" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 2 janvier 2021

Le New Age (3) : l'institut Esalen et le développement du potentiel humain pour une nouvelle espèce

Falaises escarpées, surplombant l’Océan Pacifique, Big Sur est un des joyaux de la côte Ouest de la Californie. Le paysage est éblouissant d’une nature encore sauvage. Plages mirifiques, forêts de séquoias, canyon mythique, rien ne manque pour attirer l’âme sensible à la beauté. C’est un havre de paix à la portée de tous. En raison de cette insolente nature, ce lieu magique a été un refuge célèbre pour de nombreux hippies dans les années 50 et 60. S’ils ont disparu dans des souvenirs amers et détestables, le lieu n’est ni oublié ni abandonné. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui s’y réfugient pour d’autres pratiques, d’autres expériences. Proches des vagues et accrochés aux pierres, une maison, une terrasse contemplent le vaste océan. Là se trouve niché l’institut Esalen, grand lieu du New Age...

Après avoir ouvert les portes de l’association Ladisfarne, entrons dans cet institut afin de mieux connaître ce qu’est vraiment le New Age. Osons en effet marcher jusqu’à cette falaise. La montée risque d’être ardue, voire dangereuse. Soyons donc prudents…

L’histoire commence en 1961. Michael Murphy et Dick Price (1930-1985) sont deux diplômés de l’université Stanford, située au cœur de la Silicon Valley au sud de San Francisco. Ils se rendent à Big Sur dans une propriété familiale de Murphy avec le projet de fonder un centre de recherches particulier. Ils sont bien différents des hippies qui les ont précédés. Ils sont déterminés et leurs intentions sont claires. Ils veulent mettre en pratique un concept développé par Aldous Huxley, le célèbre auteur du Meilleur des mondes. En outre, avant de poser les premières pierres de l’Institut sur la terre californienne, Murphy a fait un long séjour en Inde, et plus précisément à Pondichéry, à l’ashram[1] de Sri Aurobindo, lieu de son ermitage. Ainsi, avant d’entrer dans l’institut, nous allons rencontrer Huxley puis Sri Aurobindo…

Huxley et ses états de conscience

Adlous Leonard Huxley (1894-1963) est un écrivain, romancier et philosophe britannique. Il est surtout connu pour son livre de fiction Le meilleur des mondes, publié en 1932, dans lequel l’auteur imagine une société future, des hommes génétiquement déterminés et conditionnés par un État mondial, parfaitement hiérarchisé, vivant dans une société dans laquelle le bonheur est loi.

Plus tard, en 1958, Huxley publie un essai, Retour au meilleur des mondes, pour montrer que la société tend en effet à devenir celle qu’il a décrite dans son livre en raison des moyens de contrôle disponibles sur les populations, notamment des substances dites psychédéliques. Quelques années auparavant, en 1954, il a écrit un ouvrage plus détaillé sur ces produits.

Le terme bien étrange de « psychédélique » est né d’une correspondance entre le docteur Humphrey Osmond et Huxley en quête d’un mot capable de désigner les substances qu’ils utilisaient et qui leur permettaient de mieux connaître le psychisme. Le terme est tiré de deux mots grecs, « psyche » (« âme ») et « deloun »(« rendre visible, montrer »). Il peut alors être traduit par « qui rend l’âme visible, manifeste ». Comme le terme a pris une consonance négative en raison de l’emploi inconsidéré de ces substances par des mouvements peu recommandables, il a été remplacé par le terme « enthéogène »,  qui signifie littéralement « qui éveille la divinité intérieure ».

Les substances psychédéliques regroupent en fait des drogues caractérisées par des hallucinations, de l’introspection ou encore par l’extase, pouvant causer des troubles psychiatriques graves et durables comme les angoisses, les phobies, la dépression, le délire. Parmi ces substances, nous pouvons citer le LSD, l’ecstasy, la psilocybine, sécrétée par des champignons hallucinogènes. Notons que depuis quelques années, des tentatives ont été menées pour les légaliser.

Revenons à Huxley. Dans ses deux livres Les portes de la perception et Le Ciel et l’Enfer (1954), il raconte ses propres expériences des substances psychédéliques. Il en conclut qu’en les absorbant, la perception de la réalité est exacerbée et fascinante, et que leur consommation lui a permis de se transformer positivement. Cependant, et c’était le but de ses expériences, ils ne peuvent pas lui fournir ce qu’il recherchait, c’est-à-dire la vision mystique ou encore appelée la philosophie universelle. Son objectif était en effet d’atteindre les « régions de l’esprit », dites aussi « états de conscience ».

Sri Aurobindo (1872-1950), l’évolutionnisme à la mode hindouiste

Quittons les États-Unis pour rejoindre Pondichéry au temps de la colonisation. Le guru Sri Aurobindo est un nationaliste indien convaincu. Il combat pour l’indépendance de l’Inde. Il est aussi connu pour avoir développé une nouvelle approche du yoga, le « yoga intégral ». Après avoir suivi des études universitaires en Angleterre (1879-1893), il retourne en Inde et étudie la culture et les traditions indiennes en quête du nirvana. Il finit par se consacrer pleinement à ses recherches spirituelles. En 1920, il fonde à Pondichéry un ashram, qu’il considère comme un « laboratoire évolutif » spirituel.

Sa pensée est plutôt simple. L’homme n’est qu’un chaînon vers une nouvelle espèce qu’il faut préparer. Il n’est qu’un « être de transition ». Il admet donc la théorie évolutionniste de Darwin qu’il développe jusqu’à professer que l’évolution humaine attendue sera plus radicale que les précédentes. Elle passe par le développement de nos capacités spirituelles qui atteindront une telle dimension que sa manifestation marquera un saut évolutif propre à la naissance d’une nouvelle espèce. C’est ainsi qu’à partir de 1926, il se prépare dans sa retraite à ce saut évolutif. De nombreux disciples se réunissent autour de lui.

Sri Aurobindo distingue trois âges successifs dans l’histoire humaine : l’âge conventionnel puis l’âge du protestantisme, « âge individualiste de la religion, âge de la révolte, du progrès et de la liberté » et enfin l’âge qu’il attend, « une période subjective de l’homme où l’homme doit boucler le cercle et redécouvrir son moi profond en suivant une nouvelle ligne ascendante, ou une nouvelle révolution du cycle des civilisations. »[2] La pratique du yoga vise à cette préparation, c’est-à-dire à l’obtention d’un pouvoir de conscience qu’il appelle « supramental ». Sa philosophie se diffuse au travers la revue Arya et d’ouvrages au début du XXe siècle en Europe.

Après la mort du « gouru », le mouvement s’étend à New-Delhi en 1956 et à Montréal en 1965, puis aux États-Unis. En 1968, il s’incarne dans une véritable ville, celle d’Auroville en Inde, « endroit où l’on pourra ne penser qu’à progresser et à se surmonter soi-même. Enfin un endroit où rien n’aura le droit de s’imposer comme vérité exclusive. […] un endroit où, libérés de tous ces esclavages du passé, les êtres humains pourront se consacrer totalement à la découverte et à la mise en pratique de la Conscience divine qui veut se manifester. »[3] Le but est de transformer la conscience et le psychisme jusqu’à éventuellement pouvoir transformer le corps par le yoga de telle sorte qu’il dépasse la maladie, la souffrance et la mort[4]. La vie éternelle, tel est en fait l’objectif…

L’institut Esalen, un centre de recherche particulier

Le détour a été instructif. Nous avons pris connaissance de deux idées fortes qui inspirent les fondateurs de l’institut Esalen : l’exploitation des ressources du psychisme humain et le développement de la conscience humaine, étape majeur pour l’évolution jugée inéluctable de l’espèce humaine. Notons, et c’est un point essentiel, Huxley et Sri Aurobindo recherchent et mettent en œuvre des pratiques destinées à cette transformation. Ce ne sont point simplement des théories.

C’est ainsi que l’institut Esalen se présente comme un centre de recherche dont son principal objectif est de développer le psychisme humain au moyen de différentes techniques. Y sont pratiqués les massages, le yoga, la méditation, les thérapies somatiques, la gestalt, etc. De nos jours, il se présente toujours comme un « centre de recherche et d’étude sur les nouvelles thérapies, la spiritualité, les philosophies indiennes et asiatiques, le psychisme, les liens entre le corps et l’esprit »[5]. Il est aussi « la Mecque de la contre-culture et du développement personnel »[6]. En effet, il se définit comme un centre d’éducation alternative et éclectique pour la réalisation de soi.

Une expérience psychiatrique douloureuse

Nous avons ainsi suivi Murphy avant la fondation de l’institut. Retrouvons désormais son ami Dick Price. Son histoire est aussi à raconter.

Price est un étudiant brillant en psychologie d’abord à Stanford puis à Harvard. Mais, déçu par le conservatisme de l’université, il abandonne ses études en 1955 et rejoint l’académie américaine des études asiatiques que venaient de fonder Alan Watt et Frédéric Spiegelberg à San Francisco. Cependant, en 1956, il est atteint d’un état psychotique grave qui le conduit à l’hôpital puis dans un institut psychiatrique, Institute of Living, dans lequel il suit des traitements à base d’électrochocs. De cette épreuve brutale, il est convaincu de l’erreur de la psychiatrie. « Une erreur fondamentale a été commise et cette erreur a été de supposer que le processus de guérison était la maladie, plutôt que le processus par lequel la maladie est guérie. »[7] Il considère donc que l’état psychique dans lequel il s’est trouvé était en fait une tentative de guérison, la maladie étant antérieure à cet état. Depuis sa sortie de l’hôpital, il cherche à devenir « une sorte d’anthropologue de la santé mentale ».

L’éducation intégrale

De nouveau libre, Price réside à San Francisco dans un centre particulier, « The culturel integration fellowship « , d’où sortira l’institut californien d’études intégrales. C’est dans ce lieu qu’il rencontre Murphy, lui-même résident. Cet institut a été fondé par Haridas Chaudhuri, un disciple de Sri Auribindo.

Le terme d’intégral nous renvoie à la pratique du yoga que le guru a inventé. L’éducation intégrale consiste à prendre en compte toutes les « vérités » énoncées dans chaque culture, tradition, philosophie, etc. pour les considérer vraies uniquement dans leur domaine de référence puis de les intégrer dans un système cohérent pour parvenir à la compréhension globale du monde. Le terme peut aussi s’appliquer sur la psychologie définie alors comme « un système psychologique soucieux d’explorer et de comprendre la totalité du phénomène humain […] » qui « dans sa largeur, couvre tout le spectre corps, esprit, psyché, tandis que sa profondeur […] », il « englobe l’inconscient et les dimensions conscientes de la psyché ainsi que la dimension supra consciente traditionnellement exclue de l’étude psychologique »[8].

L’histoire de Price est intimement liée à Frederic Spiegelberg (1897-1994), professeur de religions asiatique de l’université de Standford, théologien luthérien. Étudiant de l’université de Tubingen, celui-ci suit les cours de professeurs célèbres : Paul Tillich, Martin Hindegger ou encore Carl Jung. À Standford, il donne lui-même des conférences sur la religion avant de devenir un expert en religions asiatiques et en études comparatives des religions. Puis, après avoir invité Haridas Chaudhuri à Standford, il le rejoint dans l’académie américaine des études asiatiques à San Francisco, que remplace l’institut californien d’études intégrales qu’il préside de 1976 à 1978. Par des publications, il diffuse la « philosophie intégrale » de Sri Aurobindo.

Des personnalités influentes à l’institut Esalen

Un tel centre ne peut fonctionner sans soutien financier, sans appui de célébrités, de personnalités reconnues et influentes. Nous retrouvons bien-sûr Huxley mais aussi Gregory Bateson, le « fellow » de l’association Landisfarne[9]. Nous pouvons citer de nombreux savants, artistes, hommes politiques, ésotéristes, bouddhistes et religieux…  

L’institut est réputé pour accueillir de nombreux artistes, par exemple Bob Dylan, Simon et Garfunkel. C’est pourquoi il est souvent présenté comme un lieu de la contre-culture qui se développe à partir des années 60. « Drogue psychédélisme et création, mysticisme, massage et sexualité sans tabou, mépris de la science officielle caractérisent alors les théories et les travaux pratiques de cette pépinière de contre-culture. »[10]

« Pendant quelques années, l’institut Esalen reçut la visite d’un nombre considérable d’écrivains, de chercheurs, de dissidents du freudisme ou de contestataire de la psychiatrie et de l’ordre familial bourgeois, tous fascinés par cette quête psychédélique du New Age »[11].

Cependant, parmi les visiteurs et conférenciers, intéressons-nous à un groupe d’intervenants, toutes psychologues réputés : Abraham Maslow (1908-1970), auteur de la célèbre pyramide des motivations, notamment en usage dans le monde du travail, Carl Rogers (1902-1987), renommé pour sa psychothérapie centré sur la personne, Fritz Perls (1893-1970), fondateur de la Gestalt-thérapie, une thérapie centrée sur l’interaction constant de l’homme avec son environnement, ou encore Victor Franckle (1905-1987). Tous ces savants ont fondé et développé la psychologie dite humaniste.

La psychologie humaniste

La psychologie humaniste se définit d’abord comme le rejet des théories alors dominantes dans la psychologie, c’est-à-dire le behaviorisme et la psychanalyse, qu’ils considèrent comme réductionnistes. Pour eux, l’être humain n’est ni le résultat des pressions de l’environnement ni le jouet de ses pulsions internes. 

Le behaviorisme, connu aussi sous le nom de comportementalisme, considère que seul le comportement extérieur de l’homme, donc les phénomènes observables, doit être l’objet de la psychologie. Les individus se diffèrent en raison du milieu dans lequel ils évoluent. Celui-ci les conditionne, façonnant leurs comportements qui constituent à leur tour leur personnalité. Comme leurs pensées, leur langage, leur émotion relèvent de ce conditionnement, il est aussi possible de les modifier par un nouveau conditionnement. Ainsi, l’homme résulte d’une chaine mécanique de stimuli et de réponses.

La psychanalyse est plus connue par le grand public. C’est une méthode de soin fondée par Sigmund Freud qui s’appuie sur le postulat de l’existence de déterminisme psychique : toute idée, tout acte a une cause, au moins dans l’inconscient. Ainsi, la psychanalyse est souvent définie comme une investigation des processus psychiques qui permet d’explorer l’inconscient. Dans une de ses conférences, Freud définit la fin de la psychanalyse : « elle n’opère pas autre chose que la mise à jour de l’inconscient dans la vie psychique »[12]. L’homme est sous influence de forces subconscientes conditionnées de manière irréversibles par la société.

Qu’est-ce que finalement la psychologie humaniste ? Elle insère la dimension individuelle, mystique et spirituelle dans la psychologie. Elle conçoit « l’être humain comme une personne en développement souffrant parfois de carences »[13] Elle étudie alors les conditions de la santé mentale de l’individu en s’intéressant surtout aux aspects positif de l’existence[14]. « La nature fondamentale de l’être humain, quand il fonctionne librement, est constructive et digne de confiance. »[15] Ainsi, la psychologie humaniste envisage l’être humain comme une personne fondamentalement bonne, dotée d’un potentiel qu’elle actualise dans la perspective de se réaliser, de s’accomplir et de mener une vie pleine.

Rogers définie une approche centrée sur la personne. « L’hypothèse centrale de cette approche peut être brièvement résumé ainsi : l’individu possède en lui-même les ressources considérables pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même. »[16] Pour lui permettre d’accéder à ses ressources, il lui faut un climat favorable caractérisé par trois conditions : l’authenticité, l’estime et l’empathie. Ces conditions ne sont applicables quand le développement de la personne est en jeu, c’est-à-dire dans les relations avec la personne et les autres.

Maslow s’intéresse à ce qu’il appelle « la vie pleine », processus qui entraîne une ouverture accrue à l’expérience. Généralement, nous retenons de lui la pyramide des motivations. Cependant, celle-ci n’est qu’un élément de sa conception de l’homme. « Les personnes qui ont comblé leurs besoins déficitaires sont plus proches du domaine de l’être. »[17] L’épanouissement de l’être constitue alors un besoin essentiel de l’être humain. Dans sa théorie des motivations, il hiérarchise les besoins en cinq niveaux. Ce sont dans l’ordre croissant : besoins physiologiques (manger, boire, dormir, etc.), besoins de sécurité (logement, ressources financières, sécurité physique, etc.), besoins de reconnaissance et d’appartenance (amour, amitié, solidarité), besoins d’estime et enfin besoins de réalisation de soi ou encore de dépassement de soi.

Frankle se concentre sur le sens de l’existence. Selon lui, « la principale préoccupation de l’homme n’est pas gagner du plaisir ou d’éviter la souffrance, mais plutôt de voir un sens dans sa vie. »[18] La logothérapie, dont il est l’inventeur, est une psychothérapie basée sur la découverte du sens à la vie.

Dans la psychologie humaniste, la réalisation de soi est conçue comme un processus dynamique. La personne est en cours de réalisation, connaissant ses richesses et ses limites, cherchant à harmoniser les différentes tendances qui sont en lui. Tout organisme vivant possède une sorte d’instinct d’accomplissement qui le fait croître et réaliser tout son potentiel. « C’est élan vital qui conduit l’homme vers un développement plus complexe et plus complet. »[19] La psychologie a dont pour but de libérer cet « élan vital ».

Cependant, la portée de leurs pensées dépasse la psychologie. Dès le début, elle est nettement philosophique. Et dans un de ses derniers ouvrages, Rogers lève le voile et appelle à un changement de paradigme idéologique. Tout doit désormais être centré sur la personne, y compris la religion, l’État, la société… Son regard est tourné vers un « humanisme universel » qui vient…

Le mouvement du potentiel humain

Huxley et Sri Aurobindo, Rogers et Maslow, et bien d’autres, partagent une même idée, relèvent d’un même mouvement. Celui-ci porte un nom bien évocateur : « le mouvement du potentiel humain ». L’idée qui l’anime et le motive est simple : le potentiel de tout homme, actuellement sous-exploité et réprimé par l’environnement et les normes sociales, peut se libérer et s’épanouir au travers de techniques de développement. Cette réalisation de soi va au-delà de la prise de conscience. Il s’agit bien d’une transformation de soi puis de l’humanité allant jusqu’à une évolution comme l’entendait Darwin. L’évolution est d’ordre psychique ou encore spirituel. Elle passe par l’intensification des relations entre individus. Elle impose « un mode de vie dans lequel le sujet devient l’itinéraire obligé d’un parcours infini dont le développement de son propre potentiel est la seule loi. »[20]

Le mouvement apparaît d’abord fortement contestataire. Il propose une « contre-culture ». Mais il est beaucoup plus sérieux qu’il ne paraît. Ce ne sont pas des hippies qui s’insurgent contre la société en se perdant dans des expériences qu’elle condamne. Il regroupe des savants, et pas seulement des psychologues ou des psychiatres, des intellectuels et des hommes d’influence.

De nos jours, nombreuses sont les thérapies qui relèvent de ce mouvement. En 1980, elles étaient au nombre de 250 environ ! « L’objectif principal est de faire advenir la personne à la connaissance de soi pour épanouir ses potentialités qui auraient été inhibées par l’éducation et la société. »[21] Elles ne cessent encore de se diffuser sous différents visages. Le coaching en serait un « bâtard »[22]. Nombreux sont alors ceux qui les pratiquent sans se rendre compte de leur finalité ou de leur origine. Certains d’entre eux finissent par rejoindre un des groupes sectaires qui revendiquent leur appartenance au New Age. Le monde de l’entreprise a aussi su s’approprier de certaines de ces pratiques pour « valoriser le potentiel humain ».

De nos jours, il n’est plus utile de se rendre en Californie pour suivre des stages et s’exercer à des thérapies que propose l’institut Elasen. Des praticiens proches de chez nous peuvent nous proposer des moyens d’évolution psychiques. Certes, les mots sont différents. Il ne s’agit pas d’effrayer les probables clients par des mots qui résonnent trop le New Age. Songeons par exemple à ce psychologue qui, au cours d’une semaine de séminaire à Paris, nous ouvre « à un état de conscience élargie grâce à l’aide de la respiration holotropique et de la transe chamanique mais également de la danse, des sons, du chant, de la méditation et de la peinture spontanée  […] En un sens, la respiration holotropique est le complément parfait pour tous ceux qui souhaitent explorer les racines de la vie psychique afin d’utiliser les forces reconquises dans des activités liées à leurs forces de la vie. »[23]

Conclusions

Le New Age ne se réduit pas à une contre-culture ou à une contestation. Il ne propose pas seulement une alternative à une société matérialiste et consumériste, voire insensée et deshumanisante. La vision de la réalité sur laquelle elle repose est incomplète et insatisfaisante, d’une profonde pauvreté. Nos contemporains ne sont pas dupes. C’est pourquoi ils éprouvent un réel besoin de sens et de vie plus saine. Ils se tournent alors vers tous ceux qui peuvent répondre à ce besoin inhérent à leur nature. L’institut Esalen leur offre alors des moyens de salut qui peuvent les satisfaire. Leurs solutions sont alléchantes : exploiter les forces présentes en l’homme et faire évoluer la nature humaine vers une autre espèce. Pourtant, ces moyens ne sont pas différents de ceux que propose notre société. Il s’agit toujours du culte de l’homme, de l’exaltation du moi, de l’intériorisation de soi.

Les valeurs de notre société moderne ne sont pas non plus si éloignées de celles proposées par les psychologues humanistes. Mais au lieu de se focaliser sur la raison et la matière, offrant une vision froide et inhumaine de l’homme en raison des restrictions opérées, le New Age propose une vision où se mêlent et se confondent tous les facultés humaines, sans équilibre ni raison.

En dépit des pratiques orientales utilisées, l’esprit demeure donc profondément occidental et contemporaine. L’objectif final de l’adepte est bien de devenir le dieu qui se trouve au fond de lui-même. L’homme se suffit à lui-même.

C’est pourquoi le christianisme apparaît comme un obstacle et donc un ennemi à abattre. Car non seulement, il conçoit l’homme dans sa totalité mais avec équilibre et profondeur, avec une sagesse éprouvée par le temps, mais il dévoile aussi notre misère et nos refus, nos dépendances et nos vanités, et propose un remède extérieur à nous-mêmes, là où elle réside réellement…

Certes, les thérapies développées et diffusées par l’institut Esalen sont souvent pratiquées sans songer aux idées qui les ont fait naître mais « ces pratiques communiquent par elles-mêmes, voire indirectement, une mentalité qui peut influencer la pensée et inspirer une vision très particulière de la réalité »[24]. Comme le disait un expert, nombreux sont ceux qui vivent selon les idées du New Age sans le savoir. Et le monde a su parfaitement s’adapter à cet esprit qui se diffuse et se développe silencieusement, à toute allure. L’offre commerciale n’a pas cessé de croître, alimentant davantage une pensée égocentrique. L’homme reste encore plus seul face à lui-même…

Épilogue

En 2016, l’institut a connu un désastre financier après des glissements de terrain. L’année suivante, un nouveau directeur a été nommé, M. Tauber, ancien chef de produits Google et coach professionnel de start-up. Une nouvelle mission lui a aussi été donnée : le nettoiement de l’âme des cadres et ingénieurs de la Silicon Valley. Désormais, il propose en effet des séjours et des ateliers pour les dirigeants de Silicon Valley, pour tous ceux qui éprouvent de la dépression et de la dépendance à la technologie et à Internet, ceux qui sont déboussolés, pour « les aider à renouer avec eux-mêmes », « à trouver la paix intérieure »[25]. Comme le déclare Tauber, il faut répondre aux questions qu’ils se posent. Lesquelles ? « Ils se demandent s’ils font ce qu’il faut pour l’humanité. »

 


Notes et références

[1] Communauté ascétique hindou qui s’organise autour d’un maître ou professeur, appelé « guru ».

[2] Sri Aurobindo, Le cycle humain, chapitre 1, 3ème édition, 2011, 1ère édition en 1972.

[3] Mirra Alfassa (1878-1973), française et guide spirituel de la communauté, dit le « Mère », Mère parle d’Auroville, 1977.

[4] Voir Étude : regards sur le mouvement spirituel fondé par Sri Aurobindo et la Mère, Patrick Beldio, David Brêle et Marie Horassius, 4 septembre 2018, chapitre 3, Le yoga artistique de la Mère à l’Ashram de Sri Aurobindo, Patrick Beldio, religion.info.

[5] Hélène Fresnel, Voyage à Esalen, temple du développement personnel, Août 2013, psychologie.com.

[6] Hélène Fresnel, Voyage à Esalen, temple du développement personnel.

[7] Dick Price, Dick Price : an interview, dans esalen.org, accessible le 4 décembre 2020.

[8] Bahman Shirazi,  Integral psychology, metaphors and process of personnal integration, 2001, édition Matthijs.

[9] Voir Émeraude, décembre 2020, article « Le New-Age (2) : l'association Lindisfarne, pour une nouvelle culture, planétaire, globale et holiste ».

[10] Centre de documentation et de recherche sur les massages, cfdrm.fr, article Massage esalen.

[11] Elisabeth Roudinesco, Le patient, le thérapeute et l’État, Fayard, 2004.

[12] Freud dans Conférences d’introduction à la psychanalyse (1916-1917), 1999, Gallimard.

[13] Alfonso Santarpia, Introduction aux psychothérapies humanistes, Dunod, 2016, dunod.com.

[14] Elle donnera naissance à la psychologie positive qui fera l’objet de plusieurs articles de notre part.

[15] Carl Rogers, cité à plusieurs reprises dans les articles traitant de sa psychologie. Par exemple : Qui mieux que Carl Rogers pour parler de l’ACP ?, Geneviève Odier, gaelle-germain.fr.

[16] Carl Rogers, Client-Centered Approach Therapy, 1986, dans Le regard positif inconditionnel : une manière d’être mal comprise, Ruth Sanford, Nicole Stora, Françoise Ducroux-Biasse, 2009/1, www.cairn.info.

[17] A. Maslow, Vers une psychologie de l’être, Domont, Fayard, 2007.

[18] Voir New Movement in Neuroscience : A Purpose-Driven Life, Adam Kaplin, M.D., Ph.D., et Laura Anzald.

[19] Carl Rogers cité dans Une psychothérapie centrée sur la personne, acpfrance.fr, Lu le 6 décembre 2020. Voir Carl Rogers, Client-Centred Therapy, 1951.

[20] Robert Castel, La gestion des risques : de l’anti-psychiatrie à l’après-analyse, éditions de Minuit, 1981.

[21] Unadfhi, Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes, Que sait-on de ? Les nouvelles thérapies, 22août 2014, unadfi.org.

[22] Françoise Champion et Xavier Briffault, Le coaching, « bâtard » du potentiel humain pour l’individu transformable d’aujourd’hui, Communication et organisation, n°28, 2006,  OpenEdition journals, doi.org.

[23] Puissance du vivant. Chamanisme, conscience et respiration holotropique, psyemergence.com.

[24] Conseil pontifical de la culture, Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Jésus-Christ le porteur d’eau vive, Une réflexion chrétienne sur le « Nouvel Age », 3 février 2003, vatican.va.

[25] Nelly Bowles, Big Sur, en Californie, le berceau des hippies nouveau nid des techies, Courrier international, 29 décembre 2017. Voir l’article original The New York Times, Where Silicon Valley is going to get un touch with its soul, 4 décembre 2017, nytimes.com.

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