Si Notre Seigneur Jésus-Christ est d’une miséricorde infinie à l’égard des pécheurs, relevant les uns, soignant les autres, Il se révèle aussi comme juge, annonçant aux récalcitrants et aux hypocrites endurcis les peines auxquelles ils seront soumis. La destruction de Jérusalem en est la plus évidente. Sa colère est terrifiante à l’encontre des marchands du Temple et ses paroles sont dures à l’égard des pharisiens bornés. Si au sermon de la montagne, Il nous promet les béatitudes, dont le souvenir nous est si cher, Il n’oublie pas non plus les malédictions qui tomberont sur les méchants.

Pour le bien et le salut des âmes

Les maux ne s’expliquent pas uniquement par la nécessaire justice qui frappe les méchants et récompenses les bons. Comme le révèle l’histoire de Job, ce sont des épreuves qui enseignent davantage les vertus intérieures, qui, cachées aux yeux des hommes, éclatent dans la souffrance et les douleurs, faisant ainsi taire les calomnies et les médisances. L’exemple devient alors enseignement, souvent plus efficace que la parole.

Ils ne font pas que révéler ce qui est caché aux yeux des hommes. Les maux que l’homme subit est une occasion pour lui d’exercer sa patience et tant d’autres vertus, d’expier ses fautes et celles d’autrui, d’acquérir des mérites pour le salut éternel. Dans chaque bien, il y a finalement un bien à retirer, et c’est ce bien que Dieu a vu, un bien qui le concerne directement ou qui concerne d’autres, le bien d’un ensemble plus vaste. Notre regard est bien trop restreint et étroit pour percevoir le bien général et finalement la raison des maux que nous subissons.

La souffrance, le prix de notre salut

Enfin, comme nous l’enseigne Notre Seigneur Jésus-Christ de manière admirable, les souffrances et les douleurs concourent à notre salut pour expier nos péchés et nous purifier. Ils nous détachent des liens qui nous rattachent à la terre et qui nous empêchent de nous élever vers le ciel. Elles sont aussi inévitables dans un monde qui ne supporte guère les serviteurs de Dieu. Si le maître a fait l’objet de persécution, ses véritables disciples ne peuvent espérer l’éviter. Serait-il même juste que seul Notre Sauveur subissent outrages et coups ? Les épreuves douloureuses, qu’elles soient justes ou injustes, sont donc inévitables puisque notre existence est le lieu d’un combat et que tout combat implique souffrances et larmes.

Par ses paroles et plus encore par son exemple, Notre Seigneur Jésus-Christ nous a enseigné que la Croix n’était point un joug à rejeter ou à mépriser puisqu’elle est désormais la voie par laquelle nous pouvons obtenir la vie éternelle. Il ne s’agit donc plus de savoir s’il est juste ou non de subir des maux comme si nous méritions d’être l’objet de toutes les sollicitudes de Dieu mais de les supporter avec patience et de s’en servir pour davantage nous rapprocher de Dieu…

Conclusion

Il serait injuste de notre part d’accuser Dieu des peines et des douleurs que nous connaissons. Qui sommes-nous en effet pour Le juger quand l’abîme nous sépare de Lui ? Pourquoi devrions-nous être exempts des maux de la vie, nous qui sommes si misérables, inconstants et bien peu fidèles à ses enseignements ? Un simple regard sur nous-mêmes suffirait à nous faire rougir de notre vanité…

Au lieu de L’accuser, il serait en effet plus judicieux de nous examiner si nos péchés n’en sont pas la cause. Quand les hommes s’écartent si honteusement de la voie que Dieu leur a tracée, L’outrageant par des actes d’impiétés sans nombre et par une vie d’impureté, devons-nous nous étonner que des maux s’abattent sur eux ?

Enfin, au lieu de subir nos souffrances comme écrasés par le poids de nos maux, nous devrions plutôt les porter avec patience et résignation, le regard toujours tourné vers Dieu, avec confiance et foi en sa justice et en sa miséricorde, en son infinie bonté comme Notre Seigneur Jésus-Christ nous l’a enseigné par ses paroles et son exemple. Elles sont bénéfiques pour le salut de notre âme. Il faut parfois prendre le recul nécessaire pour y voir un moyen d’élévation et d’édification.

Cependant, quand Notre Seigneur Jésus-Christ s’approche d’un malheur, de la mort de Lazare ou du fils unique d’une veuve, Il n’est pas insensible aux douleurs. Lorsqu’Il  voit sa sœur Marie pleurer sa mort, « il frémit en son esprit et se troubla lui-même » (Jean, XI, 33) au point que les témoins y voient un signe. « Voyez comme il l’aimait ! » (Jean, XI, 36) La douleur appelle à la compassion. Au lieu de crier une colère inutile et injuste ou de discuter sur le problème du mal à celui qui l’éprouve, il est plutôt préférable d’accompagner ses larmes par les nôtres, de le soutenir et de lui apporter l’aide dont il a besoin. Job avait besoin de compassion et non d’injustes récriminations. C’est finalement dans les maux que nous vivons davantage la foi en Dieu…