" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 16 décembre 2016

Luther (1483-1546)

« Luther est un des plus grands génies religieux de toute l’humanité. Je le mets à cet égard sur le même plan que Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin ou Pascal. D’une certaine manière, il est encore plus grand. Il a repensé tout le christianisme. Il en a donné une nouvelle synthèse, une nouvelle interprétation. »[1] Comment un théologien catholique peut-il s’exprimer ainsi ? Cela nous étonne et nous effraie. L’Église catholique en condamnant Luther a-t-elle commis une erreur ? Le luthéranisme est-il alors dans le vrai ? Le conflit qui divise les catholiques et les protestants depuis cinq siècles n’est-il finalement qu’un malentendu ? Le mouvement œcuménique aurait donc pour objectif de faire cesser cette méprise pour unir de nouveau les Chrétiens. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre des propositions similaires et de voir des comportements allant dans ce sens, cherchant la réconciliation par des rencontres et des gestes symboliques. Or la réalité n’est pas aussi simple…

Dans l’article précédent, nous avons décrit les événements de 1517 à 1520 qui ont conduit à la rupture. Trois ans ont suffit pour bouleverser l’Église et semer la zizanie. Un homme a été au centre de ce bouleversement : Luther. Génie ou fou ? Les avis divergent. Mais tous admettent son rôle prédominant, voire fondamental, dans la situation actuelle. Il n’est alors guère envisageable de comprendre l’histoire et donc la situation actuelle sans mieux le connaître. Notre article a pour objet la vie de Luther jusqu’en 1517.

Sources

Nous avons peu de sources d’informations sur Luther avant 1517. Nous sommes souvent tributaires de son propre témoignage qu'il nous a laissé dans ses nombreux ouvrages bien des années après les événements. Pour nos articles, nous avons utilisé des ouvrages provenant d’historiens tant catholiques que protestants.

Luther avant l’entrée dans la vie religieuse

Né le 10 novembre 1483, à Eisleben, en Saxe, Martin Luther est le second de huit enfants. Son père, Hans, est un homme pieux, aux mœurs irréprochables, prompt à la colère. D’origine paysanne, il quitte le travail de la terre pour être mineur puis ouvrier et ensuite contremaître avant de devenir entrepreneur en fonderie. Si au début, la famille de Luther est plutôt pauvre, sa situation change au fur et à mesure de l’élévation sociale du père. Sa femme, Marguerite, fait marcher ses enfants d’une main ferme. Selon les propos de Luther, son enfance est durement frappée par la sévérité de ses parents et par la discipline qu’ils exigent de leurs enfants. Les coups de fouet ne sont pas rares.

Martin est un homme intelligent. Après une éducation classique, il poursuit ses études dans le droit. Pendant un an, il est l’élève des Frères de la vie commune. En 1501, à dix-huit ans, il entre à l’Université d’Erfurt. Très brillant, il obtient la maîtrise ès art. Survient alors un fait qui le bouleverse. Le 2 juillet 1505, sur la route de Manfeld à Erfurt, il est surpris par un orage d’une violence inouïe. Il fait alors un vœu à Sainte Anne : « Si tu m’aides, je me ferai moine. » Tel est le récit traditionnel qui explique l’origine de la vocation religieuse de Luther. Il est néanmoins très improbable que son vœu ait été aussi spontané que cela. La mort, il l’a côtoyée bien souvent. La crainte de son devenir dans l’au-delà, il l’a déjà connue. La vie monastique serait-elle alors une réponse à ses angoisses ? Légendaire ou non, le récit nous révèle un des traits de la personnalité de Luther : sa  vive sensibilité. Il nous dévoile aussi les troubles qui le hantent et ne cesseront de le hanter par la suite. Quinze jours après, il réalise son vœu. Il frappe à la porte du couvent des Ermites de Saint Augustin. Ces derniers appartiennent à la branche de stricte observance de l’ordre.

Une brillante carrière religieuse





Luther est un novice zélé. Il multiplie les pratiques ascétiques et les œuvres de piété.  En 1521, il dira « si jamais moine était entré au ciel par sa moinerie, j’y serais allé tout droit. »[2] En raison de son zèle, le temps de son noviciat est réduit. Il prononce ses vœux en 1506, puis l’année suivante, il devient prêtre. En 1508, il est transféré à Wittemberg pour y enseigner la philosophie et y acquérir le titre de bachelier l’année suivante. Il devient un homme éminent. En 1510, il est désigné pour aller à Rome soumettre aux supérieurs de son ordre les remontrances des Augustins de la stricte observance. Ces derniers refusent en effet le projet selon lequel ils devraient obéir à la branche de la large observance. Selon la légende, la ville de Rome aurait provoqué en lui un tel scandale qu’il en était revenu en fervent partisan d’une réforme. En racontant ses souvenirs vingt-ans après la rupture avec Rome, il nous décrit des confesseurs ignorants, des prêtres bâclant les messes, la tenue éhontée des femmes dans les églises… Pourtant, au cours de son séjour, il se montre très pieux et très dévot.

À son retour, Luther est affecté au couvent de Wittemberg. En 1512, il est promu docteur en théologie. Il se voit confier la chaire d’Écriture sainte à l’Université. Il commente dans ses cours le livre des Psaumes (1513-1515), ainsi que l’Épître aux Romains (1515-1516), l’Épître aux Galates (1516-1517) et l’Épître aux Hébreux (1517-1518). Ses cours connaissent un vif succès. Également prédicateur, il se fait aimer de son auditoire. Il est nommé vicaire de district, à la tête de onze maisons.

En 1517, Luther est donc un homme estimé et prestigieux dans son Ordre comme dans son université. « C’est le Christ qui parle par votre bouche », ose lui dire son supérieur Staupitz, vicaire général pour le district allemand.

Un homme tourmenté

Pendant quinze ans, Luther se livre à des jeûnes et des pratiques ascétiques très sévères. D’où vient ce désir de mortification ? Il cherche certainement à apaiser son âme tant il est angoissé par son salut. Il voit en effet dans ses exercices un moyen de répondre à un vif sentiment religieux. « J’ai moi-même été moine pendant quinze ans, sans compter la manière dont j’ai vécu avant. J’ai lu avec zèle tous leurs livres et j’ai fait ce que je pouvais. À aucun moment je n’ai pu me consoler de mon baptême, mais j’ai toujours pensé : quand seras-tu une fois pieux et feras-tu assez, pour avoir un Dieu qui te fait grâce ? De telles pensées m’ont poussé vers la « moinerie » et m’ont tourmenté et supplicié par le jeûne, le froid et une vie sévère »[3]

Luther est un homme scrupuleux, tourmenté par une inquiétude profonde, hanté par l’idée d’un Dieu exigeant. Dieu lui apparaît comme un Juge sévère. « Quand feras-tu assez pour obtenir que Dieu soit clément ? »[4] La colère divine et la crainte du jugement dernier le conduisent parfois à de véritables crises d’abattement. Lors de son noviciat, au cours d’une célébration d’une messe, au moment de l’offertoire, il est souvent pris d’une angoisse terrible. Il a pu poursuivre son office avec l’aide de son prieur ou du maître des novices. Dieu l’accepte-t-il ? Pardonne-t-il ses péchés ? La majesté divine l’écrase.

Peut-il par ses propres œuvres jouir de la paix de l’âme ? Telle est la question que se pose Luther. « Sous le couvert de cette sainteté et de cette confiance en ma justice propre, je nourrissais une perpétuelle défiance, des doutes, une crainte, une envie de haïr et de blasphémer Dieu. »[5] En dépit de sa sincérité et de son zèle, il ne parvient pas à surmonter ses angoisses. « Quand je le regardais sur la croix, je croyais qu’il était pour moi comme la foudre. Quand on prononçait son nom, j’aurais préféré entendre nommer le diable, car je croyais qu’il me fallait faire des bonnes œuvres jusqu’à ce que le Christ me fût par elles rendu favorable. »[6] Il constate donc l’impuissance de ses exercices et finalement de sa volonté. Luther soulève alors une nouvelle question : l’homme dispose-t-il finalement du libre-arbitre pour accomplir la loi ? Son expérience personnelle se traduit par une sérieuse interrogation sur l’homme.

La volonté humaine à la merci de l’arbitraire de Dieu

Gabriel Biel (1420 et 1425- 1495)



Au cours de ses études à l’Université d’Erfurt, Luther découvre l’ockhamisme au travers de Gabriel Biel. Selon le franciscain Occam (1285-1347), l’homme peut surmonter le péché et ses actes peuvent être méritoires. Ses forces naturelles resteraient intactes après le péché originel. L’homme pourrait donc observer la loi et accomplir les commandements de Dieu. À la conception volontariste d'Occam, Biel ajoute l’idée de la toute puissance de Dieu : pour que ses œuvres soient méritoires, il faut nécessairement que Dieu les accepte. Les péchés seraient des péchés parce que Dieu le veut ainsi. L’efficacité des œuvres humaines est donc remise en cause. Si l’homme faisait ce qu’il pouvait, Dieu lui donnerait-il sa grâce puisque tout dépend finalement de la volonté divine ? Cela n’était pas évident. Et si la volonté humaine devenait défaillante, que se passerait-il ? Que pense alors Luther, lui qui éprouve tant de difficultés pour accomplir les œuvres de la vie monacale tel qu’il les conçoit, dans toute sa rigueur ? Dieu l’accepterait-t-Il ? Étranges pensées que celles de Gabriel Biel. Elle exalte la volonté et la raison humaines, puis les humilie devant l’arbitraire de Dieu. « Elle ne tendait les forces d’espérance du moine que pour les mieux briser, et le laisser pantelant, dans l’impuissance tragique de sa débilité. » [7]

Une vive sensibilité religieuse

Luther ne voit cependant dans ses repentances et ses contritions aucune efficacité. L’amour propre, l’égoïsme, les convoitises qu’il éprouve lui font douter de son salut. Les concupiscences qui le tourmentent en dépit de son zèle ascétique le font douter de son salut. Ne serait-il pas réprouvé, se dit-il ? Ses exercices ascétiques ne lui donnent aucune certitude. « La permanence du péché l’acculait au désespoir. »[8] Il se sent abandonné par Dieu. « Impossible de fuir, pas moyen de trouver une consolation, ni en soi-même, ni au-dehors : de tous côtés, ce n’est qu’une accusation »[9]. Il se sent alors incapable de surmonter le jugement de Dieu. «  Je me suis martyrisé par la prière, le jeûne, les veilles, le froid, écrira Luther en 1537… Qu’ai-je cherché par là, sinon Dieu ? Il sait comment j’ai observé ma règle et quelle vie sévère j’ai menée… Je ne croyais pas au Christ, mais je le prenais pour un juge sévère et terrible, tel qu’on le peint siégeant sur l’arc-en-ciel. »[10]

Terrible crise. Tout sent le désespoir. Sa soif d’absolu est extrême. Son âme tumultueuse et scrupuleuse à l’excès n’est pas satisfaite. Il « exagère la gravité de ses moindres péchés, sans cesse penché sur sa conscience, occupé à en scruter les mouvements secrets, hanté du reste par la pensée du jugement, nourrissait de son indignité un sentiment d’autant plus violent et redoutable, qu’aucun des remèdes qu’on lui offrait ne pouvait, ne savait alléger ses souffrances. »[11] Est-il élu par Dieu ? ...

L’influence des lectures

Luther lit beaucoup. Il cherche probablement à puiser dans ses lectures de quoi surmonter ses crises. Avec Saint Augustin, il ne retient que la corruption de l’homme. L’homme doit s’affirmer comme pécheur devant Dieu. Il doit donc s’accuser avec sévérité. Sa conception du péché sera opposée à celle de l’Église. Ce que l’Église catholique dit de la concupiscence est pour Luther le péché lui-même. Il accusera l’Église catholique de minimiser le péché. Dans les œuvres de Saint Augustin contre le pélagianisme, il découvre aussi la toute-puissance de la grâce. Il conçoit alors entièrement le salut comme œuvre de la grâce de Dieu.

Dans la Théologie allemande[12], ouvrage mystique dont on ignore l’auteur, il découvre le rôle de la foi au Christ Rédempteur. Selon cet ouvrage, l’homme doit s’ouvrir à l’action de Dieu et la subir, ne rien faire pour y résister. Telle est la mystique allemande qui s’impose à Luther. Contrairement au volontarisme prôné par l’ockhamisme, elle s’oppose à toute efficacité des œuvres. L’homme serait incapable par lui-même à se rendre juste.

En 1511, Luther quitte la stricte observance. Dans les cours qu’il donne sur les Psaumes, il n’hésite pas à dire que tous les hommes pêchent et sont toujours impurs. Il traite les Augustins de la stricte observance d’« orgueilleux en sainteté ».

La théorie de justification de Luther

Dans la préface de l’édition de ses œuvres en 1545, Luther nous raconte que l’étude de l’Épître aux Romains libère enfin ses angoisses. Grâce à une illumination de la grâce, nous dit-il, il découvre au travers du verset 17 du chapitre I que « la justice de Dieu, c’est celle qui nous justifie et non celle qui nous condamne c’est celle dont vit le juste par le bienfait de Dieu, c’est-à-dire par la foi. »[13] Dieu n’est plus pour Luther un juge qui exerce une justice punissable. Une lecture de Saint Augustin le réconforte dans son interprétation.

Luther élabore sa théorie de la justification : Dieu juge les hommes non sur leurs œuvres mais sur leur foi en lui et dans la rédemption du Christ. Le croyant justifié est juste tout en demeurant pécheur. Il est justifié parce que Dieu renonce à lui imputer ses péchés et par la foi, lui met au bénéfice de sa justice. Il est pécheur car la convoitise subsiste en lui. Tous les hommes sont corrompus par le péché. Le péché originel n’est pas détruit au baptême. Atteints du péché, tous les hommes sont privés du libre arbitre et de ce fait ne peuvent être responsable de leurs actes, bons ou mauvais. Incapables de faire le bien, ils ne peuvent donc être justifiés par leurs œuvres. Ils ne peuvent l’être que par la foi. Il n’y a en fait qu’une seule justice, une justice extérieure à l’homme, une justice qui le sauve. Par la grâce du Christ, toutes les souillures de l’âme sont comme recouvertes d’une chape de lumière. Il faut donc se confier en Lui et se raccrocher à Lui. « La foi qui justifie, c’est celle qui saisit Jésus-Christ. »[14] Tout ce que peut faire l’homme est donc dérisoire.

Que cette doctrine peut être apaisante pour une âme si tourmentée que celle de Luther ! « Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par les portes grandes ouvertes, au paradis même. » [15] Il se sent pécheur mais le Christ a pris sur Lui tous les péchés. Les exercices de piété qu’il mène avec si grand opiniâtreté mais inefficacité ne servent à rien. Les raisonnements théologiques subtils auxquels il a recours sont aussi bien inutiles. Pour être sauvé, il faut porter en soi la certitude du salut par la foi. Mais de même qu’il s’oppose à la conception catholique du péché, il confond la notion classique de foi avec le sentiment de confiance.

Un homme sûr de lui


Depuis son illumination, Luther se sent possédé de Dieu. Sa réputation grandissante, le soutien qu’il obtient auprès de ses supérieures et des autorités politiques, et la réussite de sa carrière ne peuvent que le renforcer dans sa conviction. « Il sait d’instinct que, quant au fond, il ne se trompe pas. Et comment se tromperait-il ? Il enseigne ce qu’il croit. Et ce qu’il croit, c’est Dieu qui le lui a révélé. »[16] Il se glorifie du titre de valet du Christ et d’évangéliste. Ses disciples le confirment dans ses convictions. Il est pour eux le héraut de la vérité.

Naturellement, toute opposition provoque en lui colère et fureur. Comme ses pensées lui semblent claires, d’une incroyable vérité, Luther ne voit dans toute opposition que méchanceté ou ignorance. Les opposants seraient même des maudits. D’où « des injures violentes, brutales, sans mesure et sans esprit, d’une grossièreté qui bientôt passera toutes les bornes, à mesure que la contrainte des mœurs monastiques cessera, petit à petit, de faire frein sur Luther. »[17] Ses paroles sont aussi exagérées que ne l’étaient ses exercices de mortification.

Sa fougue et son agressivité imprègnent ses discours et ses écrits. Érasme voit en lui une impétuosité excessive et dangereuse. C’est parfois la violence de son langage qu’il condamne. Selon un de ses biographes, son tempérament peut « passer de l’abattement à l’exaltation la plus vive, de même une violence extrême ne reculant pas devant l’obscénité alternant avec une grande douceur. »[18] Voyant que ses appels ne reçoivent aucun écho chez les Juifs, Luther se lance à la fin de sa vie dans une vive polémique contre eux, demandant même qu’on brûle les synagogues et qu’on les expulse. Des moyens toujours excessifs lorsque son discours rencontre des résistances et une vive opposition. De même, lorsqu'il rencontre des résistances , sa doctrine se radicalise.

Au fur et à mesure des discussions et des attaques de ses adversaires, Luther développe ainsi ses pensées et étend sa doctrine sur tout le christianisme. Plus l’adversité est grande, plus il avance dans la critique et dans les affirmations. « Moi, plus ils montrent de fureur, plus je m’avance loin ! J’abandonne mes premières positions, pour qu’ils aboient après ; je me porte aux plus avancées, pour qu’ils les aboient aussi. »[19] Pour se défendre, il se justifie par l’attitude de ses opposants. « Que je le veuille ou non, je suis bien contraint de devenir chaque jour plus savant, avec tant et de si hauts maîtres pour me pousser et m’exciter à l’envi !  »[20]

Un homme face à l’Église

Dispute de Leipzig

(27 juin-16 juillet 1519)
À partir de son expérience personnelle et enfermé dans ses certitudes, Luther remet finalement en cause toute la doctrine catholique. À plusieurs reprises, les autorités de l’Église catholique lui demandent de se rétracter. Pour justifier son refus, il évoque sa conscience. « Ma conscience est captive de la Parole divine »[21]. Les tourments que procure sa conscience le rendent malades. Ils donnent lieu à de véritables crises. « J’ai laissé faiblir en moi l’Esprit, au lieu de me dresser, nouvel Elie, contre les idoles. » [22]

Selon les maîtres ockhamistes de l’Université d’Erfurt, tout Chrétien est compétent pour réformer l’Église. Exagérant probablement leur enseignement, Luther étend l’autorité du Chrétien. Il peut s’opposer au Pape et aux Conciles. Il peut se dresser seul devant l’Église. Comme Luther…  « Un ami lui disait un jour qu’il était le libérateur de la chrétienté. « Oui, répondit-il, je le suis, je l’ai été. Mais comme un cheval aveugle qui ne sait où son maître le conduit.  »[23]

Conclusion

Il n’est pas difficile à démontrer que la conception de la justice divine qu’avait Luther avant son « illumination », un Dieu châtiant le pécheur, n’est pas celle de l’Église catholique. Cela démontre sans doute une formation théologique bien médiocre des Universités. L’influence des différents courants volontaristes tels que l’ockhamisme ne fait qu’amplifier cette conception d’un Dieu terrifiant et capricieux, donnant ou refusant sa grâce. Chez un homme si scrupuleux qu’était Luther, une telle connaissance de la justice divine ne pouvait guère lui donner la paix de l’âme. Sa vie monacale a été un échec. Il cherche de la certitude. Il la trouve dans sa pensée, en lui-même.

 « On ne dira jamais assez combien chez Luther la vie et la pensée se rejoignent et font un. »[24] Les crises d’angoisses devant l’incertitude de son salut, son effroi devant une conception terrifiante de Dieu, ses doutes et son impuissance sont la raison même de sa théologie. Pourtant, dans ses écrits, pour justifier sa doctrine, il en appelle à l’Évangile mais c’est un Évangile lu au travers d’une âme profondément angoissée.

La doctrine de Luther est naturellement centrée sur l’expérience humaine, personnelle, intime. Elle n’écoute pas la doctrine de l’Église. Elle ne veut qu’apaiser une âme tumultueuse, excessive, inquiète à mourir. Elle est impulsive et intempérante, passionnée et sûre d’elle-même, intransigeante, redoutablement excessive. Elle s’est développée selon sa vive sensibilité et les différentes influences qu’il a subies lors de sa formation et d’une lecture livrée à elle-même. Elle est en fait le résultat d’un « interaction continue d’un tempérament très caractérisé et d’une dogmatique qui, tout à la fois, en procède et l’exalte. »[25] Face à ses adversaires, Luther ne défend pas sa doctrine. Il se défend. Sa doctrine et lui ne font qu’un. La doctrine de Luther est en effet inséparable de son être et de son expérience. Elle ne naît pas de Dieu. … Toute la violence des guerres de religion est déjà là ……




Note et références
[1] P. Congar, Une vie pour la vérité. Jean PUYO interroge le P. Congar, Paris 1975 dans Les différends anthropologiques dans la séparation entre catholiques et protestants. Approche historique, systématique, et œcuménique, Maryvonne Nivoit, Mémoire de thèse pour le grade de docteur de théologie catholique de l’université de Strasbourg, 8 septembre 2015.
[2] Luther, dans Histoire générale de l’Église, Abbé A. Boulanger, Les Tempes modernes, volume VII, XVIe et XVIIe siècles, 1ère partie : La réforme protestante, n°14.
[3] WA 37, 661, 20, publié par Cruciger.
[4] Luther dans L’Église de la renaissance et de la réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V, Fayard, 1955.
[5] Luther, Commentaire sur l’Épître aux Galates, 1531 dans  La Réforme, Stauffer Richard, Introduction, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2003, www.cairn.info.
[6] Luther, Commentaire de Saint Mathieu, 1539, dans  La Réforme, Stauffer Richard, Introduction.
[7] Lucien Fèbvre, Martin Luther, un destin.
[8] Lienhard, Marc Liénard, Luther : un temps, une vie, une œuvre, un message.
[9] WA1, 557, 25-39.
[10] Exeg. d. Schr., XLIX, 27 (1537) dans Martin Luther, un destin, Lucien Fèbvre, PUF, 4ème édition, 1968, 1ère édition 1928 et W145, 482, traduit par Henri Stohl.
[11] Lucien Fèbvre, Martin Luther, un destin.
[12] Theologia Germanica.
[13] Luther dans Histoire générale de l’Église, Abbé A. Boulanger, Les Temps modernes, volume VII, XVIe et XVIIe siècles, 1ère partie : La réforme protestante, n°14.
[14] Luther, Commentaire sur l’Épître aux Romains dans L’Église de la renaissance et de la réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V.
[15] Luther, Commentaire sur l’Épître aux Romains dans L’Église de la renaissance et de la réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V, et dans Le dictionnaire de l’Histoire du Christianisme, article « Luther ».
[16] Lucien Fèbvre, Martin Luther, un destin.
[17] Lucien Fèbvre, Martin Luther, un destin.
[18] Marc Liénard, Luther : un temps, une vie, une œuvre, un message dans Les différends anthropologiques dans la séparation entre catholiques et protestants. Approche historique, systématique, et œcuménique, Maryvonne Nivoit.
[19] Luther, Lettre de Luther à Sylvius Egranus, mars 1518, dans Martin Luther, un destin, Lucien Fèbvre.
[20] Luther, De Captivitate, 1520, dans Martin Luther, un destin, Lucien Fèbvre.
[21] Luther dans L’Église de la renaissance et de la réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V.
[22] Luther dans L’Église de la renaissance et de la réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Daniel-Rops, V.
[23] Mathesius, VII dans Martin Luther, un destin, Lucien Fèbvre, PUF, 4ème édition, 1968, 1ère édition 1928.
[24] Liénard
[25] Lucien Fèbvre, Martin Luther, un destin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire