Devenu empereur,
Julien renie officiellement la foi chrétienne et cherche à instaurer une nouvelle
religion païenne. Détestant le christianisme, il le combat par des mesures
d’ordre politique, moral et social. Homme de lettre passionné par la
littérature grecque, Julien écrit aussi de nombreux ouvrages et épîtres pour discréditer
le christianisme et justifier sa politique contre les Chrétiens. Il écrit en
effet beaucoup. Sa correspondance est aussi fertile. Nous connaissons aussi ses
pensées grâce aux écrits de ses amis, en particulier Libanius et Ammien
Marcilien, ardents défenseurs du paganisme. En 363, Julien publie un nouvel
ouvrage destiné à réfuter le christianisme. Le titre est éloquent : Contre
les Galiléens. Il est en partie connu grâce à Cyrille d’Alexandrie qui
le réfute dans un de ses livres[1]. Aujourd’hui de nouveau
publié, l’ouvrage porte un autre titre : Défense du paganisme, ce
qui est certainement inapproprié tant l’intention de Julien est évidente.
Libanius, le compagnon de Julien, nous dit qu’il a passé « de longues nuits d’hiver à combattre ceux
qui prétendent faire d’un homme de la Palestine un Dieu et un enfant de Dieu. »[2] Julien ne défend pas le paganisme. Il
attaque le christianisme.
Le christianisme,
« une maladie de l’intelligence »
Julien considère
le christianisme comme « une maladie
de l’intelligence », « une
maladie contagieuse ». Il est en fait pour l’empereur opposé à la
raison. Aucun homme intelligent ne peut demeurer dans la religion chrétienne.
Telle est sa conviction. C’est pourquoi les Chrétiens sont des malades qu’il
faut soigner et guérir par la persuasion et non par la violence.
Les pressions
qu’il use avec cynisme et duplicité doivent ébranler leurs convictions. En
arrivant au pouvoir, Julien laisse en effet aux Chrétiens la liberté de suivre
leur culte et prétend leur garantir la liberté de conscience. « Je le jure, par les Dieux, que je ne veux
pas que les Galiléens soient mis à mort ni frappés, contrairement à la justice,
ni qu’ils aient à souffrir d’aucun mal. »[3] Il prône la douceur et
l’humanité à l’égard des Chrétiens. Or comme nous l’avons vu dans l’article
précédent[14], il mène une politique antichrétienne, insidieuse et sournoise. Il
est convaincu qu’en éclairant les esprits, il les impressionnera et les
convertira. « Il faut avoir de la
pitié, plutôt que de la haine, pour ceux qui se trompent à propos des choses
les plus importantes ; car la (vraie) religion est réellement le plus
grand des biens, et la fausse religion, au contraire, le plus grand des maux. »[4]
Contre la Sainte
Écriture
Reprenant des
critiques anciennes, Julien s’attaque à la Sainte Écriture et dénonce ses
contradictions et ses incohérences. Les
récits bibliques, qu’il considère comme des mythes, sont absurdes, voire
blasphématoires comme le récit d’Adam et d’Ève ou le récit de la Tour de Babel.
Dieu apparaît sous des traits peu compatibles avec la divinité. Ces récits ne
sont que des insultes à la raison. Comment Dieu aurait-Il pu choisir un peuple
en délaissant les autres pendant des milliers d’années ? « S’il est le Dieu de tous, le Créateur de
toutes choses, pourquoi a-t-il fait peu de cas de nous ? »[5]
Ou peut-être faut-il les interpréter comme des allégories ?
Julien n’éprouve finalement que du mépris à l’égard de
la Sainte Écriture. Aux Alexandrins qui lui demandent de leur rendre Saint
Athanase, exilé sur son ordre, Julien leur rétorque que si c’est pour expliquer
les textes sacrés qu’ils veulent son retour, alors qu’ils se rassurent, le
premier venu fera tout aussi bien l’affaire. Pour Julien, ce ne sont que des
textes simplistes à la portée de tout homme.
Contre la doctrine chrétienne
Julien refuse toute idée de Révélation. Il est
convaincu que l’’idée de Dieu est immanente à la nature humaine. L’ordre de
l’univers suffit même à l’imposer. Dieu n’a donc pas besoin de se révéler pour
que l’homme puisse Le connaître.
Julien s’attaque
aussi aux sacrements et à la doctrine chrétienne. Le baptême et le sacrement de
pénitence sont pour lui des aberrations. L’idée d’absoudre des péchés revient à
favoriser le développement de la méchanceté et à disculper les criminels. Il
trouve scandaleux qu’un homme passant sa vie dans la débauche puisse être
absout de ses fautes par le baptême. Et s’il retombe dans ses fautes, il peut
redevenir pur par le sacrement de pénitence. Comment peut-il sauver des âmes
quand il ne parvient pas à guérir les hommes de maladies telles que la
lèpre ?
Une religion
bonne pour les pauvres d’esprit
C’est pourquoi,
toujours selon Julien, le christianisme ne peut attirer que des médiocres et
des ignorants. Rustique, il est fait pour les ignorants, pour ceux qui se
complaisent dans les fables et les contes. C’est pourquoi peu d’intellectuels
sont chrétiens.
À cette médiocrité intellectuelle, Julien oppose les bienfaits
de la culture hellénique, véritable richesse dont les païens gardent le dépôt. De même, la
Bible rend les hommes bavards et maniaques tandis que la lecture de bons
auteurs grecs les affermit moralement et forme une élite. « […] vous savez que personne, en se fondant sur
vos écritures, ne pourrait devenir quelqu’un de noble ni même de convenable,
tandis qu’avec nos enseignements n’importe qui pourrait s’améliorer, même en
étant totalement dépourvu de qualité. »[6] En un mot, pour Julien, le
christianisme cultive et entretient la médiocrité.
Enfin, Julien
blâme le fanatisme des moines qui décident de tout quitter pour s’isoler et
vivre dans un ascétisme dont il dénonce les déviations. Il accuse aussi la
violence des Chrétiens qui se déchirent dans leurs querelles. Il dénonce leur
intolérance à l’égard de ceux qui ne pensent pas comme eux.
Contre le
judaïsme
Arc de Titus à Rome montrant les captifs juifs et la Ménorah emportée du Temple |
Julien rappelle
que les Chrétiens revendiquent l’héritage juif. Or pour lui, le peuple juif est
un peuple médiocre, un peuple d’esclaves, toujours asservi et bien misérable en
comparaison des Assyriens ou des Grecs. Quels bienfaits ont-ils en effet apporté
aux hommes ? Julien ridiculise alors
les « Galiléens » de revendiquer de tels ancêtres. Quelle différence
avec le peuple grec où tous les arts se sont épanouis !
En outre, le
Dieu de Moïse n’a rien fait pour améliorer le sort de son peuple. Contrairement
aux Juifs, des peuples ont élevé des
civilisations supérieures, notamment les Chaldéens, les Assyriens, les Grecs et
les Romains. Ils ont été objets de tant de sollicitudes de la part des dieux
comme le montrent de nombreux témoignages. L’élite appartient au paganisme.
Enfin, Julien critique la conception juive de Dieu. La
Bible le décrit comme un Dieu jaloux, incapable d’empêcher que des nations
adorent d’autres dieux, un Dieu colérique, qui se fâche et promet la
destruction de son peuple. Quel est ce Dieu qui n’est que colère, rage et
fureur ? Cette conception est loin du modèle de la divinité de la philosophie païenne
selon laquelle l’homme doit imiter Dieu dans la mesure de ses forces. Cette
imitation réside dans la contemplation des êtres qui implique la suppression
des passions.
Cependant, Julien n’est pas toujours critique à l’égard
des Juifs. Il apprécie leur exactitude dans leurs observances
rituelles, leur fidélité à leurs traditions nationales, mêmes si elles sont
absurdes. Ce conservatisme correspond à ce qu’il attend des peuples. Les Juifs
ont tort de croire que leur dieu éthnarque est un dieu universel
alors qu’il n’est finalement qu’un dieu dédié à la protection du peuple juif.
L’apostasie
chrétienne
Or toujours selon Julien, les « Galiléens » sont pires que les
Juifs. Ils méprisent la religion de leurs pères. Ce sont des déserteurs. Or la
tradition est primordiale dans la pensée de Julien. Le christianisme représente
pour lui une innovation. « Je fuis
l’innovation en toutes choses, je puis le dire, et spécialement en ce qui
concerne les dieux. Je pense qu’il faut s’en tenir aux lois que nos pères ont
eues dès l’origine et qui, manifestement, sont un don des dieux. »[7] De plus, les « Galiléens »
ont pris des Juifs ce qu’il y a en eux de moins bon, leur fureur et leur humeur
âcre. Il les accuse d’être violemment intolérants. «Vous jetez bas les temples et les autels ; vous égorgez non
seulement ceux qui, parmi nous, restent fidèles aux enseignements de leurs
pères, mais aussi, parmi ceux qui errent comme vous errez vous-mêmes, les
hérétiques »
Certes, les « Galiléens »
affirment qu’ils sont les vrais Israélites, ce que récuse Julien. Il ne voit
pas dans les événements l’accomplissement des prophéties bibliques. Moïse n’a
jamais prédit un Dieu. Par ailleurs, il ne connaît qu’un Dieu. Les Galiléens ne
suivent pas les rites définis dans la Bible, notamment la distinction entre les
aliments purs et impurs. Dieu aurait-il changé d’avis ? Julien connaît la
réponse des Chrétiens : la Loi de Moïse est temporaire quand leur Loi est
éternelle ; le peuple chrétien s’est substitué au peuple juif. Pourtant,
le Christ a affirmé qu’il n’est pas venu abolir la loi mais l’accomplir.
« Vous autres qui les transgressez
en bloc, quelle méthode de justification trouverez-vous ? Ou bien Jésus
est un menteur ; ou bien c’est vous qui faites à cette Loi une infraction
totale et complète. » Julien récuse cette substitution qui n’aurait
pas été annoncée dans la Bible.
Julien apprécie
parfois les Juifs car ils restent fidèles à leurs traditions pour ensuite dénoncer
l’infidélité des Chrétiens. Les « Galiléens » méprisent les traditions de leurs pères comme ils abandonnent
les lois pour des lois sauvages et barbares, dangereuses au point de vue
social. Ce sont des mauvais citoyens. Julien accuse le christianisme de
ruiner la culture gréco-romaine et de miner la puissance de l’empire.
Ainsi les « Galiléens »
ne sont pas ni des Juifs ni des Païens. Leur situation est fort
équivoque et dommageable. Ils ne suivent plus les préceptes juifs pourtant si
propres à favoriser la vie véritablement religieuse. Ils ne suivent pas non
plus les bonnes lois helléniques.
Contre Notre Seigneur Jésus-Christ et son enseignement
Quant à Notre Seigneur Jésus-Christ, Julien nie
formellement sa divinité. Il est même indigne des adorations que font monter
vers lui les « Galiléens ». Il le méprise, lui qui mange et boit comme un
homme. « Durant le temps qu’il
a vécu, il n’a rien fait qui méritât d’être écouté, à moins qu’on ne mette au
rang des chefs d’œuvre d’avoir guéri des boiteux et des aveugles, ou exorcisé
des démoniaques dans les villages de Bethsaïde et de Béthanie… Ils étaient
enchantés – lui, et son disciple Paul – quand ils réussissaient à tromper
quelques servantes et quelques esclaves, et par eux des femmes […] »
Il dénonce aussi la dangerosité sociale de ses
préceptes. Ils sont même injustes. Il trouve indigne le fait qu’on puisse
invoquer Dieu pour les méchants. Et que dire de sa mort sur la croix, indigne
d’un dieu. Un ange doit même le consoler ! Julien souligne enfin les
invraisemblances des récits de la Résurrection.
Quelles différences avec les héros de l’hellénisme !
Contre l’Église
Julienn’oublie pas les Apôtres, « ignares dégénérés », « pécheurs théologiens ». Il attaque
plus spécialement Saint Paul, opportuniste et irrationnel, et Saint Jean, lui
qui a osé proclamer la divinité du Christ.
Julien ne néglige pas non plus la vie de l’Église. Le
culte des martyrs et de leurs reliques lui est méprisable. Il s’indigne contre
la piété chrétienne à l’égard des morts. Cette piété va à l’encontre de la
religion romaine et du néo-platonisme mystique qui voient une souillure dans tout contact
avec la mort. Le voisinage des cadavres détourne des dieux leurs
actions bienfaisantes. Enfin, il abhorre les moines sans oublier le rôle
funeste des femmes chrétiennes notamment dans l’éducation des enfants.
Des attaques anciennes
Les attaques de
Julien ne sont guère originales. La plupart proviennent de Celse ou de
Porphyre. Nous les avons déjà rencontrées dans nos différents articles. Mais il restaure maintes objections
déjà oubliées. Et ses attaques sont plus dangereuses. Il manie avec art l’ironie
et déploie une pressante dialectique. Son statut et son rang ne font que
décupler son influence. C’est pourquoi
de nombreux ouvrages chrétiens ont répondu à ces attaques. Théodore de
Mopsueste, Philippe de Sida et surtout Cyrille d’Alexandrie combattront Julien
tour à tour.
Incompatibilité
entre le paganisme et le christianisme
Zeus et Héra |
Les attaques de
Julien sont intéressantes pour notre étude. Elles soulignent clairement l’incompatibilité
entre le christianisme et l’hellénisme, deux conceptions radicalement opposées.
L’idée païenne de la divinité est en effet radicalement différente de celle des
Chrétiens. Il ne peut donc y avoir conciliation ou mutuelle influence, encore
moins filiation entre eux, ce que semblent ignorer tous les adeptes de l'évolutionisme religieux. Entre le païen et le chrétien, il y a un véritable abîme.
Ce n’est pas un hasard si l’empire romain a engagé une lutte à mort contre le
christianisme. Comme d’autres penseurs avant lui, Julien a aussi compris que
l’hellénisme ne pouvait survivre en présence du christianisme.
Voyons aussi les
innovations que Julien tente d’introduire dans le paganisme. Ce ne sont que des
copies du christianisme. Il tente notamment de créer une véritable église et
d’élever le niveau moral des prêtres. Mais les païens ne s’y trompent pas.
Julien rencontre en effet des oppositions de leur part. Il doit écrire des
discours et des lettres pour répondre à leurs oppositions. Ce n’est pas
étonnant que sa mort annonce la fin de son projet.
Les
contradictions de Julien
Les attaques de
Julien ne sont guère crédibles. Il ne voit dans le christianisme que déraison
et ignorance, foi d’illettrés. Il serait incapable d’élever l’esprit
contrairement au paganisme. Or au IVe siècle, l’élite chrétienne est bien
présente et active. Le grand Origène est mort depuis bien longtemps. Saint
Jérôme et Saint Augustin sont presque contemporains de Julien. L’élite
chrétienne égale l’élite païenne, voir la surpasse. Les Chrétiens ont su
s’approprier des méthodes helléniques sans altérer le christianisme. L’avenir le
révélera encore plus magnifiquement quand du christianisme naîtra une
civilisation brillante.
Julien se montre
comme le héraut de l’hellénisme mais ne nous trompons pas comme ses
contemporains ne se sont pas non plus trompés. « La théologie de Julien est une théologie dont l’esprit vient de
l’Orient, et non point de la Grèce antique. »[8] Julien n’est pas un
Hellène mais un Perse.
Il prône la tradition et la fidélité à l’égard de la
religion nationale alors qu’il ne cesse d’y introduire des innovations
chrétiennes et orientales. Sa théologie tente aussi d’englober tous les dieux
classiques, imaginant un panthéon bien complexe, avec une grande influence des
dieux orientaux. Il innove encore plus en voulant définir des dogmes. Il est
très imprégné de l’organisation et de la vie chrétienne. Sa religion est enfin
fondée sur le néoplatonisme de Jamblique dont il est un fervent disciple. Ce
n’est qu’une déviation du néoplatonisme, une philosophie devenue religion. Finalement,
la religion de Julien n’est absolument pas traditionnelle. Son système tente
d’englober la religion gréco-romaine, les cultes orientaux et le christianisme.
« Julien a en effet voulu concilier
les deux dans un mélange qui tend plus vers l’innovation que vers un retour en
arrière. »[9]
C’est en fait une religion élitiste et philosophique bien éloignée de la
religion de tout-le-monde. Elle demeure inaccessible au peuple.
Sacrifice d’un bœuf en hommage
au dieu Mithra
|
En dépit de ce caractère intellectuel, philosophique, élitiste, la religion de
Julien n’est pas très rationnelle. Quoi de plus déraisonnables que la théurgie
de Maxime et les sacrifices innombrables ? Que dirait la raison en voyant
tant de folie dans ses croyances et ses nombreux pèlerinages ? Par
ailleurs, Jamblique lui-même ne prétend pas expliquer la théurgie seulement par
la raison. Il est alors étonnant que Julien puisse accuser l’irrationalité du
christianisme.
La pensée
religieuse de Julien est enfin d’une très grande puérilité. Certes il vante la
supériorité intellectuelle de sa civilisation mais il croit au mythe païen avec
une foi candide déconcertante. Dans un passage d’Homère, Zeus demande à Hector
de ne pas combattre. Or pour Julien, cet ordre relève de la lâcheté. Comment
Zeus peut-il alors lui ordonner un tel acte ? Et alors, sérieusement, Julien
se pose un cas de conscience[10] comme si tout cela était
vrai ou plutôt portait une vérité. Certes il ne semble pas croire à la réalité
des mythes. Derrière les récits, il voit un sens caché que les dieux ne peuvent
enseigner directement. Il explore donc les mythes à la recherche de la vérité.
Cependant, il ne manifeste aucun doute sur les prodiges qu’auraient accomplis
ses dieux.
Le christianisme
peut-il être influencé par le paganisme ?
Certains beaux
esprits pourront toujours dire qu’il y a des traces de paganisme dans le
christianisme. Des lieux païens ont été convertis. Des fêtes ont été christianisées.
Des coutumes chrétiennes ont probablement des origines païennes. Mais tout cela
n’est que superficiel. L’Église est en effet suffisamment sage pour ne pas
brusquer les âmes afin de les conduire lentement vers le port du salut comme
une mère prudente à l’égard de son enfant perdu. Elle christianise ses
habitudes afin de mieux le toucher. Mais ce qui fait réellement le christianisme, c’est-à-dire
sa doctrine, sa morale, sa foi, n’ont aucun rapport avec le paganisme. Il n’y a
pas d’évolution mais une véritable rupture ou encore une profonde révolution.
Matthias Grünewald |
Comme nous
l’avons déjà vu à maintes reprises, la conception païenne de Dieu n’a aucun
rapport avec celle des Chrétiens. La Passion et la Mort de Notre Seigneur
Jésus-Christ est inconciliable avec la divinité telle que les païens la conçoivent. Il n’y a ni gloire ni magnificence dans la Crucifixion. Tout leur
semble misérable et médiocre dans les origines du christianisme. Les Apôtres
n’ont pas cessé d’être l’objet d’injures et de mépris de la part des païens. Ce
ne sont que des pécheurs, illettrés, indignes. L’idée que Dieu puisse se servir
de la faiblesse pour manifester sa grandeur s’oppose radicalement au
paganisme.
Pire encore. Le
christianisme se penche vers les miséreux de la Terre. Le fait que Dieu soit
miséricordieux et pardonne les pécheurs, sans éclats, par l’eau du baptême ou
par le sacrement de pénitence, est une idée farfelue et dangereuse selon les
païens. Comment Dieu peut-il être miséricordieux ?! Julien s’emporte contre
le christianisme lorsqu’il parle du baptême. Il ne supporte pas en effet qu’on
puisse purifier un pécheur autant qu’on le veut par l’eau du baptême ou par la
pénitence. « Je le purifierai
encore, pourvu qu’il se soit frappé la poitrine et donné des coups sur la tête. »[11]
L’entreprise de
Julien est enfin intéressante car elle montre également l’originalité du
christianisme. Il a copié la structure de l’Église, la liturgie chrétienne, la
disposition des églises... Ce sont bien des innovations. L’organisation du christianisme et de son culte n’ont aucun
rapport avec ce que connaissaient les païens. Julien introduit dans le
néo-paganisme des notions autrefois inconnues comme celles de la bonté de la
miséricorde divine, de l’attention envers les miséreux. Le rôle des prêtres
païens se rapproche de celui des prêtres chrétiens. « Julien insiste beaucoup sur l'aspect
méditatif et la charge de prière des prêtres. Cet aspect mystique est une
réelle nouveauté dans la religion traditionnelle. Les prêtres sont des
ministres de prières. »[12] Il tente de rehausser sa
moralité et son prestige. Nous voyons aussi des hérésies comme le marcionisme
copier le christianisme. Mais sur quel modèle le christianisme a-t-il
copié ?
Conclusion
Par ces
exemples, nous voyons combien le christianisme n’a aucun lien profond et
véritable avec le paganisme. Qui peut alors croire que le christianisme a été
influencé par le paganisme au-delà de quelques traits superficiels et
culturels ?
Julien est surtout l’exemple d’un homme fortement influencé par le
christianisme. C’est bien le paganisme qui a été influencé par le christianisme
et c’est par cette influence qu’il a essayé de s'élever spirituellement et
intellectuellement. Contradiction suprême ! Julien dénonce et méprise ce
qu’il admire !
Pour survivre, le paganisme n’a pas eu d’autres choix que de le
concurrencer sur son propre terrain[13]. Ce fut un échec.
Notes et références
[1] D’importants fragments se trouvent dans son ouvrage Pour la sainte religion des chrétiens contre l’ouvrage de Julien l’athée, dédié à l’empereur Théodose II. Ils représentent le premier livre et une partie du second de l’ouvrage de Julien qui contenait trois livres.
[2] Libanius, Or.,
XVIII, 178.
[3] Julien, Lettre
7, Hertlein, dans Dictionnaire, jesusmaria.com.
[4]
Julien, Lettre 52, Hertlein, dans Dictionnaire, jesusmaria.com
[5] Fragments de Contre
les Galiléens, Neumann, 1880, dans La réaction païenne, Labriolle, 4ème
partie, chap. II, XIII.
[6] Julien, Contre
les Galiléens, 229, trad. de Gérard, 1995, dans Les religions de l'empereur Julien : pratiques, croyances et politiques, Martin
Allisson, février 2002, mémoire, Université de Neuchâtel, Faculté des Lettres et
Sciences Humaines, Sciences de l'Antiquité.
[7] Julien, Lettre
89a, 453, trad.de Bidez, dans
Martin
Allisson, Les religions de l'empereur Julien
: pratiques, croyances et politiques.
[8]
A.Puesch, Revue historique, mars-avril 1931, dans La réaction païenne,
Labriolle, 4ème partie, chap. II, XVIII.
[9] Martin Allisson, Les religions de l'empereur Julien : pratiques, croyances et politiques.
[10] Voir Julien, II
Panégyrique de Constance, Hertlein.
[11] Julien, Césars,
Hertlein, dans jesusmaria.com.
[12] Martin Allisson, Les religions de l'empereur Julien : pratiques, croyances et politiques.
[13] L’exemple
d’Apollinaire de Tyane est aussi caractéristique. Voir Émeraude, novembre 2015, article
[14] Voir Émeraude, décembre 2015, article Julien l'Apostat, un exemple d'évolution religieuse.
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