Article tiré d'une conférence avec l'aimable autorisation des auteurs
Le miracle demeure un élément permanent de toutes les religions ou croyances. Dans l'antiquité ou dans des peuplades primitifs, on attribuait aux héros mythologiques ou à des objets inanimés des pouvoirs miraculeux. Seuls l'islam et le bouddhisme prétendent peu au miracle. Les protestants ne croient guère qu'aux miracles bibliques ou à la rigueur de ceux du Christ. L'Église tient le miracle pour indiscutable et pour soutien de la foi. Il fait partie intégrante des Saintes Écritures et du christianisme.
Les chrétiens oscillent actuellement entre deux attitudes radicales devant le miracle : certains le tiennent pour indigne de Dieu et inacceptable pour l'esprit scientifique, d'autres voient dans le miracle une rencontre sensible, directe et transparente avec Dieu.
Différentes perceptions du miracle
Dans le Nouveau Testament, le miracle est perçu comme un signe qui exprime Dieu ou un prodige qui défit les lois de la nature, deux aspects d'un même terme que le christianisme n'oppose pas. Comme signe, il est un langage de Dieu et du Christ. Il se différencie de la magie, plutôt axée sur le prodige. Le caractère prodigieux et exceptionnel, qui manifeste la transcendance de Dieu et sa gratuité, n'est cependant pas oublié. Comme prodige, le miracle est une attestation de la puissance de Dieu et de l'intérêt qu'Il porte aux hommes. Ainsi, est-il pris par les chrétiens comme argument apologétique. Origène distingue les miracles du Christ des prestiges magiques par leur but religieux. Les miracles « sont donnés pour le salut des âmes, la réforme des mœurs, l'éclat du culte ».
Le mot miracle vient du verbe « mirari » qui signifie étonner. Le miracle est perçu comme une merveille. La Sainte Ecriture souligne l'admiration et l'étonnement de la foule devant les œuvres du Christ ou de Dieu.
Saint Augustin voit dans le caractère insolite le critère d'une intervention spéciale de Dieu. Il distingue deux catégories de miracles : les miracles quotidiens, perceptibles dans le cours naturel des événements, et dans un sens plus restreint, les prodiges. Saint Grégoire insiste sur la première catégorie des miracles : les naissances naturelles, la moisson, … mais leur caractère habituel a fait pâlir ces merveilles quotidiennes.
Selon Saint Anselme, en le situant sur les types de causes (naturelle, humaine, divine), le miracle relève de la volonté de Dieu et donc de son intervention. Ainsi, Guillaume d'Auxerre définit le miracle comme surnaturelle en opposition aux faits naturels qui sont selon la nature.
Saint Thomas d'Aquin discerne trois aspects du miracle. Il est insolite et remplit d'étonnement, il est d'ordre surnaturel, et ne peut être réalisé que par Dieu. Il spécifie le miracle ce qui est exception à l'ordre naturel de la création sans le considérer comme contre la nature.
De manière classique, on distingue trois catégories de miracles :
- les faits qui excèdent les possibilités de la nature quant à l'essence même de la réalité produite (don d'ubiquité, gloire du corps humain, ..) ;
- les faits qui excèdent les possibilités de la nature quant au sujet dans lequel il se produit ( résurrection des corps, guérison des malades ou d'infirmités rigoureusement incurables, ...) ;
- les faits qui n'excèdent pas les possibilités de la nature mais qui l'excède seulement quant au processus ( pluie imprévisible, guérisons instantanées, …).
Critique moderne du miracle
Le miracle s'oppose à la science qui s'appuie sur deux exigences. D'une part, elle se fonde sur le postulat du déterminisme qui conçoit l'univers comme un enchaînement sans faille de faits explicables où il n'y a pas de place pour des interférences surnaturelles. Ce postulat est néanmoins remis en cause. Des théologiens adhèrent généralement à ce postulat, prenant comme principe que Dieu ne saurait transgresser l'ordre qu'il a établi. D'autre part, la science est expérimentale, n'affirmant rien que sur l'expérience, réitérable et vérifiable.
Le miracle n'est pas un objet normal d'expérience, échappant ainsi à l'expérimentation. Mais, prenant les exigences de la science expérimentale et à partir des constats de miracles, le futur Benoît XIV a établi des normes pour leur vérification en vue des procès de canonisation. La constatation des miracles a ainsi pris progressivement de l'importance au point d'éclipser au début du XXème siècle le miracle lui-même. Face au rationalisme qui niait la possibilité de tout miracle, des chrétiens ont ainsi prouvé qu'il existait des miracles strictement inapplicables par les lois de la nature.
En 1905, sur le conseil de Saint Pie X, est né le bureau des constatations médicales de Lourdes, à la fois pour écarter les illusions et pour présenter aux chrétiens des cas sérieux et dûment reconnus afin de réfuter les adversaires anticléricaux. Entre 1907 et 1913, ont été ainsi reconnues 33 guérisons miraculeuses. En 1946, ont été fondés, à Lourdes, un bureau médical, chargé d'instruire les dossiers, et un comité médical international, composé de sommités médicales, chargé de juger en dernier ressort au plan scientifique.
Aux médecins de la commission, l'Eglise pose trois questions :
- y avait-il maladie et quelle maladie ?
- y a-t-il guérison, complète, instantanée, etc. ?
- la guérison est-elle inexplicable par la science ?
Les médecins répondent aux deux premières questions. La troisième question les embarrasse puisque le propre de la médecine, comme toute science, est de refuser l'inexplicable. C'est pourquoi les médecins répondent ordinairement en ajoutant la clause : « inexplicable dans l'état actuel de la science ». Une telle restriction pose difficulté car elle rend caduque leur témoignage.
Pour éviter toute suspicion, sont exclues toutes guérisons de maladies purement fonctionnelles, sans lésions anatomiques, maladies qui pourraient n'avoir qu'une origine psychologique. Cette exclusion est illusoire car en médecine ordinaire, le « nerveux » n'est en rien un faux malade non organique. Une perturbation nerveuse peut conduire à des troubles fonctionnels lesquels aboutissent à des lésions qu'un rééquilibre nerveux peut guérir. La suggestion chez certains sujets est capable de faire disparaître en quelques heures des tumeurs infectieuses comme des verrues. Dieu pourrait-il alors se servir des ressources du système nerveux pour la guérison ? On ne saurait nier que la confiance guérit ou contribue à la guérison, encore plus la foi religieuse dans l'ambiance des cérémonies collectives.
L'Eglise ne demande jamais à la médecine de constater les miracles. Seule l'Eglise est en effet compétente pour affirmer de toute son autorité qu'il s'agit bien d'un miracle. Elle lui demande uniquement un avis technique et scientifique sur le fait de la guérison. Le constat revient à l'évêque du diocèse auquel appartient le malade guéri. Sur la base du constat médical, qui constitue un préalable, une commission ecclésiastique étudie le contexte religieux de la guérison, ses fruits moraux et spirituels, personnels et communautaire, pour le malade et son entourage.
Mais, si embarrassés par les faits merveilleux, les évêques les ont parfois étouffés pour éviter la difficulté de se prononcer. A Lourdes, il n'y a pas eu ainsi de constats de miracles de 1965 à 1977. Les pèlerinages recevaient la consigne formelle de faire silence, jusqu'à ce que les guérisons soient dûment constatées. En outre, on a donné une telle importance au constat médical que les ecclésiastiques y voyaient le seul critère et s'y enlisaient au lieu de faire leur travail propre : le discernement des circonstances morales et spirituelles, ou bien ils le réalisaient selon des critères purement administratifs et juridiques. Actuellement, à Lourdes, les ecclésiastiques commencent à dépasser le rationalisme des années 1965-1975. Deux miracles ont été reconnus en 1977 et 1978.
Au XXème siècle, le miracle a apparu donc comme un défi à la science mais l'Eglise semble revenir vers la doctrine du Concile de Vatican I qui anathématise ceux qui déclarent les miracles impossibles et les relèguent parmi les fables et les mythes. En outre, aujourd'hui, plus pénétrés de la complexité du réel et conscients de ne pouvoir conclure qu'en termes de relativité, de probabilité, de statistique, etc., les scientifiques sont moins sûrs d'eux-mêmes. Le scientisme et l'anti-scientisme sont dépassés par ce nouveau stade de la science.
Sources de la conférence :
René Laurentin, Sens de Lourdes (1955), Lourdes et la science (1958).
Docteur Paul Chauchard, Président de « Laissez les vivre », la Foi du savant chrétien (1957).
Docteur Olivieri et Dom Billet, Y a-t-il encore des miracles à Lourdes ? (1972).
Historia spécial Les miracles, n°294 bis
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