Le
sujet est néanmoins délicat puisqu’il est un exemple d’un développement au
sein de l’Église dans la pratique comme dans la doctrine, ce qui implique
de discerner, dans le temps, ce qui relève de l’essentiel et de l’accessoire,
de la permanence et du contexte. Il apporte aussi quelques lumières sur
l’enseignement de l’Église et sa manière de le rendre plus clair et précis...
Une
pratique et une doctrine récentes ?
Le
premier texte pontifical qui définit la doctrine des indulgences est la
constitution apostolique Indulgentarium doctrina de Paul VI,
le 1er janvier 1967. Nous pourrions aussi ajouter d’autres textes
encore plus récents[2]
qui la précisent. Cependant, ne croyons pas qu’il a fallu attendre de si longs
siècles pour définir ce que sont les indulgences. La constitution apostolique
rappelle en fait la pratique et la doctrine qui la fonde tout en modifiant ses
modalités pratiques pour les adapter au temps.
De
même, ne croyons pas que cette pratique est née au XIe siècle sous prétexte que
le terme d’indulgences apparaît la première fois dans un texte. Ce serait
méconnaître une histoire qui remonte aux premiers temps du christianisme.
Il serait bien étrange, voire exceptionnel dans l’histoire de l’Église, que la
pratique des indulgences apparaît soudainement et avec une telle maturité sans
qu’elle ne soit précédée et préparée par une discipline antérieure.
Ce
serait aussi oublié que les indulgences sont fortement dépendantes d’une
autre pratique, celle de la pénitence. Or celle-ci a existé dans l’Église
depuis le commencement et a aussi connu une évolution dans ses formes. Il
serait donc curieux que la pratique des indulgences n’ait pas non plus la même
antiquité et qu’elle n’ait pas subi des modifications en contrecoup de cette
évolution.
Qu’est-ce
qu’une indulgence ?
Pour
bien comprendre ce qu’est une indulgence, il est essentiel de connaître ce que
sont les peines temporelles dues aux péchés. Selon l’enseignement de
l’Église, tout péché est une offense faite à Dieu qui mérite une peine. S’il
est grave, un péché peut mettre l’âme dans un état d’inimitié avec Dieu et
provoquer sa séparation avec Lui. Un tel péché conduit alors à la mort
éternelle d’où l’expression qui le désigne « péché mortel ». Un péché, dit « véniel », ne produit pas une telle séparation en trouble
l’amitié avec Dieu. Le pécheur mérite une peine dite temporelle.
Par
le sacrement de pénitence, le pardon est octroyé au pécheur baptisé, non pas
parce qu’il le mérite mais en raison de la miséricorde de Dieu. L’offense est
alors pardonnée, la peine éternelle remise. Cependant, le pécheur doit la
plupart du temps expier une peine temporelle pour satisfaire à la justice
divine, soit dans cette vie, soit dans le purgatoire. C’est cette peine qui
est remise partiellement ou totalement par l’indulgence. Contrairement à un
préjugé fort répandu, celle-ci ne sauve pas le pécheur puisque déjà pardonné,
celui-ci est assuré de la vie éternelle. Elle est concédée à un vivant
si celui-ci est absout de ses péchés et à une âme du purgatoire par voie de
suffrage, c’est-à-dire par la médiation et les prières des fidèles.
Il
se peut que Dieu remette totalement la peine temporelle due au péché quand Il
pardonne au pécheur, ce qui arrive par exemple quand un adulte est baptisé avec
des dispositions convenables. Avec le pardon de ses péchés, il est certain
qu’il obtient en même temps la rémission de toutes les peines éternelles et
temporelles. La même faveur peut aussi être accordée au pécheur qui reçoit le
sacrement avec une contrition parfaite.
La
doctrine du trésor de l’Église
En
outre, selon la communion des Saints, qui relève de la vérité de foi,
tous les membres de l’Église sont solidaires les uns des autres. Rappelons que
l’Église n’est pas seulement formée de fidèles vivants mais aussi des saints et
des âmes du purgatoire. Les mérites gagnés par les uns peuvent profiter aux
autres en venant enrichir davantage le trésor. Enfin, puisque l’Église est une
société hiérarchique, c’est le pape, « porteur
des clés au ciel »[5] qui a la
garde de ce trésor et qui peut en disposer dans l’intérêt des fidèles comme
tout chef peut disposer du bien commun.
La
doctrine du « trésor de l’Église »
a été présentée par Hugues de Saint Cher en 1230, par Saint Albert le Grand et
surtout par Saint Thomas d’Aquin. Comme le précise ce dernier, la validité
des indulgences ne réside pas dans l’œuvre indulgenciée mais bien dans
l’efficacité de la seule communication de l’Église des satisfactions des
saints et de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Les indulgences tirent leur vertu du trésor infini de l’Église dans
lequel sont renfermées les œuvres de surérogation du Christ et des saints pour
être employées au profit de l’Église universelle, non seulement elles remettent
ici-bas la peine de la satisfaction, mais elles remettent encore celle que l’on
doit acquitte dans le purgatoire. »[6]
Pourtant,
ne croyons pas que ce sont les théologiens qui ont inventé une doctrine pour justifier
la pratique. Le patriarche Veramundus de Jérusalem fait aussi appel aux
surabondants mérites du Christ pour expliquer les indulgences dans une lettre
qu’il écrit en 1121 à l’archevêque de Compostelle[7]. Les
théologiens ont plutôt à chercher à préciser avec rigueur la doctrine
sous-jacente à la pratique et répondre aux difficultés qu’elle soulève.
Soulignons enfin qu’ils écrivent non pour répondre à des polémiques ou à des
adversaires mais dans un cadre universitaire afin de fournir un enseignement
solide de la théologie chrétienne, ce qui implique une recherche de vérité plus
objective.
L’expiation
de nos peines temporelles
Selon
l’enseignement de l’Église, les peines temporelles dues aux péchés peuvent être
expiées en notre vie ici-bas par les pénitences que nous nous imposons
nous-mêmes, celles que nous impose le confesseur lors du sacrement de pénitence
ou encore par les épreuves que la providence nous envoie et que nous endurons avec
patience et soumission de cœur. Les indulgences complètent ces œuvres
satisfactoires à la justice divine. Ainsi, « lorsque le pécheur contrit a obtenu le pardon de ses fautes, et
que la peine éternelle méritée par le péché mortel lui est remise, il a ordinairement
encore l’obligation de satisfaire à la justice divine par une peine temporelle
à subir, soit en cette vie, soit dans l’autre […] Mais le Seigneur, dans son infinie miséricorde, a ainsi disposé les
choses, que les fidèles puissent déjà dans la vie présente se libérer, en
totalité ou en partie, de ces peines temporelles, soit par des œuvres
satisfactoires de leur propre choix, soit par les saintes Indulgences que
l’Église tire du trésor infini des satisfactions de Jésus-Christ et des saints
[…] Ces Indulgences elle les accorde par
la voie d’absolution aux vivants et par voie de suffrage aux âmes du
purgatoire. »[8]
Ce
que l’indulgence n’est pas
L’indulgence
n’est pas non plus une simple rémission des pénitences imposées autrefois aux
fidèles, pénitences extrêmement
rigoureuses. La rémission accordée par l’Église est efficace pour l’expiation
des peines temporelles dues à tous les péchés et par lesquelles nous devons en
cette vie ou dans l’autre satisfaire à la justice divine.
L’indulgence
ne nous dispense pas de réparer les obligations qui résultent de nos péchés, comme par exemple de
restituer les biens d’autrui ou de réparer le tort fait au prochain. Elle ne
nous dispense pas de faire pénitence, de porter notre croix, de changer nos
vies, de pratiquer toute sorte de bonnes œuvres.
Un
temps de purification dans le Purgatoire ?
Autrefois,
jusqu’à la constitution Indulgentiarum Doctina du 1er
janvier 1967, une indulgence partielle était attachée à un temps. Telle visite
d’une église, selon des dispositions bien définies, permettait d’obtenir cent
jours d’indulgence. Certaines critiques ont alors cru hâtivement que cette
durée correspondait à une réduction du temps du purgatoire, ce qui impliquait
une notion de temps pour les âmes demeurant aux purgatoires. Or, cette durée
ne porte pas sur l’indulgence en elles-mêmes mais sur la durée des peines
temporelles remises, définie par des canons ou des livrets pénitentiels. Si
tel pécheur avait commis une faute dont la peine canonique était de deux cents
jours de jeûne, une indulgence de cent jours lui remettait la moitié de sa
peine. Dans le cas d’une indulgence pour un défunt, cela ne signifie pas que son
âme sortait du purgatoire cent jours plut tôt mais qu’une peine équivalente à celle
de cent jours prescrite par les canons pénitentiels lui était remise, peine
qu’il devait purger soit dans la vie soit dans l’autre. Le
temps attaché à une indulgence ne renvoie donc pas à une durée de purification
après la mort mais à celle des peines temporelles fixées dès cette vie.
Cependant,
des indulgences accordaient des durées incroyables telles que des centaines ou
des milliers d’années. Or, comme l’a rappelé le pape Benoît XIV et la
congrégation des indulgences, de telles indulgences sont fausses ou apocryphes,
de pure fictions. Elles sont des exemples d’abus qu’a combattus l’Église.
Conclusions
Depuis
le commencement, pour le salut des pécheurs, l’Église fait appel devant Dieu
aux mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ et de tous les Saints, de qui
elle peut compter l’appui empressé en retour de sa prière, pour solliciter la
remise effective des peines temporelles devant la justice divine, par
absolution pour les vivants et par intercession pour les défunts. La
pratique des indulgences est une des formes particulières d’une conviction que
l’Église a toujours exprimée. Comme le rappelle le concile de Trente, elle est
« très salutaire pour le peuple
chrétien »[10]. Les
effets d’une indulgence sont certains, même si l’application de toute sa valeur
à une personne déterminée n’est pas infaillible. Il fait s’en rapporter à la
toute miséricordieuse bonté de Dieu…
La
pratique des indulgences se fonde sur de nombreuses vérités de foi. Elle en est
une des conséquences pratiques. C’est pourquoi sa remise en cause porte
nécessairement atteinte à l’enseignement de l’Église et à sa doctrine, et
finalement à l’Église elle-même. Certes, la pratique a connu des abus en raison
de l’avarice, de la cupidité et de l’impiété des hommes, abus que l’Église a
sévèrement condamnés. Mais au lieu de s’attaquer à la doctrine sous
prétexte de les combattre, elle a plutôt cherché à réformer la pratique
et à édicter des règles pour les prévenir. Il faut en effet savoir
discerner dans une pratique ce qui relève des modalités de mises en œuvre et de
ses fondements. Sous prétexte d’abus, il est malhonnête et dangereux de vouloir
porter atteinte à la foi…
Notes et références
[1]
Voir Émeraude, janvier 2021, article
« L’affaire des indulgences
(1/2) : un débat qui n’a pas eu lieu » et « L'affaire des
indulgences (2/2) : imposer ses convictions au lieu de rechercher la vérité... ».
[2]
La Pénitencerie apostolique a publié en 1968 un Enchiridion des indulgences.
[3]
Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, 27 janvier 1343, instituant le
jubilé de 1350, Denzinger n°1025.
[4]
Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, Denzinger 1026.
[5]
Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, Denzinger 1026.
[6]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, supplément, question 25.
[7]
Voir Paulus, Geschichte des Ablasses, I, n°2 et II n°1 et Les
origines et la nature des indulgences d’après une publication récente,
Henri Chirat, Revue des sciences religieuses, tome 28, fascicule 1, 1954,
www.persee.fr.
[8]
Raccolta
romaine, collection officielle des indulgences de l’Église, section IX, dans Les
Indulgences, leur nature et leur usage, d’après les dernières décisions
de la sainte Congrégation des Indulgences R.P. Beringer, Tome I, 1893, éditeur
P. Lethilleux.
[9] La coulpe (« culpa »)
désigne le péché.
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