" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 24 juin 2017

La révolution intellectuelle du XIVe siècle, prélude de la rupture religieuse du protestantisme

En cette année d’anniversaire, selon un rituel bien connu, Luther revient sur le devant de la scène médiatique comme un véritable héros, un second Saint Paul. Il est décrit comme le héraut de la réforme, l’ardent défenseur d’un christianisme authentique. Cette image qu’on colporte est péniblement erronée, fortement scandaleuse. Nous en avons déjà suffisamment parlé pour ne plus y revenir. Luther est surtout le symbole d’un homme de son siècle, un homme confronté à un enseignement perverti, à une scolastique en déclin, à une philosophie aussi subtile que vaine. Son siècle ne répondant pas à son besoin spirituel, il accuse l’Église catholique et le Pape d’en être responsables. Or, il se trompe de cibles. L’esprit contre lequel il combat n’est pas celui de l’Église. Et dans ses colères et ses emportements excessifs, emporté par une prétention démesurée, Luther finit par se révolter contre l’Église. Fermé dans ses certitudes, fermé à tout esprit critique, fermé à toute discussion, il rompt avec l’Église et échafaude un nouveau christianisme dans les injures et la haine.

La fin d’un âge, le XIIIème siècle

L’Histoire est classiquement découpée en périodes ou phases qui se débutent et s’achèvent par des repères commodes nécessaires pour situer les événements. Ainsi la chute de Rome est considérée comme le point de départ du Moyen-âge, la découverte de l’Amérique ou la prise de Byzance par les Turcs comme sa fin. Tout ce découpage est évidemment superficiel. Cependant, cela a l’avantage de bien inscrire les choses dans le temps. Il n’y a pas d’Histoire sans repère chronologique.

Dans l’histoire de la pensée, l’âge d’or de la scolastique débute par l’enseignement de Saint Albert le Grand vers 1228 et se termine par la mort de Guillaume d’Ockham en 1349. Pourtant que de différences entre les doctrines des scolastiques du XIIIe siècle et du XIVe siècle, entre les doctrines de Saint Bonaventure et de Saint Thomas d’Aquin, et celles de Duns Scot et de Guillaume d’Ockham, entre le réalisme des premiers et le nominalisme plus ou moins radical des seconds ! Les uns donnent la primauté à l’intelligence, les autres à la volonté. Une rupture s’est produite au début du XIVe siècle, une rupture lourde de conséquences. Luther et ses successeurs en sont les enfants…

Le XIIIe siècle est marqué par la volonté « d’unir en une solide synthèse la théologie naturelle et la théologie révélée, la première s’accordant avec la deuxième dans les limites de sa compétence propre, et reconnaissant son autorité pour toutes les questions relatives à Dieu qu’elle-même ne pouvait résoudre. »[1] Les scolastiques sont convaincus qu’il est possible de lier les deux modes de connaissance que sont la foi et la raison, les données de la foi et les connaissances rationnelles, pour atteindre la réalité et notamment pour connaître Dieu. Ces efforts ont produit de remarquables œuvres, d’extraordinaires cathédrales intellectuelles. Le franciscain Saint Bonaventure et le dominicain Saint Thomas d’Aquin en sont les deux illustres représentants, chacun développant un système né de cette confiance en l’intelligence humaine, de cette relation entre la foi et la raison, chacune dans son domaine de compétences. Ils ont uni avec une très grande rigueur les connaissances qu’apportent la science de leur époque et la philosophie avec les données de la foi. Le XIIIe siècle est ainsi marqué par une certaine philosophie de la nature, c’est-à-dire d’un certain réalisme, et d’une démarche spéculative. Or dès la fin du XIIIe siècle, cette confiance et cet effort sont profondément remis en cause. On se méfie du lien qui pourrait unir la foi et la raison, et de tout système qui rendrait la première dépendante de la seconde. On se méfie du rôle donné à l’intelligence.

Duns Scot (1265/66-1308)

Duns Scot est né dans un village écossais, d’où son surnom « scot ». Prêtre franciscain, il étudie à Oxford dans les années 1280 puis à Paris en 1302. Il est expulsé de France en juin 1303 pour avoir soutenu le Pape Boniface VIII contre le roi Philippe le Bel dans leur dispute. Après la mort du roi, il revient en France où il devient docteur en théologie en 1305, puis enseigne à Cologne à partir de 1307. À partir des sources aristotéliciennes, il élabore un nouvel édifice qui se démarque des précédents. Notre but n’est pas de présenter sa philosophe particulièrement complexe mais d’en donner quelques points sans la dénaturer.

Théologie et philosophie, un mariage remis en cause

Contrairement à ses prédécesseurs, Duns Scot limite la métaphysique. Elle ne peut atteindre Dieu en lui-même, ce qui est l’objet de la théologie, mais en tant que Dieu est être. Comme le réel n’est accessible que par ce que nous pouvons extraire du sensible, nous ne pouvons connaître de l’être qu’indirectement. Le mot « être » n’est donc pas concevable pour des êtres immatériels et intelligibles comme Dieu. Cependant, la métaphysique est possible si elle atteint la plus haute abstraction afin qu’elle s’applique à tout ce qui est. Il faut donc s’écarter des évidences sensibles. Scot est donc fidèle à l’interprétation traditionnelle d’Aristote selon laquelle tout savoir provient des sens. Mais si l’expérience est le point de départ du connaissable, l’intellect doit rapidement s’en détacher pour raisonner à partir du nécessaire.

Toujours dans le domaine de la raison, Duns Scot limite la valeur de la démonstration comme moyen d’accès à la connaissance. Les scolastiques qui le précèdent distinguent les vérités rationnelles et celles qui ne sont accessibles que par la Révélation. Pour Duns Scot, seule la démonstration qui va de la cause à l’effet est admissible, c’est-à-dire la démonstration a priori. Elle se fait à partir d’une cause nécessaire et évidente appliquée à la conclusion par un raisonnement syllogistique. Donc les démonstrations de l’existence de Dieu ne sont pas des démonstrations dignes de ce nom, mais des démonstrations relatives ou encore des arguments probables. Ainsi certaines notions comme la Providence divine ou l’immortalité de l’âme sont inconnaissables à la raison. Elles ne sont vraies que pour la foi. Il est possible de trouver des arguments pour en faire des conclusions probables mais il est impossible de trouver des démonstrations pour les rendre nécessaires.

De nombreuses thèses considérées auparavant comme relevant de la philosophie se trouvent donc renvoyées à la théologie. « Puisqu’elle devient l’asile naturel de tout ce qui ne comporte pas de démonstrations nécessaires et de tout ce qui n’est pas objet de science, il s’ensuit que la théologie n’est une science que dans un sens très spécial du mot. »[2] Ce n’est pas une science spéculative mais pratique au sens où elle a pour but premier de régler nos actions en vue de la béatitude que nous espérons sur la foi des promesses divines. Elle est moins mode de connaissance. En outre, toujours selon Duns Scot, ce qui est démontrable par la raison n’est pas révélé, et rien de ce qui est révélé n’est démontrable, sauf à partir de la Révélation. Finalement, la philosophie et la théologie commencent à se séparer. Le mariage tant voulu par les scolastiques du XIIIe vacille...

Le volontarisme de Duns Scot

Ensuite, Duns Scot insiste sur la liberté de la volonté divine. Dieu crée ce qu’Il veut et Il ne crée que parce qu’Il veut. Sa volonté est l’unique cause du choix qu’Il a fait. Il est donc inutile de trouver des raisons des choses qu’Il a faites. Les seules réserves à sa volonté sont les principes de contradiction et de non immutabilité. Ses lois demeurent en outre immuables lorsqu’elles ont été décrétées. Par conséquent, Il n’est pas soumis à la règle du bien. Au contraire, la règle du bien lui est soumise. Si Dieu veut une chose, cette chose sera bonne. Aucune loi n’est droite qu’en tant qu’elle est acceptée par la volonté de Dieu. Le bien n’existe donc pas en soi.

La doctrine de Duns Scot est volontariste selon deux aspects. D’abord, au niveau de l’idée de Dieu. Il refuse de voir dans la création la moindre conséquence d’un principe. Pour élever Dieu de tout nécessitarisme, « il sépare la créature du Créateur par le décret d’une suprême liberté. »[3] Mais une telle démarche le rend inintelligible à la pensée philosophique. Dans le raisonnement, il n’y a pas de place pour la liberté. La liaison nécessaire des principes aux conséquences est la condition de toute intelligibilité pour la philosophie. Ainsi la philosophie est impuissante à atteindre Dieu. Seule la théologie peut le faire. Elle prime donc sur la philosophie, qui en devient un auxiliaire. Duns Scot se sépare donc de ses prédécesseurs qui voient la primauté de la théologie dans la philosophie alors que lui la considère hors de la philosophie.

Le volontarisme de Duns Scot s’applique aussi à l’homme. Dans son système, la volonté prime sur l’intelligence. Certes comme ses prédécesseurs, il enseigne que c’est bien la volonté qui veut et l’intelligence qui connaît, et que nous ne voulons que ce que nous connaissons mais l’intelligence n’est que cause occasionnelle. La volonté peut en effet commander les actes de l’intelligence. Nous connaissons une chose parce que nous avons voulu appliquer notre regard sur cette chose sans pourtant la connaître. Et parce que nous la connaissons, notre volonté peut encore s’exercer sur cette chose. La volonté est la cause de son acte. Duns Scot s’efforce d’attribuer à la seule volonté humaine la causalité totale de l’acte volontaire. Elle se détermine elle-même. Certes nous devons connaître un objet pour le vouloir, mais il est aussi vrai que si nous connaissons cet objet plutôt qu’un autre, c’est parce que nous le voulons. Et c’est la volonté qui a voulu et accepté les connaissances qui à leur tour peuvent nous entraîner.

La volonté a deux inclinations, l’affection pour l’avantageux, c’est-à-dire l’appétit intellectuel dirigé vers le bonheur, et l’affection pour la justice, c’est-à-dire celle qui vise les choses bonnes en raison de leur bonté même. Elle est donc capable de transcender la nature, de se dépasser. L’affection pour la justice lui garantit sa liberté sur laquelle repose sa responsabilité morale. Duns Scot défend alors une morale pratique, commandé par la prudence et non par les vertus morales. La moralité n’est pas une propriété intrinsèque d’un acte. Le jugement de la droite raison est le critère déterminant de la bonté morale.

À partir du XVe siècle, le scotisme devient une école au côté du thomisme. Il est surtout devenu par un de ses plus ardents adversaires, Guillaume d’Ockham (ou Occam).

Guillaume d’Ockham (avant 1300, 1349 ou 1350)

Il est né en Angleterre à Ockham un peu avant 1300. Franciscain, il fait ses études à l’Université d’Oxford de 1312 à 1318. Vers 1320, il enseigne à Paris comme maître. De nombreuses propositions tirées de son œuvre, Commentaire sur les sentences, sont condamnées en 1324. Il s’enfuit auprès de l’empereur Louis IV, alors en plein conflit avec le Pape Jean XXII sur la question du pouvoir temporel. Il soutient la cause de l’empereur par de nombreux écrits et manifestes qu’il dirige contre le Pape. Mais Ockham est surtout connu pour le système philosophique qui porte son nom, l’occamisme.

Ockham est avant tout un « terministe ». Il pratique une logique qui analyse le sens des termes. Il est en continuité avec une certaine scolastique, qui s’affirme au XIVe siècle. En analysant le langage, il édifie une nouvelle théorie de la connaissance. Plus tard, il sera surtout considéré comme « nominaliste » ou plutôt comme un chef de file du nominalisme médiéval tardif. Cette dernière considération nous renvoie alors à la célèbre querelle des universaux qui depuis Porphyre anime les débats philosophiques. Il est vrai qu’en étudiant les mots, les concepts et les choses qu’ils signifient, Ockham en arrive à ne voir la réalité que dans le particulier, dans l’individu, refusant catégoriquement toute réalité aux mots et aux concepts : il n’y a d’être qu’individuel. « N’importe quelle chose qu’on peut imaginer exister est, de soi, sans rien qui lui serait ajouté, une chose singulière numériquement une »[4]

Une nouvelle théorie de la connaissance

Pour Ockham, une proposition est prouvée si nous démontrons soit qu’elle est immédiatement évidente, soit qu’elle se déduit nécessairement d’une proposition immédiatement évidente. Ce critère de la preuve, il l’applique de manière impitoyable. Ainsi pour désigner sa méthode, particulièrement radicale, on parle classiquement de « rasoir d’Occam ». Il élimine toute entité inutile. Enfin, il est très attaché au concret et au particulier. Ces deux traits de sa philosophie conduiront à la ruine de la théologie scolastique.

Si l’évidence est le seul critère de preuve à admettre, cela revient à n’admettre que la connaissance intuitive. Elle-seule porte sur les existences et nous permet d’atteindre les faits. Par conséquent, la connaissance sensible est la seule certaine lorsqu’il s’agit d’atteindre des existences. Si nous voyons un ballon rouge, cette seule intuition nous permet immédiatement d’établir un lien évident entre ces deux termes et d’affirmer cette vérité : ce ballon est rouge. La connaissance intuitive est donc le point de départ de toute connaissance. Elle est dite expérimentale. Par une généralisation de la connaissance particulière, elle permet de formuler des propositions universelles qui sont les principes de l’art et de la science.

À ce principe, Ockham associe le principe aristotélicien : il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité. Ainsi cherche-t-il à expliquer les choses de la manière la plus simple possible. Si l’on veut affirmer avec certitude la cause d’un phénomène, il est nécessaire et suffisant d’en faire l’expérience. Nous devons assigner une cause à un effet que si l’expérience nous le contraint. Seule l’expérience peut donc prouver l'effet par l’absence ou la présence de la cause. Ockham cherche donc à atteindre le particulier.

Or pour ses prédécesseurs, la science porte sur le général. Ils ont pu le faire car leur doctrine s’inscrit dans une conception qui donne une réalité à l’universel. Ils se sont aussi dotés d’outils capables de saisir l’universel. Pour justifier sa théorie, Ockham doit donc démontrer que l’universel est dépourvu de réalité et attribuer à l’intelligence les facultés nécessaires et suffisantes pour qu’elle soit capable d’appréhender le particulier.

Le « nominalisme » d’Occam

Pour Ockham, en effet, l’universel n’existe que dans l’âme du sujet connaissant. Hors de la pensée, il n’a pas d’existence réelle. Comment un universel peut être un tout en se multipliant donc en se divisant avec les choses particulières ? Comment peut-il se multiplier avec les choses particulières tout en étant un ?

Ockham cherche alors à comprendre ce qu’est l’universel dans l’âme. Et pour cela, il étudie ce qu’est la connaissance. La science consiste en propositions qui se composent de termes, les universaux. Ces deniers entrent dans les propositions car ils portent une signification. Or pour Ockham, chaque chose réelle est individuelle de plein droit. Tout ce qui hors de la pensée est un individu. Il l’est du seul fait qu’il est. Par conséquent, les genres et les espèces n’ont aucune réalité. Ils ne sont rien en dehors de la pensée. Mais les individus peuvent être classés par la pensée en genres et en espèces. Ce sont des faits au-delà duquel il est impossible de remonter. Ainsi les termes, ou noms, avec lesquels nous formons des propositions dont notre science est faite, sont autant de signes qui tiennent lieu dans le langage des individus correspondants. Ils en sont les substituts. Notre esprit les attribue à plusieurs objets.

Comment pouvons-nous alors distinguer les mots qui désignent soit des concepts, soit des choses ? Nous appelons Socrate par son nom lorsque nous le percevons distinctement. Il est dit homme lorsqu’il est insuffisamment reconnu. Ainsi les termes désignant des concepts signifient des objets insuffisamment connus. Par conséquence, il désigne le même objet que le mot désigne mais sous un aspect différent. Dans les choses mêmes, il n’y a donc ni général ni particulier, mais seulement dans notre manière de les considérer. Les propositions vraies, qui forment notre connaissance, se réduisent donc à des mots qui signifient toujours, en fin de compte, des êtres réels et particuliers. Un universel n’est qu’un attribut que nous pouvons affecter à plusieurs individus. Il n’est pas une réalité.

En appliquant son principe de nécessité et en suivant une démonstration par l’absurde, Ockham supprime tout intermédiaire entre l’objet connu et l’intellect qui connaît, démontant ainsi toutes les théories de la connaissance qui en appelaient à l’espèce. Selon Ockham, l’expérience montre suffisamment son absence et aucun raisonnement ne peut en montrer sa nécessité. L’objet et l’intellectuel suffisent à expliquer l’intuition sensible et donc la connaissance abstraite qui en découle.

Une remise en cause théologique

Ockham applique les mêmes exigences en étudiant les problèmes théologiques. Une donnée de la Révélation ne peut être une vérité démontrable. Il affirme en fait l’indépendance absolue de la philosophie et celle de la théologie.

De nombreux principes jugés évidents par Aristote et ses prédécesseurs sont alors remis en cause. Les traditionnelles démonstrations de l’existence de Dieu[5] ne résistent pas à ces critères de preuves. De même, les attributs divins ne sont que des noms que nous donnons à Dieu à partir de ses effets. Rien dans notre expérience ne garantit l’existence de l’âme. Enfin, toutes les lois morales sont soumises à la pure volonté de Dieu. Le vol est mauvais en raison du précepte divin qui l’interdit. Si la loi de Dieu l’avait autorisé, il aurait été un acte bon. Dieu n’a pas de mérites en soi à récompenser chez l’homme, ni de fautes en soi à punir. Il n’y a rien de tout cela qui ne dépende de sa simple volonté. « A partir du moment où nous supprimons radicalement les essences et les archétypes universels, il ne reste plus aucune barrière qui puisse contenir l’arbitraire du pouvoir divin. »[6]



Ainsi Ockham applique radicalement ses principes à la théologie. D’autres avaient été nominalistes avant lui comme Abélard et Pierre Lombard, mais leurs positions philosophiques précèdent les œuvres des grands scolastiques du XIIIe siècle, qui sans difficulté les avaient éliminées. En les reprenant avec sa virulence et sa radicalité, Ockham remet en question tout ce qui s’est fait avant lui. Il purge les théologies précédentes de tout l’héritage grec qu’elles avaient accueillies. Ses principes sont la base du criticisme et du scepticisme qui se développeront…

Le volontarisme d’Occam

Pour Ockham, il n’y a pas de distinction entre volonté et entendement en Dieu. Il n’y a pas deux puissances. Ce ne sont que des mots. Pour les philosophes arabes, la volonté de Dieu suit nécessairement la loi de son intellect. Or il n’y aucune nécessité en Dieu. Ockham supprime toute Idée en Dieu. C’est pourquoi les universels n’ont pas de réalité. Il garde le mot pour signifier les choses que Dieu peut produire mais il élimine la chose. Tout est ainsi vu selon la volonté de Dieu et donc de sa puissance absolue.

Comme Duns Scot, Ockham fonde la différence du bien et du mal non sur l’essence des choses mais sur la libre volonté de Dieu.

Le divorce consommé de la philosophie et de la théologie

La théologie et la philosophie sont désormais deux sciences séparées. La première contient toutes les vérités nécessaires au salut, et toutes les vérités nécessaires au salut sont des vérités théologiques. Et la théologie ne doit compter sur aucune démonstration métaphysique. Ainsi Ockham remet finalement en cause l’usage de la philosophie dans la théologie en apportant des raisons positives, fortes et bien liées contre la soumission de l’essence divine aux analyses spéculatives de la raison naturelle. La théologie naturelle est donc fortement remise en question. Il réagit contre la compétence de la métaphysique comme connaissance de Dieu. Il permet alors à une certaine forme de la pensée théologique et du sentiment religieux de s’épanouir.

Ensuite, deuxième conséquence, en remettant en question les scolastiques et leur synthèse, Ockham revient aux Pères de l’Église, ce qui conduira à favoriser tous les mouvements qui veulent le retour de la doctrine augustinienne.

Ainsi Ockham nie toutes les philosophies qui l’ont précédé en ruinant le réalisme sur lequel elles reposaient. Il n’introduit pas une réforme dans le mouvement de la pensée, il apporte une véritable révolution. Deux voies s’opposent désormais, celle dite « via antiqua », qui regroupe tous les réalistes, et celle dite « via moderna », qui rassemble les nominalistes. Deux voies qui s’opposent et s’affrontent.

Conclusion

La théorie de la connaissance d’Ockham ne donne réalité qu’aux individus et à l’intuition la source de connaissance certaine. Elle s’oppose radicalement à celle des scolastiques du XIIIe siècle qui fonde la connaissance sur l’abstraction du réel. Il s’oppose aussi à l’idéalisme qui voit dans les concepts une réalité. Comme le nominalisme d’Ockham vide toute existence aux mots qui ne sont que des inventions sans réalité et que les démarches intellectuelles s’appuient sur le principe de la définition, c’est-à-dire sur des concepts, des notions et finalement sur des mots, il remet finalement en cause la démarche spéculative. Ainsi la nouvelle théorie de connaissance ruine les acquis des siècles précédents.

La nouvelle théorie implique alors de terribles conséquences dans la connaissance de Dieu et dans la notion de la foi. Puisque l’homme ne peut connaître que des singuliers, l’universel lui est inconnu. Dieu ne peut donc être accessible à la raison. Il n’est pas connaissable par la raison. Son existence ne peut être démontrée. Aucune notion ne peut donc Le définir. La métaphysique perd aussi toute consistance. La foi et la raison ne sont donc pas conciliables, chacune est cloisonnée dans son domaine propre. Nous comprenons donc que la notion de foi ne relève pas de l’intelligence mais de la volonté. Car ce que la raison ne peut faire, la volonté le peut. Ainsi dans l’acte de foi, c’est la volonté qui joue le rôle capital. On croit parce qu’on veut croire. La foi devient donc chose subjective, irraisonnée et incommunicable. Luther sera fortement imprégné de cette philosophie volontariste. Le protestantisme en est finalement né. La révolution intellectuelle annonce la grande rupture religieuse du XVIe siècle. Il est faux d’y voir un retour à la foi authentique ou à une volonté de réforme.




Notes et références
[1] Etienne Gilson, La philosophie au Moyen-âge, tome 2, Du XIIIème siècle à la fin du XIVème siècle, 9, III, éditions Payot,
[2] Etienne Gilson, La philosophie au Moyen-âge, tome 2, Du XIIIème siècle à la fin du XIVème siècle, 9, I.
[3] Etienne Gilson, La philosophie au Moyen-âge, tome 2, Du XIIIème siècle à la fin du XIVème siècle, 9, I.
[4] Guillaume d’Ockham, Expositio in librum Porphyrii de praedicabilibus, Proem., § 2, ed. Moody, Opera philosophica, II, St Bonaventure, N. Y., The Franciscan Institute Publications, 1978, dans Le Nominalisme au Moyen-âge tardif, Joël BIARD, Centre d’études supérieures de la Renaissance, UMR 7323, CNRS / université François-Rabelais, Tours, http://ockham.free.fr/NominalismeTardif-VF4.pdf.
[5] Voir Émeraude, juillet 2014, articles "La connaissance naturelle de Dieu : les cinq vies de Saint Thomas d'Aquin".
[6] Etienne Gilson, La philosophie au Moyen-âge, tome 2, Du XIIIème siècle à la fin du XIVème siècle, 9, III.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire