" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 17 février 2018

Wiclef, un précurseur de Luther

Au cours de l’histoire, des hommes ou des mouvements ont marqué leur époque par leurs actions, leurs écrits ou par leurs pensées, par le bien ou par le mal qu’ils ont apporté à l’humanité. Leur présence s’étend alors au-delà de leur existence. Comme une source s’écoulant sur les flancs d’une montagne, grossissant au fur et à mesure de son parcours jusqu’à nourrir un fleuve, ils contribuent au développement de la société et des hommes sur plusieurs générations. Certains finissent par être oubliés ou par être remplacés, d’autres persistent dans notre mémoire collective. Parfois, notre regard s’attarde tellement sur leur vie et sur leur influence que nous croyons qu’ils ont apparu par enchantement et réussi par leur seule force. Or avec un peu plus de recul, nous saisissons vite notre erreur. Ils naissent d’abord dans un environnement qui leur est favorable, capable de les entendre et de les appuyer, voire de multiplier leurs actions et de porter loin et en profondeur leurs paroles et leurs actions. Luther aurait-il eu autant de succès au temps des Pères de l’Église ou dans l’Espagne très catholique du XVIe siècle ? Puis ils sont en quelques sortes préparés par d’autres qui leur aménagent et préparent le terrain. Ce sont les précurseurs. Certains sont proches d’eux, encore vivants, d’autres ont déjà disparu, voire oublié. Pourtant sans eux, rien n’aurait pu se passer. L’histoire aurait continué sa route sans être marquée ni changée en bien comme en mal.

Lorsque nous étudions une doctrine ou un mouvement, ou encore un des hommes marquants de l'histoire, nous devons donc porter notre regard, non seulement sur les conditions qui ont permis leur épanouissement, conditions religieuses, sociales, politiques, intellectuelles, etc., mais aussi sur les hommes qui ont contribué à leur naissance et à leur développement. Ainsi, il n’est point possible d’étudier Luther et le début du protestantisme sans connaître ses précurseurs. Dans nos articles, un nom est souvent cité, celui de John Wiclef. C’est pourquoi nous vous proposons de mieux le connaître.

John Wiclef sous l’influence du maître Bradwardine

John Wiclef, dit encore Wyclif, Wycliff ou encore Wycliffe, est né vers 1324 dans le village de Wycliff, un petit village de Yorkshire, d’où il a tiré son nom. Il appartient à une famille anglo-saxonne de la basse noblesse. Destiné au clergé séculier, il étudie la philosophie et la théologie à l’Université d’Oxford. Il a été fortement impressionné par Thomas Bradwardine. Attardons-nous sur ce dernier.

Thomas Brawardine (v. 1290-1349) est d’abord professeur puis chancelier de l’Université d’Oxford avant d’être archevêque de Cantorbéry. Il est à la fois théologien, mathématicien et physicien, auteur de nombreux traités de logique et de science. C’est un homme passionné d’augustinisme. Dans un traité qu’il écrit contre le pélagianisme[1], il s’oppose à tous ceux qui défendent la volonté de l’homme au détriment de la grâce. Soulignant la toute-puissance divine, il défend l’idée que rien ne peut s’opposer à la volonté de Dieu et que sa volonté est maîtresse souveraine de tout, et cause nécessitante de tout être et de tout devenir. Ainsi chaque acte de la volonté humaine, présent ou futur, est déterminé de toute éternité. Il démontre, de manière presque mathématique, un certain prédéterminisme en Dieu. « Tout ce qui arrive arrive par nécessité. » [2] Cela est vrai aussi pour le mal et le bien. « Dieu, dit-il, veut l’acte peccamineux indirectement et relativement, tandis qu’il veut directement et absolument l’acte bon »[3]. Dieu opère donc dans les créatures le bien et le mal. Il veut certes éviter la conclusion que Dieu est l’auteur du mal, mais il n’y parvient clairement. Ne soulignant alors que la toute-puissance divine, Bradwardine semble ne laisser guère de place à la liberté humaine et au mérite. L’homme n’est en fait libre que dans la mesure où ses actes sont indépendants de toute cause autre Dieu. « Être libre, c’est être serf de Dieu, serf spontané, dis-je, et non contraint. »[4] Nous ne sommes guère éloignés du protestantisme.

De la doctrine de Bradwardine, Wiclef retiendra l’idée de l’absolue et universelle efficacité divine et de la prédestination qui détermine toute chose. Ce n’est donc pas la Sainte Écriture qui est à l’origine de sa doctrine comme de celle des protestants mais bien de la raison et encore de la scolastique contre laquelle pourtant ils se sont fortement opposés.

Très jeune, Wiclef connaît rapidement la renommée au-delà de l’Université d’Oxford. De nature plutôt impulsive, il est réputé pour sa combativité, voire sa ténacité. Son souci de réforme et ses attaques contre les scandales qui affligent l’Église le rend populaire.  Dans ses conférences et ses sermons, il se dresse en effet avec violence contre les abus de l’Église et la dépravation du clergé qu’il accuse d’être trop attaché aux biens de la terre. Sa popularité s’explique aussi par un certain nationalisme. Il se fait le défenseur de la nation anglaise en défendant les droits du royaume contre les prétentions du Pape.

Les Ordres mendiants, la bête noire de Wiclef

Deux circonstances ont aussi permis à Jean Wiclef de sortir de l’anonymat et de marquer l’histoire de son empreinte. La première concerne la désapprobation générale qui frappe les Franciscains à l’Université d’Oxford. Une querelle les oppose aux enseignants et au clergé séculier. Ils sont notamment accusés d’accaparer toutes les bonnes places universitaires et d’attirer toute la jeunesse anglaise. Dans cette querelle, Wiclef se montre virulent et acerbe. Il en est même l’un de leurs plus violents adversaires. Son intervention sera récompensée. Ainsi lorsqu’en 1565, l’archevêque de Cantorbéry, Islip, finit par renvoyer les Franciscains du College Hall qu’il a fondé à Oxford, il met Wiclef à leur place. Mais à sa mort, il est remplacé par un évêque favorable aux Franciscains. Il les réintègre à l’école puis renvoie Wiclef. Furieux, ce dernier en appelle à la cour pontificale mais il perd son procès en 1370. Il en éprouvera certainement une certaine colère contre le Pape et contre la hiérarchie ecclésiastique.

Wiclef, un défenseur des droits du royaume d’Angleterre contre les prétentions pontificales

Une autre circonstance permet à Wiclef de jouer un rôle important en Angleterre. Alors que sa cause traîne en longueur au Saint-Siège installé à Avignon, une querelle oppose Édouard III, roi d’Angleterre, et le Pape Urbain V sur le versement d’un tribut annuel. Depuis Jean-Sans-Terre, l’Angleterre s’était en effet engagée à payer une redevance au Pape à titre de vassal. Or, à partir de 1332, elle n’est plus versée. En 1365, Urbain V réclame les trente-trois ans d’arrièrages. Or, le royaume d’Angleterre est engagé dans la Guerre de Cent ans. Il ne peut se permettre de payer un tel tribut alors que la guerre réclame sans-cesse des ressources. En outre, l’argent que réclame le Pape, alors français, ne risque-t-il pas d’enrichir son ennemi, le roi de France ? Le roi anglais accuse en effet le Pape de développer la fiscalité et d’augmenter les impôts pour mettre son trésor au service du roi de France. Ainsi, sous ce prétexte, il refuse le tribut réclamé. Mais cela ne suffit pas. Il cherche à justifier son refus en évoquant le droit. En mai 1366, le Parlement déclare que l’engagement pris par Jean-Sans-Terre était un abus de droit, donc illégitime, et qu’en acquiesçant à la demande d’Urbain V, le roi compromettrait l’indépendance du royaume d’Angleterre, ce qui est contraire à ses devoirs. C’est à ce moment que Wiclef intervient dans cette querelle politique.

Dans un mémoire, Wiclef prouve, contre un Franciscain, le bien-fondé de la thèse du Parlement. Il rejette toute idée de vasselage de l’Angleterre envers la Papauté. Son écrit va encore plus loin. Il expose une doctrine qui sera ensuite une des idées maîtresses de sa pensée : comme Dieu seul a le droit de propriété, ceux qui possèdent tiennent de Lui leurs droits, et par conséquent, ils ne peuvent en jouir que s’ils sont en état de grâce. Mais certains détenteurs de bien sont en état de péché mortel donc séparés de Dieu. Certes, ils peuvent avoir une possession de fait mais non de droit. Ainsi le pouvoir civil est autorisé à dépouiller le clergé de ses biens si celui-ci en fait un mauvais usage. Wiclef utilise des raisons religieuses pour justifier la détention de biens et leur confiscation au profit de l’État. Nous pouvons comprendre sans difficulté les conséquences d’une thèse, conséquences tant religieuses que politiques et sociales, qui la rendra si attractive à certains souverains. Luther l’utilisera pour justifier la sécularisation des biens ecclésiastiques.

Le mémoire de Wiclef le rend rapidement célèbre, surtout auprès du roi, en quête de justification dans son combat contre la Papauté. Pour le récompenser, il devient son chapelain et obtient une chaire de théologie à Oxford en 1372. En outre, le roi anglais apprécie les qualités de négociations, notamment son habileté, qu’il a manifestée au cours des discussions qu’il a menées avec le Pape. En signe de reconnaissance, il lui accorde une nouvelle chaire à la cure lucrative de Lutter Worth dans le comté de Leicester en 1374.

Un violent réformateur contre les abus du clergé

Ainsi, Wiclef peut prêcher en toute liberté, sans difficulté financière et avec le soutien du souverain. Il n’hésite donc pas dans ses sermons et ses conférences à attaquer la fiscalité pontificale, les biens temporels de l’Église, les religieux mendiants et même les clercs séculiers. Ses attaques concernent encore leur richesse et leurs biens. Ses discours sont d’une extrême violence. Le Pape est « l’homme du péché », « Gog le chef du clergé césarien », « le membre de Lucifer » …

Mais ses discours ne lui suffisent pas. Wiclef forme aussi des prédicateurs qu’il envoie prêcher l’Évangile, interprétée selon sa pensée, dans les campagnes, dans les chapelles ou sur les places publiques. Ses missionnaires se présentent comme de véritables prêtres, vêtus de soutanes d’une grossière étoffe rouge brun, le bâton à la main. Plus tard, ces prédicateurs formeront la secte qu’on désignera sous le nom des Lollards. Ils répandront les doctrines de Wiclef jusqu’à Prague…

Cependant, les discours virulents de Wiclef contre le clergé et ses doctrines qui se répandent sont de moins en moins appréciés par les autorités religieuses. L’évêque de Londres le fait comparaître devant un tribunal. Les juges lui imposent le silence sur un certain nombre de points controversés. Mais, se sentant soutenu par la cour royale, et plus particulièrement par le fils d’Edouard III, le duc de Lancastre, il continue d’enseigner et de prêcher ses théories sans prendre en compte la décision ecclésiastique. Rome est alors saisie de la question. Ses adversaires envoient à la curie romain dix-neuf propositions extraites de ses écrits ou de son enseignement oral. Le Pape Grégoire XI demande à l’archevêque de Cantorbéry et à l’évêque de Londres d’interroger de nouveau Wiclef sur le sens des propositions incriminées et de le retenir en prison en attendant ses instructions. Mais, soutenu par le duc de Lancastre, devenu régent du royaume à la mort d’Édouard III, il n’est pas emprisonné. En outre, sur la demande du Parlement, il démontre que les censures du Pape contre le refus du royaume d’Angleterre d’exporter de l’argent hors du royaume sont nulles et il traite le Souverain Pontife d’Antéchrist.

Une remise en cause des dogmes

Le combat que mène Wiclef contre l’Église change de nature. Après avoir remis en cause, dans un premier temps, l’autorité pontificale et celle du clergé, ainsi que leur droit de propriété, il s’attaque désormais à certains dogmes. Il affirme notamment avec force que la Sainte Bible est l’unique source de la foi et que le droit de l’interpréter n’est pas réservé au Pape et aux évêques. L'homme simple peut mieux l’entendre qu’un savant si Dieu l’a destiné au bien. Certes, les Docteurs peuvent éclairer parfois sur le sens de certains versets mais leur interprétation n’est acceptable que si elle ne contredit pas la moindre phrase de la Sainte Bible. Encore une idée que Luther reprendra… En 1378, il commence à traduire la Sainte Écriture en langue anglaise.

La même année, dans son traité sur l’Église, il en vient à remettre en cause la notion même de l’Église. Wiclef distingue avec beaucoup de force l’Église hiérarchique de l’Église invisible mais bien réelle. Il considère cette dernière comme l’assemblée des élus et eux seuls alors que la première est composée de baptisés qui sont attirés par la mal sans savoir s’ils seront sauvés. Le Pape, les évêques et les prêtres ne peuvent pas non plus être sûrs de leur salut, leur autorité ne peut non plus être sûre. Seuls les prédestinés peuvent en fait jouir du sacerdoce surnaturel. Néanmoins, l’Église institutionnelle est nécessaire pour les fidèles car elle leur communique la grâce incluse dans la Sainte Écriture et les Sacrements.

Or, selon Wiclef, l’Église visible s’est arrogé des pouvoirs qui ne lui reviennent pas, développant des institutions superflues et recommandant des pratiques stériles. « Prélats et abbé, moines, chanoines et religieux mendiant, tous les tonsurés, même s’ils vivent mal ? »[5] L’autorité ecclésiastique est-elle encore valable en état de péché ? Que deviennent l’autorité des clercs s’ils bafouent l’humilité et la pauvreté ? Le déclin de l’Église a commencé au moment où Constantin et Silvestre se sont entendus pour l’enliser dans la puissance temporelle. Le remède est alors simple. C’est aux rois de dépouiller l’Église de sa richesse et de lui faire respecter la loi de l’Évangile. Il leur appartient de la purifier. Ainsi elle doit se réformer sous la contrainte que l’État doit exercer sur elle.

Dans son De officio regis, Wiclef établit une théorie du droit royal divin indépendant de la souveraineté ecclésiastique. Ainsi le pouvoir politique le soutient fortement.

En 1381, Wiclef s’attaque à la doctrine des sacrements, notamment sur l’Eucharistie. « L’hostie consacrée, que nous voyons sur l’autel, n’est ni Christ ni en tout ni en parti, mais un signe efficace de sa présence. » Il défend l’idée que le pain est encore présent avec le Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette doctrine sera aussi celle de Luther…

Vers une paisible condamnation

La doctrine de Wiclef inquiète l’archevêque de Cantorbéry. Une commission de l’Université d’Oxford juge en effet ses idées hérétiques. Le chancelier l’interdit donc de les enseigner dans les écoles. De nouveau, Wiclef n’en tient pas en compte. Il se sent bien trop protégé pour en être inquiété. Ainsi continue-t-il de les prêcher et de poursuivre ses diatribes. Mais, contrairement à ce qu’il pense, le duc de Lancastre refuse désormais de le soutenir sur le terrain des dogmes. Il finit par lui retirer son appui. Il peut tolérer son combat en faveur des droits de la société civile contre le Pape mais il refuse toute attaque sur les dogmes.

La situation de Wiclef devient encore plus difficile lorsqu’en 1558, dans le soulèvement dit des Travailleurs, des paysans se révoltent contre les seigneurs au nom de ses idées. Ils pillent les châteaux et les maisons des seigneurs ecclésiastiques et laïques. L’archevêque de Cantorbéry et sa famille sont massacrés. Excités par des clercs rebelles et vagabonds, ils veulent appliquer à leur façon les idées de Wiclef. Ce dernier se trouve alors gravement compromis. Il est naturellement rendu responsable des troubles qui agitent l’Angleterre. Beaucoup de ses partisans finissent par l’abandonner.







Le nouvel archevêque de Cantorbéry, Guillaume de Courtenay, juge alors le moment opportun pour mettre fin aux prédications de Wiclef. En mai 1382, un concile, qu’il a convoqué, examine vingt-quatre propositions extraites de ses écrits. Après quelques jours de délibération, il en condamne dix comme hérétiques et les autres comme erronées. Quelques jours après, dans une ordonnance, l’archevêque interdit toute personne de prêcher ces propositions et menace d’arrêter tout contrevenant. Un décret royal donne ensuite l’ordre au chancelier de l’Université d’Oxford d’exclure de son sein tout docteur qui les enseignerait. Les principaux disciples de Wiclef sont arrêtés ou excommuniés. Mais voyant que le roi Richard II soutient les décisions du concile, ils se soumettent à ses décisions et se rétractent.

Le 18 novembre 1382, Wiclef est cité à comparaître devant le concile afin de s’expliquer sur la question de l’Eucharistie. Il est exclu de l’Université. Mais aucune autre mesure n’est définie contre lui. Ainsi, il peut librement se retirer dans sa cure de Lutterworth, où il meurt deux années après. Pendant son séjour, il achève son grand ouvrage, le Trialogus.

Le Trialogus

Le Trialogus est l’ouvrage majeur de Wiclef. Il est un dialogue à trois voix entre la Vérité, le Mensonge et la Prudence. Il professe un certain panthéisme. Dieu serait tout dans tout, et tout serait Dieu. De cette idée, il en vient à la double prédestination. Les hommes sont « prédestinés » au salut ou « préconnus » à la damnation. Aucun ne peut changer sa destinée. Si les prédestinés au salut peuvent pécher, ils se convertiront et recouvreront la grâce, au moins à l’heure de leur mort. Les « préconnus » n’auront jamais le don de persévérance. Cette doctrine a une conséquence sur sa conception de l’Église. Elle est décrite comme une société purement spirituelle, composée uniquement des prédestinées au salut. Les sacrements ne servent donc à rien. Son idée maîtresse impose logiquement à la déconstruction du christianisme. Il en vient à remettre en cause la place des clercs dans la société. Il condamne la propriété ecclésiastique, ce qui induit la suppression de la dîme et la confiscation des biens ecclésiastiques.

Vers d’autres foyers de révolte

Après la mort de Wiclef, les Lollards continuent leur propagande violemment anticléricale, allant jusqu’à afficher des placards injurieux pour l’Église sur les portes de Westminster et de Saint-Paul. Un décret du Parlement déclenche une violente persécution contre eux. Des Lollards périssent dans les flammes, d’autres fuient l’Angleterre et se réfugient en Europe où ils pourront continuer à prêcher avant de se perdre dans le protestantisme.

En 1415, le Concile de Constance examine les quarante-huit propositions de Wiclef et les condamne. Son corps est déterré et brûlé en 1424. Il se rend compte de l’importance de cet homme et de ses idées. Ses thèses se sont répandues non seulement en Angleterre mais aussi dans toute l’Europe. Il s’est notamment implanté en Bohème avec Jean Huss et son fidèle compagnon, Jacques de Prague.

Conclusion

De nombreuses idées qui constituent à l’origine le luthéranisme ne viennent pas directement de Luther. Nombreuses sont déjà défendues par l’anglais Wiclef, voire par son maître à l’Université d’Oxford, un occamisme renommé. N’oublions pas que Gabriel Bucer, autre nominaliste, influencera Luther. Remarquons aussi le patriotisme ou le nationalisme de Wiclef. Il défend avec virulence la nation anglaise contre le Pape en un temps où se construit le royaume d’Angleterre. Soulignons sa condamnation de la propriété ecclésiastique qui conduit nécessairement à la sécularisation des biens ecclésiastiques. Wiclef est assez habile pour regrouper autour de lui le roi, les seigneurs, les bourgeois et une grande partie de la population. Il mêle ainsi à sa doctrine de nombreux éléments politiques, financiers et sociaux qui répondent à de nombreux intérêts et envies. Sa diatribe violente et provocatrice est enfin un bel instrument pour toucher les cœurs et soulever les passions. Wiclef utilise donc un ensemble d’ingrédients bien choisis pour répandre ses idées en toute tranquillité. Luther agira de même.

Ainsi, la doctrine de Wiclef comme celle de Luther ne peut s’expliquer sans prendre en compte :
- l’occamisme qui manifeste un réalisme outré, et conduit dans ses excès au double prédestinatianisme ;
- le nationalisme, qui ne peut supporter l’autorité pontificale et tente de renforcer la puissance de l’État au détriment de la puissance de l’Église ;
- la cupidité, envieuse des biens de l’Église ;
- l’habilité de ces hommes brillants orateurs, capables d’éveiller les passions humaines et d’attiser la colère populaire en un moment où le clergé n’est guère fidèle aux vertus chrétiennes.

Soulignons encore ce paradoxe extraordinaire. La doctrine de Bradwardine est sans aucune doute à l’origine de la doctrine de la double prédestination. Elle est donc fille de la théologie scolastique, de la logique et de la raison. La Sainte Écriture n’en donc pas à la source de la nouvelle religion. Une lecture déjà bien orientée des textes sacrés ne fait que la justifier...

Qui peut alors encore croire que le luthéranisme est une continuité du christianisme ou son développement ? Il est œuvre de la raison. Qui peut encore imaginer qu’il est une réponse aux besoins spirituels de l’époque ou à la crise qui frappe l’Église ? Il est le fruit de la pensée qui s’est développée dans les écoles. N’oublions pas en effet que la doctrine de Wiclef est née dans les universités, ce qui est nouveau au Moyen-âge. « Au lieu de se développer chez des simples ou de se conserver parmi des populations réfugiées en quelques vallées inaccessibles, […] [cette hérésie] se manifestait dans une des premières Universités d’Europe, d’où elle pouvait aisément se répandre parmi les clercs de toute nation. »[6] Le protestantisme voit donc son origine reculée au XIVe siècle à l’Université d’Oxford…

Le mouvement de Wicleff n’est aussi qu’un instrument en faveur d’intérêts particuliers qui ne relèvent aucunement de la foi et du salut des âmes. Mais cet instrument est difficilement maîtrisable. En exaltant les esprits, Wiclef comme Luther ont indirectement provoqué des révoltes, par ailleurs durement réprimées. Cela explique l’intervention de l’autorité politique, soit pour mettre fin à leurs rêves, soit pour les soumettre à sa raison. Wyclef a perdu ses soutiens auprès des seigneurs. Luther s’est soumis à leurs pouvoirs. Ainsi leur « église » ne peut-elle prétendre à aucune catholicité et est voué à se diviser en de multiples opinions. Elle n’est ni l’Église ni une partie de l’Église…

Notes et Références
[1]De causa Dei contra Pelagium et de virtute causarum, La cause de Dieu contre Pélage, 1618.
[2] Brawardine, De causa Dei contra Pelagium dans Bibliothèque de l’école des Chartes, Tome 152, Librairie Droz, 1994.
[3] Brawardine, De causa Dei contra Pelagium dans Dictionnaire des philosophes médéviaux, Benoît Patar, Fides, 2006.
[4] Brawardine, De causa Dei contra Pelagium, III, 9, dans De Duns Scot à Suarez : histoire de la pensée, Jacques Chevalier, Vol. 4, Éditions universitaires, Fleurus, 1992.
[5] Wiclef, Traité de l’Église, dans L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, III, Fayard, 1955,
[6] Bernard Quillet, L’acharnement théologique : Histoire de la grâce en Occident (IIIe-XXIe siècle), Fayard, 2007.

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