" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 18 mai 2012

Foi et art, sont-ils indissociables ?

Certaines paroles des Papes (1) peuvent nous surprendre. Elles devraient même nous étonner. Si nous entendons bien leurs enseignements, nous pourrions en effet croire que la foi et l'art sont indissociables (2). Par conséquent, nous pourrions en conclure que le catholique devrait rejeter la musique de Jean-Sébastien Bach ou les pièces de Shakespeare. Si un artiste n'est pas chrétien ou est hérétique, son œuvre serait contraire à la foi et donc potentiellement dangereuse. Nous pourrions alors en conclure que l'artiste ne peut qu'être chrétien. Or, la réalité est toute autre. Non seulement il existe un art musulman, indien ou polynésien authentique, mais l'art n'a pas attendu le christianisme pour se développer et atteindre la perfection. Que devons-nous donc en penser ? 

L'art est une expression de l'homme que seul peut apprécier l'homme. Mais qu'exprime-t-il ? Et que retient-il ? Nous avons donc deux points de vue à prendre en considération : celui de l'artiste et celui du public (3). L'un émet, l'autre reçoit, par un mode de connaissance spécifique … 

Dans les textes présentés, les Papes ne semblent traiter l'art que du point de vue de l'artiste. Ils lui demandent de refléter la beauté ineffable qu'il perçoit pour élever le public jusqu'à la source de toute beauté. Son inspiration provient du Créateur, qui lui donne le privilège de participer à son œuvre. Comme nous l'avons constaté avec Fra Angelico, un véritable artiste peut élever le public vers le bien, le beau et le vrai, et par ce mode de connaissance, vers Dieu lui-même. L'art atteint donc l'âme pour l'élever à la connaissance sublime... 

Dans ce mode de connaissance, il y a transmission entre l'artiste et le public. Que transmet l'artiste au public ? Des mots, des concepts, des idées ? Non, car la raison n'est pas mise en œuvre dans ce mode. Antonin Artaud n'a probablement pas tort quand il affirme qu'il est absurde que l'art parle d'abord à l'entendement, mais il se trompe quand il affirme que l'intention de l'artiste ne consiste qu'à parler qu'aux sens. Il a aussi raison quand il précise que la foule ne peut être saisie que par les sens, mais il se trompe encore quand il prend le public pour une foule. Dans l'art, il y a rencontre entre un artiste et une personne, les deux dotés d'une personnalité, d'une expérience et d'une âme, l'un atteignant l'émotivité et l'intelligence de l'autre au moyen des sens. Ces sens sont captivés par la matière, des formes et par d'autres éléments esthétiques, qui, agencés selon une certaine harmonie, forment un tout ... 

Un artiste doit maîtriser des techniques pour atteindre son public au moyen de ses sens à partir d'un support matériel composé. Contrairement à certaines idées répandues, l'art n'est pas inné. Il répond à des exigences et nécessite des techniques, un savoir-faire, qu'il faut acquérir par l'étude et le travail. Cela demande donc des efforts comme nous l'enseignent les Papes. Mais, cela ne suffit pas sinon peut-être serions-nous aussi devenu artistes après de longues heures de travail... Il faut en outre un certain génie, autrement dit des dons particuliers, un talent artistique. Et ces dons deviennent actes au moyen de techniques acquises ... 

Qu'exprime donc l'homme par l'art ? La Vénus de Milo était considérée comme une déesse au temps de l'antiquité. Sous le Moyen-Age, la foi était omniprésente dans l'art. Depuis la Renaissance, l'homme est au centre de l'art, sans aucune dimension religieuse. Le sacré a disparu. Au XIXème siècle, certains tentent même de faire une religion de l'art, pensant que la beauté sauvera le monde, comme dira Dostoïevski. Au XXème siècle, cette beauté est considérée comme trop contraignante. La forme est délaissée au profit de la force (4). 

Une œuvre exprime probablement une certaine perception du monde de la part de l'artiste au moment où il la compose. Le public la perçoit aussi à travers sa propre perception du monde dans un contexte parfois différent. Chacun donne du sens à une œuvre, sens qui peut évoluer durant les siècles. Les sculptures antiques éveillaient du mépris pour Saint Paul quand aujourd'hui, un chrétien peut en être émerveillé. Le contexte dans lequel évolue une œuvre a un rôle important dans sa compréhension et sa contemplation. Mais, peut-être, certaines œuvres garde intact ce que voulait transmettre son auteur quel que soit le contexte dans lequel elles évoluent ? 

Comment donnons-nous du sens à une œuvre ? Revenons à la Cité de Dieu. Nous donnons du sens selon l'inclination ou le mouvement de notre âme. Ainsi, une œuvre reflète nécessairement cette inclination, non seulement celle de l'artiste mais aussi celle du public. L'art et l'inclination de l'âme sont bien indissociables, chez l'artiste et chez le public. 

Les relations pouvant exister entre l'artiste et le public, à travers une œuvre, sont, à notre avis, fondamentales, surtout en notre époque où l'âme rencontre de multiples occasions de s'égarer et de chuter. Existe-t-il une réelle indépendance entre l'artiste et le public ? Saint Augustin nous précise dans son ouvrage que l'un de ses buts est d'extirper au fond de l'âme de ses contemporains les restes de paganisme. Nos contemporains ont encore aujourd'hui des restes du christianisme que des artistes tentent à leur tour de faire disparaître. Antoine Artaud a compris que par l'art, il pouvait déraciner ces restes, déconstruire leurs pensées. L'artiste a en effet le pouvoir d'influencer sur l'inclination de l'âme ... Car le public ne donne pas seulement un sens à une œuvre quand il la perçoit, il est aussi imprégné de cette œuvre selon sa force émotive et selon la résistance de son âme... 

Finalement, que déduire de ces quelques pensées ? Notre article n'a pas la prétention de démontrer quoi que ce soit, mais de donner quelques éléments de réflexions. L'art et la foi, au sens de l'inclination ou mouvement de l'âme, sont, à notre avis, indissociables non seulement pour l'artiste mais aussi pour le public, l'artiste pouvant néanmoins influencer sur le public... 

Mais une œuvre ne peut pas être rejetée sous le seul motif de la foi de l'artiste. Il faut surtout évaluer l'influence de son œuvre sur l'âme, considérée dans son environnement. Si la musique de Bach me permet de louer davantage Dieu, alors alleluia. Écoutons-là. De même, la tragédie a été délaissée et abandonnée par les premiers chrétiens pour les dangers qu'elle représentait, avant d'être reprise lorsqu'elle est devenue bienfaisante pour le public devenu chrétien. Mais si une pièce de théâtre parvient à rabaisser l'âme, à l'éloigner de la beauté et de la vérité, alors elle devrait être délaissée, quels que soient les raisons qui ont poussé l'artiste à la concevoir et à la mettre en scène. 

Le point essentiel est bien de considérer l'impact d'une œuvre sur une âme dans un contexte précis... 


Références
1 Voir articles La vocation de l'art selon les Papes (Mars 2012) et La responsabilité de l'artiste selon les Papes (Avril 2012). 
2 La foi prise dans un sens général, peut-être dans le sens de « croyance ». 
3 Nous utilisons le terme de « public » pour prendre en compte l'individu en tant que spectateur, auditeur, lecteur, etc. 
4 Christian Godin, philosophe, L'homme et son ouverture à la transcendance et au spirituel dans l'art, Institut théologique d'Auvergne, 19 janvier 2011 dans le cadre de « art et foi: quelle rencontre pour l'homme d'aujourd'hui ». 

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