Les mots ont une certaine
valeur. Ils évoquent une image, une histoire qui elle-même enrichit leur sens et
le modifie. Certains sont valorisants et réjouissent le cœur ou l’esprit,
d’autres sont à peine prononcés de peur d’être soi-même atteint par l’infamie
qu’ils semblent porter. Et ce qui était aimé et attrayant hier peut devenir
détestable et répulsif aujourd’hui. Un mot qui était honorifique autrefois peut
désormais être objet de mépris et de déshonneur. La valeur d’un mot évolue au
cours des siècles. Tel est le cas du terme « scolastique ». Au XIIIe siècle, il faisait honneur à celui
qui en portait le titre. Trois siècles après, il est victimes d’acerbes
critiques. Le scolastique est ridiculisé et caricaturé. Il est devenu le
symbole de la bêtise humaine. Les humanistes, Luther et les autres prétendus
réformateurs se sont attaqués à lui avec une très grande violence. Les Lumières
ont noirci à leur tour, s’il était encore besoin, l’image déplorable de la
scolastique. Pourquoi tant de haines ?
L’opposition des humanistes
D’abord, férus de
l’antiquité, les humanistes reprochent le latin en usage chez les scolastiques,
langue de piètre qualité, langue dont ils ne maîtrisent plus le génie. En fait,
ils s’attaquent à l’ignorance du « maître
scolastique ». Il « n’est
que bêtise, et leur sagesse que moufles, abâtardissant les bons esprits et
corrompant tout fleur de jeunesse », nous dit Érasme. Il condamne
« ses subtils ergoteurs, ses
délicieuses niaiseries et des frêles syllogismes »[1].
Les humanistes attaquent
aussi la méthode scolastique pour sa complexité. « Sous prétexte de clarté, on multiplie les distinctions, les
sous-distinctions, les marches et les contremarches, et la pensée sombre dans
un fatras inextricable de cadres et de schémas. »[2]
Ils rient du verbiage et des formules creuses des scolastiques, de leurs
« commentaires commentant des
commentaires ». Ils accusent le formalisme dialectique de primer finalement
sur le fond.
Érasme (v.1467-1536) |
Remarquons que le travail
d’historisation conduit immanquablement à relativiser les sentences et à
développer davantage leur désacralisation, déjà bien entamée par la scolastique du XVIe siècle.
Un enseignement appauvri
ou dénaturé de la philosophie
La scolastique est aussi
accusée de rompre avec l’enseignement des philosophes antiques. Selon certains
penseurs, de la fin de l’antiquité au Discours de la méthode de Descartes,
l’humanité a cessé de penser, se perdant dans de vaines puérilités. Cette idée a
prévalu notamment au XIXe siècle dans l’enseignement de la philosophie.
Qu’apprenait-on en effet à cette époque ? Ouvrons un manuel de l’époque.
« Si la philosophie est, comme nous
l'avons définie, une libre recherche, nous pouvons dire qu'il y a, depuis
l'édit de Justinien (529) jusqu'à la Renaissance au XVe siècle, une sorte
d'entr'acte, pendant lequel il n'y a pas, à proprement parler, de philosophie. »[4]
Selon d’autres critiques, le scolastique n’est qu’un aristotélisme appauvri et
dénaturé. Écoutons Diderot. Il nous dit que « la scolastique est moins une philosophie particulière qu'une méthode d'argumentation
sèche et serrée, sous laquelle on a réduit l'aristotélisme, fourré de cent
questions puériles. »[5]
Les premiers chefs de file
de la « réforme » ont une autre vision. Ils voient dans la
scolastique une influence aristotélicienne abusive dans la foi, c’est-à-dire
une corruption de l’enseignement de la doctrine par la philosophie païenne. Telle
est l’accusation de Luther qui exècre toute intrusion philosophique dans la foi.
De nombreuses critiques reprochent aussi le rôle exagéré et néfaste de l’aristotélisme
dans la scolastique.
Une démarche unique hors
des besoins du temps
Jean Gerson (1362-1429) |
Pour Gerson (1362-1429), la
raison n’est qu’une voie d’accès à la vérité parmi d’autres. Il s’oppose donc à
ce qu’elle soit l’unique source de connaissances. Il demande alors de cultiver
davantage la théologie mystique qu’il présente comme un antidote aux dangers de
la théologie spéculative. Puis, il dénonce le fossé grandissant qui éloigne la
recherche théologique de la connaissance du fidèle. Il réclame donc une plus grande attention à la
pastorale. Sa perception du double danger est très intéressante. Il n’a pas
condamné la scolastique en elle-même mais un certain esprit qui prédomine à son
époque et l’inadaptation de la méthode qui monopolise l’élite intellectuelle au
détriment du besoin réel des Chrétiens.
D’autres opposants aux
scolastiques s’emploient à renouveler les connaissances en forgeant un nouveau
système à partir des progrès du savoir humain. Tel Nicolas de Cues (1400-1461),
Marsile Fircin (1433-1499), qui tente de lier le platonisme et le
christianisme, ou encore Pic de la Mirandole (1463-1499), qui étudie les
données de la foi dans un sens spiritualiste. Ils se rendent compte de
l’inadaptation d’un enseignement avec le progrès des connaissances. La
scolastique devient ainsi le symbole d’un enseignement suranné aussi bien dans
le contenu enseigné que dans la pédagogie en usage.
Gerson prend bien
conscience des défaillances de la scolastique telle qu’elle est conduite depuis
la fin du XIVème siècle. Lorsque Luther soulève des questions cruciales à
propos de la messe et des sacrements, les théologiens formés dans les
universités ne peuvent pas lui répondre de manière efficace et pertinente.
Habitués à discuter sur des superfluités, ils se trouvent désormais sur des
problèmes concrets et se montrent bien impuissants à répondre aux attaques des
protestants. L’art de la dialectique leur est inutile, voire néfaste. Si
l’enseignement n’est plus capable de nourrir l’âme éprise de connaissances, cette
dernière finie par la repousser. « Trop
éloigné des valeurs spirituelles pour inspirer un ferme attachement au dévot,
la scolastique était trop manifestement stérile pour intéresser les
intelligences envieuses d’apprendre. »[6]
Les âmes se tournent alors vers d’autres voies, vers le mysticisme ou
l’humanisme. Telle est la voie suivie par Nicolas de Cues et par bien d’autres.
Ce n’est pas étonnant qu’ils se développent hors de l’Université. « Pervertie par le nominalisme, la théologie ne
servait plus que de pôle de répulsion aux courants nouveaux de dévotion et de
pensée. » [7]
Les vices de la
dialectique
Gravure du XIVe siècle représentant une « disputatio » à l’université |
On dénonce aussi les
aspects mondains qu’elle présente parfois. « C'est ce reproche que doivent craindre ceux qui pratiquent la dispute
séculière des arts, ceux qui veulent davantage paraître savants que l'être,
prêter plutôt attention à la faveur des hommes qu'à l'utilité commune »[9].
La scolastique, une
réalité bien méconnue
Nous avons ainsi présenté
les principales critiques qu’on lance classiquement contre la scolastique :
puérilité, obscurcissement, inutilité, vanité, etc. Mais ces accusations
portent-elles vraiment sur la scolastique ou sur une certaine conception de la
scolastique ? Les mots changent en effet de signification au cours du
temps. Le terme de « scolastique »
n’échappe pas à cette règle. En outre, comme nous l’avons noté dans l’article
précédent, il est déjà bien difficile de définir ce qu’est la scolastique.
Est-ce une philosophie ou une méthode d’enseignement ? Au temps du
Moyen-âge jusqu’au XVème siècle, on appelait scolastiques par exemple les
philosophes, les grammairiens et les astronomes. Or les humanistes réservent ce
mot aux philosophes et aux théologiens. Le champ est déjà réduit dans leur
esprit…
Education au Moyen Age, vers 1305-1340 -
Codex Manesse/Wikimedia Commons
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Lorsque certains s’attaquent
à la scolastique, ils s’opposent en fait à une certaine forme de la philosophie
enseignée à partir du XVème siècle, c’est-à-dire à l’ockhamisme. Ou comme
Érasme et Rabelais, d’autres n’ont en vue que la méthode d’enseignement de leur
temps, c’est-à-dire le terminisme. Ce sont leurs véritables cibles. Les
humanistes et les protestants ne connaissent pas en fait l’histoire
philosophique du Moyen-âge, encore moins les différents systèmes
philosophiques, leurs divergences comme leurs points communs. De manière
générale, « on voit que les
écrivains de la Renaissance désignèrent du nom de scolastique non l'ensemble de
ces systèmes, mais une conception commune et dominante représentant un
groupement important de philosophies médiévales, et qu’ils ne connaissaient pas
les systèmes entrés en conflit avec cette conception dominante. »[10]
Une attaque qui en cache une autre
Hercules Germanicus, HansHolbein
Le Jeune allemand terrassant
les philosophes scolastiques et les inquisiteurs.
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La scolastique est revêtue d’un lourd préjugé, le même qui a longtemps pesé sur le Moyen-âge, considéré
pendant plusieurs générations comme un âge moyen. « Ainsi ce n'est pas seulement la philosophie que l'on traite
puérilement, c'est tout ce qui constitue le moyen âge, son art, sa religion, sa
politique, sa vie sociale. Et ce préjugé persiste encore de nos jours en dépit
des études d’historiens sérieux. »[11]
Une telle opinion persiste encore dans l’opinion en dépit des campagnes de
réhabilitation que mènent des historiens plus intéressés à la vérité qu’à la
défense d’une idéologie. Soyons cependant heureux. Les mensonges de l’histoire
finissent par se dissiper. « Le fil
de la tradition qui séparait la philosophie antique de la philosophie moderne
est renoué, et rien ne ressemble moins à une léthargie intellectuelle que le
brillant épanouissement des idées du XIIIe au XVIIe siècle. »[12]
La définition de la
scolastique n’est pas si simple tant les manipulateurs de l’histoire l’ont
brouillée. Il est facile de la définir comme l’ensemble des philosophies qui
ont subsisté ou développé durant le long Moyen-âge. « La philosophie scolastique est la philosophie professée dans les écoles
du moyen âge depuis l'établissement jusqu'au déclin de ces écoles, c'est-à-dire
jusqu'au jour où la philosophie du dehors, l'esprit nouveau, l'esprit moderne,
se dégageant des liens de la tradition, viendront lui disputer et lui ravir la
conduite des intelligences. »[13]
Cette définition oppose le conservatisme à la modernité, le Moyen-âge ténébreux
au temps des Lumières. En outre, elle ne nous apprend guère de nouveau, puisque
la scolastique est par étymologie la philosophie enseignée dans les écoles. Néanmoins,
elle lie la scolastique à la tradition. La critique portée contre la
scolastique entre dans une critique plus importante, celle de l’autorité. Or, la
forme scolastique qui fait l’objet des critiques se caractérise justement par
la remise en cause du rôle de l’autorité dans les démonstrations…
L’aristotélisme et la
scolastique
La scolastique est-elle un
aristotélisme perverti et asséché, ou a-t-elle perverti le christianisme en le mêlant
à la philosophie d’Aristote ? Pour apporter des éléments de réponse,
revenons aux faits historiques.
Au début du XIIIe siècle, des œuvres d’Aristote traduites et remaniées par les savants arabes
parviennent en Europe. L’aristotélisme se développe alors énormément dans les
universités, réduisant l’influence de Saint Augustin et de Platon, alors
prédominants. Néanmoins, certaines œuvres d’Aristote sont déjà connues par
l’intermédiaire des traductions latines de Boèce.
Or les nouvelles traductions
des œuvres d’Aristote sont mêlées de doctrine panthéistes et rationalistes
provenant des savants arabes comme Avicenne ou Averroès. Certains théologiens
chrétiens[14]
s’en inspirent pour enseigner des doctrines que l’Église condamne. Conscient du
danger de ces traductions, le Pape Grégoire IX demande à Saint Albert le Grand
de reprendre les œuvres d’Aristote et de les interpréter chrétiennement. Saint
Thomas d’Aquin achève son travail. Ainsi contrairement aux accusations
luthériennes, l’enseignement de l’aristotélisme dans les Universités est encadré
pour qu’il demeure orthodoxe. La Somme de Saint Thomas d’Aquin,
comprenant la Somme contre les Gentils (1259-1264) et la Somme théologique
(1266-1273), « présente la synthèse
la plus harmonieuse de la révélation chrétienne et la philosophie d’Aristote. »
Enfin, les méthodes en
usage dans la scolastique proviennent des œuvres d’Aristote. Il en est la
référence. Or le Moyen-âge élève la dialectique à sa perfection au point qu’à
partir du XIVe siècle, les techniques prédominent sur le savoir. Aristote ne
peut alors qu’être une référence indiscutable dans l’enseignement.
Finalement, nous
constatons que les humanistes comme les protestants se sont opposés à une
scolastique particulière, celle qui prédomine à leur époque, celle du XV-XVIe
siècle. Et leurs successeurs accusent à leur tour toute la scolastique sans aucune
nuance. Elle est en fait attachée à une critique plus globale, celle du
Moyen-âge qu’ils considèrent à tort comme ténébreux, à une Église qu’ils veulent
détruire. Il est souvent plus efficace de s’attaquer à un symbole qu’à ce qu’il
représente…
Au temps des humanistes et
de Luther, la scolastique telle qu’elle est à son apogée est en fait méconnue.
Le rejet que provoque l’enseignement de leur époque les éloigne de cette époque
fleurissante. Ils ne peuvent donc pas chercher à le réformer afin de revenir à
un certain équilibre entre la raison et la foi, la forme et le fond. Sans
aucune autre référence, ils préfèrent le détruire.
Un enseignement perverti
Au XIIIe, la dispute est
un moyen en usage dans les Universités pour exercer l’élève à déterminer la
vérité démontrable, c’est-à-dire celle qui relève du raisonnement. Mais peu à
peu, de génération en génération, sujettes aux mêmes questions et à
d’inaltérables débats, usée par la routine, elle perd de sa valeur absolue. La
vérité déterminée devient alors probable au sens où elle peut être soumise à la
confrontation, c’est-à-dire à l’opinion. Finalement, elle n’a de sens que si
elle fait objet de critique. La dispute est donc de plus en plus un exercice
pour lui-même, l’objectif n’étant plus la recherche de la vérité mais la
recherche en elle-même.
À partir du XIVe siècle,
le but est désormais de construire un raisonnement infaillible afin de donner
au discours un caractère de vérité sans chercher à savoir si la solution
proposée est orthodoxe ou hérétique. On veut qu’elle soit acceptable en termes
logiques. L’important ne réside donc plus dans les idées et les pensées
exprimées mais dans la manière dont s’énonce le discours. Cette évolution a
pour conséquence de réduire le rôle des autorités sur lesquelles se sont appuyées
auparavant les démonstrations puisque seuls priment la logique et le
raisonnement. N’est alors vraie qu’une vérité démontrée. La valeur de la vérité
est donc tirée de la démonstration et non d’elle-même. L’appel à des autorités
n’est alors plus valable. À partir du XVe, l’argument d’autorité commence à
être critiqué.
Une proposition devient
donc vraie si elle résulte d’une démonstration impeccable, c’est-à-dire
logique. Et toute démonstration impeccable conduit obligatoirement à une vérité
indiscutable. Ainsi celui qui sort victorieux d’une dispute a acquis la preuve
qu’il a atteint la vérité. L’important de l’exercice réside donc dans cette
victoire. Il s’agit de battre son adversaire par tous les moyens. La dispute
devient non plus une confrontation d’opinions pour arriver à une solution mais
un discours d’opposition entre des adversaires qui doivent se vaincre par leurs
paroles. La dispute devient alors polémique, un âpre combat où les
protagonistes se battent à coup d’armes dialectiques. Un adversaire qui ne se
laisse pas convaincre est alors accusé d’opiniâtreté. L’esprit scolastique évolue…
En se centrant sur la
seule logique, les disputes deviennent stériles. Ce ne sont que des arguties.
Elles ne se réduisent même parfois qu’à des attaques personnelles. Cependant,
les exercices de plus en plus sophistiqués exercent les esprits au jeu subtil
du raisonnement. Mais tout n’est plus que question de mots, faisant oublier les
réalités qu’ils désignent, notamment les réalités sacrées. Exercés brillamment
à cet art, les « réformateurs »
en usent brillamment pour imposer leurs « vérités ».
Or c’est cette scolastique
qu’a étudiée Luther, « une
scolastique corrompue par le terminisme d’Occam et de Gabriel Biel, et par cet
esprit nominaliste et « pragmatique » […] que la routine des
controverses d’école développe trop naturellement »[15].
Des scolastiques
incapables de répondre aux défis d’un temps nouveau
Pendant que les
scolastiques du XVe siècle imitent de mauvaise façon leurs grands maîtres,
la science se développe brillamment au point de remettre en cause les croyances
scientifiques de l’époque. Le temps est venu de remplacer le vieux système
géocentrique de Ptolémée au profit du système héliocentrique de Copernic. Les
lois de Kepler sont découvertes. L’astronomie nouvelle voit le jour. Bientôt arriveront
Newton, Leibniz, Descartes…
Une conception surannée du
monde disparaît ainsi lentement. Des théories s’effondrent. Or, le Moyen-âge
les a incorporées dans sa pensée. Les théories de la perfection du cercle, de
l’incorruptibilité des corps célestes, et bien d’autres encore, des théories
sur lesquelles certains s’appuient avec maladresse pour justifier des positions
doctrinales, ne peuvent guère résister aux nouvelles découvertes. Les doctrines
scientifiques erronées et les principes métaphysiques sont en fait si mêlées dans
les discours que le déclin des premières conduit inévitablement à celui des
seconds. Mais au lieu de vérifier si les nouvelles observations sont
compatibles aux doctrines, on fait le choix le plus simple, celui de rejeter la
philosophie médiévale ou les nouvelles découvertes.
Saint Albert le Grand |
Les scolastiques de la fin
du Moyen-âge se rendent ainsi solidaires à un état d’esprit, contraire aux
sciences, et finalement on les rend responsable des égarements de la science
médiévale. « Indépendamment de la
valeur de leurs doctrines, quel crédit social purent avoir des hommes qui
fermaient portes et fenêtres sur le dehors, et philosophaient sans se soucier
des idées dominantes de leur temps. »[16] Par l’attitude
d’hommes ancrés dans leur certitude, la scolastique perd toute crédibilité. La
nécessité de la voir disparaître s’est alors imposée. On en vient même à
rejeter toute philosophie. « Les
moins exaltés parmi les savants, après avoir honni la scolastique, réservèrent
leur faveur à quelque système de philosophie moderne, respectueuse elle, dès sa
naissance, des découvertes sensationnelles du XVIIe siècle. » [16]
Ainsi ce ne sont pas ses
principes ou sa doctrine qui font l’objet de reproches et d’attaques. Les
barbarismes de la langue, les abus de méthodes, les vices de la dialectique et
le refus de se remettre en question conduisent la scolastique à être méprisée
et détestée. Or, au XVIe siècle, peu d’hommes sont prêts à relever le défi. À
force d’exercer les esprits à raisonner au mépris des vérités à démontrer ou à
défendre, on a plutôt élevé leur orgueil et leur vanité. Il est alors bien
difficile de remettre en cause ce qui fait la force de leurs vanités. « La scolastique est tombée non pas faute
d'idées, mais faute d'hommes » [16].
Conclusion
À partir du XVe siècle,
l’enseignement est en décadence. Seule compte la force de l’argumentation. Les
esprits s’exercent à raisonner et à vaincre par un discours où s‘affirme l’art
de la dialectique. Le but n’est plus la recherche de la vérité démontrable ou
la défense de la vérité révélée. Il s’agit avant tout d’imposer ses idées et de
vaincre ses adversaires, y compris par les armes rhétoriques. Une proposition
devient alors vraie si elle est démontrable aux yeux des hommes. La raison
prime donc sur toute autre source de connaissance.
C’est contre ce
rationalisme que Luther se révolte. Il prône la vérité à partir de l’expérience
spirituelle. Il en a appelle à la conscience de chacun. De même, il prêche le
retour de la Sainte Écriture, comme seule autorité, développant la doctrine du
libre examen. Est-ce par réaction à une scolastique en déclin, empêtrée dans
les vices de la dialectique ? Luther haïe incontestablement toute forme
d’intellectualisme. Fils du scolastique en déclin, il rejette aussi tout
argument par les autorités.
Mais le rationalisme
atteint aussi la religion protestante. Pris dans le même engrenage que les
scolastiques du déclin, Zwingli et Calvin élaborent à leur tour une doctrine fortement
spéculative, froide et sans bonté, pour aboutir à la prédestination à la vie et
au mal. Et c’est bien le calvinisme qui a fini par dominer le protestantisme.
Et au même moment, un
nouvel esprit se développe, un esprit qui se détourne de la dialectique stérile
des scolastiques en déclin pour se tourner vers une nouvelle forme de
connaissance. Un temps nouveau où de nouvelles sciences apparaissent et permettent
de faire progresser la connaissance de manière éclatante, un temps de
découverte et d’expérimentation, un temps où des certitudes se brisent, un temps de remise en question. Refusant de reprendre le travail des
grands scolastiques, s’attachant à des recettes surannées, les scolastiques en déclin
préfèrent défendre l’indéfendable, se barricadant avec des armes devenues
impuissantes. Ainsi on finit par confondre cet esprit de retranchement avec la
scolastique, mettant sur les même plans quatre siècles d’histoire.
Notes et références
[1] Érasme, Éloge de la folie dans L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen-âge, Francis Rapp, Presses universitaires de France, 1980.
[1] Érasme, Éloge de la folie dans L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen-âge, Francis Rapp, Presses universitaires de France, 1980.
[2] De Wulf, La décadence de la scolastique à la fin du Moyen Âge, dans Revue néo-scolastique, n°40, 1903, www.persee.fr.
[3] E. Delaruelle dans
Histoire religieuse de l’Occident médiéval, J. Chelini.
[4] Penjon, Précis d’histoire de la Philosophie, Paris dans Qu'est-ce que la philosophie scolastique ? Les notions fausses et
incomplètes, de Wulf Maurice.
[5] Diderot, Œuvres,
tome XIX, dans Qu'est-ce que la
philosophie scolastique ? Les notions fausses et incomplètes, de Wulf Maurice.
[6] Francis Rapp, L’Église
et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen-âge, chap. V.
[7] Francis Rapp, L’Église
et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen-âge, chap. V.
[8] Raban Maur, Enarrationes in Epistulas Pauli, dans De la joute dialectique à la dispute scolastique, Weijers Olga, dans Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, n°2, 1999, www.persee.fr.
[9] Sermon prêché à
Saint Victor à la seconde moitié du XIIème siècle De la joute
dialectique à la dispute scolastique, Weijers
Olga.
[10] De Wulf Maurice, Notion de la scolastique médiévale.
[11] Qu'est-ce que la philosophie scolastique ? Les notions fausses et
incomplètes.
[12] De Wulf Maurice Qu'est-ce que la philosophie scolastique ?
Les notions fausses et incomplètes.
[13] Hauréau, Histoire de la Philosophie scolastique, 1. 1., 1872 dans Qu'est-ce que la philosophie scolastique ? Les notions fausses et
incomplètes, de Wulf Maurice, dans Revue néo-scolastique,
n°18, 1898, www.persee.fr.
[14]
Amaury de Bène, David de Dinant, Siger de Brabant.
[15]
Jacques et Raïssa Maritain, Œuvres complètes, volume 3,
1924-1929, éditions Saint-Paul, Paris, 1993.
[16] De Wulf, La décadence de la scolastique à la fin du Moyen Âge.
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