" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 5 décembre 2020

Le Bouddhisme occidental selon différentes études : encore le culte du bien-être mais selon une voie différente du commun

C’était un vendredi soir, nous raconte-t-il. Dans un centre bouddhique. Le jeune praguois qu’il a rencontré était un cadre d’une vingtaine d’années. Il y passe régulièrement après sa journée de travail. Cela a commencé par des exercices de méditation bouddhique qu’il a suivis pendant quelques mois. Puis, il y a sept ans, lors d’une conférence donnée par un maître, il a pris conscience de la folie de son existence, une existence baignée de musique techno, de l’usage de marijuana et de plaisirs des sens comme tous ceux de son milieu. À partir de cet événement, sa vie s’est entièrement tournée vers le bouddhisme, le bouddhisme Vajrayana, dit aussi du « Véhicule du Diamant »[1]. C’est en fait une véritable conversion. Il a trouvé ce qu’il appelle le bonheur. Mais qu’est-ce que le bonheur ?

De nombreuses études ont été faites sur la diffusion du bouddhisme en Europe comme nous l’avons pu constater. Nos articles s’appuient abondamment sur des ouvrages, articles et thèses de doctorat portant sur ce phénomène. Notons que ce sont surtout des études sociologiques, ethnologiques, ou psychologiques qui s’intéressent à ce mouvement. Elles sont instructives, y compris pour l’apologétique. Les bouddhismes sont étudiés selon plusieurs axes que nous allons reprendre…

Un bouddhisme selon l’origine

Certaines études distinguent les différentes formes du bouddhisme selon leur origine, les répartissant entre les bouddhismes occidentaux et natifs, faisant ainsi apparaître leurs différences et finalement l’inauthenticité du bouddhisme vécu et pratiquée par les Occidents, ou encore ses contradictions et ses mensonges[2]. Elles soulignent aussi la vision idéaliste d’une religion sans dogme ni rite et l’adaptation du bouddhisme à la culture occidentale, tournée vers le culte du bien-être. Nous arrivons alors à des conclusions évidentes et largement partagées.

D’abord, le bouddhisme occidental est détourné de ses origines et du socle commun sur lequel se fondent les différentes formes traditionnelles de cette religion pour deux raisons. D’une part, il est présenté comme le concurrent d’un christianisme discrédité et rejeté, voire comme une religion idéale pour une société laïque. D’autre part, il est conçu comme un remède à la « décrépitude » de notre civilisation et au mal-être qu’éprouvent nos contemporains. Certains auteurs comme Frédéric Lenoir n’hésitent pas alors à considérer le bouddhisme occidental comme régénérateur d’une « nouvelle civilisation planétaire », capable d’unir l’Occident et l’Orient. Ils portent le rêve d’une humanité unie par une même pensée…

La distinction du bouddhisme selon l’origine fait aussi ressortie une autre dichotomie, celle des bouddhismes moderne et traditionnel, qui nous renvoie alors aux fidèles ou aux pratiquants. Il apparaît en effet que « le bouddhisme moderne est principalement l’affaire de convertis contrairement au bouddhisme traditionaliste pratiqué, notamment, dans des temples de migrants asiatiques. »[3] Les uns viendraient par conviction, les autres par conditionnement culturel ou familial. L’un sera porteur de modernité, l’autre de traditions.

Un bouddhisme selon l’histoire

D’autres études portent sur l’histoire du bouddhisme, montrant alors une nette évolution dans la représentation du bouddhisme en Occident.

Au XIXe siècle, le bouddhisme est décrit et défendu par une élite intellectuelle qui le conçoit comme une « religion laïque ». Burnouf en est l’un des principaux auteurs qui ont marqué et marque encore l’image que nous pouvons avoir du bouddhisme[4]. La valeur morale du bouddhisme, d’une morale indépendante d’une religion, est surtout mise en valeur en opposition à celles du christianisme. Le bouddhisme entre alors dans le cadre d’une science de la religion.

Au début du XXIe siècle, ce sont plutôt ses pratiques bouddhiques qui sont mises en valeur en raison de leurs effets bénéfiques sur le mental. Le bouddhiste Matthieu Ricard les défend et les promeut « afin d’apporter plus de paix et de compassion dans le monde ». Il n’hésite pas à s’appuyer sur des expériences en neuroscience pour prouver leurs effets bénéfiques. Il en vient donc à justifier le bouddhisme occidental comme thérapie mentale. Les études soulignent alors la contradiction entre la pensée originelle du bouddhisme cherchant à rompre le cycle de renaissance par le détachement de soi et une pratique tournée vers soi. La méditation et la relaxation sont souvent confondues.

En se focalisant sur la méditation bouddhique, terme devenu central dans les discours, la morale ne fait plus l’objet des préoccupations. Ne se souciant guère ce qui est bon ou mauvais, il s’agit désormais de se sentir bien et de développer des pensées altruistes. Des expériences viennent confirmer ses bienfaits au point que, selon les discours, « ce n’est donc plus la morale qui justifie aujourd’hui le bouddhisme, mais la science. »[5]

Pourtant, l’idée que le bouddhisme est finalement une « science de l’esprit » n’est pas neuve. La société théosophique cherche depuis le XIXe siècle à le prouver. C’est sans-doute une des permanences que nous pouvons noter dans l’évolution du bouddhisme.

Le bouddhisme selon la doctrine

Les différentes formes de bouddhismes sont aussi étudiées en fonction des doctrines, séparant alors les bouddhismes traditionnels ou originels et les néo-bouddhismes. Ces derniers sont fortement influencés par les idées occidentales. En effet, généralement, leurs maîtres sont d’anciens étudiants qui ont fréquenté les universités occidentales. Leur bouddhisme est alors présenté comme épuré de tout élément religieux afin de mieux s’adapter à la pensée occidentale, ce qui leur permet de faciliter son implantation et sa diffusion en Europe et aux États-Unis. Il est alors observé en Occident des activités de prosélytisme de la part de maîtres bouddhistes asiatiques et occidentaux.

Le bouddhisme occidental relève de ces néo-bouddhismes, qui apparaissent sans dogme ni doctrine, sans organisation hiérarchique. Il impose l’image d’une religion de liberté et d’individualisme. L’histoire des moines tibétains fuyant le communisme chinois et la figure très médiatique du Dalaï-lama réconfortent cette vision idyllique.

Ces études notent de malheureux malentendus en raison des confusions que peut conduire l’usage inapproprié de termes porteurs de sens bien précis dans la culture occidentale pour désigner des idées et des pensées spécifiquement asiatiques. Le bouddhisme est ainsi inséré dans un cadre sémantique qui lui est étranger, un cadre qui relève du christianisme. Donc nécessairement et de manière mécanique, des comparaisons s’imposent entre le bouddhisme et le christianisme dans l’esprit de nos contemporains occidentaux, et le plus souvent au profit du premier…

Le bouddhisme et ses rites

De manière unanime, les études constatent une mode très envahissant dans notre société portant sur les différentes pratiques rituels ou spirituels du bouddhisme et en dénoncent leur superficialité. « La spiritualité bouddhiste est en fait une coquille creuse au fort potentiel publicitaire. »[6] Le bouddhisme occidental apparaît alors comme un pur produit du consumérisme adapté à la culture occidentale.

Lorsque certains partisans ou ouvrages en faveur du bouddhisme osent parler du rite, ils les assimilent à des symboles et les réduisent à des moyens pédagogiques pour soutenir la pratique. Une rhétorique habile permet de faire croire que les pratiques rituelles ne sont guère importantes et défend une pratique désintéressée et sans lien avec une religion. Selon le philosophe et maître bouddhiste Fabrice Midal, la méditation bouddhique n’a « aucun but », « aucune finalité » mais est « un espace de pure gratuité », permettant aux Occidentaux stressé de prendre le temps d’« être »[7]. Finalement, leur aspect technique et leurs effets sur l’homme sont mis en exergue au détriment de leur finalité. Mais, cette image du bouddhisme se confronte à une réalité toute différente dans les centres bouddhiques, où le rite est pourtant omniprésent.

Les différents rites ne sont en fait guère décrits dans les ouvrages de vulgarisation. Peu sont les livres qui les exposent de manière claire et définissent leur finalité première. Pourtant, ils sont très nombreux, les ouvrages et les conférences dédié au bouddhisme et à ses pratiques comme s’ils s’apprenaient en lisant. En outre, ce sont des ouvrages de vulgarisation, faisant croire que ce sont des techniques à la portée de tous. Or, comme le soulignent certaines études, le bouddhisme demande de nombreuses années de vie monastique, un long enseignement de la part d’un maître et une véritable discipline du disciple sans oublier une nécessaire appropriation de la culture asiatique comme le constatent certains pratiquants bouddhistes occidentaux. En un mot, il est fortement encadré et attaché à une culture, ce qui contredit évidemment l’image d’un bouddhisme où peut s’épanouir la liberté individuelle. Des études montrent le rôle important du maître et des liens de soumission qui doivent l’unir à ses disciples. La réalité est donc encore bien différente de l’image d’un bouddhisme où le fidèle est libre contrairement à l’image d’un christianisme fortement soumis à une hiérarchie.

Un bouddhisme selon les fidèles ou les pratiquants

Des études sociologiques portant sur les fidèles notent d’abord leur diversité puis la difficulté de les catégoriser en raison d’un refus d’assumer l’identité religieuse bouddhique. Généralement, ils ne disent pas croyants.

Il est en fait bien complexe de définir qui est réellement bouddhiste. Le fait de s’exercer à des méditations bouddhiques suffit-il pour être bouddhiste ? Une carte d’adhérent à une institution gérée par des bouddhistes, carte renouvelée annuellement, est-elle une marque d’adhésion au bouddhisme ? Ou faut-il nécessairement adhérer à une croyance ? De plus, le lien que les fidèles ont établis avec ces organisations sont plus ou moins distendus. Frédéric Lenoir parle de « plasticité identitaire »[8]. Il est vrai que les offres sont multiples et qu’il est possible de passer d’un groupe à un autre. Néanmoins, les « fidèles » ont en commun une activité, la pratique bouddhique, et un discours favorable à leurs effets jugés bénéfiques.

Le bouddhisme et son développement

Des études portent aussi sur le développement du bouddhisme en Occident, soulignant sa diffusion au sein de la société occidentale. Elles cherchent à décrire les processus de conversion et se focalisent parfois sur un mouvement particulier.

L’une de ces études est par exemple consacrée à un mouvement appelé Soka-gakkai[9]. À partir de résultats de questionnaires et d’entretiens, elle montre que la conversion commence par des relations sociales puis par la recherche de bienfaits matériels de la pratique et ensuite par celle d’autres effets portant davantage sur le développement intérieur, les valeurs morales. Selon d’autres études, la lecture d’ouvrages bouddhiques est souvent le premier pas. Les convertis s’engagent ensuite de plus en plus au sein de l’institution bouddhique, qu’ils jugent démocratique. Ils œuvrent enfin dans sa défense contre les accusations portées contre elle. Il est noté qu’il leur est demandé de faire du prosélytisme auprès de leur entourage. L’expérience individuelle de la pratique est soulignée dans une étude plus centrée sur le rite religieux et la piété[10].

La diffusion du bouddhisme en Occident manifeste, selon des études, le « retour au religieux » ou encore l’« élan vers la spiritualité »[11]. Certains l’expliquent plutôt par l’efficacité de la propagande bouddhiste. Obadia[12] parle même d’un recrutement de la part de ses maîtres dans un cadre institutionnalisé. Le rôle du maître à l’égard des disciples est notamment souligné dans la thèse de Céline Campergue, qui note aussi leur prosélytisme. Mais elle insiste sur l’aspect thérapeutique de la relation entre le maître et le disciple, c’est-à-dire sur le rôle psychologique tenu par le maître à l’égard de son disciple, rôle qui peut conduire à des liens de soumissions et d’obéissance, voire à des abus de pouvoir. D’autres y voient plutôt d’un résultat du désenchantement du « libre marché » des biens religieux[13], ou encore celui d’une déconstruction et reconstruction de la croyance occidentale, toujours dans une situation de marché religieux.

Étude particulière du bouddhisme vécu par des occidentaux

Nous allons désormais nous attarder sur une thèse récente qui inscrit l’étude du bouddhisme dans l’évolution de la religiosité de notre société et dans sa sécularisation. Détaillée et approfondie, elle est centrée sur les pratiquants et les fidèles autour de nombreux thèmes. Elle s’appuie sur des études sociologiques portant sur la société et la religiosité contemporaines. Si son périmètre est limité à la République tchèque, où le développement du bouddhisme semble être important comme dans les pays de l’Est, cette étude nous paraît néanmoins comme la plus complète. Elle dresse un portrait définitif du bouddhisme tel qu’il est vécu par les Occidentaux.

La religion dans la société de consommation

L’étude inscrit le bouddhisme dans la société de consommation que nous connaissons, un contexte fortement défavorable à toute sorte de religion. « L’individu choisit librement sa vision religieuse du monde dans une situation de pluralité en fonction de ses besoins. »[14]

C’est ainsi que pour l’attirer, les religions se doivent répondre à ses besoins, et pour cela, se focaliser sur sa sphère émotionnelle, conduisant alors à un « processus d’individualisation et du subjectivation du croire. »[15], ce qui génère un éparpillement des croyances et un appauvrissement religieux.

Par ailleurs, l’individu ne cherche pas une religion institutionnalisée et peu compatible à sa vision individualiste et subjective, mais plutôt une spiritualité pratique et pragmatique, à effet sensible, qui doit donner sens à sa vie. « La religion est perçue de manière négative » au contraire du terme de « spiritualité ». Celui-ci ne désigne en fait qu’une religiosité subjective distante de tout lien avec des institutions religieuses.

Le bouddhisme occident, un produit adapté à la société de consommation

Zuzana Bartova .
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Le bouddhisme occidental semble répondre aux besoins des consommateurs en quête de sens. D’une part, le terme de « spiritualité » est privilégié pour désigner le bouddhisme. Les discours rejettent en effet le terme de « religion » et s’appuient sur son image mystique, rationnelle et philosophique. N’oublions pas que pour eux, le terme de « religion » désigne uniquement les religions qui croient en un Dieu créateur, c’est-à-dire le christianisme, l’islam et le judaïsme.

D’autre part, le consommateur ne recherche pas le bonheur absolu, c’est-à-dire le salut, mais l’épanouissement de soi qui donne sens à sa vie. L’avenir ne l’intéresse guère. C’est le présent ou encore l’immédiateté qui l’attire[16]. Seul le temps présent lui est essentiel. Or cette expériences de la vie subjective est au centre des pratiques bouddhiques telles qu’elles lui sont présentées. Ce n’est pas un hasard si le bouddhisme occidental se tourne de plus en plus vers la thérapie.

Finalement, « nous y voyons la volonté de conférer au bouddhisme une image moderne et non dogmatique d’une expérience proprement personnel, unificatrice et pratique. »[17]

Bouddhisme et pragmatisme

L’auteur de la thèse constate que les notions fondamentales du bouddhisme originel sont rarement évoquées dans les enseignements qu’il a assistés. Certes, les pratiquants n’ignorent pas qu’il véhicule des croyances mais ils ne leur apportent guère d’importance car elles n’apportent rien d’important dans leur vie quotidienne. L’un d’entre eux n’y voit que mensonge mais un mensonge utile pour le fonctionnement éthique de la société. En fait, les croyances sont adoptées plus ou moins par les pratiquants en fonction de leur rôle dans leur vie et de leur expérience dans « l’affirmation identitaire inscrite dans un itinéraire de sens », et finalement selon le caractère pragmatique qu’ils leur attribuent. Elles n’ont en fait de valeur que selon leur efficacité dans l’amélioration de soi qui ne passe que par soi. Cela est aussi vrai dans l’altruisme porté par le bouddhisme tibétain. « L’éthique tourné vers les autres trouve ainsi sa base dans le souci de soi et de l’amélioration individuelle. L’individu en ressort comme l’autorité ultime et responsable de sa vie. »

À la recherche de soi

Nous retrouvons un critère essentiel dans l’adhésion au bouddhisme : la réflexivité du pratiquant. Cela consiste à prendre conscience de soi et donc à s’examiner afin de s’améliorer. L’individu est donc non seulement l’objet de ses recherches mais également leur finalité.

Par conséquence, les croyances bouddhiques en soi ne fondent pas l’adhésion au bouddhisme. Elles apparaissent plutôt comme des justifications des pratiques dont l’efficacité est recherchée pour soi. Elles n’ont de sens pour les pratiquants que dans leur volonté de s’améliorer et dans leur affirmation de soi. La notion même de l’éveil et de la bouddhéité semble se confondre avec l’affirmation de soi ou encore la confiance placée en soi. « L’éveil » est perçu comme « le but subjectif d’un progrès individuel et l’idéal de la réflexivité émotionnelle et éthique ». Il est donc une motivation pour le développement de soi ou encore de la nature religieuse de soi, ou plutôt d’un soi idéal.

Pourquoi le bouddhisme ?

Écoutons le témoignage de trois pratiquants. Mélanie parle de son expérience de la pratique bouddhiste. « Je trouve quelque chose qui me correspond bien parce que …, ça reste quand même assez libre, c’est pas du tout contraignant. Je fais ça parce que j’ai envie de faire ça … »[18] Mélanie pratique ainsi des exercices bouddhiques en tant que « sujet individuel et authentique », ce qui est faisable pour elle en raison de ses revenus et de ses connaissances sur le bouddhisme acquise en université. Elle les a connus par l’intermédiaire d’une collègue soucieuse de diffuser le bouddhisme. Pour Mélanie, la pratique rituelle est pour elle plaisante et lui procure un sentiment de bonheur. Nous sommes donc dans la sphère de la sensibilité ou de l’émotion. « Le bonheur devient son émotion religieuse authentique. » Or cette « authenticité affective » est le propre de la religiosité contemporaine et même de notre société.

Une autre adepte, Pavel, rencontre les exercices bouddhistes au travers des livres et des sites Internet. Si au départ, ils lui sont désagréables, il continue néanmoins à les pratiquer au sein d’un groupe bouddhique et finit par s’y plaire en raison des relations sociales qu’il a pu établir avec ses membres. Il est aussi intéressé par le calme et la sagesse qui y règnent.

Maryline n’apprécie pas les cérémonies auxquelles elle participe, les trouvant incongrues et ridicules. Pourtant, elle est attirée par leur ambiance et la discipline qui s’impose. L’émotion qui se dégage de l’environnement, serait-elle la cause de son attirance pour le bouddhisme ? Comme le suggère l’auteur de la thèse, ce serait plutôt l’ordre ou encore la maîtrise de son corps. Elle désigne ces exercices comme « des techniques du corps » qui lui permet de prendre conscience du corps ou de le discipliner.

Motivations psychologiques

En conclusion, le bouddhisme intéresse nos pratiquants en raison de ce qu’ils éprouvent au travers de nouvelles expériences soit individuelles, notamment corporelles, soit sociales. Toutes ces expériences sont alors rapportées à une finalité qui est la transformation de soi. « J’attends que ces méthodes aillent me pousser plus loin dans la vie », nous dit un débutant. Que cherche-t-il en fait ? « Un meilleur comportement » avec les autres, « la connaissance de soi-même et de mon entourage », « m’aider pour des problèmes de confiance en moi », etc. Les plus expérimentés affirment « avancer », « changer », « s’améliorer », « transformer les problèmes ». En clair, les techniques pratiquées apportent des effets psychologiques positifs. Certains font éprouver un sentiment de plénitude, une réalisation ou un développement de soi selon les termes employés par les pratiquants interrogés…

Motivations sociales

Lorsque les pratiquants sont interrogés sur la place du bouddhisme dans leur vie quotidienne et sociale, leurs réponses sont souvent la même. D’abord, ils refusent les normes sociales dominantes, plus particulièrement la domination du christianisme et la sécularisation de leur société, le consumérisme ou encore le matérialisme. C’est donc par rejet d’une culture qu’ils justifient leurs choix. Leurs discours expriment en fait une volonté forte de se distinguer de leurs contemporains. Ils veulent « s’approprier de pratiques temporelles, corporelles et psychologiques exigeantes », opposées au conformisme ambiant.

La sociabilité, c’est-à-dire l’affectivité au sein des relations, est aussi un des facteurs qui attirent les pratiquants. La pratique s’inscrit toujours dans un cadre collectif. Les différentes formes de bouddhisme offrent suffisamment d’institutions différentes pour plaire à toutes les sensibilités. Comme les exercices n’existent qu’au sein des espaces bouddhistes, les pratiquants finissent par s’enfermer dans un certain communautarisme.

L’auteur de la thèse souligne que les pratiquants relèvent en grande majorité de la classe moyenne de la société thèque. À plusieurs reprises, il note que la participation aux exercices nécessite un minimum de ressources financières et culturelles que détiennent les membres de cette classe. Les bienfaits qui transparaissent dans les entretiens relèvent des valeurs de cette classe, notamment la recherche authentique de développement et de réalisation de soi, ou encore l’agir authentique.

Conclusions de l’étude

Qu’est-ce que le bonheur ? Dans les témoignages des pratiquants bouddhiques, nous pouvons noter que leur moi est au centre de leurs préoccupations. La morale qui s’en dégage est une morale centrée vers soi. L’altruisme ou encore le bien-vivre relationnel n’ont aussi de valeur que dans leur affectivité relationnelle qui en émane. Il reste en effet au niveau de l’affectivité ou de la sensibilité. C’est encore de l’égocentrisme. Comme l’évoque l’auteur de la thèse, ces valeurs ne sont pas si éloignées du néolibéralisme et finalement de l’esprit de la société contemporaine que les pratiquants tentent pourtant de se distinguer. La morale de ces pratiquants n’est donc pas une alternative à la morale actuelle, qu’ils condamnent pourtant, mais elle est distincte.

Après avoir rappelé les différentes études sur la société de consommation, l’auteur de la thèse peut alors conclure : les valeurs prônées par le bouddhisme occidental ne sont pas en effet différentes de celles de la société de consommation. Le bouddhisme occidental est en effet caractérisé par le positionnement central de l’individu dans ses organisations, par le rôle porté à l’expérience religieuse individuelle et affective autour de l’identité au détriment de la croyance, jugée plus secondaire, par la place cruciale du corps qui doit être performant, par l’esthétisation de la façon de vivre, par la financiarisation des activités conçues comme une activité commerciale, par une proposition de services à la carte, par l’autonomie de l’individu avec flexibilité et souplesse dans les adhésions, par l’accompagnement d’une expérience collective, par la sociabilité autour d’une activité commune, émotionnelle, dans des espaces dédiés, par la diffusion de guides pratiques au quotidien, médiation d’experts, etc.  

Contrairement à certains discours, « il n’est plus possible de présenter le bouddhisme comme une solution à la culture de consommation. Au contraire, il est conforme aux principes de cette culture. » Cela explique notamment que les pratiquants ne sont pas à la marge de la société. C’est plutôt leur entourage qui leur renvoie une image marginalisant, ce qui semble les réconforter dans leurs pratiques.

Le paradoxe du bouddhisme vécu

Pourtant, les pratiquants soulignent le statut minoritaire et la spécificité du bouddhisme dans ses pratiques, ses représentations et ses valeurs par rapport à la société contemporaine, c’est-à-dire la société de consommation. « Ils s’opposent au bonheur narcissique, à l’individualisme, à la violence, au matérialisme, au dualisme, au christianisme et à la sécularisation, en proposant une éthique authentique, des collectifs, le développement psychologique, le regard holiste de l’individu et un style de vie religieux. » Et comme nous l’avons déjà évoqué, ils veulent se démarquer de nos contemporains.

L’auteur de la thèse explique alors ce paradoxe comme une position de classe, d’une classe moyenne qui s’approprie d’une image innovante et authentique par opposition à celle de la classe populaire, plus conformiste. Le bouddhisme occidental lui apparaît donc comme un moyen d’affirmer son identité.

Conclusions

Les auteurs à grand succès de librairie et forts de leur notoriété médiatique expliquent le développement du bouddhisme dans la société occidentale par les qualités inhérentes des pratiques bouddhiques, évitant de traiter de ses fondements religieux. Ils décrivent le bouddhisme comme une solution au mal-être actuel, n’hésitant pas à se justifier par des données scientifique. Leurs intentions ne sont pas différentes de ceux qui, au XIXe siècle, ont dessiné un bouddhisme propre à remplacer ce qu’il combattait, c’est-à-dire le christianisme et la morale chrétienne. Il est toujours présenté comme une voie de salut, opposée au chemin que prend la société et qui mènerait au malheur, à la détresse, à la souffrance. Mais cette représentation est erronée et mensongère comme le sont nos réclames publicitaires.

Mais leur rhétorique ne trompe pas les différentes études sérieuses qui portent sur les pratiquants. Les pratiques bouddhistes correspondent en effet parfaitement à la société contemporaine. Elles développent en effet les valeurs qu’elle défend. Elles sont aussi organisées selon les principes de cette société. Le bouddhisme vécu n’est finalement qu’une voie différente, et non opposée, à celle qu’empruntent leurs contemporains. Ils recherchent la même chose. Ils sont conduits par les mêmes désirs. Ils vont vers le même objectif mais de manière différente. Et c’est justement la raison du succès du bouddhisme occidental. Parfaitement adapté à notre société et à ses valeurs, le bouddhisme occidental leur offre l’illusion de la différence. Il est en fait le cas typique d’une religion de consommation, d’un culte du bien-être, d’un moyen de satisfaire l’égocentrisme et le solipsisme de nos contemporains. Elle n’est donc qu’une chimère supplémentaire qui ne peut conduire qu’à la désillusion amère.


Notes et références

[1] Voir Émeraude, octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances élémentaires. Diversité et socle commun ».

[2] Voir Émeraude, octobre 2020, « Bouddhismes : malentendus et mensonges, confusions et contradictions, causes d'un plus grand mal-être » et novembre 2020, article « Le bouddhisme occidental ou le néo-bouddhisme, mensonges et préjugés. Un piège savamment organisé... ».

[3] Zuzana Bártová, Le bouddhisme comme style de vie organisé pour les classes moyennes dans la culture de consommation : analyse de la religiosité des pratiquants bouddhistes en France et en République tchèque, introduction, §1, Religions, Université de Strasbourg, 2019, archives ouvertes, https://tel.archives-ouvertes.fr, 19 mai 2020.

[4] Voir Émeraude, novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur produit des idéologies du XIXe siècle ».

[5] Marion Dapsance, Sur le déni de la religiosité du bouddhisme, Un instrument dans la polémique antichrétienne, 2015.

[6] Marion Dapsance, Sur le déni de la religiosité du bouddhisme, Un instrument dans la polémique antichrétienne, 2015.

[7] Fabrice Midal, Études, octobre 2013.

[8] F. Lenoir, Le bouddhisme en France, Fayard, 1999.

[9] Voir A Time to Chant. The Soka Gakkhai Buddhsts in Britain, Bryan Wilson et Kael Dobbelaere, 1994, Claredon press.

[10] Voir Louis Hourmant, , La relation à l'objet sacré dans un culte néo-bouddhique, Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 12 | 1993, mis en ligne le 03 décembre 2013, consulté le 30 avril 2019, http://journals.openedition.org/, L. Harmand est auteur d'une thèse La construction du croire au sein du mouvement bouddhisme Soka Gakkai en France, 2009.

[11] B. Etienne et R. Logier, Être bouddhiste en France aujourd’hui, Hachette littérature, 2004.

[12] L. Obadia, Bouddhisme en Occident. La diffusion du bouddhisme tibétain en France, L’Harmattan, 1999.

[13] T. Mahé, Le bouddhisme des Français. Le bouddhisme tibétain et la Soka Gakkai en France : contribution à une sociologie de la conversion, L’Harmattan, 2004.

[14] Zuzana Bártová, Le bouddhisme comme style de vie organisé pour les classes moyennes dans la culture de consommation : analyse de la religiosité des pratiquants bouddhistes en France et en République tchèque, chapitre 1, §2.1.

[15] D. Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti.

[16] Voir Émeraude, août 2020, article « Le culte du bien-être : syndrome, obsession, narcissisme.  Réalité de l'égoïsme et du solipsisme de l'homme moderne. ».

[17] Zuzana Bártová, Le bouddhisme comme style de vie organisé pour les classes moyennes dans la culture de consommation : analyse de la religiosité des pratiquants bouddhistes en France et en République tchèque, 2ème partie, chapitre 2, §3.2.

[18] Zuzana Bártová, Le bouddhisme comme style de vie organisé pour les classes moyennes dans la culture de consommation : analyse de la religiosité des pratiquants bouddhistes en France et en République tchèque, 2ème partie, chapitre 2, §3.2.

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