" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 9 février 2018

Entre Wiclef et Luther, Jean Hus

Dans l’église de Bethléem de Prague, fondée dans le vieux quartier, Sophie de Bavière écoute attentivement le sermon d’un prêtre dont la réputation a dépassé la Bohème. Depuis son mariage avec le roi Wenceslas (1361-1419), elle est reine de Germanie et de Bohème. La parole de ce prêtre lui plaît. Sa piété et sa vie irréprochable lui donnent confiance. Il sera son confesseur. Ce prêtre est Jean de Hussinecz, plus connu sous le nom de Jean Hus. Certains de ses futurs adversaires relativisent ses qualités d’éloquence mais louent son esprit élevé, sa parole facile et persuasive, et surtout une moralité exemplaire. « La modestie et la sévérité de ses mœurs, sa vie austère et irréprochable, son visage pâle et mélancolique, sa grande douceur et son affabilité envers tous, même envers les plus humbles, persuadaient mieux que la plus grande éloquence. »[1]

Jean Hus est entré dans la postérité pour d’autres raisons. Ce n’est pas pour ses qualités d’éloquence ou pour ses vertus qu’il est encore aujourd’hui célèbre mais pour sa doctrine et surtout pour sa condamnation. Condamné et mis à mort, finissant ses jours sur un bûcher, il est devenu aux yeux des adversaires de la papauté un martyr de la liberté de conscience. Il est donc souvent évoqué comme la victime de l’obscurantisme de l’Église et de sa tyrannie. Il est aussi présenté comme un précurseur des réformateurs, ce qui légitimerait en quelques sortes Luther et sa révolution. Il est surtout une des voix de l’histoire qui a réclamé une réforme de l’Église et proposé une solution. C’est à ce titre qu’il nous intéresse…

Un royaume bien agité vers la fin du XIVe siècle

Jean Hus est né dans une famille pauvre vers 1369 à Hussinecz, un bourg du sud de la Bohème. Tout jeune, il perd son père. Mais grâce à la protection d’un riche ami, Jean Hus peut suivre une excellente éducation et réussir de brillantes études. Après quelques années passées dans un collège, il étudie la philosophie et la théologie à l’Université de Prague. Fondée en 1348 par l’empereur Charles IV de Luxembourg, sous le Pape Clément VI (1316-1378), elle est la plus ancienne université d’Europe centrale. La ville de Prague est alors la capitale du Saint Empire Romain Germanique. Jean Hus décide de choisir l’état ecclésiastique, car selon ses propres termes, il lui permet de « bien manger, de se vêtir élégamment, et de posséder l’estime du peuple. »[2]

Comme toutes les universités, celle de Prague est divisée en nations. Elle en compte quatre : Bohème, Bavière, Saxe et Pologne. Les Allemands, auxquels se joignent les Polonais, jouissent d’une domination au sein du Conseil de l’Université au détriment des Tchèques. Ils peuvent alors imposer leur propre règle, en particulier au niveau de l’administration. Or les Allemands et les Tchèques sont divisés au niveau philosophique. Les premiers professent le nominalisme alors que les seconds défendent le réalisme. À ces intérêts professionnels et intellectuels s’ajoute une autre raison de querelles, plus nationale. Il existe une certaine rivalité entre les Allemands et le Tchèque au sein du royaume de Bohème. Les premiers occupent les plus hautes places dans l’Université de Prague et dans le clergé comme dans le commerce, ce qui implique des querelles et des jalousies entre les deux peuples. Ainsi les raisons ne manquent pas pour expliquer le fort antagonisme qui divise profondément les Allemands et les Tchèques.

Cet antagonisme est très ancien. Il prend sans-doute son origine dans l’arrivée des missionnaires allemands dans le pays bohémien au temps de Louis le Germanique. Avant leur arrivée, la Bohème suivait la liturgie grecque en langue slave qu’elle avait reçue de leur apôtre Saint Méthode à la fin du IXe siècle. Le Pape avait autorisé cette particularité liturgique. Or, sur pression des missionnaires allemands et avec le soutien de la Papauté, les Tchèques ont dû adopter malgré eux la liturgie latine, ce qui explique en parti une certaine frustration de leur part contre les Allemands et Rome.

À la fin du XIIe siècle, fuyant la persécution en France, des hérétiques trouvent refuge en Bohème. Ils réclament un retour à la pauvreté angélique, rejettent les sacrements et s’opposent fortement à l’autorité du Pape. Leur propagande est si inquiétante au XIVe siècle que l’archevêque de Prague juge bon d’établir le tribunal d’Inquisition dans sa ville pour combattre l’hérésie. En outre, de nombreux prédicateurs parcourent les villes et les campagnes pour annoncer l’arrivée de l’Antéchrist et inviter les Chrétiens à le combattre par la réforme de l’Église.

En outre, par suite du mariage du jeune roi Richard II d’Angleterre avec Anne de Bohême en 1382, les rapports entre l’Angleterre et la Bohême se sont établis et développés. Des étudiants tchèques prennent l’habitude de partir étudier à Oxford. Séduits par les thèses de Wiclef, ils diffusent ses écrits à Prague et dans leur pays. Or, Wiclef s’oppose à l’Église romaine sur les terrains politiques et disciplinaires mais aussi remet en cause son enseignement. Il affirme notamment que la Sainte Bible est l’unique source de la foi. Il s’attaque aussi à la doctrine sur les sacrements, notamment sur l’Eucharistie. Il remet aussi en question la notion d’Église, ne voulant voir en elle qu’une société spirituelle, composée uniquement des prédestinés au salut. Ses idées se répandent ainsi en terre tchèque…

En effet, la Bohême est une terre propice à de telles hérésies ou à de nouveaux prophètes aux discours virulents contre les clercs. Au XIVe siècle, l’Église, propriétaire d’au moins la moitié des terres, souffre de nombreux maux dans ce pays. Le clergé donne l’exemple de graves scandales : immoralité, course aux bénéfices, cumuls abusifs, absentéisme, etc. Il est ainsi l’objet de nombreux critiques. Les appels à la réforme sont parfois d’une grande violence…

Un prédicateur enflammé

Jean Hus est un lecteur des écrits de Wiclef. Son ami Joseph de Prague lui a rapporté d’Oxford quelques œuvres telles que Trialogus et Dialogus. Il lui a aussi transmis ce qu’il a pu connaître en Angleterre. S’il ne partage pas toute sa doctrine, il se fait l’apôtre de ses idées à l’Université de Prague et à l’église de Bethléem. Cette chapelle est assez particulière. Elle est le centre d’un mouvement de réformes en Bohème. Les prédications se font en tchèque.

Jean Hus est le prédicateur le plus populaire de la ville. Une foule immense l’écoute prêcher dans la chapelle. Il est brillant. Un vaste auditoire l’écoute avec dévotion. On parle de trois mille auditeurs. De ses paroles, une force se dégage et attire les regards. Il influence ainsi un public peu cultivé et touche le petit peuple en dehors du milieu universitaire. Il est aussi très populaire auprès des étudiants. « Aux yeux des milieux de réforme Jean Hus monte petit à petit en considération et c’est aussi sa responsabilité sociale qui augmente, ainsi que l’autorité qui s’y rapporte et dont il est entièrement conscient. »[3]

Dans la chapelle de Bethléem, Jean Hus attaque avec vigueur les désordres du clergé, s’élève contre ses richesses scandaleuses, dénonce la fiscalité pontificale et s’oppose violemment à la hiérarchie de l’Église. Il justifie la sécularisation des biens de l’Église si le clergé en fait un mauvais usage. Pour mieux répandre ses doctrines, il traduit en slave le Trialogus, l’œuvre maîtresse de Wiclef. Dans ses discours enflammés, ils rejettent des sacrements, refusent les indulgences, enseignent la prédestination.

J
Jean Hus prêchant
dans la chapelle de Bethléem
ean Hus est tel un prophète, se croyant envoyé de Dieu
, condamnant les maux de son époque. Après avoir évoqué un texte d’Ézéchiel (VIII, 8-9), il s’écrit « Moi aussi, Dieu m'a suscité pour percer la muraille, afin qu'on découvrît la multitude des abominations du lieu saint. Il a plu au Seigneur de me faire sortir de l'endroit où j'étais, comme un tison arraché du feu. Esclave malheureux de mes passions, il a fallu que, comme Lot, Dieu m'ait tiré de l'embrasement de Sodome, et j'ai obéi à la voix qui me disait : Percez la muraille... Je vis ensuite une Porte, et cette porte était l'Écriture sainte à travers laquelle je contemplais à découvert les abominations des moines et des prêtres, représentés sous divers emblèmes. Jamais les juifs et les païens n'ont commis de si horribles péchés, en présence du Christ, que ces mauvais chrétiens et ces prêtres hypocrites en commettent tous les jours au milieu de l'Église. »[4]

Les sermons de Jean Hus finissent par provoquer de violents désordres au point qu’il est dénoncé à Rome. Le Pape Innocent VII finit par le relever de ses fonctions de prédicateur en 1407.

De la dispute religieuse à la question politique

Ses discours provoquent en outre la division de l’Université de Prague, déjà bien latente. Deux partis s’y dressent en effet l’un contre l’autre : les Allemands, dévoués à la papauté, et les Tchèques, wicléfites et réformistes. Les disputes religieuses sont désormais marquées d’un aspect « nationaliste ».

Au même moment, en 1408, les princes électeurs du Saint Empire Germanique déposent Wenceslas, empereur romain depuis 1378. Le peuple allemand ne supporte plus ses débauches et ses cruautés. N’a-t-il pas rôti son cuisinier pour le punir de quelques peccadilles ? Néanmoins, il garde sa couronne de roi de Bohème. L’empereur déchu tente alors de recouvrer son titre impérial. Le Pape refuse de le suivre comme l’archevêque de Prague. À l’Université de Prague, seule la nation bohémienne le soutient. Jean Hus profite alors de cette situation pour lancer ses revendications au roi : « Les Bohémiens doivent être les premiers dans le royaume de Bohême, comme les Français dans le royaume de France ou les Allemands en Allemagne. Les lois, la volonté divine, l’instinct naturel ordonnent qu’ils occupent les premiers emplois. » La question politique est donc désormais étroitement mêlée à la querelle religieuse.

Le roi Wenceslas publie alors un décret attribuant à l’Université de Prague trois voix à la nation de Bohême et une voix aux Allemands. Furieux, ces derniers la quittent et fondent l’Université de Leipzig. Débarrassé de ses adversaires, et confiant en la protection du roi Wenceslas comme celle de Sophie de Bavière, Jean Hus peut poursuivre ses prédications avec encore davantage d’impunité. Ses attaques contre la hiérarchie ecclésiastique redoublent de violence. Or, le départ de deux mille étudiants allemands avec les professeurs n’est pas sans conséquence sur le commerce de Prague. Une partie de la bourgeoisie commence à s’opposer à Jean Hus. Ses excès ne sont pas non plus appréciés. Ils commencent à inquiéter le haut clergé bohémien, les bourgeois et même ses collègues de l’Université…

Jean Hus, de plus en plus isolé

Dans une bulle publiée en 1410 à Prague, le Pape Alexandre V ordonne de brûler les écrits de Wiclef et d’interdire toute prédication dans les chapelles, notamment celle de Bethléem. Jean Hus déclare que cette interdiction contrevient aux ordres du Christ et dénonce les entraves mises à la liberté de prêcher. Il en appelle à Jean XXIII, le successeur d’Alexandre V, mort récemment. À la suite de cet appel, le Pape lui demande de comparaître devant la Curie. Comme il rejette cette comparution, il est excommunié en février 1411. L’archevêque de Prague publie la sentence dans toutes les églises de la ville.

À la fin de 1411, une nouvelle question religieuse provoque une flambée de violence à Prague. Nous sommes en un temps dit du Grand Schisme, où des Papes se disputent la tiare. Le schisme est d’abord réduit à deux Papes, puis à trois. En effet, pour faire cesser le scandale, un concile réuni Pise impose un Pape, Jean XXIII, et dépose les deux autres. Or, aucun des deux n’accepte cette décision. La Chrétienté voit ainsi trois Papes se dresser les uns contre les autres.

L’un d’entre eux, Jean XXIII, décide de lancer une croisade contre le roi de Naples qui soutient son rival Grégoire XII. Dans ce cadre, il accorde des indulgences. Lorsqu’elles sont publiées à Prague, Jean Hus en profite pour remettre en cause cette pratique. Il soutient qu’ « aucun pape n’était autorisé, au nom de l’Église, à saisir l’épée, qu’il devait prier pour ses ennemis et bénir ceux qui le maudissent et que « l’homme doit obtenir le pardon de ses péchés par un repentir et une pénitence sincère et non par de l’argent ; que d’ailleurs, si quelqu’un n’est pas prédestiné, l’indulgence ne peut l’aider, et si quelqu’un est prédestiné, le pape ne peut le savoir. » Ainsi, faut-il, déclare-t-il, désobéir aux bulles du Pape lorsqu’elles s’opposent aux Saintes Écritures. L’Université de Prague est alors divisée entre les adversaires de la bulle et les partisans du Pape.

Contre la publication des indulgences, Jean Hus et son ami Jérôme de Prague soulèvent les étudiants puis la population. Des émeutes populaires éclatent dans la ville. Les bulles pontificales y sont brûlées. Trois jeunes gens accusant un prédicateur d’indulgences de menteurs sont arrêtés, condamnés et brûlés. L’agitation redouble de violence. Sur demande du clergé de Prague, le Pape Jean XXIII fulmine de nouveau l’excommunication contre Jean Hus, jette l’interdit sur les lieux où il séjourne et ordonne de raser la chapelle de Bethléem. La cour royale finit par abandonner son protégé. En 1412, il fuit la ville et se réfugie dans des châteaux sous la protection de quelques seigneurs encore dévoués à sa cause. C’est dans ces refuges qu’il écrit son ouvrage capital De Ecclesia, un traité sur l’Église, où il reprend de nombreuses erreurs de Wiclef. Toujours protégé du roi Wenceslas, il continue de prêcher dans les campagnes. C’est étrange que ce roi si cruel et immoral protège ce réformateur virulent ?

La condamnation et la mort de Jean Hus

L’archevêque de Prague réunit un concile en février 1413 et charge une commission, dit commission d’union, de chercher les moyens de rétablir la paix. Jean Hus envoie alors au concile son Traité de l’Église en juillet 1413. La majorité des membres de la commission condamne les erreurs qu’il contient. Mais comme le roi Wenceslas appuie les défenseurs de Jean Hus, le concile n’aboutit pas. C’est un échec. Jean Hus en appelle alors à un concile général.

Jean Hus au Concile de Constance
Au même moment, afin de travailler à la fin du Grand Schisme et à la réforme de l’Église, un concile œcuménique est convoqué à Constance le 1er novembre 1414. Jean Hus en appelle donc à ce concile. Il envoie aux pères conciliaires une sorte de profession de foi. Il s’offre même à réfuter tout adversaire qui se présenterait à lui. L’empereur Sigismond, frère de Wenceslas, lui délivre alors un sauf-conduit pour qu’il puisse se rendre en toute sécurité au concile et se justifier des accusations portées contre lui. Il cherche surtout à ramener l’ordre en Bohême.

Le 3 novembre, Jean Hus arrive à Constance. Jean XXIII le relève de ses censures mais lui défend de dire la messe et de prêcher. Mais Jean Hus passe outre à la défense. Désobéissant sciemment au Pape, il continue de célébrer la messe et de prêcher. En outre, la commission des cardinaux, chargée d’examiner l’affaire, reconnaît rapidement le bien-fondé des accusations portées contre lui. En dépit du sauf-conduit, il est alors arrêté et interné. Sigismond proteste. Mais il lui est alors rappelé qu’un sauf-conduit d’un prince ne peut entraver la juridiction ecclésiastique et créer une dérogation au droit commun concernant la sauvegarde de l’Église et de la foi.

Après six mois de captivité, Jean Hus est appelé à comparaître devant le concile. De son traité De Ecclesia, est extraite une série de propositions dont trente sont condamnées. Sommé de les rétracter, Jean Hus s’y refuse, en protestant qu’il n’a jamais soutenu la plupart d’entre elles. Quant aux propositions qui sont vraiment les siennes, il se déclare prêt à les rejeter si on lui démontre par les Saintes Écritures qu’elles sont fausses. Devant son obstination, le concile le condamne. Le 6 juillet 1415, il le dégrade et le livre au bras séculier, c’est-à-dire à l’empereur. Ce dernier le remet au prévôt de Constance pour être brûlé au bûcher.

Revenons sur ce sauf-conduit, sujet de bien de polémiques. Il ne semble assurer à Jean Hus que sa sécurité à l’aller et au retour et le prémunir contre les attaques pouvant survenir durant son voyage. Il ne lui permet donc que de se présenter librement au concile pour se défendre. Il ne le protège pas contre toute condamnation reconnue conforme à la justice et aux lois ecclésiastiques de l’époque. Rien dans le sauf-conduit n’affirme en effet explicitement qu’il soit protégé contre la possibilité d’une condamnation. Mais selon certains historiens, Sigismond est coupable d’avoir violé sa parole en condamnant au bûcher Jean Hus. D’autres incriminent le concile de l’avoir emprisonné un mois après son arrivée et Sigismond pour l’avoir toléré malgré la promesse du sauf-conduit.

Jérôme de Prague, un compagnon fidèle et remuant

Jean Hus n’est pas la seule victime. Son fidèle compagnon, Jérôme de Prague, le suit peu après dans les flammes du bûcher. Contrairement à son ami, il ne se rend pas à ses juges mais il est arrêté au cours de sa fuite. Certes, il a voulu le rejoindre pour le soutenir mais il s’est rendu compte qu’il ne pouvait rien faire et qu’il sera à son tour condamné.

Contrairement à Jean Hus, Jérôme de Prague a parcouru l’Europe et a étudié et enseigné la philosophie dans des universités étrangères, à Oxford, à Paris, à Cologne, à Heidelberg. En France, il a soulevé l’indignation auprès des maîtres universitaires. Son réalisme intransigeant et ses idées wyclifiennes n’ont guère été appréciées. Sa méthode consistant à noyer ses discours par des références à de grandes personnalités n’a pas impressionné. « Nous ne pouvons nier chez Jérôme un penchant pour le pompeux et l’ostentatoire. »[5] Ses discours provocateurs et offensants ont pu légitimement énerver ses adversaires. À Cologne, « la faculté ne veut plus l’écouter ». Il a été suspendu de ses fonctions d’enseignement et ses élèves ont reçu l’ordre de ne plus assister à ses conférences. Lors d’une mission diplomatique en Pologne, Jérôme de Prague a encore suscité des disputes.

Jean de Prague est donc un maître philosophique marqué par sa radicalité et son esprit turbulent. C’est surtout lui qui organise à Prague les mouvements étudiants contre la vente des Indulgences.

La guerre hussite

La mort de Jean Hus et de son fidèle compagnon provoquent une explosion d’indignation et une surexcitation des esprits en Bohême et en Moravie. Mort, le prophète est désormais vu comme un martyr à la fois de l’Église romaine et de l’empereur germanique. Son exécution rassemble et unie tous leurs adversaires. Quatre cent cinquante seigneurs tchèques protestent officiellement. L’archevêque de Prague doit fuir la ville. Le 30 juillet 1419, les églises et les monastères sont pillés. Le roi Wenceslas fuit son royaume. Des conseillers catholiques sont défenestrés. C’est la journée dite de la défenestration de Prague. Elle est le début d’une longue guerre, qui durera dix-sept ans. Elle oppose les Tchèques et les Allemands dans une longue guerre atroce. La Bohême est mise à feu et à sang…

Comme dans toute opposition, il faut un symbole qui la cristallise et la manifeste. Ce point de ralliement est la communion sous les deux espèces, c’est-à-dire le droit de communier avec le calice et l’hostie. Ainsi les opposants tchèques portent le nom d’ultraquistes ou de calixtins. Ils le demandent au concile de Florence qui refuse leur revendication.

Les Adamites
En dépit de leur force, les Allemands ne parviennent pas à réprimer la résurrection. Les hussites repoussent toutes leurs attaques et parviennent même à menacer la Hongrie. Mais ils sont aussi divisés entre ultraquistes modérés et des zélés connus sous le nom de Taborites. Les premiers revendiquent la communion sous les deux espèces pour eux-mêmes, la libre prédication de l’Évangile, le renoncement du clergé à ses privilèges et à ses biens, la punition des péchés mortels selon les règles canoniques. Les Taborites, ou encore appelés Orebites, qui ont établi leur siège sur les Monts Tabor et Oreb, défendent une Église uniquement spirituelle. Ils ne veulent point d’église, d’autels, d’ornements, de cérémonie. Ils rejettent tous les sacrements sauf le baptême, la vie monastique, le culte des saints, ... Ils professent aussi les doctrines de Wiclef. Contrôlant une partie de la Bohême, les Taborites ont établi une sorte d’État communiste. Ils pratique le partage des biens et la suppression de la richesse et de toute forme de noblesse. Se joignent à eux diverses sectes comme les Adamites, qui veulent revenir au temps paradisiaque, des sortes de précurseurs du nudisme. Ces radicaux ou ces exaltés montrent ainsi que laissés à eux-mêmes, les hommes s’égarent vite dans l’imagination et la division.

Le concile de Bâle, réuni en 1431, invite les hussites à exposer leurs opinions. Un accord finit par être conclu entre des délégués du concile et les hussites modérés en novembre 1433. Une convention, intitulée Compacta de Prague, est alors signée. Le concile reconnaît aux prêtres de Bohême et de Moravie le droit de distribuer la communion sous les deux espèces mais seulement aux adultes qui le demandent et à la condition d’enseigner que le Christ est reçu tout entier sous chaque espèce. Seules les personnes qui ont le pouvoir et selon les règles canoniques pourront punir les péchés mortels. Seules les personnes autorisées pourront prêcher librement, sans néanmoins porter atteinte à l’autorité du Pape. Enfin, il est proclamé le droit de l’Église à posséder des biens et à les administrer selon les règles canoniques. Finalement, la convention permet de répondre aux revendications des ultraquistes modérés tout en sauvegardant la foi et l’autorité de l’Église. Nous sommes bien loin des demandes de Jean Hus et des exaltés.

Bataille de Lipany
Mais la guerre ne cesse pas. Les Taborites contrôlent toujours une partie de la Bohême. Une force réunissant les soldats impériaux et les hussites modérés parviennent à les défaire à la bataille de Lipany. C’est la fin de leurs rêves. La plupart seront convertis. Les irréductibles, connus sous le nom de « Frères du Libre Esprit » ou de« Frères de Bohême », rejoindront le protestantisme. La Bohême est alors unie de nouveau au Saint Empire Germanique. Le Pape Eugène IV approuve les Compacta de Prague, reçues comme force de loi en 1436.


Néanmoins, en raison d’un zèle excessif d’un partisan ultraquiste, devenu archevêque, les Chrétiens de Bohême sont de nouveau divisés sur la distribution de la communion. En 1485, la concorde est de nouveau réalisée. Beaucoup d’ultraquistes rejoindront le protestantisme

Conclusions

Prédicateur au verbe chaud, excessif dans sa parole, Jean Hus a réussi à gagner le cœur de la population de Bohême. Mais son discours, si habile qu’il soit, est tendancieux. Il y mêle des revendications doctrinales avec des questions nationales et politiques. Quels rapports entre le besoin de réforme, les aspirations populaires et les dogmes ? Le changement que réclame la population n’est pas uniquement et essentiellement religieux. Jean Hus soulève en fait une révolte sociale et populaire pour conduire sa révolution religieuse. Pour faire avancer ses idées, il n’hésite pas en effet à se servir de la force populaire. Il n’hésite pas non plus à accepter la protection d’un souverain détestable qui use de son influence pour des intérêts purement politiques. Luther fera de même avec les seigneurs allemands. Il utilisera les mêmes moyens pour imposer sa révolution.

Est-ce cela le chemin qui doit permettre à l’Église de se réformer ? De tels réformateurs, véritables tribuns aux verbes virulents, n’apportent que division, violence, guerre. Car au lieu d’élever l’homme, ils excitent leurs passions et ferment leur âme à la grâce divine. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a jamais usé des récriminations du peuple juif contre l’occupation romaine et leur colère contre leurs occupants pour enseigner et éclairer les âmes. Il s’est même opposé à de tels moyens. Saint François d’Assise ou Saint Dominique ont-ils excité les passions populaires ou les intérêts politiques pour réformer les esprits et les mœurs ?...

Remarquons que les Compacta de Prague, qui mettent fin à la guerre hussite, n’entament pas la doctrine de l’Église. Ils répondent aux aspirations populaires tout en sauvegardant son enseignement et l’autorité du Pape. Contrairement à certains commentateurs, l’Église n’a pas cédé sur l’essentiel…

Enfin, contrairement à son fidèle ami, Jean Hus a eu le courage de défendre ses idées devant un concile. Il a accepté de se sacrifier pour ce qu’il croit être la vérité de Dieu. Il est monté sur le bûcher puis a récité le Miserere. Luther n’a pas eu ce courage. Il n’a pas eu l’âme d’un martyr. Cela ne peut guère nous surprendre. Il ne lutte pas pour des idées. Le cœur de son combat, c’est lui-même…

Notes et références
[1] Balbinus, jésuite, dans Émile de Bonnechose, Les Réformateurs avant la réforme XVe siècle : Jean Hus et le Concile de Constance, Livre I, 1845.
[2] Jean Hus selon Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une révolution religieuse : la Réforme protestante, III, Fayard, 1955.
[3] Ota Pavlíček, institut de Philosophie Académie des Sciences de la République tchèque, La figure de l’autorité magistrale à travers Jean Hus et Jérôme de Prague, Revue des sciences religieuses, 85/3, 2011, mis en ligne le 12 mars 2015, consulté le 01 octobre 2016, http://rsr.revues.org.
[5]Jean Hus dans Émile de Bonnechose, Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance, tome I, Libraire-éditeur Cherbuliez, 1860.
[5] Ota Pavlíček, La figure de l’autorité magistrale à travers Jean Hus et Jérôme de Prague, Revue des sciences religieuses, 85/3, 2011, mis en ligne le 12 mars 2015, consulté le 01 octobre 2016, http://rsr.revues.org.

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