Il y a 500 ans un homme a
déclenché une des plus grandes révoltes religieuses que l’Église catholique a
certainement connues. Elle a éclaté en un temps troublé, hélas propice à un
tel drame. Luther en garde une responsabilité tant incontestable qu’écrasante. Qui
pourrait le louer sans commettre une injustice ? Qui pourrait en effet louer
celui qui a tant excité les passions des hommes au mépris de la foi et de
la raison ?
Sûr de lui et de son
élection divine, Luther a cherché à défendre et à imposer une certaine
conception de la religion. Contrairement à ce que nous pourrions croire, sa
révolte n’est pas essentiellement doctrinale. Elle ne répond pas non plus à une
volonté de réforme. Luther cherche encore moins à rénover l’homme. C’est
d’abord et avant tout une révolte personnelle et intime contre une certaine
conception de la vie religieuse. Il a remis en cause les relations entre Dieu et
l’homme telles qu’elles étaient perçues à son époque. Et ces relations, si
fondamentales dans une société alors chrétienne, se fondaient sur le salut ou
plutôt sur la volonté de se sauver. Ce n’est pas un hasard si une pratique
abusive des Indulgences a été le déclencheur de la révolte. Revenons donc au
cœur de cette révolte religieuse…
L’inefficace et dérisoire justice
humaine
Tourmenté dans sa cellule
monastique, Luther doute de son salut. Il se mortifie par de nombreux exercices
douloureux. Il multiplie ses prières. Il double ses jeûnes. Rien n’y fait. Le
doute subsiste en lui. Et si Dieu ne l’acceptait pas ? Si Dieu refusait
ses mortifications, ses litanies, ses jeûnes ? Que deviendraient ses
souffrances et ses douleurs si ses larmes Le rendaient indifférent ? Un
sacrifice, que vaut-il en effet s’il est rejeté par le Tout-Puissant ? Quelle
détresse pour cette une âme fervente ! Tout le sens de la religion y est
ainsi exprimé. Mais le sens en est bien restreint, à la mesure d’un regard
tourné vers soi.
Depuis le jour où Abraham
a suivi la volonté divine, quittant sa terre et sa famille à l’appel du
Très-Haut, un peuple particulier est né, marqué de la bénédiction divine. Et en
ce jour où il a voulu sacrifier son unique fils, obéissant sans hésiter à
l’ordre reçu, une chose extraordinaire s’est produite dans l’histoire de
l’humanité. Un geste perdu dans un coin reculé du monde, à l’abri des palais et
des fureurs du temps. Une initiative divine, un homme en est l’objet. Il écoute
et exécute, le cœur soumis, l’esprit confiant. Une chose extraordinaire s’est
produite. Une alliance est née entre Dieu et un peuple, alliance qui
s’affermira au gré des événements et des vicissitudes humaines. Dieu a choisi
un peuple, et ce peuple, en retour, a choisi Dieu. L’infinie puissance divine
se rabaisse à un abîme de misère. Une sorte de contrat unit Dieu et le peuple juif. Or
comme tout contrat, il implique des charges et des devoirs pour les deux
contractants. Le peuple élu s’engage à remplir la Loi que Dieu lui a transmise.
En échange, Dieu promet au peuple fidèle une protection sans faille, le bonheur
et la prospérité. Chacun doit exécuter fidèlement les clauses du contrat. Telle
est la justice née d’une alliance. Si l’homme demeure fidèle à la Loi, il est
juste et obtient le salut. Les promesses divines ne s’accomplissent qu’envers
l’homme fidèle. Telle est la justice de la Loi.
Luther est seul et enfermé
dans sa cellule. Ses scrupules le tourmentent. Dans ses pensées, se dresse un Dieu
terrible. Siégeant sur un trône inaccessible, inflexible derrière son tribunal, Il évalue rigoureusement
ses mérites et ses fautes, même les plus cachés. Terré dans sa conscience, abîmé
d’inquiétude, il tremble d’entendre la sentence.
L’indispensable et
nécessaire justice de Dieu
L’Apôtre des Gentils
distingue deux justices, « notre
justice, celle qui vient de la loi » et de « la justice qui vient de Dieu par la foi », « celle qui vient de la foi en Christ »
(Philippiens,
III, 9). La justice de Dieu est celle qui vient de Dieu et celle qui nous fait
juste. Et cette justice est distincte et supérieure à la justice de l’homme qui
vient de la Loi. Cette dernière est insuffisante pour le salut. Seule la
justice de Dieu est efficace. Elle se révèle et se répand au moyen de
l’Évangile, moyennant la foi de l’homme qui adhère aux vérités de foi et qui
croit en elles.
Baptême du roi d'Ethiopie |
Le salut ne réside donc pas
dans la Loi sinon l’homme en serait la source puisque tout dépendrait
finalement de son obéissance à la Loi et donc de sa volonté. Telle est la
grande leçon que nous devons entendre pour ne point nous égarer dans nos
vanités. Le salut ne provient que de Dieu.
La redécouverte de la
justice de Dieu ne date pas du XVIème siècle. Elle ne l’est pas non plus
découverte au fond d’une cellule où s’apitoie une âme bien esseulée dans son
ignorance. L’Église l’a souvent enseignée et défendue contre tous ceux qui
voyaient en l’homme la source de leur salut. Au temps de la grande inquiétude,
celle qui finira par emporter la paix de nombreuses nations, beaucoup de
chrétiens ne voient pas non plus Dieu comme un grand juge impitoyable, pesant
le moindre geste et la moindre pensée, pour séparer les bons des mauvais…
La souveraineté de Dieu ou
la tyrannie de l’homme ?
Si le salut ne réside pas
en l’homme, faut-il croire que l’homme n’ait rien à faire pour se sauver ?
Faut-il, comme Luther et surtout Calvin, voir son destin déjà écrit dans le
Livre des vivants avant même qu’il ne naisse et qu'il ne meurt ? Faut-il croire à l'inutilité des œuvres quand finalement la question du salut est la seule et essentielle question de sa vie ? Si nous croyons à la prédestination des bons et des mauvais, à la vie
et à la mort, comme ils l’enseignent plus ou moins clairement, notre âme ne
peut que trembler d’effroi. Certes, nous ne nous inquiétons pas de savoir si nous
sommes élus ou rejetés. Nous en sommes même indifférents à notre sort puisque
nous ne voulons que ce que Dieu veut et ne recherchons qu’à faire la volonté de
Celui que nous voulons aimer plus que nous-mêmes. Que son règne vienne, que sa
volonté soit faite ! Non, notre inquiétude est ailleurs. Nous éprouvons
une réelle détresse. Si Dieu prédestine les hommes à l’éternité et à la
damnation, sans aucun mérite de leur part, que deviennent alors l’universalité du
salut et la valeur du sacrifice ultime de Jésus-Christ mort sur la Croix ? Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait-Il mort que pour les
élus ? Mais les élus, que peuvent-ils bien faire des mérites de Notre Sauveur puisque leur sort est déjà scellé de toute éternité ? Or, « la justice est
donnée à tout homme qui croit. » (Rom., X, 4)
Quelle âme ne serait pas
effrayée en songeant aux effets de la doctrine de la double prédestination ?
Que deviennent ces martyrs, véritables froments du Christ, si finalement leur
amour trempé dans le sang ne provient pas d’une âme élue ? Que deviennent
ces ascètes de Dieu renonçant à tout dans la solitude et l’oubli ? Que
deviennent ces hommes vendant tout, y compris eux-mêmes, pour libérer leurs
prochains des geôles de l’esclavage ? Melanchthon et bien d’autres protestants
ont senti au fond d’eux-mêmes les dangers d’une telle doctrine livrée à
elle-même. Rien de bon ne peut en sortir. Pour y remédier, les hommes doivent
alors s’enchaîner à un joug encore plus lourd que celui d’un peuple au cou
raide. Calvin a ainsi par nécessité humaine instauré une nouvelle et stricte discipline,
faite de règles minutieusement surveillées. Certes, il n’affirme pas que par
cette discipline, l’homme est sauvé. Il croit au salut par la foi seule. Mais
qui ne finit pas par en être persuadé ?
Avec une telle doctrine, l’âme
ne peut que souffrir de la folie humaine. L’homme n’a plus d’entrave. La double
prédestination lui montre toute la laideur de son visage et la noirceur de son
cœur. Elle conduit à la perte de la morale chrétienne et de l’ascétisme, à la fin
de la vie monastique. Que deviennent même les sacrements dans une telle
conception du salut ? Tout un pan du christianisme s’effondre. Dieu étant
indifférent à nos actions, nous finirons même par L’évacuer de notre existence,
finissant par vivre comme s’Il n’existait pas dans notre monde. L’immoralisme
et l’indifférentisme n’auront alors aucune difficulté pour se développer et se
répandre avec toute leur laideur, enracinant un poison terrible dans nos cœurs.
Et ceux qui sont convaincus de leur élection finiront par renverser toute forme
d’autorité, croyant parler au nom de Dieu, engendrant révolte et rébellion. Une
liberté sans Dieu, telle serait la conséquence d’une telle doctrine, qui s’appuie
pourtant sur la toute-puissance de Dieu. Ainsi de manière insidieuse, l’homme
prendra la place de Dieu. Comble de l’ironie. En voulant sauver l’idée de la
souveraineté absolue de Dieu, on finit par vivre sous la tyrannie de l’homme…
Le salut est possible pour
tous les hommes
Dieu a fourni à l’homme
tous les moyens pour son salut. Sans ses grâces, rien ne lui est possible. Mais
comme tout être aimant, Dieu propose. Il n’impose pas. Ainsi, avec les grâces
prévenantes, ses bonnes œuvres ne sont pas signes d’élection comme le croient
les protestants, elles sont la foi vivante. Elles manifestent la charité d’une
âme aimante. Celui qui croit sans vivre de sa foi est un homme qui se leurre de
ses vanités. Celui qui vit sans la foi est un homme perdu pour un temps. Mais
comme le bon larron, si son âme s’unit à la grâce qui lui est proposée, il est
alors un homme sauvé. Rien n’est donc joué. Tout se joue tant que la vie
demeure. Nul n’est définitivement perdu tant qu’il est encore capable
d’accepter cette grâce qui s’ouvre à lui. Dieu est patient. Il connaît le prix
d’une âme. Notre Seigneur Jésus-Christ est mort pour sauver tous les hommes.
Faut-il encore que ces derniers croient de cœur et le confessent par la bouche
et par les œuvres. Faut-il qu’ils s’unissent à Lui…
Pourtant, si l’Église
enseigne que Dieu donne à tous les hommes les moyens dont ils ont besoin pour
être sauvés, elle a toujours combattu les doctrines qui affirment que l’homme
par les seules forces de son libre arbitre a l’initiative et le mérite du
moindre mouvement qui le porte vers Dieu puisque de telles idées finissent par attribuer
son salut à l’homme et non à Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait-Il
finalement qu’un exemple à imiter ? L’homme risquerait de s’épuiser en
exercices de mortification non pour répondre à la volonté de Dieu mais pour
trouver la certitude en lui ou pour faire taire ses scrupules. Luther a bien
pris conscience de cette folle prétention qui ne peut livrer l’homme qu’à
l’angoisse. L’homme se lassera rapidement de l’ascèse puisqu’elle n’apportera
ni paix ni véritable certitude. Si son salut repose en lui, il n’y verra que
vicissitude et désespoir. Il se révoltera contre de telles prétentions. Le
salut ne peut donc provenir ni uniquement de Dieu, ni de l’homme.
Vérité et vertu, la nécessaire
et incontournable harmonie
Toutes formes de
pélagianisme ou de prédestinationisme renferment des erreurs et de désastreux
effets. Pour s'opposer à ces deux doctrines, certains s’opposent aux erreurs et défendent la vérité, d’autres voient
leurs effets dangereux et réclament le retour à une vie chrétienne authentique. Dans ce combat, les positions finissent
par se radicaliser, soit pour affermir la vérité et l’unique vérité avec
maladresse et arrogance sans voir qu’en la défendant de si mauvaises manières,
ils en viennent à la desservir, soit pour insister uniquement sur les vertus
chrétiennes sans s’apercevoir que ces mêmes vertus perdront lentement leurs
assises sans les fondements de la vérité. On oublie facilement que l’une ne va
pas sans l’autre, que la foi sans la charité ne peut vivre comme la charité
sans la vérité agit aveuglement et sans efficacité. Toute la difficulté est
donc d’enseigner la vérité et de la vivre dans l’amour de Dieu. Il est
difficile d’avoir confiance en Dieu sans Le connaître. Il est encore plus dur de L’aimer sans connaître sa volonté et de s’y conformer afin de s’unir à Lui
selon son bon plaisir.
La doctrine concernant la
justification et la prédestination n’est guère aisée à saisir. Elle est encore
plus difficile lorsque les passions s’y mêlent. Gottschalk et Hincmar de Reims [3] ne montrent guère d’humilité et de prudence nécessaires pour traiter de tels
sujets. La violence et l’orgueil que manifeste Luther l'emportent sur la paix et
la charité. Or, il faut se renoncer à soi pour entendre la Parole de Dieu. Il
faut être docile à l’enseignement de l’Église pour connaître les vérités de foi
et appliquer les vertus chrétiennes. Parfois, devant la profondeur du mystère
et l’abîme de notre misère, nous devrions nous taire sans chercher à saisir ce
que l’homme n’est pas encore prêt d’entendre.
À la recherche de
justifications
Des voix s’élèvent pour
accuser Saint Augustin d’être l’auteur du prédestinationisme. Il est vrai que
souvent, ses citations sont utilisées pour le justifier. Mais Gottschalk,
Luther ou Calvin reposent aussi sur la Sainte Écriture. Deux versets sont
souvent repris. Celui de l’Épître de Saint Paul aux Romains est
le plus souvent cité. « C’est en
croyant de cœur qu’on parvient à la justice, et c’est en confessant de bouche
qu’on parvient au salut. » (Rom., X, 10). Puis celui du verset
du prophète Habacuc, que Saint Paul reprend aussi : « le juste vivra par la foi. » (Habacuc,
II, 4) Pour appuyer ses propos, Luther osera modifier les paroles du prophète.
Devons-nous alors aussi accuser les textes sacrés d’être responsables de
leurs doctrines erronées ? Ce ne sont pas ces œuvres qui mènent les esprits
dans la voie de l’erreur mais l’erreur provient d’un esprit déjà égaré, qui lit
ces textes sans se renoncer, à la recherche d’arguments pour se justifier.
De telles œuvres sont
aussi mal comprises. Ce qui est affirmé pour répondre à une difficulté
particulière devient vérité absolue sans relation avec le contexte dans lequel
elles ont été écrites. Elles sont lues sans prendre non plus en considération
l’ensemble des œuvres. Une phrase plaît. L’esprit s’y complaît. Elle semble
confirmer ce qu’il croît. Raffermi dans ses certitudes, l’orgueil en sort
vainqueur. Mais est-ce bien la vérité la véritable gagnante ? Combien
d’âmes se sont-elles perdues croyant trouver dans un texte sacré ce qui était
uniquement en elles ?
Ces âmes n’écoutent
finalement que ce qu’elles désirent entendre. Elles prennent des hommes de Dieu et
de leurs ouvrages ce qu’elles veulent tout en rejetant ce qu’elles ne veulent
point. De Saint Augustin, elles retiennent la toute-puissance de la grâce et la
prédestination sans retenir la claire affirmation de sa docilité à l’égard de
l’enseignement de l’Église. Nous revenons ainsi à la notion première de
l’hérésie. C’est pourquoi Luther et tous ses successeurs dans sa révolte sont
déclarés hérétiques. L’hérésie ne provient pas de l’autorité de l’Église qui
les met à jour et les récuse mais de leur prétention, celle de trier les vérités de foi selon leurs propres convictions. Ils conçoivent une religion à leur mesure.
Et comme leur conception est purement humaine, elle ne peut que varier.
Une vision à la mesure
humaine, vouée à la variation
Dans son ouvrage Histoire
des variations des églises protestantes (1682), Bossuet nous rappelle
que l’un des critères traditionnels de la règle de la foi est l’immuabilité.
« Lorsque parmi les chrétiens on a
vu des variations dans l’exposition de la foi, on les a toujours regardées
comme une marque de fausseté et d’inconséquence dans la doctrine exposée
[…] C’est pourquoi, continue-t-il, tout ce qui varie, tout ce qui le charge de
termes douteux et enveloppés a toujours paru suspect, non seulement frauduleux,
mais absolument encore faux, parce qu’il marque un embarras que la vérité ne
connaît pas. » Plus ancien, Tertullien constate que les hérétiques
varient dans leurs règles, c’est-à-dire dans leur confession de foi. Tout
change dans les hérésies contrairement à la confession de la vraie foi qui
demeure immuable et ne se réforme point. « Assurément, il n’y a qu’une seule et unique règle de foi, seule
immuable et irréformable »[1].
C’est la nature même des hérétiques de varier sans cesse. « Chacun parmi eux se croit en droit de
changer et de modifier par son propre esprit ce qu’il a reçu comme c’est par
son propre esprit que l’auteur de la secte l’a composée. » Ainsi
« l’hérésie retient toujours sa
propre nature en cessant d’innover ». Et commentant le conseil de
Saint Paul, Saint Chrysostome nous avertit : « évitez les nouveautés, profanes dans vos discours, car les choses n’en demeureront
pas là : une nouveauté en produit une autre, on s’égare sans fin quand on
a une fois commencé à s’égarer. »[2] La nouveauté est une maladie semblable à la
gangrène.
Bossuet explique « le désordre dans les hérésies ». Le
génie humain en est la première cause. Dès qu’il a goûté à la nouveauté, il ne
cesse de la rechercher avec appétit. Mais comme elle est le produit de l’esprit
humain, elle n’est guère parfaite. « On
s’engage sans bien pénétrer toutes les suites de ce qu’on avance ; ce
qu’une fausse lueur avait fait hasarder au commencement, le trouve avoir des
inconvénients qui obligent les réformateurs à se réformer tous les jours ».
Leurs propos ne pouvant les contenter, allant « par pièces mal assorties », ils ne savent quand leurs
innovations cesseront.
Effectivement, nous le
constatons clairement dans le cas de Luther. Il progresse dans sa pensée selon
les circonstances et les résistances. Comme le notent certains commentateurs,
c’est un esprit intelligent qui a tout embrassé dans le christianisme. Mais il
se laisse emporter par son génie, avançant dans ses audaces sans prendre
conscience des conséquences de sa doctrine. Et comme un juge intraitable, la
réalité lui montre toute l’imperfection de sa pensée. Il doit donc la rectifier
sans se démentir, y ajoutant finalement des contradictions. Mais ses disciples,
comme Melanchthon, n’ont point cet honneur à défendre. Ils peuvent la modifier
puisque la doctrine de Luther ne provient pas de leurs entrailles et de leurs
expériences personnelles. Ils n’ont rien à perdre à la faire évoluer.
Comprenons bien la leçon
de Bossuet. Il ne s’agit pas de montrer
que leur doctrine a évolué par rapport à l’enseignement de l’Église mais au
sein même de la foi protestante. Il n’éprouve aucune difficulté pour montrer la
variation des nombreuses confessions de foi tant elles sont nombreuses.
Ainsi la variation des
confessions de foi s’expliquent par l’erreur fondamentale de l’âme qui croit ce
qu’elle veut entendre. Elle conçoit la religion selon sa propre mesure pour
confirmer ses certitudes et affirmer la paix de son âme. Et selon son génie,
elle convainc son entourage de toute la véracité de sa conception. Selon sa
force de conviction, elle fait naître un mouvement qui bouleversera les esprits
ou ne sera simplement qu’un feu de paille.
Que peut faire une âme
sûre d’elle-même et de sa vision religieuse si ce n’est d’affirmer sa liberté
d’interpréter et d’entendre ce qu’elle veut croire ? Elle ne peut que
récuser l’autorité de l’Église pour ne voir finalement en elle la seule
autorité possible. Elle ne peut donc adhérer qu’à la doctrine du libre examen.
Or, qu’est-ce qui nous assure de la certitude et de la paix si tout repose en
nous ? Une telle âme ne peut que troubler et diviser. C’est pourquoi selon
Saint Augustin, la paix ne réside que dans l’Église catholique…
Or l’Église ignore une telle démarche. Elle ne se repose pas sur une œuvre ou sur un Père de l’Église, aussi saint et savant soit-il. L’Église n’est pas celle de Saint Paul, de Saint Augustin ou de Saint Thomas d’Aquin. Elle est celle de Dieu, celle que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondée pour notre salut. Sa doctrine n’est pas celle d’un homme. L’autorité de la Sainte Écriture n’a de sens que si elle repose sur celle de l’Église. Saint Augustin l’a clairement compris.
Conclusion
Il y a donc 500 ans que
Luther a affiché ses fameuses thèses. Elles portent en elles une certaine
conception religieuse fondamentalement différente de celle enseignée et
transmise par l’Église catholique. Il a conçu de nouveaux liens entre Dieu et
les hommes, remettant en cause non seulement la doctrine catholique mais aussi
son autorité, ses coutumes, et les pratiques religieuses qui rythmaient la
société. Cette remise en cause ne pouvait qu’apporter troubles et violences,
déchirement et ruine. Cette conception religieuse toute personnelle tend vers
l’individualisme religieux au mépris de l’idée même du christianisme.
En excluant toute
coopération humaine dans l’œuvre du salut, œuvre de toute une vie, on finit par
exclure Dieu de toute pensée humaine. Certes, Il peut être au centre de toutes
les prières et les louanges, mais Il est si éloigné qu’Il n’est plus accessible, saisissable, perceptible. Le monde se vide de Dieu. Ce n’est pas un hasard si
les véritables mystiques, tels Saint Jean de la Croix ou Saint François de
Sales, sont des catholiques. Ce n’est pas non plus un hasard si le monde a
perdu son enchantement au fur et à mesure de la « protestantisation » du monde. L’homme commence à prendre la
place de Dieu, au moins dans les esprits. Telle est certainement la conséquence
des idées des prétendus réformateurs…
Notes et références
[1] Tertullien, De virginibus velandis, I, 4.
[1] Tertullien, De virginibus velandis, I, 4.
[2]
Saint Jean Chrysostome, Homélie V, Commentaire de la deuxième épître
à Timothée.
[3] Voir Émeraude, article précédent.
[3] Voir Émeraude, article précédent.
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