Depuis
que nous étudions le protestantisme, ses origines et ses causes, depuis Ockham
jusqu’à Calvin, nous découvrons le rôle essentiel qu’ont tenu l’Empereur et les
princes dans une histoire qui aurait dû se réduire à une affaire purement
religieuse. Certes, dans la chrétienté médiévale, l’intervention du politique
dans les affaires de l’Église ne peut guère surprendre tant le christianisme
imprégnait, innervait, vivifiait la société de ce temps. Mais, avant que n’éclate
la révolution religieuse de Luther, nous voyons se produire lentement un
bouleversement, ou plutôt une véritable rupture, qui, sans-doute, explique en partie
cette révolution ou du moins l’a fortement favorisée. Que seraient devenu en
effet Luther sans l’intervention des seigneurs allemands ? L’Eglise
d’Angleterre, prélude à l’anglicanisme, n’est-elle pas l’œuvre des rois
d’Angleterre ? Ainsi, il est temps pour nous de nous attarder davantage
sur les relations entre l’Église et l’État.
Les différents rapports entre l'Église et l'État
Les différents rapports entre l'Église et l'État
Les rapports entre l'Église et l'État ont soulevé et soulève encore de nombreux problèmes. "Il n'en est pas de plus ardu que les Chrétiens aient eu à résoudre et si aucune solution satisfaisante n'a jamais pu lui être trouvée, c'est sans-doute parce qu'il n'en existe point et qu'il est de la condition de l'homme qu'entre le spirituel et le temporel se maintienne une tension."[1]
Depuis sa fondation, l'Église a connu diverses situations dans ses rapports avec l'État :
- l'opposition, voire la persécution, pour des raisons religieuses, politiques ou idéologiques ;
- la neutralité ou l'indifférence, l'État ignorant les activités de l'Église ;
- la collaboration entre l'Église et l'État, avec plus ou moins de frictions entre les deux autorités lorsque l'une tente de soumettre l'autre.
Il peut ainsi exister différents types de relations entre l'Église et l'État, entre le Pape et le Prince, entre les pouvoirs spirituels et temporel, entre les prêtres et les seigneurs. Nous pouvons en discerner trois principales :
Depuis sa fondation, l'Église a connu diverses situations dans ses rapports avec l'État :
- l'opposition, voire la persécution, pour des raisons religieuses, politiques ou idéologiques ;
- la neutralité ou l'indifférence, l'État ignorant les activités de l'Église ;
- la collaboration entre l'Église et l'État, avec plus ou moins de frictions entre les deux autorités lorsque l'une tente de soumettre l'autre.
Il peut ainsi exister différents types de relations entre l'Église et l'État, entre le Pape et le Prince, entre les pouvoirs spirituels et temporel, entre les prêtres et les seigneurs. Nous pouvons en discerner trois principales :
- l'indépendance ;
- la prééminence ;
- la domination.
L'Église et l'État, indépendants dans leur sphère de compétences ?
- la prééminence ;
- la domination.
L'Église et l'État, indépendants dans leur sphère de compétences ?
Le
premier type de relations est l'indépendance : chaque autorité gouverne ce qui
relève de sa sphère de compétences. Ainsi, le prince n’intervient que dans les
affaires temporelles alors que le prêtre ne s’occupe que du domaine religieux
ou surnaturel. Il y a donc indépendance entre l’État et l’Église, chacun restant dans
son domaine de responsabilité. Cela implique une distinction nette et même entre les pouvoirs temporel et religieux, allant jusqu'à une séparation.
Mais
une telle coexistence n’est guère simple ou plutôt elle implique une certaine
conception de l’Église. Elle signifierait en effet que l’Église est seulement
spirituelle et que la vie religieuse relève uniquement de la vie privée de
l’individu, ce qui est contraire à l'enseignement de l'Église.
C'est notamment oublier que l’Église est constituée de biens physiques pour pouvoir mener
ses actions. Les bâtiments religieux, les dons des fidèles, les manifestations
religieuses tels les pèlerinages sont des exemples qui montrent bien l’ancrage
de l’Église dans la société. C’est aussi oublier l’histoire qui montre avec
force et clarté les liens existants entre la société et la foi de ses membres. Les
accords entre l’Église et les États, appelés concordats, sont une autre preuve encore plus concrète de la nécessité d’une relation entre eux. Elle démontre
l’impossibilité pour eux de vivre dans des sphères complètement séparées comme
si l’homme n’avait point ni histoire ni passé.
Le
domaine de compétence de l’Église ne s’enferme pas non plus entre quatre murs.
Elle intervient auprès des fidèles et des communautés, par sa doctrine et sa
morale. Elle influence et motive les Chrétiens, leurs relations avec leurs
contemporains et leurs actions au sein de la société. Les fidèles n’hésitent
pas à manifester lorsque les lois s’opposent à l’enseignement de l’Église. La
désobéissance peut être peu bruyante, peu visible, imperceptible à l’égard d’un
État quand celui-ci foule aux pieds la morale chrétienne.
Enfin,
il ne faut pas oublier que l’Église et l’État agissent sur les mêmes personnes
et veulent chacun, au moins en principe, leur bonheur et répondre à leurs
besoins. Comme l’État, l’Église a par exemple un devoir d’enseignement. Lorsque
leur but diffère, lorsque le bonheur qu’ils proposent sont différents ou
antagonistes, peuvent-ils vraiment s’ignorer ?
Finalement,
contrairement à certaines pensées réductrices, l’Église ne limite pas son
pouvoir et son action à la sphère privée du Chrétien ou aux fidèles eux-mêmes. Elle
touche aussi la société, lui propose un modèle, l’assiste dans ses faiblesses,
l’éclaire de sa lumière, se lève quand elle s’égare. Les deux pouvoirs,
temporels et religieux, ne peuvent donc pas s’ignorer. Il y a bien une
interdépendance entre eux. Par conséquent, il est faux de croire à une
indépendance entre elles. Parlons plutôt d’une autonomie plus ou moins grande.
La difficulté est alors de définir celui qui la garantit et les moyens de
l’assurer.
L'Église et l'État, une relation de prééminence ?
L'Église et l'État exercent leur autorité dans leur
sphère de compétences, préservant ainsi leur autonomie, mais que se passe-t-il
en cas de conflit ou de litige ? Qui entre ces deux autorités exerce
l’arbitrage rendu nécessaire ? Et lorsque dans une sphère de compétence,
le désordre règne, quand l’une des deux autorités faiblit ou n’assure plus ses
fonctions, qui peut intervenir pour la paix et l’ordre de la
société ?
"La Papauté", illustration d'un ouvrage du XIIe siècle |
L'Église et l'État, un rapport
de domination
Empereur Otton III, enluminure du Xe siècle |
Ainsi,
l’une des autorités, religieuse ou politique, se définit comme autorité suprême
aussi bien dans les choses temporelles que religieuses, allant jusqu’à
confondre ses deux pouvoirs ou reléguant l’autre à une autorité subalterne.
Autonomie,
prééminence ou domination, telles sont les trois principaux rapports qui
peuvent exister entre l'Église et l'État. Ils sont sources de conflits ou de confrontations ou peuvent être bénéfiques et féconds. Ils dépendent en fait de la séparation plus ou moins grandes des pouvoirs religieux et temporel. Distincts dans le christianisme, ils peuvent être confondus dans les mains d'une autorité religieuse ou politique, ou plus ou moins séparés, ou encore leur rapport hiérarchisé, l'un primant sur l'autre.
Des
doctrines sur les rapports entre l’Église et l’État
Il
existe de nombreuses doctrines définissant les liens entre eux. L’augustinisme
politique ou le laïcisme en sont des exemples les plus classiques. Marsile de
Padoue et Ockham ont aussi élaboré un système donnant à chacun de ces pouvoirs
un rôle et des limites dans la société. Le premier penseur tente de démontrer
que l’autorité politique est supérieure à l’autorité spirituelle. Le second
penseur, moins radical, cherche à cloisonner les autorités dans leur sphère de
compétence tout en privilégiant la primauté du politique. Aujourd’hui, les
discours politiques sont imprégnés de laïcité, voire de laïcisme. La laïcité
professe la neutralité ou l’impartialité dans le domaine religieux alors que le
laïcisme, « radicalisation de la laïcité »,
professe l’exclusion de la religion dans les institutions publiques, voire dans
l’espace publique, pour la remplacer par elle-même. Elles défendent fermement
la séparation dans l’Etat de la société civile et de la société religieuse. Néanmoins,
l’État applique son autorité si l’ordre est menacé dans la société, ce qui
revient à affirmer sa primauté sur l’Église.
Urbain II en présence du roi de France Philippe 1er |
Mais,
les doctrines viennent souvent en réaction à un état existant ou pour répondre
à un besoin particulier. Marsile de Padoue construit son système en appui
auprès de l’empereur Louis de Bavière en lutte contre le Pape afin de remettre
en cause la prééminence du Souverain Pontife sur l’Empereur. Dans ses Dictatatus
papae, Saint Grégoire VII définit notamment la primauté du Pape sur
l’Empereur dans le cadre de la réforme qu’il entreprend pour combattre les abus
et scandales qui affligent l’Église. L’abus de pouvoir
des seigneurs est en effet une des causes de la décadence qu’elle connaît.
L’importance
des circonstances et du contexte
Réconciliation entre le Pape Alexandre III et l'Empereur Barberousse |
L’histoire
montre aussi que les rapports entre l’Église et l’État ont varié au cours du
temps. Des empereurs ou des princes ont voulu contrôler la religion ou l’utiliser comme organe de
gouvernement alors que les hommes d’Église ont aussi cherché à les diriger ou les orienter
pour ses intérêts ou ceux des fidèles. De telles volontés plus ou moins fortes
et affirmées ont conduit naturellement à une grande méfiance, à de l’indifférence,
voire à une hostilité, plus ou moins grandes, à une confrontation, plus ou
moins violente. L’histoire garde ainsi en mémoire la longue querelle entre les
Papes et les Empereurs germaniques, du XI au XIIe siècle, chacun cherchant à préserver leur liberté
d’action face à la tendance hégémonique de son adversaire.
Saint Loup, évêque de Troyes, devant Attila en 451 |
Mais
les relations entre ces deux pouvoirs ne se réduisent pas uniquement à un
rapport de force. L’autorité temporelle peut vouloir appliquer ce qu’elle
croît, ce qu’enseigne l’Église, mener une politique conforme à la foi et à la
morale chrétienne, ce qui implique alors une collaboration entre l’État et
l’Église, chacun cherchant néanmoins à sauvegarder leur souveraineté dans leur
sphère de compétence. Telle a été la situation dans le royaume de France au
temps de Saint Louis. Cela devient plus difficile quand l’État veut mener une
politique contre la morale chrétienne, entraînant nécessairement des frictions
avec l’Église. La situation peut s’avérer encore plus tendue quand les intérêts
de l’État s’opposent à ceux de l’Église. La chrétienté a disparu quand les
intérêts particuliers ont dominé sur ceux de la chrétienté…
Enfin,
les rapports peuvent s’avérer plus simple quand les membres qui composent l’État
sont en très grande majorité des Chrétiens au point que le catholicisme peut
être considéré, officiellement ou non, comme la religion d’État. Les autorités
religieuses et temporelles peuvent alors mener une politique cohérente dans
l’intérêt des fidèles qui sont eux-mêmes les sujets ou les citoyens de l’État. En
fait, en considérant la France, jusqu’au XVIIIe siècle au moins, la société
civile et la société chrétienne sont confondues. Il est alors difficile de
vouloir les distinguer. La laïcité n’a aucun sens dans de telles conditions.
Cela est différent quand la société est païenne, les autorités politiques
anticléricales ou quand l’État se veut athée ou opposé à la religion
chrétienne. Nécessairement, l’Église ne peut espérer une collaboration, encore
moins une prééminence. L’indifférence, l’ignorance, voire la persécution,
définissent alors les rapports qui les lient.
Ainsi,
les rapports qui existent entre l’Église et l’État ne résultent pas
nécessairement d’une doctrine. De nombreux facteurs peuvent les expliquer. Le point sans-doute le plus important est d’évaluer la différence qui
sépare la société civile de la société chrétienne. Plus elles sont éloignées
l’une de l’autre, plus les pouvoirs, spirituels et temporels, tendent à se
séparer et à s’ignorer. Néanmoins, cela ne doit pas nous faire négliger
l’importance et l’influence des différentes doctrines qui ont aussi guidé les
autorités religieuses et politiques.
Conclusion
L’Église
ne peut mener ses missions sans qu’elle intervienne dans le monde. Elle
n’appartient pas au monde et ne vit pas selon l’esprit du monde. Mais elle
demeure dans le monde dans l’intérêt des fidèles et de leur salut. Elle
intervient nécessairement dans la société afin d’accomplir la fin que Notre Seigneur
Jésus-Christ lui a fixée. L’État a aussi un rôle à jouer dans l’intérêt de ses
membres. Ainsi, inévitablement, l’Église et l’État ont des relations entre eux.
Mais
l’Église et l’État sont aussi deux autorités qui exercent des pouvoirs de
nature différente, spirituel et temporel. L’histoire garde encore en mémoire des rapports conflictuels
ou des collaborations fructueuses entre eux. Grande a été la
tentation de confondre ses deux pouvoirs et de les réunir dans une seule
personne. À de nombreuses reprises, l’une d’entre elles a défendu sa primauté sur
l’autre, de manière pragmatique et en développant des doctrines justifiant son attitude. Chacune des autorités a aussi lutté pour préserver sa liberté
d’action et combattu tout abus de pouvoir. Les circonstances ont souvent
conduit l’Église ou l’État à réagir contre un empiétement de pouvoir. Il est en
effet difficilement concevable de voir deux autorités s’exercer sur la société
sans que l’une ne cherche à dominer l’autre. Aujourd’hui encore, dans un État
laïc, le pouvoir temporel exerce une certaine primauté sur l’Église dans la
société, l’enfermant dans une drôle d’existence, la confinant dans la vie
privée des individus comme si l’Église se limitait à quatre murs !
Aujourd’hui
encore, les relations entre l’Église et l’État demeurent un sujet d’actualité.
La laïcisation de la société soulève bien des questions chez les Chrétiens qui
constatent ces méfaits sur l’Église elle-même, sur sa lente et indifférente
subordination à l’État. Avec la puissante montante de l’Islam en France,
certains hommes politiques veulent remettre en cause les rapports entre l’État
et toutes formes de religion. Dans le cadre de notre étude sur le
protestantisme, nous voyons aussi l’importance de ce sujet. La nature des
rapports implique en effet nécessairement une nouvelle forme de société et influence
la vie religieuse de ses membres…
En plusieurs articles, nous allons désormais approfondir ce sujet complexe...
Notes et référenes
[1] Daniel-Rops, L'Église de la Cathédrale et des Croisades, V, Fayard, 1952.
En plusieurs articles, nous allons désormais approfondir ce sujet complexe...
Notes et référenes
[1] Daniel-Rops, L'Église de la Cathédrale et des Croisades, V, Fayard, 1952.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire