Dans cet article, nous allons vous présenter un cas significatif dans l’histoire des relations entre le christianisme et le paganisme que représente l’empereur Julien l’Apostat. Il apparaît à la veille de la victoire du christianisme. Il représente le dernier sursaut du paganisme avant son écrasement. Les adversaires du christianisme le citent parfois comme le représentant d’un paganisme rénové, source de progrès religieux, d’une spiritualité élevée, d’un modernisme que le christianisme aurait brisé pour enchaîner l’homme dans la servitude et l’obscurantisme. Dans nos précédents articles, nous l’avons aussi souvent rencontré comme un fervent adversaire du christianisme. Il est surtout l’aboutissement d’une évolution du paganisme au contact du christianisme.
Vingt mois de règne
Avant
de mourir en 337, l’empereur Constantin a divisé son empire entre ses fils et
ses neveux. A sa mort, la couronne impériale est rapidement l’objet de
guerres intestines. L’un des fils, Constantin II, en sort vainqueur. Maître
d’un empire trop vaste, il doit partager son pouvoir avec un de ses cousins
Gallus puis Julien. Ce dernier commande l’Occident à partir de Lutèce quand
Constantin II réside à Constantinople. A la mort de Constance II, Julien est
proclamé empereur en 361. Il règne vingt mois avant d’être tué sur le Tigre.
Vingt
mois de règne ! Un règne bien trop court pour juger de son action.
Pourtant, depuis au moins le XIXe siècle, il est devenu un personnage important,
une référence incontournable, qu’on exploite bien souvent au mépris de la
vérité historique. Son court règne relativise bien l’importance qu’on voudrait
donner à cet homme devenu une légende.
Julien
est né chrétien, en 331. Il est le neveu de Constantin, le cousin de Constant et
de Constance. Au cours de la guerre civile qui suit la mort de Constantin, son
demi-frère Gallus et lui échappent au massacre de sa famille. Julien attribue
cette purge familiale à Constance II. « Avec quelle bonté cet empereur très clément nous a-t-il traités, nous
qui étions ses proches parents! Mes six cousins, qui étaient aussi les siens,
mon père [Jules Constance] qui était son oncle, puis encore un autre oncle en
commun du côté paternel [Dalmatien ou Hannibalien], et enfin mon frère aîné,
tous il les fit mettre à mort sans jugement. Il voulait me tuer aussi, avec
Gallus mon autre frère. Il finit par nous envoyer en exil. »[1] Sa
famille présentait une menace pour son pouvoir.
Les
cousins de Julien et de Gallus les traitent comme des parents dangereux. Ils sont
exilés et surveillés dans un château lointain de Cappadoce. Durant le règne de
Constance II, leurs liens se desserrent. Gallus est désigné comme César mais
rapidement déchu, il est exécuté. Julien visite l’Asie mineure, Constantinople,
la Grèce. Appelé à Milan, il est associé au gouvernement de l’empire puis il
est envoyé en Gaule. A 24 ans, il se révèle comme un chef émérite et efficace
contre les Germains. Il est aussi un excellent administrateur. Ses troupes le
poussent à marcher contre Constance II pour qu’il devienne le maître de
l’empire. La mort de Constance II évite ce combat. En 361, il devient empereur.
Une
fausse tolérance
A
Paris, Julien assiste à la fête de l’Épiphanie. Il feint encore une foi
chrétienne. Mais dans son cœur, depuis longtemps, il n’est plus chrétien. À son
arrivée sur le trône, son attitude change radicalement. Il affiche désormais clairement
son attachement au paganisme. Selon l’historien Socrate, il prodigue les
sacrifices païens « jusqu’à la
nausée ».
Julian the Apostate Presiding at
a Conference of Sectarians
Edward Armitage, 1875 (wikipedia).
|
Les
païens reprennent les postes clés de l’empire. Les postes de fonctionnaires
sont donnés en priorités aux païens. Les magistrats doivent désormais
sacrifier aux dieux. On ne nomme plus de juges ni d’officiers chrétiens. Ils
sont exclus de la garde prétorienne et de l’armée, en alléguant la raison que
la loi chrétienne leur défend d’user du glaive. Julien manie en effet l’art de
l’ironie et du sarcasme. Quand des chrétiens doivent se plaindre à lui des
procédés de ses fonctionnaires, il leur rappelle le précepte évangélique qui
leur commande de supporter avec patience l’injustice. Certaines villes peu
ferventes dans le culte païen sont disgraciées alors que les apostats sont
récompensés. La ville de Gaza qui a rejeté l’Évangile reçoit le port chrétien
le plus proche comme récompense. La pression est aussi économique et fiscale. La
richesse des églises est confisquée pour indemniser le clergé païen. L’exemption
fiscale des charges municipales en faveur du clergé chrétien est supprimée. Ainsi
sans violence, les Chrétiens font l’objet d’une forte pression, d’une
persécution silencieuse…
Enfin,
on note des excès de violences contre les Chrétiens. En Syrie, la foule pille
les églises, torture un évêque, exécute des prêtres et des fidèles. Certes
Julien désapprouve ces excès sans vraiment les réprimer, mais ne sont-ils pas
le résultat de sa politique ?
Mais
la politique de Julien s’achève en juin 363. Oubliant d’endosser sa cuirasse
avant de combattre, Julien meurt sur les plateaux iraniens dans une campagne
contre les Perses, une campagne vouée à l’échec comme sa réaction païenne.
Échec
du dernier sursaut du paganisme
Les
vingt mois de règne de Julien sont ainsi marqués par un retour inattendu du
paganisme et un réveil d'une polémique violente contre le christianisme. Mais c’est un véritable
échec. L’apostasie de certains chrétiens, l’épuration des cadres, la pression
étatique silencieuse, les mesures de violences, les diatribes ont été inefficaces.
Jovien, son successeur sur le trône, renverse la politique de Julien. Sa
réaction est même brutale, radicale. Les sacrifices païens sont interdits. Les
terres jadis léguées aux temples sont annexées. C’est probablement à partir de
ce moment que l’Empire est conduit à lutter contre le culte païen pour arriver
en 392 à la condamnation définitive du paganisme. L’échec de Julien Apostat est
complet.
Julien
apparaît donc comme un dernier sursaut du paganisme, comme sa dernière chance
alors qu’en fait, il a précipité sa fin. Il veut réellement extirper le
christianisme de l’empire sans cependant employer les mêmes méthodes que ses
prédécesseurs. En vain. La durée de son règne n’est pas la seule explication à son
échec. « Il échoua, parce qu’il
avait la logique de l’histoire – c’est-à-dire la volonté de Dieu - contre lui. »[4] Essayons
de comprendre davantage son attitude à l’égard du christianisme. Elle est
porteuse d’enseignement.
Un
entourage si peu chrétien
Julien
a reçu une éducation chrétienne. Selon Libanius, rhéteur païen, il aurait été
un fervent chrétien jusqu’à l’âge 16 ans[5]. L’historien
païen Ammien Marcellin (vers 330, vers 397) nous assure du contraire[6]. Il
aurait manifesté dès la plus tendre enfance du penchant pour le paganisme. Contrairement
à ce que prétendent les auteurs de roman[7], nous ne
savons pas quand il a rejeté le christianisme. Pourquoi est-il devenu
païen ?
Soulignons
d’abord que Julien a toutes les raisons de haïr les empereurs qui l’ont
précédé, notamment Constantin, meurtriers de son père Constance et de sa
famille. Or que représentent-ils ? Ils sont les promoteurs du
christianisme. Et quelle image a-t-il pu retirer du christianisme quand il
était enfermé dans son château ? Julien assiste probablement aux intrigues
politiques et aux divisions religieuses que provoque l’arianisme. Il a grandi
dans un monde de divisions et de crises religieuses profondes et parfois
meurtrières. Son enfance est en effet entourée d’intrigants et d’ambitieux,
pourtant prêtres et évêques, comme Eusèbe de Nicomédie, son éducateur officiel.
Ce dernier sera trop dévoré par les intrigues pour s’occuper de lui.
Constance
lui a en effet donné comme éducateur religieux, Eusèbe de Nicomédie, évêque
ambitieux, un des acteurs de l’arianisme. Son influence semble avoir été très
minime. Julien a eu un autre enseignant, l’évêque arien George de Cappadoce,
« l’homme de main des partis »[8]. Il
reçoit ainsi une éducation religieuse arienne. Le christianisme est à cette
époque en proie à la division et aux querelles entre les différentes factions
ariennes et semi-ariennes. C’est un temps de confusion, voire d’anarchie
religieuse, où les ambitions et les intrigues se mêlaient outrageusement à la
foi.
La
petite société dans laquelle Julien est enfermé n’est donc pas porteuse d’une
foi ardente et généreuse. Son professeur de rhétorique est Hekebolius qui à
deux reprises se convertit au christianisme. Nous sommes loin du christianisme
authentique et de la Rome glorieuse que rêve peut-être Julien. « Qui dira si ce n’est pas alors que se
formèrent dans l’esprit naturellement aigri et soupçonneux de l’élève les
premières préventions contre le christianisme, représenté à ses yeux par des
hommes d’une foi suspecte et d’une conduite tortueuse ! On sait quelle est
à cet égard la logique terrible des enfants. »[9] Tous ces
exemples ne favorisent guère le développement de la foi. Mais Julien connaît le
christianisme et ses exigences. Devenu empereur, il écrira une satire sur les
vices de ses prédécesseurs.
Un
esprit empli de rêves homériques
Dès
l’âge de huit ans, Julien a pour précepteur le rhéteur païen Mardonius, qui lui
dévoile la culture antique et la poésie grecque. « On sait quel helléniste accompli était cet esclave. Avec un art merveilleux,
il initia Julien aux grands classiques, et lui inspira la dévotion qu’il
professait lui-même pour Homère et pour Hésiode. Commentés par une bouche
éloquente, ces écrivains de génie devinrent pour Julien les vrais auteurs
sacrés. Avant de croire aux dieux d’Homère, il fut d’instinct de la religion
homérique. Au lieu que quand il croyait encore par habitude au christianisme,
il ne se sentit jamais fils de la Bible et de l’Évangile. »[10] Son
éducation est ainsi grecque, bien éloignée de Rome. Son grammairien Nikoklès de
Sparte lui fait aussi connaître Homère.
Mardonius
lui a infligé en outre une éducation très austère, sobre et dure. Julien
apprend à résister aux passions et à mépriser le bonheur qu’elle peut procurer.
« Je suis comme je suis, ce n'est pas
ma faute, il faut me le pardonner, puisque je vous livre ce hargneux précepteur
que vous aurez raison de haïr plutôt que moi, lui qui me molestait alors en ne
me permettant qu'une seule route ; c'est lui qui est cause de ce que je vous
suis odieux, parce qu'il a fait pénétrer et comme imprimé dans mon âme des
maximes, contre lesquelles je me révoltais alors mais que lui, comme s'il
faisait une chose qui me fût agréable, y introduisait, appelant, je crois,
gravité ce qui n'est que grossièreté, tempérance, ce qui n'est qu'insensibilité,
force d'âme la résistance aux passions et le mépris du bonheur qu'elles procurent.
»[11] Julien
vivra toute sa vie selon une grave austérité.
« On retrouve dans les écrits de Julien les
traces évidentes de ces deux courants distincts, auxquels fut livrée sa
première enfance : une immense variété de notions, puisées aux sources les plus
pures de la littérature latine et grecque, unie à une connaissance profonde du
texte des livres saints, c'est-à-dire tous les éléments nécessaires pour faire
du même homme un écrivain habile, un artisan ingénieux de style et un
théologien érudit, un polémiste ardent à l'attaque et armé pour la défense. »[12]
Une
culture livresque
Peut-être
top jeune, Julien a-t-il eu conscience de cet environnement si contraire à
l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ ? « Il faut chercher la cause de sa conversion
exclusivement dans les études qu'il fit. »[13] Julien
est un passionné de livres. Très jeune, il prend connaissance des philosophies
grecques dans la bibliothèque de George de Cappadoce, « très vaste et importante bibliothèque, où figuraient des philosophes de
toute sorte et beaucoup de commentateurs »[14]. Selon
Labriolle, il aurait aussi découvert Porphyre et Jamblique, et leurs critiques
antichrétiennes. Ses lectures ont-elles ébranlé sa foi ? A-t-il pensé trouver dans ses ouvrages un moyen de s’échapper à
sa prison et aux contraintes qu’on lui imposait ? « C'est contre la contrainte qu'un esprit
large comme celui de Julien finit par se révolter, il brisa ses fers, et s'en
alla chercher une liberté de penser qu'il ne pouvait trouver chez les chrétiens. » [15]
Rencontre
avec le néo-platonisme religieux
Sa
véritable conversion est peut-être née au cours de ses voyages. Envoyé à
Nicomédie, Julien découvre le paganisme et le néo-platonisme religieux. A Pergame, il
rencontre Aidesius puis ses disciples comme Eusèbe de Myndos et enfin le philosophe
Maxime qui le subjugue. Par son intermédiaire, Julien découvre toute la pensée
de Jamblique et la théurgie. A partir de la philosophie néo-platonicienne de
Plotin et de Porphyre, Jamblique a inventé une philosophie religieuse, faite
d’anges, de rites secrets, de purifications et d’extases. « Le théurge, par la puissance des choses
ineffables, ne commande plus aux êtres cosmiques comme un homme usant d’une âme
humaine, mais en tant que prééminent dans le rang des dieux, il use de menaces
supérieures à son essence propre. »[16]
Le
6 janvier 361, avant de monter au trône, Julien participe à la fête de
l’Épiphanie, « feignant d’adhérer au
culte chrétien, dont il avait beau temps qu’il était secrètement détaché. »[17] Entre 355 et 360, Julien est initié au culte
de Mithra puis plus tard aux mystères d’Éleusis. Il reçoit le baptême sanglant
du taurobole [18].
Julien est devenu l’Apostat…
Réforme
du paganisme ?
« A peine arrivé au pouvoir, l’empereur Julien
l’Apostat s’applique à remettre en honneur le culte des dieux et à étouffer le
christianisme. »[19] Ses
premières mesures sont claires. Elles doivent restaurer le paganisme dans
l’empire. Elles ont été longuement mûries par un homme convaincu. Ses actions
suivent un plan audacieux et parfaitement réfléchi. Cependant, veut-il vraiment
un retour au paganisme ? Ou essaye-t-il de restaurer une nouvelle
religion ?
Pour
mener son entreprise, Julien s’aide de Maxime, qui devient le personnage le
plus important de la cour, puis de Priscus, autre néoplatonicien, son directeur
spirituel. Le néo-platonisme de Jamblique est sur le trône. S’ajoute aussi
Libanius, vieux rhéteur, fervent restaurateur du paganisme tel que l’envisage
Julien.
Julien
prend en main les religions païennes. Il institue d’abord un véritable clergé
hiérarchisé. A la tête de chaque province, un grand prêtre le dirige sous la
direction d’un unique pontife qui n’est autre que Julien. Il met aussi en place
une formation afin que les clercs soient exemplaires. Il prévoit notamment des
instituts de théologie. Il restaure aussi le culte païen en voulant établir une
liturgie païenne tout en l’accompagnant d’une discipline pénitentielle. Enfin,
il veut construire des hôpitaux et secourir les pauvres. Nous sommes bien loin
du paganisme tel qu’il existait avant Constantin.
Ces
exemples nous incitent à croire en une tentative d’imitation du christianisme. « Julien s’applique à copier l’âme du
christianisme »[20]. Il
applique la structure de l’Église, l’enseignement, la discipline. Il introduit
dans le paganisme la musique sacrée, la psalmodie, les sermons. L’intérieur des
temples ressemble à celui des églises chrétiennes. Enfin, dans la morale et la
doctrine païennes, il introduit la bonté, la miséricorde, la douceur. Nous
sommes loin de Celse qui dénigre les pauvres et les faibles. Selon Saint
Grégoire de Nazianze, ex-camarade de jeunesse de Julien, il « singe » le christianisme.
Julien ne restaure donc pas le
paganisme tel qu’il existait avant sa venue. Il tente d’instaurer une nouvelle
religion, fortement influencée par le christianisme, non seulement dans son
organisation mais également dans son âme. Le paganisme de Julien est cependant
plus complexe. Il résulte de plusieurs influences :
- le néo-platonisme de Jamblique ;
- la théurgie de Maxime d’Éphèse ;
- l’hellénisme de Libanius ;
- les cultes orientaux (mithraïsme) ;
- le christianisme.
Julien
est en fait le disciple d’un syncrétisme religieux éclectique et nébuleux,
mélange de platonisme dégénéré, du mithracisme au culte attirant et de
préceptes évangéliques.
Instaurer
une religion concurrente au christianisme
Mais
pour instaurer sa religion, Julien veut retirer au christianisme l’autorité
qu’il a acquise avec ses prédécesseurs sur le trône impérial. Il doit donc le
combattre. Sa politique montre qu’il a profondément réfléchi sur son adversaire.
Il connaît ses forces et ses faiblesses. Il est convaincu de l’échec de toute
persécution violente. Sa politique consiste en fait à lui enlever les moyens
matériels nécessaires pour son développement, à la discréditer au niveau intellectuel
et à imposer une religion concurrente suffisamment sérieuse pour la rivaliser.
Comme un chef avisé et résolu, il suit une tactique, faite de contraintes et de
vexations.
« Saint Paul avait déjà remarqué trois siècles
plus tôt que les païens pris en masse étaient sans affection. Julien entreprend
de corriger ce vice de l’hellénisme, et de faire de ses prêtres, sur le terrain
de la charité, les rivaux des prêtres chrétiens. »[21] C’est
en fait une persécution « douce,
alléchante, plutôt que contraignante » selon l’expression de Saint Jérôme.
Finalement,
Julien ne cherche pas à revenir au temps du paganisme. La religion qu’il veut
instaurer est une nouvelle religion, un mélange d’influences diverses. Les
païens véritables, porteurs de la culture antique, ne le suivront pas.
Un
christianisme détesté
Julien déteste le christianisme. Il est sans complaisance avec
les Chrétiens. Pour les désigner, il utilise l’expression « Galiléens » pour « souligner la prétention ridicule d’une
religion si humble en ses origines à s’élever à la dignité de religion
universelle. »[22] Ses
écrits sont de plus en plus hostiles à
leur égard. Des passages sont même injurieux. Nous sommes loin de la
miséricorde qu’il tente de promouvoir dans le paganisme.
Une
telle haine soulève une question. Quel objectif suit-il réellement ? L’instauration
d’un paganisme revisité ou la suppression du christianisme ? Le paganisme
est-il une fin ou un moyen ? Ou dit autrement, la haine qu’il manifeste
contre le christianisme guide-t-elle sa politique ? Il érige une véritable
religion qui doit être capable de le rivaliser. Hiérarchisée, intellectualisée,
habillée de moralisme et de piété, elle doit être une concurrente sérieuse
contre le christianisme. Tout semble être pensé et mené en réaction contre le
christianisme. Le paganisme tel qu’il le rêve n’est-il pas alors un moyen pour le
supprimer ? Le christianisme, veut-il le supprimer parce qu’il représente
l’œuvre religieuse de Constantin et de Constance qu’il déteste ?
Une
religiosité démesurée
Au-delà
de sa politique fondamentalement antichrétienne, nous devons reconnaître la
personnalité qui semble se dégager de son histoire et de ses ouvrages. Il
apparaît comme un homme passionné, convaincu, énergique tout en étant cultivé
et réfléchi, un homme sans mesure. « La
religion de Julien, entretenue en secret depuis de longues années, était
arrivée au paroxysme de l’exaltation silencieuse. »
Comment
cette démesure aurait-elle pu plaire aux véritables Grecs ? Ses excès ont très
certainement enterré le paganisme. « Sa
vie se passait dans une épaisse atmosphère d’illusions et de prestiges ;
les païens raisonnables, ceux qui avaient gardé le sens de la beauté grecque
avec ses mouvements harmonieux, ses gestes mesurés et sobres, souffraient de
voir leur empereur se livrer à ces excès. »[26] La
nouvelle religion n’est-elle pas propre à satisfaire sa personnalité comme
elle peut répondre à la haine qui l’anime ?
Conclusion
Julien
est souvent cité comme un restaurateur du paganisme quand finalement il a voulu
imposer une religion profondément différente de ses aïeux. Il est plutôt le
représentant d’une aberration religieuse, d’un syncrétisme mystique, que méprisaient
les fidèles d’une société antique en voie de disparition. Auguste Comte le
considérera comme l’un « des trois
principaux rétrogradateurs que nous offre l’histoire »[27].
Pourtant,
Julien ne cesse de parler de fidélité à l’égard du culte ancien. « Je fuis l'innovation en toute choses, je
puis le dire, et spécialement en ce qui concerne les dieux. Je pense qu'il faut
s'en tenir aux lois que nos pères ont eues dès l'origine et qui, manifestement,
sont un don des dieux. »[28] Ne se
rendait-il pas compte qu’il était disciple d’une religion étrangère à ses pères,
une religion essentiellement livresque ?
Derrière
cette entreprise, nous voyons aussi une âme révoltée, imprégnée de morale
chrétienne, habitée de nostalgie et de gloire, d’un mysticisme déséquilibré,
d’une exaltation désorientée. Sa religion est le fruit de l'évolutionnisme religieux. Il conduit inévitablement à une régression de l'esprit religieux. Nous sommes bien loin du christianisme..
[2]
Cité dans Daniel-Rops, L’Église des Apôtres et des Martyrs,
XII, Fayard, 1948.
[3]
Édit
de Julien, cité dans Louis du Sommerard,
Julien l’Apostat, Revue des Deux Mondes,
tome 29, 1905, https://fr.wikisource.org/wiki/Julien_
Apostat_(Louis_du_Sommerard), dernière modification 14 janvier 2014.
[4] Daniel-Rops, L’Église
des Apôtres et des Martyrs, XII.
[5] Libanius, Orat.,
XVIII, c.12. Voir Comment l’empereur Julien tacha de fonder une église païenne,
W. Koch, dans Revue belge de philologie et d’histoire, 1927, volume 6, n°1, www.persee.fr.
[6] Ammien Marcellin,
lib. XXII,c. X. Voir Histoire de l’empereur Julien, tirée des
auteurs idolâtres et confirmée par ses propres écrits, M. Jondot, tome
I,1817.
[7] Dans La
Vie littéraire, IV, Anatole France affirme que Julien qui n’a été
chrétien que par force, détestant le christianisme dès le plus jeune âge.
[8] Schemmel, Die
Sculzeit des Kaisers Julian, dans La réaction païenne, Labriolle, 4ème
partie, chap. II, III, Cerf, 2005.
[9] Paul Allard, Julien l’Apostat, 3 volumes.
Paris, 1900-1902, dans Julien l’Apostat, Louis de Sommerard.
[10] Paul Allard, Julien l’Apostat, 3 volumes.
Paris, 1900-1902, dans Julien l’Apostat, Louis de
Sommerard.
[11] Julien, Misopogon,
dans Voir
Comment l’empereur Julien tacha de fonder une église païenne, W. Koch
[12] Eugène Talbot, Étude
sur Julien, chap.I, librairie-éditeur H.Plon, 1863
[13] W. Koch, Comment l'empereur Julien tâcha de fonder
une église païenne dans Revue belge de philologie et d'histoire, tome 6, fasc. 1-2, 1927, www.persee.fr.
[14] Julien, Lettre
126 dans Comment l'empereur
Julien tâcha de fonder une église païenne, W. Koch, note.
[15] Julien, Lettre
126 dans Comment l'empereur
Julien tâcha de fonder une église païenne, W. Koch, note.
[16]
Livre
des Mystères écrit par Jamblique ou par un de ses disciples, trad.
Pierre Quillard, dans La réaction païenne, Labriolle, 4ème
partie, chap. II, V.
[17]
Ammien-Marcellin, XXI dans La réaction païenne, Labriolle, 4ème
partie, chap. II, V.
[18]
Voir Saint Grégoire de Nazianze, Or., IV, 52.
[19]
Dom Ch. Poulet, Histoire de l’Église, Tome I, 3ème période, chap. II
éditeur Beauchesne, 1935.
[20]
Dom Ch. Poulet, Histoire de l’Église, Tome I, 3ème période, chap.
II.
[21] Louis du Sommerard,
Julien
l’Apostat, Revue des Deux Mondes,
tome 29, 1905.
[22]
Labriolle, La réaction païenne, 4ème
partie, chap. II, VIII.
[23]
Voir Ammien-Marcellin, XXII.
[24] Julien,
Ep.,
26 dans La réaction païenne,
Labriolle, 4ème partie, chap. II, VI.
[25] Ammien
Marcillus, Res Gestae, XXII, 12 :6, dans
[26] Paul
Allard, Julien l’Apostat, 3
volumes. Paris, 1900-1902, dans Julien l’Apostat, Louis de
Sommerard.
[27] Auguste
Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme, 1848 dans La réaction païenne, Labriolle, 4ème
partie, chap. II, VIII.
[28] Julien, lettre 89a, 453 B 4 sq., traduction de Bidez (1924)
dans Les religions de l'empereur Julien : pratiques, croyances et politiques, Martin Allisson, février 2002, mémoire,
Université de Neuchâtel, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Sciences
de l'Antiquité
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire