Jean
Hus est entré dans la postérité pour d’autres raisons. Ce n’est pas pour
ses qualités d’éloquence ou pour ses vertus qu’il est encore aujourd’hui célèbre
mais pour sa doctrine et surtout pour sa condamnation. Condamné et mis à mort, finissant
ses jours sur un bûcher, il est devenu aux yeux des adversaires de la papauté
un martyr de la liberté de conscience. Il est donc souvent évoqué comme la
victime de l’obscurantisme de l’Église et de sa tyrannie. Il est aussi présenté
comme un précurseur des réformateurs, ce qui légitimerait en quelques sortes
Luther et sa révolution. Il est surtout une des voix de l’histoire qui a
réclamé une réforme de l’Église et proposé une solution. C’est à ce titre qu’il
nous intéresse…
Un
royaume bien agité vers la fin du XIVe siècle
Jean
Hus est né dans une famille pauvre vers 1369 à Hussinecz, un bourg du sud de la
Bohème. Tout jeune, il perd son père. Mais grâce à la protection d’un riche
ami, Jean Hus peut suivre une excellente éducation et réussir de brillantes
études. Après quelques années passées dans un collège, il étudie la philosophie
et la théologie à l’Université de Prague. Fondée en 1348 par l’empereur Charles
IV de Luxembourg, sous le Pape Clément VI (1316-1378), elle est la plus
ancienne université d’Europe centrale. La ville de Prague est alors la capitale
du Saint Empire Romain Germanique. Jean Hus décide de choisir l’état
ecclésiastique, car selon ses propres termes, il lui permet de « bien manger, de se vêtir élégamment, et de
posséder l’estime du peuple. »[2]
Comme
toutes les universités, celle de Prague est divisée en nations. Elle en compte
quatre : Bohème, Bavière, Saxe et Pologne. Les Allemands, auxquels se
joignent les Polonais, jouissent d’une domination au sein du Conseil de l’Université
au détriment des Tchèques. Ils peuvent alors imposer leur propre règle, en
particulier au niveau de l’administration. Or les Allemands et les Tchèques sont
divisés au niveau philosophique. Les premiers professent le nominalisme alors
que les seconds défendent le réalisme. À ces intérêts professionnels et
intellectuels s’ajoute une autre raison de querelles, plus nationale. Il existe
une certaine rivalité entre les Allemands et le Tchèque au sein du royaume de
Bohème. Les premiers occupent les plus hautes places dans l’Université de
Prague et dans le clergé comme dans le commerce, ce qui implique des querelles
et des jalousies entre les deux peuples. Ainsi les raisons ne manquent pas pour
expliquer le fort antagonisme qui divise profondément les Allemands et les
Tchèques.
Cet
antagonisme est très ancien. Il prend sans-doute son origine dans l’arrivée des
missionnaires allemands dans le pays bohémien au temps de Louis le Germanique.
Avant leur arrivée, la Bohème suivait la liturgie grecque en langue slave qu’elle
avait reçue de leur apôtre Saint Méthode à la fin du IXe siècle. Le Pape avait
autorisé cette particularité liturgique. Or, sur pression des missionnaires
allemands et avec le soutien de la Papauté, les Tchèques ont dû adopter malgré
eux la liturgie latine, ce qui explique en parti une certaine frustration de
leur part contre les Allemands et Rome.
À
la fin du XIIe siècle, fuyant la persécution en France, des hérétiques trouvent
refuge en Bohème. Ils réclament un retour à la pauvreté angélique, rejettent
les sacrements et s’opposent fortement à l’autorité du Pape. Leur propagande
est si inquiétante au XIVe siècle que l’archevêque de Prague juge bon d’établir
le tribunal d’Inquisition dans sa ville pour combattre l’hérésie. En outre, de
nombreux prédicateurs parcourent les villes et les campagnes pour annoncer
l’arrivée de l’Antéchrist et inviter les Chrétiens à le combattre par la
réforme de l’Église.
En
outre, par suite du mariage du jeune roi Richard II d’Angleterre avec Anne de
Bohême en 1382, les rapports entre l’Angleterre et la Bohême se sont établis et
développés. Des étudiants tchèques prennent l’habitude de partir étudier à Oxford.
Séduits par les thèses de Wiclef, ils diffusent ses écrits à Prague et dans
leur pays. Or, Wiclef s’oppose à l’Église romaine sur les terrains politiques
et disciplinaires mais aussi remet en cause son enseignement. Il affirme
notamment que la Sainte Bible est l’unique source de la foi. Il s’attaque aussi
à la doctrine sur les sacrements, notamment sur l’Eucharistie. Il remet aussi
en question la notion d’Église, ne voulant voir en elle qu’une société
spirituelle, composée uniquement des prédestinés au salut. Ses idées se
répandent ainsi en terre tchèque…
En
effet, la Bohême est une terre propice à de telles hérésies ou à de nouveaux
prophètes aux discours virulents contre les clercs. Au XIVe siècle, l’Église,
propriétaire d’au moins la moitié des terres, souffre de nombreux maux dans ce
pays. Le clergé donne l’exemple de graves scandales : immoralité, course
aux bénéfices, cumuls abusifs, absentéisme, etc. Il est ainsi l’objet de
nombreux critiques. Les appels à la réforme sont parfois d’une grande violence…
Un
prédicateur enflammé
Jean
Hus est un lecteur des écrits de Wiclef. Son ami Joseph de Prague lui a
rapporté d’Oxford quelques œuvres telles que Trialogus et Dialogus.
Il lui a aussi transmis ce qu’il a pu connaître en Angleterre. S’il ne partage
pas toute sa doctrine, il se fait l’apôtre de ses idées à l’Université de
Prague et à l’église de Bethléem. Cette chapelle est assez particulière. Elle
est le centre d’un mouvement de réformes en Bohème. Les prédications se font en
tchèque.
Jean
Hus est le prédicateur le plus populaire de la ville. Une foule immense
l’écoute prêcher dans la chapelle. Il est brillant. Un vaste auditoire l’écoute
avec dévotion. On parle de trois mille auditeurs. De ses paroles, une force se
dégage et attire les regards. Il influence ainsi un public peu cultivé et
touche le petit peuple en dehors du milieu universitaire. Il est aussi très
populaire auprès des étudiants. « Aux
yeux des milieux de réforme Jean Hus monte petit à petit en considération et
c’est aussi sa responsabilité sociale qui augmente, ainsi que l’autorité qui
s’y rapporte et dont il est entièrement conscient. »[3]
Dans
la chapelle de Bethléem, Jean Hus attaque avec vigueur les désordres du clergé,
s’élève contre ses richesses scandaleuses, dénonce la fiscalité pontificale et
s’oppose violemment à la hiérarchie de l’Église. Il justifie la sécularisation
des biens de l’Église si le clergé en fait un mauvais usage. Pour mieux
répandre ses doctrines, il traduit en slave le Trialogus, l’œuvre
maîtresse de Wiclef. Dans ses discours enflammés, ils rejettent des sacrements,
refusent les indulgences, enseignent la prédestination.
J
ean
Hus est tel un prophète, se croyant envoyé de Dieu, condamnant les maux de son
époque. Après avoir évoqué un texte d’Ézéchiel (VIII, 8-9), il s’écrit « Moi aussi, Dieu m'a suscité pour percer la
muraille, afin qu'on découvrît la multitude des abominations du lieu saint. Il
a plu au Seigneur de me faire sortir de l'endroit où j'étais, comme un tison
arraché du feu. Esclave malheureux
de mes passions, il a fallu que, comme Lot, Dieu m'ait tiré de l'embrasement de
Sodome, et j'ai obéi à la voix qui me disait : Percez la muraille... Je vis
ensuite une Porte, et cette porte était l'Écriture sainte à travers laquelle je
contemplais à découvert les abominations des moines et des prêtres, représentés
sous divers emblèmes. Jamais les juifs et les païens n'ont commis de si horribles
péchés, en présence du Christ, que ces mauvais chrétiens et ces prêtres
hypocrites en commettent tous les jours au milieu de l'Église. »[4]
Jean Hus prêchant dans la chapelle de Bethléem |
Les
sermons de Jean Hus finissent par provoquer de violents désordres au point
qu’il est dénoncé à Rome. Le Pape Innocent VII finit par le relever de ses
fonctions de prédicateur en 1407.
De
la dispute religieuse à la question politique
Ses
discours provoquent en outre la division de l’Université de Prague, déjà bien
latente. Deux partis s’y dressent en effet l’un contre l’autre : les Allemands,
dévoués à la papauté, et les Tchèques, wicléfites et réformistes. Les disputes
religieuses sont désormais marquées d’un aspect « nationaliste ».
Au
même moment, en 1408, les princes électeurs du Saint Empire Germanique déposent
Wenceslas, empereur romain depuis 1378. Le peuple allemand ne supporte plus ses
débauches et ses cruautés. N’a-t-il pas rôti son cuisinier pour le
punir de quelques peccadilles ? Néanmoins, il garde sa couronne de
roi de Bohème. L’empereur déchu tente alors de recouvrer son titre impérial. Le
Pape refuse de le suivre comme l’archevêque de Prague. À l’Université de
Prague, seule la nation bohémienne le soutient. Jean Hus profite alors de cette
situation pour lancer ses revendications au roi : « Les Bohémiens doivent être les premiers dans
le royaume de Bohême, comme les Français dans le royaume de France ou les
Allemands en Allemagne. Les lois, la volonté divine, l’instinct naturel
ordonnent qu’ils occupent les premiers emplois. » La question
politique est donc désormais étroitement mêlée à la querelle religieuse.
Le
roi Wenceslas publie alors un décret attribuant à l’Université de Prague trois
voix à la nation de Bohême et une voix aux Allemands. Furieux, ces derniers la
quittent et fondent l’Université de Leipzig. Débarrassé de ses adversaires, et
confiant en la protection du roi Wenceslas comme celle de Sophie de Bavière,
Jean Hus peut poursuivre ses prédications avec encore davantage d’impunité. Ses
attaques contre la hiérarchie ecclésiastique redoublent de violence. Or, le
départ de deux mille étudiants allemands avec les professeurs n’est pas sans
conséquence sur le commerce de Prague. Une partie de la bourgeoisie commence à s’opposer
à Jean Hus. Ses excès ne sont pas non plus appréciés. Ils commencent à
inquiéter le haut clergé bohémien, les bourgeois et même ses collègues de
l’Université…
Jean
Hus, de plus en plus isolé
Dans
une bulle publiée en 1410 à Prague, le Pape Alexandre V ordonne de brûler les
écrits de Wiclef et d’interdire toute prédication dans les chapelles, notamment
celle de Bethléem. Jean Hus déclare que cette interdiction contrevient aux
ordres du Christ et dénonce les entraves mises à la liberté de prêcher. Il en
appelle à Jean XXIII, le successeur d’Alexandre V, mort récemment. À la suite
de cet appel, le Pape lui demande de comparaître devant la Curie. Comme il
rejette cette comparution, il est excommunié en février 1411. L’archevêque de
Prague publie la sentence dans toutes les églises de la ville.
À
la fin de 1411, une nouvelle question religieuse provoque une flambée de
violence à Prague. Nous sommes en un temps dit du Grand Schisme, où des Papes
se disputent la tiare. Le schisme est d’abord réduit à deux Papes, puis à
trois. En effet, pour faire cesser le scandale, un concile réuni Pise impose un
Pape, Jean XXIII, et dépose les deux autres. Or, aucun des deux n’accepte cette
décision. La Chrétienté voit ainsi trois Papes se dresser les uns contre les autres.
L’un
d’entre eux, Jean XXIII, décide de lancer une croisade contre le roi de Naples
qui soutient son rival Grégoire XII. Dans ce cadre, il accorde des indulgences.
Lorsqu’elles sont publiées à Prague, Jean Hus en profite pour remettre en cause
cette pratique. Il soutient qu’ « aucun
pape n’était autorisé, au nom de l’Église, à saisir l’épée, qu’il devait prier
pour ses ennemis et bénir ceux qui le maudissent et que « l’homme doit obtenir le pardon de ses péchés
par un repentir et une pénitence sincère et non par de l’argent ; que
d’ailleurs, si quelqu’un n’est pas prédestiné, l’indulgence ne peut l’aider, et
si quelqu’un est prédestiné, le pape ne peut le savoir. » Ainsi,
faut-il, déclare-t-il, désobéir aux bulles du Pape lorsqu’elles s’opposent aux
Saintes Écritures. L’Université de Prague est alors divisée entre les
adversaires de la bulle et les partisans du Pape.
Contre
la publication des indulgences, Jean Hus et son ami Jérôme de Prague soulèvent
les étudiants puis la population. Des émeutes populaires éclatent dans la
ville. Les bulles pontificales y sont brûlées. Trois jeunes gens accusant un
prédicateur d’indulgences de menteurs sont arrêtés, condamnés et brûlés.
L’agitation redouble de violence. Sur demande du clergé de Prague, le Pape Jean
XXIII fulmine de nouveau l’excommunication contre Jean Hus, jette l’interdit
sur les lieux où il séjourne et ordonne de raser la chapelle de Bethléem. La
cour royale finit par abandonner son protégé. En 1412, il fuit la ville et se
réfugie dans des châteaux sous la protection de quelques seigneurs encore dévoués
à sa cause. C’est dans ces refuges qu’il écrit son ouvrage capital De
Ecclesia, un traité sur l’Église, où il reprend de nombreuses erreurs
de Wiclef. Toujours protégé du roi Wenceslas, il continue de prêcher dans les
campagnes. C’est étrange que ce roi si cruel et immoral protège ce réformateur
virulent ?
La
condamnation et la mort de Jean Hus
L’archevêque
de Prague réunit un concile en février 1413 et charge une commission, dit
commission d’union, de chercher les moyens de rétablir la paix. Jean Hus envoie
alors au concile son Traité de l’Église en juillet 1413. La majorité des
membres de la commission condamne les erreurs qu’il contient. Mais comme le roi
Wenceslas appuie les défenseurs de Jean Hus, le concile n’aboutit pas. C’est un
échec. Jean Hus en appelle alors à un concile général.
Jean Hus au Concile de Constance |
Le
3 novembre, Jean Hus arrive à Constance. Jean XXIII le relève de ses censures
mais lui défend de dire la messe et de prêcher. Mais Jean Hus passe outre à la
défense. Désobéissant sciemment au Pape, il continue de célébrer la messe et de
prêcher. En outre, la commission des cardinaux, chargée d’examiner l’affaire,
reconnaît rapidement le bien-fondé des accusations portées contre lui. En dépit
du sauf-conduit, il est alors arrêté et interné. Sigismond proteste. Mais il
lui est alors rappelé qu’un sauf-conduit d’un prince ne peut entraver la
juridiction ecclésiastique et créer une dérogation au droit commun concernant
la sauvegarde de l’Église et de la foi.
Après
six mois de captivité, Jean Hus est appelé à comparaître devant le concile. De
son traité De Ecclesia, est extraite une série de propositions dont trente
sont condamnées. Sommé de les rétracter, Jean Hus s’y refuse, en protestant
qu’il n’a jamais soutenu la plupart d’entre elles. Quant aux propositions qui
sont vraiment les siennes, il se déclare prêt à les rejeter si on lui démontre
par les Saintes Écritures qu’elles sont fausses. Devant son obstination, le
concile le condamne. Le 6 juillet 1415, il le dégrade et le livre au bras
séculier, c’est-à-dire à l’empereur. Ce dernier le remet au prévôt de Constance
pour être brûlé au bûcher.
Revenons
sur ce sauf-conduit, sujet de bien de polémiques. Il ne semble assurer à Jean
Hus que sa sécurité à l’aller et au retour et le prémunir contre les attaques
pouvant survenir durant son voyage. Il ne lui permet donc que de se présenter
librement au concile pour se défendre. Il ne le protège pas contre toute
condamnation reconnue conforme à la justice et aux lois ecclésiastiques de
l’époque. Rien dans le sauf-conduit n’affirme en effet explicitement qu’il soit
protégé contre la possibilité d’une condamnation. Mais selon certains
historiens, Sigismond est coupable d’avoir violé sa parole en condamnant au
bûcher Jean Hus. D’autres incriminent le concile de l’avoir emprisonné un mois
après son arrivée et Sigismond pour l’avoir toléré malgré la promesse du
sauf-conduit.
Jérôme
de Prague, un compagnon fidèle et remuant
Jean
Hus n’est pas la seule victime. Son fidèle compagnon, Jérôme de Prague, le suit
peu après dans les flammes du bûcher. Contrairement à son ami, il ne se rend
pas à ses juges mais il est arrêté au cours de sa fuite. Certes, il a voulu le
rejoindre pour le soutenir mais il s’est rendu compte qu’il ne pouvait rien
faire et qu’il sera à son tour condamné.
Contrairement
à Jean Hus, Jérôme de Prague a parcouru l’Europe et a étudié et enseigné la
philosophie dans des universités étrangères, à Oxford, à Paris, à Cologne, à Heidelberg.
En France, il a soulevé l’indignation auprès des maîtres universitaires. Son réalisme
intransigeant et ses idées wyclifiennes n’ont guère été appréciées. Sa méthode
consistant à noyer ses discours par des références à de grandes personnalités
n’a pas impressionné. « Nous ne
pouvons nier chez Jérôme un penchant pour le pompeux et l’ostentatoire. »[5] Ses
discours provocateurs et offensants ont pu légitimement énerver ses
adversaires. À Cologne, « la faculté ne
veut plus l’écouter ». Il a été suspendu de ses fonctions d’enseignement et
ses élèves ont reçu l’ordre de ne plus assister à ses conférences. Lors d’une
mission diplomatique en Pologne, Jérôme de Prague a encore suscité des
disputes.
Jean
de Prague est donc un maître philosophique marqué par sa radicalité et son
esprit turbulent. C’est surtout lui qui organise à Prague les mouvements étudiants
contre la vente des Indulgences.
La
guerre hussite
La
mort de Jean Hus et de son fidèle compagnon provoquent une explosion
d’indignation et une surexcitation des esprits en Bohême et en Moravie. Mort,
le prophète est désormais vu comme un martyr à la fois de l’Église romaine et
de l’empereur germanique. Son exécution rassemble et unie tous leurs adversaires.
Quatre cent cinquante seigneurs tchèques protestent officiellement.
L’archevêque de Prague doit fuir la ville. Le 30 juillet 1419, les églises et
les monastères sont pillés. Le roi Wenceslas fuit son royaume. Des conseillers
catholiques sont défenestrés. C’est la journée dite de la défenestration de
Prague. Elle est le début d’une longue guerre, qui durera dix-sept ans. Elle
oppose les Tchèques et les Allemands dans une longue guerre atroce. La Bohême
est mise à feu et à sang…
Comme
dans toute opposition, il faut un symbole qui la cristallise et la manifeste.
Ce point de ralliement est la communion sous les deux espèces, c’est-à-dire le
droit de communier avec le calice et l’hostie. Ainsi les opposants tchèques portent
le nom d’ultraquistes ou de calixtins. Ils le demandent au concile de Florence
qui refuse leur revendication.
Les Adamites |
Le
concile de Bâle, réuni en 1431, invite les hussites à exposer leurs opinions.
Un accord finit par être conclu entre des délégués du concile et les hussites
modérés en novembre 1433. Une convention, intitulée Compacta de Prague, est
alors signée. Le concile reconnaît aux prêtres de Bohême et de Moravie le droit
de distribuer la communion sous les deux espèces mais seulement aux adultes qui
le demandent et à la condition d’enseigner que le Christ est reçu tout entier
sous chaque espèce. Seules les personnes qui ont le pouvoir et selon les règles
canoniques pourront punir les péchés mortels. Seules les personnes autorisées
pourront prêcher librement, sans néanmoins porter atteinte à l’autorité du
Pape. Enfin, il est proclamé le droit de l’Église à posséder des biens et à les
administrer selon les règles canoniques. Finalement, la convention permet de
répondre aux revendications des ultraquistes modérés tout en sauvegardant la
foi et l’autorité de l’Église. Nous sommes bien loin des demandes de Jean Hus
et des exaltés.
Bataille de Lipany |
Néanmoins, en raison d’un zèle excessif d’un partisan ultraquiste, devenu archevêque, les Chrétiens de Bohême sont de nouveau divisés sur la distribution de la communion. En 1485, la concorde est de nouveau réalisée. Beaucoup d’ultraquistes rejoindront le protestantisme…
Conclusions
Prédicateur
au verbe chaud, excessif dans sa parole, Jean Hus a réussi à gagner le cœur de
la population de Bohême. Mais son discours, si habile qu’il soit, est
tendancieux. Il y mêle des revendications doctrinales avec des questions nationales
et politiques. Quels rapports entre le besoin de réforme, les aspirations populaires
et les dogmes ? Le changement que réclame la population n’est pas uniquement
et essentiellement religieux. Jean Hus soulève en fait une révolte sociale et
populaire pour conduire sa révolution religieuse. Pour faire avancer ses idées,
il n’hésite pas en effet à se servir de la force populaire. Il n’hésite pas non
plus à accepter la protection d’un souverain détestable qui use de son
influence pour des intérêts purement politiques. Luther fera de même avec les
seigneurs allemands. Il utilisera les mêmes moyens pour imposer sa révolution.
Est-ce
cela le chemin qui doit permettre à l’Église de se réformer ? De tels
réformateurs, véritables tribuns aux verbes virulents, n’apportent que division,
violence, guerre. Car au lieu d’élever l’homme, ils excitent leurs passions et
ferment leur âme à la grâce divine. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a jamais usé
des récriminations du peuple juif contre l’occupation romaine et leur colère
contre leurs occupants pour enseigner et éclairer les âmes. Il s’est même
opposé à de tels moyens. Saint François d’Assise ou Saint Dominique ont-ils
excité les passions populaires ou les intérêts politiques pour réformer les
esprits et les mœurs ?...
Remarquons
que les Compacta de Prague,
qui mettent fin à la guerre hussite, n’entament pas la doctrine de l’Église.
Ils répondent aux aspirations populaires tout en sauvegardant son enseignement et
l’autorité du Pape. Contrairement à certains commentateurs, l’Église n’a pas
cédé sur l’essentiel…
Enfin,
contrairement à son fidèle ami, Jean Hus a eu le courage de défendre ses idées
devant un concile. Il a accepté de se sacrifier pour ce qu’il croit être la
vérité de Dieu. Il est monté sur le bûcher puis a récité le Miserere.
Luther n’a pas eu ce courage. Il n’a pas eu l’âme d’un martyr. Cela ne peut
guère nous surprendre. Il ne lutte pas pour des idées. Le cœur de son combat,
c’est lui-même…
Notes et références
[2] Jean Hus selon
Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une
révolution religieuse : la Réforme protestante, III, Fayard, 1955.
[3] Ota Pavlíček, institut de Philosophie Académie des Sciences de la République
tchèque, La
figure de l’autorité magistrale à travers Jean Hus et Jérôme de Prague, Revue des sciences religieuses,
85/3, 2011, mis en ligne le 12 mars 2015, consulté le 01 octobre 2016, http://rsr.revues.org.
[5]Jean Hus
dans Émile de Bonnechose, Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance,
tome I, Libraire-éditeur Cherbuliez, 1860.
[5] Ota
Pavlíček, La figure de l’autorité magistrale à travers Jean Hus et Jérôme de
Prague, Revue des sciences religieuses, 85/3, 2011, mis en ligne le 12
mars 2015, consulté le 01 octobre 2016, http://rsr.revues.org.
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