" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 22 juillet 2023

Autel ou table, un choix porteur de sens qui doit nous interroger et nous éclairer ...

Quand nous songeons aux différents changements qui ont eu lieu après le second concile de Vatican, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l’apparition de nouveaux termes religieux et plus encore le silence qui ont inhumé des mots autrefois courants de notre langage religieux. Les mots comme « enfer », « pénitence » ou encore « diable » n’ont plus été employés pendant de longues années comme s’ils n’étaient plus recommandables ou que la réalité qu’ils exprimaient n’était plus d’actualité. Le même phénomène s’est produit en matière liturgique. C’est ainsi que dans de nombreux discours, le terme d’« autel » a tendance à être omis au profit de celui de « table »[1]. Parallèlement, le terme de « banquet » a été mis en valeur au détriment de celui de « sacrifice ». Ce changement n’est pas que verbal. Il a aussi touché la chose en elle-même. Le lieu où officie le prêtre a en effet été modifié dans sa forme et dans son emplacement, entraînant parfois même la destruction de l’autel[2], en dépit de sa beauté et de sa valeur. Ces modifications sont si marquantes qu’ils symbolisent encore aujourd’hui la nouvelle messe dite de Paul VI. Ce changement liturgique n’est pas sans enseignement. C’est pourquoi nous avons décidé de traiter de ce sujet dans le cadre de notre étude apologétique…  

Après une brève description étymologique et historique, nous allons étudier le rôle de l’autel dans la sainte messe.

L’autel, lieu élevé au centre du culte sacrificiel

Le terme d’« autel » provient du mot latin « altare » ou encore au pluriel « altaria », lui-même formé de deux mots « alta » et « are ». Le premier signifie « élevé », le second « foyer » ou « pierre de sacrifice ». Ainsi, le terme d’« autel » désigne le « lieu élevé réservé au sacrifice ».

Les païens distinguaient deux types d’autels : l’ « ara » et l’ « altare »[3]. L’ « ara » était un petit autel soit domestique, dédié aux divinités du foyer et aux libations réalisées en l’honneur des défunts, soit dédié à des cultes inférieurs. Nous pouvons par exemple mentionner l’ « ara pacis »[4], l’ « ara victoria »[5] ou encore l’ « ara Ammonis »[6]. L’ « altare » était plutôt destiné aux autels dédiés au culte des dieux supérieurs. De dimensions plus grandes, il était un véritable monument. Généralement situé en plein air, souvent placé devant le temple, il était habituellement de forme rectangulaire, en pierre ou en marbre, et comporte des marches pour permettre d’accéder à une plate-forme.

L’autel dans l’Ancien Testament

Dans l’Ancien Testament, nous retrouvons à de nombreuses reprises le terme hébreu de « Mizbeach », qui est traduit par « autel ». Il provient de la racine primaire « Zabach » qui signifie « immoler », « égorger », « sacrifier ». « Noé battit un autel au Seigneur ; et prenant de tous les quadrupèdes et de tous les oiseaux, il les offrit en holocauste[7] sur l’autel » (Genèse, IX, 20). Abraham érige aussi un autel pour accomplir le sacrifice de son fils Isaac. Ils « arrivèrent au lieu que Dieu lui avait indiqué. Abraham battit un autel, et déposa le bois dessus ; et lorsqu’il eut lié Isaac son fils, il le mit sur l’autel, au-dessus du tas de bois » (Genèse, XXII, 9). Il est aussi édifié pour invoquer Dieu, « dans tout lieu dans lequel sera la mémoire de mon nom ; je viendrai à toi et je te bénirai. » (Genèse, XXII, 9). Il est placé là où Dieu est apparu. Le lieu privilégié pour ériger un autel était un point élevé, une colline, une montagne.

Dans le tabernacle construit par Moïse ou au Temple de Jérusalem, nous trouvons deux autels qui remplissent les mêmes fonctions, l’autel dit des Holocaustes, sur lesquelles était offert chaque matin et chaque soir un holocauste comme sacrifice officiel, et l’autel des parfums, ou autel d’or, sur lequel un parfum était brûlé, matin et soir, en l’honneur de Dieu.

Avant la construction du Temple, nombreux étaient les autels en terre sainte. Les patriarches en ont érigé de nombreux. En plus de celui qui devait servir au sacrifice de son fils, Abraham en a bâti un à Shekem, un autre près de Béthel, ou encore à Hébron. Plus tard, Isaac, Jacob et Moïse en ont élevé d’autres. Finalement, c’était un geste naturel d’élever un autel pour adorer Dieu. L’ancienne Loi finir par interdire les autels particuliers pour ne pas favoriser la tendance naturelle du peuple hébreu vers l’idolâtrie.

Notons quelques caractéristiques de l’autel des Holocaustes. Par ses fonctions et son onction, il est saint. Consacré par de l’huile sainte, il ne pouvait être touché que par des prêtres. Pour y accéder dans le Temple, l’officiant devait monter des marches d’escalier. Comme le tabernacle puis le Temple étaient tournés vers l’est, le prêtre qui officiait était donc orienté « à l’orient devant le soleil » (Ezéchiel, VIII, 16). Cette orientation était aussi celle des cultes païens par symbolisme. Le lever du soleil pouvait manifester davantage la puissance de la divinité. Par ailleurs, cette orientation permettait d’éclairer l’autel au moment de la renaissance du jour. Soulignons que lorsque nous évoquons l’orientation d’un autel, nous parlons de l’orientation du prêtre qui accomplit l’acte cultuel.

La sainteté de l’autel, objet sacré par excellence

Notre Seigneur Jésus-Christ rappelle aux pharisiens la sainteté et l’importance de l’autel puisque s’approcher de l’autel revient à s’approcher de Dieu. Nous retrouvons cette identification entre l’autel et Dieu lui-même dans l’Ancien Testament. Dans leur exil, le peuple élu se tournait leurs regards vers Jérusalem, la cité sainte, vers Dieu, soupirant auprès du Temps et de ses autels au point de les confondre dans leur même soupir. « Je viendrai jusqu’à l’autel de Dieu ; jusqu’au Dieu qui réjouit ma jeunesse. » (Psaume 42, 4).

Par ailleurs, Notre Seigneur Jésus-Christ précise que l’autel est plus important que le sacrifice en lui-même. L’autel donne en effet sens et portée au sacrifice avant qu’il n’ait lieu. « Insensés et aveugles ! Lequel est le plus grand : l’offrande ou l’autel qui sanctifie l’offrande ? » (Matthieu, XIII, 19).

L’autel dans l’Eglise

Selon Saint Grégoire le Grand, il est le lieu « où le plus élevé s’allie au plus bas, où s’unissent le terrestre et le céleste, le visible et l’invisible »[8]. Il est en effet le lieu où s’accomplit le saint sacrifice. Dans le nouvel ordo qui décrit la messe dite de Paul VI, l’autel est non seulement le lieu « où le sacrifice de la croix est rendu présent sous les signes sacramentel » mais aussi « la table du Seigneur à laquelle, dans la messe, le peuple de Dieu est invité à participer » ou encore « le centre de l´action de grâce qui s´accomplit pleinement par l´Eucharistie. »[9] Auparavant, il est précise que « la messe dresse la table aussi bien de la parole de Dieu que du Corps du Christ, où les fidèles sont instruits et restaurés. »[10] Le terme de « table » est ainsi associé à celui d’ « autel ».

L’autel proprement dit est au sens strict[11] une pierre, appelée pierre ou table d’autel ou encore pierre sacrée, plane rectangulaire ou carrée, fixe ou mobile, qui seule est consacrée par l’évêque, sur laquelle est offert le saint sacrifice de la messe, ou au sens large le meuble tout entier avec les degrés, les gradins et le tabernacle. Au XIXe siècle, dans le langage courant, l’autel comprend la pierre ainsi que son support. Il est composé de trois parties : la table supérieure, les reliques qu’elle renferme et la base.

L’autel peut être mobile ou fixe. Dans les églises consacrées, il doit avoir au moins un autel fixe, généralement l’autel majeur, ou maître autel. Dans les basiliques romaines, par exemple au Latran, se trouvaient des tables où l’on disposait les offrandes destinées au sacrifice de la messe. D’une manière impropre, elles étaient désignées sous le terme d’« autel ».

Pour pouvoir dire la messe sur un autel, celui-ci dans son ensemble ou uniquement la pierre d’autel doit être consacrée suivant des règles liturgiques très précises. Il contient généralement des reliques enfermées dans une cavité, appelée sépulcre, ou incrustées dans la pierre d’autel. Cette obligation, qui date du IIIe siècle, provient d’un usage très ancien quand le saint sacrifice de la messe était réalisé dans les catacombes sur la pierre tombale d’un martyr pendant les persécutions. L’autel manifeste ainsi le lien entre le sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ et celui de ses fidèles.

Nos églises contiennent de nombreux autels qui, selon leur fonction et leur architecture, portent différents noms. Leur présence manifeste l’essor de la dévotion aux saints, la multiplication des prières aux défunts et l’obligation des prêtres de dire quotidiennement une messe. Parmi ces autels, se trouve le maître d’autel ou autel majeur, c’est-à-dire l’autel principal d’une église, placé dans l’axe de la nef au sein du chœur, le plus orné et monumental.

Autel de l'église d'Avenas, XIIe siècle
 (Bourgogne
)

Des règles précises ont régi la construction et l’édification de l’autel, la matière à employer, son emplacement, sa consécration, ... Depuis le nouvel ordo romain, les normes se sont plutôt assoupies[12], laissant souvent l’initiative à l’évêque ou à la conférence des évêques. Le nouvel ordo apporte des modifications dont la plus importante est son emplacement. « Il convient, partout où c’est possible, que l’autel soit érigé à une distance du mur qui permette d´en faire aisément le tour et d´y célébrer face au peuple. On lui donnera l´emplacement qui en fera le centre où converge spontanément l´attention de toute l´assemblée des fidèles. »[13] Dans les églises déjà construites, il sera possible de le déplacer si cela ne nuit pas à sa valeur artistique et dans le cas contraire, d’édifier un autre autel, qui sera alors mis en valeur. « Dans la construction des églises nouvelles, il faut n’élever qu’un seul autel, qui soit le signe, au milieu de l’assemblée des fidèles, de l’unique Christ et de l’unique Eucharistie de l’Eglise. »[14]

Pourtant, nous devons le souligner, la célébration de la messe face au peuple, qui caractérise tant la nouvelle messe, dite de Paul VI, n’est pas une obligation. Aucun texte officiel, ni même l’Ordo ne prescrit le prêtre à se tourner vers le fidèle pendant la cérémonie. Comme dans beaucoup d’autres cas, une possibilité est en fait devenue une loi, le plus souvent par mode…

L’autel, « pierre angulaire » de l’église

La pierre d’autel symbolise Notre Seigneur Jésus-Christ, la « pierre angulaire » qui fait tenir l’Eglise. Ainsi, cinq croix gravées y sont gravées pour rappeler ses cinq plaies. Lors de sa consécration, des grains d’encens répartis entre les cinq croix sont brûlées pour rappeler son embaumement par les saintes femmes avant que la pierre tombale renferme son sépulcre. L’autel purifié et oint de toute part lors de cette cérémonie est ensuite revêtue de trois nappes de lin, elles-mêmes bénies, représentant le linceul de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que finalement, l’autel est identifié à Notre Seigneur Jésus-Christ, immolé et enseveli avant d’être glorifié.

Enfin, de nombreux gestes manifestent son caractère sacré comme l’illustrent les différentes marques de vénération et de respect tels son encensement, l’inclination du prêtre et des fidèles en absence de la sainte présence, les baisers du prêtre au cours de la messe… L’autel est enfin réservé aux offices divins, tout autre usage profane étant interdit. Afin de le laisser nu comme un tombeau, hors d’un office divin, aucun mobilier ni objet ne devait reposer sur l’autel. Cela explique ainsi la présence d’un retable.

L’autel tourné vers l’Orient

Aux premiers siècles du christianisme, dans les catacombes ou les maisons particulières, les fidèles était naturellement orientés vers l’Orient comme le notait déjà Tertullien. « Lors de son ascension, il monta vers l’Orient et c’est ainsi que les apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra comme ils l’ont vu s’élever vers le ciel, selon ce que le Seigneur dit lui-même : De même que l’éclair s’élance du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il du retour du Fils de l’homme. Puisque nous l’attendons, nous prions tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des apôtres. »[15] De même, les Constitutions apostoliques, qui datent de la fin du IVe siècle, prescrit de se lever vers l’Orient pour prier. Dans le rite copte de Saint Basile, les fidèles sont invités à regarder vers l’Orient pour prier.

Le IVe siècle est une nouvelle ère pour le christianisme. Les chrétiens sortent en effet de la clandestinité et peuvent librement exercer leur culte. C’est donc le moment où des églises sont construites ou dédiées au culte chrétien. Et dès ce temps-là, dans ces lieux de culte, le célébrant est naturellement orienté vers l’est, symbole de la Jérusalem céleste et de la seconde venue de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Lorsque nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient, là où le soleil se lève. Non pas comme si Dieu était là et avait abandonné les autres régions de l’univers … mais enfin que l’esprit soit exhorté à se convertir à une nature supérieure, à savoir Dieu. »[16]

Si l’église était tournée vers l’occident, comme les premières basiliques, le célébrant se tournait successivement ver l’est et vers l’ouest, c’est-à-dire dos au peuple ou face à lui. Et comme le montrent les églises d’Orient, le devant de l’autel suscite le plus grand respect au point qu’aucun célébrant ne lui tourne le dos.

Par conséquent, lors de la célébration, le prêtre n’était jamais face aux fidèles, l’ensemble étant tourné vers l’Orient. Enfin, notons qu’au moment de la célébration, l’autel devait être caché aux fidèles par des courtines.

« L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles —dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant— était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtre et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : Tournons-nous vers le Seigneur ! »[17]

Par conséquent, aucun argument historique sérieux ne permet de justifier l’orientation de l’autel et du célébrant vers les fidèles. La raison ne relève pas d’un retour à un christianisme dit primitif ou à une purification du rite. Bien au contraire, cette orientation se présente comme une rupture liturgique. Dans la présentation générale du missel romain, il est précisé que l’autel doit être placé de manière à faire « converger spontanément l’attention de toute l’assemblée des fidèles » et de permettre la célébration face au peuple[18]. Cette nouvelle orientation se justifie-t-elle que par des raisons pédagogiques ? Est-ce seulement un moyen pour tenter d’améliorer la « participation active » des fidèles comme le suggéraient certains réformateurs liturgiques[19] ? La même présentation mentionne que le prêtre tient un rôle de président[20], et à ce titre, sa place la plus appropriée est d’être face au peuple. La nouvelle orientation de l’autel relève donc d’un changement théologique, portant sur la liturgie, l’Eglise mais aussi sur le prêtre

Sacrifice ou banquet ?

Dans la présentation de la nouvelle messe, comme nous l’avons déjà évoqué, l’expression « table du Seigneur » est employé pour désigner l’autel en rapport à la participation des fidèles au mystère de l’Eucharistie.

Le terme de « table » est associé à l’idée de « banquet » auquel est invité le fidèle et à celle de « nourriture » qui lui est offerte. La nouvelle messe cherche ainsi, comme le mentionne la présentation du missel romain, à mettre davantage en lumière « le signe du banquet eucharistique »[21]. Rappelons que « la messe dresse la table […] du Corps du Christ, où les fidèles sont […] restaurés. »[22]

Les termes d’ « autel » et de « table » désignent donc un même objet mais aussi deux actes qui se réalisent au cours de la messe, le saint sacrifice et la communion. Cependant, n’oublions pas que la « table de communion » existe aussi dans la messe dite de Saint Pie V. Elle désigne le lieu où le fidèle reçoit la sainte Eucharistie. Mais contrairement à la nouvelle messe, elle est distincte de l’autel et n’occupe pas une place majeure dans l’espace de l’Eglise. Sa place secondaire montre en fait une réalité : la communion et la sanctification qu’elle implique selon la disposition du fidèle qui la reçoit ne sont que les effets du saint sacrifice qui s’opère sur l’autel. La Présence réelle présente dans le tabernacle sur l’autel est ordonnée immédiatement au saint sacrifice. Le saint sacrifie justifie toute la dévotion à l’égard de la Présence réelle. Sans sacrifice, il n’y a point de messe comme la messe subsiste même si aucun fidèle ne communie. Ainsi, « le mystère eucharistique – sacrifice, présence, banquet – n’admet ni réduction ni manipulation, il doit être vécu dans son intégrité »[23].

Et l’autel dans les religions protestantes ?

Au XVIe siècle, chez certains protestants, le terme d’« autel » est remplacé par celui de « table de communion ». Calvin nous donne une explication de ce changement non anodin. Dieu « nous a donné une table pour manger sur elle, et non un autel pour sacrifier dessus. Il n’a point consacré des prêtres pour immoler des hosties mais il a institué des ministres pour distribuer la nourriture sacrée au peuple. »[24] Effectivement, il enseignait que Notre Seigneur Jésus-Christ ayant accompli son sacrifice une fois pour toute, il n’y avait point de saint sacrifice à la messe. La table n’est pas généralement surélevée et elle est disposée au centre des fidèles mettant ainsi l’accent sur le partage et l’absence de hiérarchie entre l’officiant et les fidèles, voire sur l’aspect festif de la cérémonie. Chez certains protestants, la table n’est édifiée que pour la Cène…

C’est pourquoi les autels furent détruits et remplacés par des tables de bois couvertes d’une toile de lin et placées dans le chœur. Comme l’expliquait le conseil du roi anglais à l’évêque de Londres, « un autel est destiné à un sacrifice ; une table est destinée à ce que les hommes y prennent part au repas. »[25] La messe est finalement le mémorial de la Cène. Ainsi, le terme de « messe » est remplacé par celle de « Cène ».

L’autre changement qu’opèrent les protestants, au moins pour ceux qui croient encore au sacrifice de la messe, comme les luthériens, est la fin de la multiplicité des autels au sein d’un édifice religieux afin de signifier l’unité de célébration par une communauté.

Enfin, l’autel ou la table n’est plus le centre de l’église. La chair est en effet devenue un élément essentiel d’un temple ou d’une église protestante pour signifier le rôle déterminant de la prédication. Parfois monumentale, elle peut être placée au-dessus de la table. Au XIXe siècle, la communion était parfois réalisée au moment où l’officiant lisait des textes bibliques, dévalorisant ainsi la réception du pain et du vin ainsi que leur consommation. Cependant, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les tables de communion ont repris leur place et visibilité, devenant notamment plus massives et ressemblant davantage à des autels.

Conclusions

Un changement de termes, surtout lorsqu’il est consacré par un usage antique, n’est jamais anodin. Il annonce toujours une rupture plus ou moins profonde, c’est-à-dire un changement substantiel.

Quand nous parlons d’autel, nous songeons naturellement à un sacrifice qu’offre l’homme à une divinité dans le cadre d’un culte religieux comme le montre notre histoire antique. Il est aussi naturel d’employer ce terme pour évoquer le culte du peuple élu à l’égard du véritable Dieu. De même, lorsque les chrétiens ont mis en place la liturgie au IVe siècle, ils ont aussi employé ce terme pour désigner le lieu où s’accomplit le saint sacrifice de la messe. 

Le terme de « table » évoque plutôt un repas ou encore un partage. Il nous renvoie donc à la dernière Cène quand Notre Seigneur Jésus-Christ a institué le sacrement de l’Eucharistie. La nouvelle messe dite de Paul VI cherche ainsi à souligner l’importance du mystère de l’Eucharistie en mettant davantage en valeur la « table du Seigneur » et le banquet eucharistique au risque de mettre au même plan la cause et l’effet, c’est-à-dire le saint sacrifice de la messe et la communion.

Différentes mesures, comme la célébration face au peuple, la suppression des autels secondaires ou encore l’aspect festif de la cérémonie au détriment du sacré, laissent penser que la messe est ordonnée à la communion. C’est ainsi qu’aujourd’hui il n’est pas rare d’entendre que la messe n’est plus un sacrifice mais le signe d’un partage ou d’une église qui se réalise ! Récemment encore, une théologienne dite catholique s’insurgeait contre la conception « ringarde » de la messe comme sacrifice. Des papes ont déploré des abus depuis le deuxième concile du Vatican. « Parfois se fait jour une compréhension très réductrice du Mystère eucharistique. Privé de sa valeur sacrificielle, il est vécu comme s’il n’allait pas au-delà du sens et de la valeur d’une rencontre conviviale et fraternelle. »[26]

L’apparition de nouveaux termes dans la foi et le culte au mépris d’autres mots pourtant consacrés par un usage antique doivent donc nous interroger sérieusement. Souvent, des arguments fallacieux tirée d’une histoire manipulée ou incomprises tentent de montrer la pertinence des changements. La plupart du temps, ces changements annoncent plutôt une rupture non seulement sémantique et liturgique mais aussi théologique. En matière de liturgie, cela ne doit pas nous surprendre puisque le culte doit professer la foi. Si ce changement est imposé, en particulier de manière maladroite, voire arrogante, il est encore plus normal qu’il provoque incompréhension et division. Ainsi, au lieu de pointer du doigt ceux qui s’interrogent et refusent la rupture, il est bien plus judicieux et valeureux de soulever en toute objectivité les questions que soulève clairement la crise actuelle. Celle-ci ne naît pas d’une fidélité aveugle ou nostalgique à la messe dite de Saint Pie V mais de toutes les évolutions liturgiques qui ont eu lieu après le deuxième concile de Vatican, y compris de la messe dite de Paul VI.



Notes  et références

1]Voir Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, trad. fr. de 2007 (www.vatican.va). Les deux termes y sont présents. Elle mentionne une équivalence entre « autel » et « table du Seigneur » (n°49). 

[2]Voir Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain,). Il est précisé que l’autel pourrait être déplacé et non détruit sous réserve de ne pas dénaturer sa valeur artistique. Dans nos églises, cette règle n’a pas toujours été respectée.

[3] Voir L’autel : fonctions, formes et éléments, Joël Perrin, journal.openedition.org, https://doi.org/10.40000/insitu.1049. Ce document inventorie et définit les termes relatifs à l’autel.

[4] Ara Pacis Augustae, monument romain inauguré vers l’an 9.

[5] Symmaque, Relatio de Ara Victoria.

[6] Autel dédié au dieu Jupiter Ammon ou Serapis, qui a donné le nom de la ville « Aramon ».

[7] L’holocauste est un sacrifice au cours duquel l’offrande est consumée par le feu.

[8] Saint Grégoire le Grand, Dialogue IV.

[9] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain,  n°296, 2007,  www.vatican.vaLe texte  présente le nouvel Ordo. qui décrit la messe de Paul VI.

[10] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°73.

[11] Voir Corblet, Histoire dogmatique, 1885, tome 2.

[12] Par exemple, la mise en place de reliques dans la table d’autel était obligatoire avant le nouvel ordo. Il n’est plus qu’un usage opportun à garder. La nécessité de contenir des reliques est mentionnée par le pape Virgile dans une lettre qu’il écrit à Profurus, évêque de Braga. Cependant, vers 270, Saint Félix aurait rendu obligatoire de célébrer la sainte messe sur les reliques d’un saint martyr ou sur leur tombeau.

[13] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°299.

[14] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°303.

[15] Saint Jean Damascène, dans Tournez vers le Seigneur, Mgr Klaus Gamber, 18 novembre 1992.

[16] Saint Augustin, De sermone domine in monte, II, n°18, PL XXXIV, col. 1277.

[17] Cardinal Ratzinger, Préface, Tournez vers le Seigneur, Mgr Klaus Gamber, 18 novembre 1992.

[18] Voir Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°299, Elle reprend un article de l’instruction pour l'exécution de la Constitution sur la liturgie Inter oecumenici, chapitre V, II, 26 septembre 1966.

[19] Voir Émeraude, juin 03, article "Dom Parsch et la messe communautaire".

[20] Il préside la célébration comme il préside la prière.

[21] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°282.

[22] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°28.

[23] Jean Paul II, n°61, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia sur l’eucharistie dans son rapport à l’Eglise, 17 avril 2003, www.vatica.va.

[24] Calvin, Institution de la religion chrétienne, Livre IV, XVIII, n°12.

[25] T. CRANMER : Works, Cambridge 1844, vol. II.

[26] Jean Paul II, n°61, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, n°10.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire