" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 30 novembre 2012

La conquête arabe

La religion musulmane est la deuxième religion du monde. Depuis la péninsule arabique, elle s'est répandue en Europe, en Asie et en Égypte et ne cesse de croître encore. Et pourtant, nous savons combien la doctrine musulmane est contradictoire, difficilement accessible. D'où vient donc son succès ? Nous allons essayer de trouver des réponses dans l'histoire de cette religion, et plus particulièrement au temps de la conquête arabe. Car contrairement au christianisme, la religion musulmane s'est répandue essentiellement par les armes... 


Mahomet meurt en 632 à Médine. Depuis l'hégire, il a étendu sa domination sur toute la péninsule arabique. Il a soumis les Bédouins du Nord, quelques oasis syriennes, des cités arabes de la péninsule jusqu'au Yémen. Dès 629, il lance en vain une expédition au Nord. Mais, cette domination s'avère éphémère. En effet, dès la mort de Mahomet, elle s'effrite. De nombreuses tribus se révoltent. Soit elles rejettent l'islam, soit elles refusent de payer la « zakât », « l'aumône », à Médine. Certaines suivent même d'autres chefs religieux qui se présentent comme des prophètes. 

A la mort de Mahomet, Abu Bakr est élu calife, c'est-à-dire successeur du Prophète. Il est à signaler qu'aucune mention n'est faite ni dans le Coran, ni dans la Sunna, relative au califat. Les fonctions du califes, ses attributions, les modalités d'élection et de nomination sont assez vagues. Cela explique en partie les guerres civiles et les discordes qui ponctueront la succession des califats. 

Avant de mourir en 634, Abu Bakr désigne Omar comme successeur. Compagnon et ami de Mahomet, Omar règne dix ans avant d'être assassiné par un Perse. Une assemblée nomme Othman nouveau calife. Mais, certains musulmans considère cette élection comme un coup d'état, qui vise à empêcher la prise de pouvoir d'Ali, le gendre de Mahomet, l'époux de Fatima. Cela entraînera la scission des musulmans... 

Dès son élection, Abu Bakr affronte les révoltes arabes et unifie de nouveau la péninsule. Les tribus sont finalement réduites à l’obéissance par une série de batailles. Tous ceux qui refusent de se soumettre sont vaincus, voire massacrés. De nombreux compagnons de Mahomet meurent aussi dans ces combats. La paix revenue, il peut désormais se lancer dans de vastes expéditions. La conquête arabe progressera par voie de terre et de mer. Les conquêtes sont fulgurantes : Mésopotamie (632-642), Syrie (633-636) et Égypte (639-642). Les troupes du califes progressent selon deux axes : vers l'Ouest, ils affrontent les forces byzantines, vers l'Est, ils combattent les Perses... 

En 636, dans la bataille de Yarmouck, les forces byzantines sont écrasées. La province syrienne et la métropole Antioche se rendent aux vainqueurs sans combattre. Sous la direction du patriarche Sophrone, Jérusalem résiste et après un long siège, finit par se rendre en 638. Césarée est conquise en 640. Byzance est menacée en 673, et de nouveau en 718. Dès 639, les armées musulmanes se tournent, à l’Ouest, vers les provinces fabuleusement riches de l’Égypte. Alexandrie tombe en 642. L’avance continue vers l’Ouest : Tripoli est prise en 643, la côte atlantique du Maroc est atteinte en 681. La dernière ville impériale, Carthage, tombe en 698. Les musulmans tiennent alors tout le pourtour sud de la Méditerranée. Ils passent ensuite à l’Europe, et l'Espagne sera la nouvelle proie des musulmans. Gibraltar est atteint en 710. En 718, la quasi-totalité de la péninsule ibérique est aux mains des musulmans, à l’exception de la frange nord. D’Espagne, ils franchissent assez vite les Pyrénées. En 720, ils prennent Narbonne, en 725, Carcassonne et Nîmes, puis remontant le Rhône, ils parviennent jusqu’à Autun. Ils seront enfin arrêtés à Poitiers en 732. 

La progression vers l'est est plus rapide. En 637, Ctésiphon, la capitale de l'empire Perse, est prise. En 640, l'Arménie est conquise. En 656, successivement, les troupes du calife conquièrent l'Irak, l'Iran, l'Afghanistan et l’Azerbaïdjan. Puis, avec de nouvelles campagnes, ils soumettent l'actuel Tadjikistan. En 711, ils prennent d’assaut la ville de Daïboul dans le delta de l’Indus. Ils remontent ensuite la vallée de l’Indus, conquérant progressivement l’équivalent du Pakistan actuel. Ils atteignent Syr-Daria en 751... 




Dans les premières années de la conquête, les premiers califes ne semblent pas vouloir édifier un nouvel empire. Les attaques ressemblent encore à des coups de forces, faits de cruautés et de pillages. En dehors de quelques batailles décisives, les califes lancent des razzias, pillent et détruisent les campagnes. Faute d'armement adéquat, ils s'abstiennent d'abord à attaquer les villes qui s'abritent derrière leurs murailles. Les routes deviennent cependant dangereuses. Les villes sont alors isolées. Les arabes, « dont le glaive féroce, barbare et plein de sang » mènent la terreur. Les villages sont saccagés, les champs dévastés, le bétail enlevé. Les chrétiens s'enferment dans les villes, « enchaînés et cloués par la terreur des Sarrasins » (1). En 634, la région de Gaza jusqu'à Césarée est mise à sac et dévastée. On dénombre un massacre de 4 000 paysans chrétiens, juifs et samaritains. Dès 639, la peste et la famine sévissent. Les villes apeurées et affamées finissent pas négocier des redditions moyennant tribut. Elles payent leur protection. « Omar envoya Khaled avec une armée, dans la région d'Alep et d'Antioche. Ils y firent périr beaucoup de monde. Personne ne leur échappait. Quoiqu'on puisse dire des maux que la Syrie eut à subir, on ne pourrait les raconter à cause de leur multiplicité ; car les Taiyayê [les Arabes] étaient la grande verge de la colère de Dieu » (2). 

Cette situation est identique dans l'empire Perse. A Elam, la population est massacrée. A Suse, les notables sont passés au fil de l'épée. La population assyrienne est décimée ou réduite à l'esclavage. Ils « entrèrent dans le district de Darôn qu'ils saccagèrent, et où ils répandirent des flots de sang. Ils exigèrent des tributs et se firent remettre des femmes et des enfants » (3). Les monastères sont pillés, les moines tués, les monophysites massacrés ou asservis. Jusqu'en Arménie, ils portent avec eux « l'extermination, la ruine et l'esclavage » (4)... 

« Ce tableau général de dévastation, de ruines, de massacres et de déportation des populations captives des villes et des campagnes s'étendit sur tous les territoires conquis d'Asie, d'Afrique et d'Europe » (5).

Ces victoires rapides s'expliquent principalement par la désintégration des empires byzantin et perse. Les troupes du calife les attaquent au moment ils sont épuisés par les guerres et les crises internes. Vaincue par Byzance, la Perse est, dans la pire des confusions, les usurpateurs se succédant sur le trône. L'empereur byzantin Héraclius vieillissant a certes vaincu l'ennemi séculaire perse mais la lutte a été incroyablement dure. Alors qu'il voit la ruine de l’œuvre de sa vie, il se tient à l'écart de la conquête arabe. Puis à sa mort, en 641, le trône est l'enjeu d'une lutte familiale au moment où les Arabes attaquent l'Egypte. L'empire byzantin connaît surtout la division : les provinces orientales ne supportent plus Byzance. Ce sont finalement deux géants divisés et à bouts de souffle qui subissent l'assaut des arabes ... 

Face aux troupes arabes, la résistance est alors faible. Dans l'empire byzantin, les populations locales sont lasses de l'oppression religieuse et économique des empereurs. Les querelles religieuses n'ont pas cessé de diviser l'empire. L’Église byzantine chasse ou persécute les monophysites. En Perse également, les combats religieux ne sont pas rares entre le mazdéisme et les différents hérésies chrétiennes qui s'y sont réfugiés. Les arabes sont alors considérés comme des libérateurs. Certains chroniqueurs les considèrent d'ailleurs comme une secte chrétienne ou judaïsante. Le joug arabe est préféré à celui de Byzance... 

Les conquérants sont aussi aidés par le ralliement des nomades arabes qui s'étaient progressivement implantés dans les civilisations sédentaires. Des tribus, dont le rôle était de défendre les empires face aux expéditions des Bédouins, se rallient aussi aux troupes arabes. Les deux empires n'ont plus de défense. La désertion arrive parfois en plein combat. Lors de la bataille de Yarmouck, les Ghanassides, alliés des Perses, désertent et passent à l'adversaire. 

Sans cependant généraliser ces ralliements, il faut surtout retenir la passivité des chrétiens du Moyen orient et leur désaffection à l'égard de Byzance. Et point important, les conquêtes n'ont pas un aspect religieux. Elles ne sont pas considérées comme telles. On ne se bat pas pour Mahomet mais pour acquérir des richesses. « Leur but était moins la conversion des peuples à la nouvelle foi que la soumission de nouvelles terres et la domination sur les infidèles » (6). 

Mais, compte tenu de leur faible effectif et de leur inexpérience, les arabes sont incapables seuls de durer et d'occuper le terrain conquis. En outre, ce sont des nomades. Ils savent chevaucher et combattre mais ignorent la gestion des villes. L'occupation paraît alors légère, peu imposante. Les troupes et les fonctionnaires demeurent sur place pour faire rentrer les impôts. « Conscients de leur infériorité numérique, qui leur impose de rechercher l'adhésion des populations assujetties, ils se gardent au départ de mesures trop oppressives et s'efforcent même de prendre en compte l'aspiration des chrétiens à davantage d'autonomie » (7). Les communautés chrétiennes gagnent donc une certaine autonomie, notamment religieuse. Les arabes laissent aussi les chrétiens gérer leurs villes. Mais, ils ne cherchent aucune assimilation. Ils s'affirment comme les vainqueurs, rejetant toute équivalence entre musulmans et non-musulmans. Il y a bien une forte distinction entre vainqueurs et vaincus. En outre, les peuples conquis se voient offrir des traités de protection, qui leur garantissent la sécurité des personnes et de leurs biens, la liberté de culte et l'auto-administration. Les vaincus se rachètent en quelques sortes aux vainqueurs. Il s'instaure ainsi un droit particulier entre les conquérants et les occupants. 

Ainsi, les califes et leurs troupes ne semblent guère chercher à convertir les peuples qu'ils ont conquis. Ils veulent exploiter les richesses des civilisations tombées à leur merci. Les motifs de leur chevauchée semblent traditionnels des nomades arabes : le gain de l'appât, attisé par les difficultés des civilisations riches et par la faiblesse de la résistance. Leur conquête s'appuie en outre sur un climat de terreur qu'ils instaure de manière systématique et démesuré. La peur fait ouvrir les portes des villes. Leur victoire reposent aussi en grande partie sur la faiblesse de leurs adversaires, épuisés et divisés, et sur celle des populations locales, lasses de l'oppression. Les arabes ne sont pas des vainqueurs très présents et exigeants, compte tenu de l'absence d'effectif suffisant, d'une incompétence dans la gestion de villes. Ils sont même très habiles en mettant en place des traités conciliants et avantageux pour les vaincus. La conquête arabe est alors considérée comme étant acceptable par les populations locales... 


1. F.M. Abel, Histoire de la Palestine, Paris, 1952, cité par Bat Ye'or, Les chrétientés d'Orient entre jihad et dhimmitude, VIIe-XXème siècle, chapitre I, édition Jean-Cyrille Godefroy, 2007. 
2. Chroniques de Michel le syrien, cité par Bat Ye'Yor, Les chrétientés d'Orient
3. E. Dulaurier, Recherches sur la chronologie arménienne, 1859. 
4. Sépéos, fin VIIème siècle, cité par Dulaurier, Recherches sur la chronologie arménienne, 1859, dans Les chrétientés d'Orient
5. Bat Ye'or, Les chrétientés d'Orient, I. 
6. Georges Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, chapitre II, 2, 1996. 
7. Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des chrétiens d'Orient, des origines à nos jours, édition Fayard., 1994.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire