" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 5 juin 2021

L'homme de Descartes, une rupture lourde de conséquences

Jusqu’au XVIe siècle, l’homme était conçu et compris comme l’union d’un corps et d’une âme rationnelle, d’un corps périssable qu’anime une âme immortelle, principe de vie. Si la philosophie d’Aristote a permis aux chrétiens de mieux expliciter cette réalité et de la définir avec des termes clairs et précis, considérant l’âme comme forme substantielle du corps, l’anthropologie chrétienne ne vient pas de l’aristotélisme et ne s’égare pas dans l’erreur d’une âme prisonnière d’un corps. L’enseignement de l’Église sur ce qui est l’homme ne date pas non plus de Saint Thomas d’Aquin, bien que sa pensée ait permis de mieux saisir ce qu’il est et de répondre à de nombreuses interrogations.

Mais au XVIe siècle, une révolution vient bouleverser cette conception de l’homme. « En dissociant pensée et matière, Descartes a fondé le monde moderne »[1]. Cette dissociation conduit à un dualisme qui caractérise la philosophie de Descartes et sur lequel repose une nouvelle anthropologie. La pensée moderne repose en effet sur la forte distinction entre le corps et l’âme considérés désormais comme des substances complètes et autonomes. Pourtant, Descartes défend aussi l’idée d’une union du corps et de l’âme dans l’homme. En associant ces deux thèses, nous sommes confrontés à une véritable contradiction, source de bien de difficultés…

Une nouvelle façon de concevoir l’homme

Comme nous l’avons évoqué dans l’article précédent[2], Descartes rompt avec la conception chrétienne  de l’âme qui dominait l’enseignement de l’Église depuis les premiers siècles de notre ère. L’âme était définie avant tout comme principe de vie et d’animation du corps vivant. L’homme était alors défini comme l’union de l’âme et du corps, deux entités de nature bonne, distinctes et non opposées, et enfin ordonnées, l’âme de nature supérieure au corps. Dans l’anthropologie chrétienne, un être est vivant en raison de l’âme. C’est par elle que le corps devient corps vivant. La mort arrive quand l’âme quitte le corps.

Mais pour Descartes, l’âme n’est que pensée, le corps, une machine fonctionnant par elle-même. Non seulement, ce sont des choses existantes par elle-même, elles sont aussi indépendantes et opposées. C’est le fameux dualisme cartésien. Que devient alors la vie dans ce système étrange ? Elle ne relève que du corps, c’est-à-dire de son fonctionnement interne.

Dans la manière moderne de concevoir le corps, la vie perd en fait toute sa valeur. Elle est comme l’électricité qui fait que nos moyens numériques fonctionnent. Le monde corporel, confondu avec la nature, n’est plus qu’un vaste mécanisme dont sa compréhension passe par la découverte des lois qui en régissent les rouages et dont la finalité n’est que d’être exploitée par l’homme comme toute machine. L’idée d’un monde image de la bonté de Dieu en est exclue. Le monde tel qu’il est conçu par Descartes est dépourvu de sens et de moral. Nous pouvons alors parler de « désenchantement du monde ».

Puis, en réduisant l’homme à l’âme, c’est-à-dire à la conscience, à ce « je » qui fonde le cogito de Descartes, nous pouvons facilement conclure que la valeur et la dignité humaines se rapportent uniquement à la conscience et non à la vie. Les grandes questions que nous portons sur l’homme, sur son existence, sur sa vie n’ont donc de sens que par rapport à la conscience. La vie en elle-même devient même insignifiante si elle ne se rapporte pas à la conscience.

L’idée chrétienne de l’âme perd aussi toute sa cohérence. Si l’âme n’est que pensée, un être autonome par lui-même, l’idée de métempsychose[3] reprend toute sa valeur. Comment est-il possible d’expliquer qu’une âme s’unit à un seul corps et ressuscite ? Si sa « substance » est même opposée à celle du corps, nous retrouvons toute la conception païenne de l’homme. Que devient l’anthropologie chrétienne ?

Erreur et confusion

Le dualisme que Descartes a établi dans l’ordre des idées à partir de son célèbre cogito, « je pense donc je suis », est en fait reporté dans l’ordre de la connaissance puis dans l’ordre de la réalité. La distinction logique devient alors une distinction étymologique pour aboutir à une distinction ontologique. Descartes conçoit la pensée et le corps comme deux idées distinctes et opposées, ce qui le conduit à distinguer et à séparer deux savoirs, la métaphysique et la physique, puis à définir l’âme et le corps comme deux choses subsistantes par soi, indépendantes et contraires. L’être pensée devient donc l’être connu et finalement l’être réel… Et quel que soit le plan qu’il se situe, Descartes est convaincu qu’il a atteint la certitude universelle.

Or, par l’expérience, nous savons tous que l’âme et le corps forment un seul être, l’homme. C’est un fait évident donc un fait certain selon les principes de la méthode cartésienne. Ainsi, ne pouvant ignorer ce que chacun peut éprouver, Descartes affirme que l’homme est l’union de l’âme et du corps tout en affirmant que ce sont deux substances séparées et contraires. Cette union associée au dualisme génère alors une contradiction.

Comme nous l’avons aussi évoqué dans le précédent article, Descartes demeure bien imprécis dans l’usage de termes dont la définition évolue au gré des contextes. Les mots qu’il utilise ne sont pourtant pas anodins pour ses contemporains. Ils nous renvoient en effet à un enseignement et donc à des images qu’il ne cesse de réfuter, ce qui peut provoquer bien des malentendus pour ses lecteurs contemporains.

Une étude séparée de l’homme

La nouvelle définition de l’âme et le dualisme cartésien ont donc introduit une nouvelle façon de penser l’âme et le corps, ce qui n’est pas sans conséquence sur notre vie quotidienne et sur notre rapport avec la vie et les hommes. Le dualisme cartésien conduit d’abord en pratique à séparer la science du corps de la science de l’âme, la physiologie de la psychologie.

La psychologie, qui était autrefois l’étude de l’homme, s’est d’abord réduite à l’étude de l’âme en tant que « substance pensante » puis à celle de la conscience. Elle s’est aussi séparée de la physiologie, qui s’est alors concentrée sur l’étude du corps humain, devenant une science physique indépendante. « La psychologie s’est constituée initialement comme science indépendante vis-à-vis des sciences individuelles. »[4] Alors que la psychologie est liée à un sujet, et donc à une personne, la physiologie s’est dépersonnalisée, étudiant le corps comme on étudie un animal, une plante, une pierre, voire une horloge...

L’étude de l’homme est alors étudiée selon deux aspects différents et de manière séparée, indépendante au point qu’ils se sont répartis entre ces deux sciences. « Ou c’est physique, ou c’est psychique ». Finalement, le dualisme a conduit au divorce entre d’un côté, les sciences et la médecine, et de l’autre, la philosophie et la morale. Que devient en effet la morale quand le corps n’est qu’un assemblage de rouages ?

Nous pouvons donc facilement en déduire la cause de bien des drames et des incompréhensions, y compris de nos jours, où un groupe d’experts médicaux proposent des remèdes à une épidémie sans se préoccuper de ce qu’est véritablement l’homme, de ses besoins spirituels, psychologiques, sociaux. Seule la santé du corps l’intéresse. Seule la vie au sens physique le préoccupe. Certes, le mental est parfois pris en compte mais il se réduit aussi à un phénomène physique. Pourquoi dans ce groupe qui conseille le pouvoir sur notre condition de vie en ce temps troublé, n’y a-t-il ni psychologue, ni religieux, ni éducateur ? Certes, le pouvoir entend leurs voix, mais cette manière de procéder est caractéristique de l’esprit moderne. Si le dualisme cartésien est depuis longtemps remis en cause, les hommes réagissent peut-être encore selon ses principes…

Comme si l’âme n’existait pas…

S’il a contribué à la révolution des sciences et à l’émergence de la pensée moderne, Descartes a semé le trouble en reliant les ordres épistémologiques et ontologiques au point de les confondre. Pourtant, l’être conçu dans l’intelligence n’est pas le même que celui existant en réalité. Mais cela ne peut guère nous surprendre quand le principe de vérité repose sur son cogito. Décrire le corps vivant comme une machine qui fonctionnerait comme si l’âme n’existait pas permet certes d’établir un modèle à partir duquel il est possible d’agir sur lui mais ce corps modélisé n’est point la réalité telle qu’elle est mais telle qu’elle peut être pensée. Cela ne signifie pas que ce modèle est erroné ou illusoire. Celui-ci peut suffire pour répondre à des besoins et à des questions mais il est insuffisant pour dire ce qu’est le corps et l’homme, donc légitimer des actions sur le corps et sur l’homme

« Tout se passe dans le corps comme s’il n’y avait pas d’âme », comme si le corps vivant n’était qu’une machine dont la vie ne résulterait que d’un mécanisme complexe. Une telle affirmation qui peut sans-doute être réductrice de la pensée de Descartes n’est donc pas sans conséquence sur la morale comme sur la science, et plus particulièrement sur la biologie et la médecine. La philosophie de Descartes a sans-doute contribué à l’élaboration d’une vision mécaniste du corps au point d’aboutir à un matérialisme radical, celui de Julien Onffray de La Mettrie (1709-1751), qui réduit l’homme à un simple mécanisme. Cette position n’est pas différente de ceux qui réduisent la pensée, et finalement la conscience, à un ensemble de mécanismes neuronaux. Selon leurs discours, tout ne serait qu’affaire de protéines et d’interactions, ou encore d’une organisation cérébrale. « Entre le monde vivant et le monde inanimé il y a une différence, non pas de nature, mais de complexité »[5], affirmait le biologiste et médecin François Jacob (1920-2013). Nous pouvons aussi citer Jacques Monod, lui-aussi biologiste de l’Institut Pasteur. Son livre philosophique intitulé Le Hasard et la Nécessité, sous-titré Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, est révélateur de l’esprit qui anime de tels chercheurs. Rappelons que ces deux éminents scientifiques ont reçu le prix Nobel de la physiologie ou médecine en 1965. Enfin, nous pouvons aussi citer le nom de Gilbert Simondon (1924-1989), philosophe français, qui défend l’idée selon laquelle l’individu résulte d’une genèse physico-biologique.

Cette conception de l’homme et du corps s’est-elle réduite à la science, à la biologie, ou encore à une théorie scientifique réservée à des initiés ? Ce serait bien naïf de le croire. Elle a dépassé le cadre étroit des laboratoires pour pénétrer dans de nombreuses branches économiques et dans la législation. Elle peut justifier par exemple l’avortement, l’euthanasie ou encore la biotechnologie.

Et que désigne la vie si l’âme n’est que pensée ? Comme le montre l’éminent scientifique Claude Bernard (1813-1878), la physiologie ou la biologie ne peut pas connaître la vie mais uniquement les phénomènes de la vie[6].

Une postérité exagérée ?

Cependant, pouvons-nous considérer Descartes comme le responsable de cette situation ? Il serait en effet simpliste de vouloir expliquer le développement de la physiologie à partir du seul cartésianisme.

En effet, l’idée d’une mécanisation de la biologie existait bien avant la publication de ses ouvrages. Léonard de Vinci en serait un des précurseurs en voulant appliquer les mathématiques aux phénomènes physiologique. Plus loin encore, Hippocrate recommande à son fils d’introduire les mathématiques dans l’étude de la médecine afin d’étudier l’être vivant. Nous pouvons aussi citer d’autres savants qui ont estimé que la méthode de la médecine devait être calquée sur la géométrique et la physique de leur époque. Nous pouvons citer Jean Fernel (1506-1558), dont nous devons le terme de « physiologie ». Prenons aussi l’exemple d’Alphonso Borelli (1608-1678), éminent mathématicien mais aussi physiologiste italien. Il assimile aussi le corps humain à une machine, comparant par exemple la mécanique respiratoire à une horloge munie d’une pendule. En outre, de nombreux savants ne se réclament pas tous de Descartes mais plutôt de Newton, de Leibniz, d’Harvey ou encore de Gassendi. La conception mécaniste de la biologie n’est donc pas une innovation de Descartes. Son innovation est en fait ailleurs…

De nombreux savants, comme du Hamel et Gassendi, s’opposent aux idées de Descartes, concernant notamment l’absence d’âme chez les animaux. Borelli admet aussi l’existence de l’âme pour les bêtes comme source de vie de l’animal. Le système de Thomas Willis est différent. Reconnu comme fondateur de la neurologie, il précise que l’homme a une âme rationnelle, mais aussi une âme animale, corporelle, qui explique le psychisme.

L’occasionnalisme, un grand pas en arrière dans la connaissance

Descartes a hâtivement résolu le problème de l’union du corps et de l’âme en évoquant l’hypothèse de la glande pinéale. Cependant, il est suffisamment grave pour préoccuper Leibniz. « Je croyais entrer dans le port ; mais lorsque je me mis à méditer sur l’union de l’âme et du corps, je fus comme rejeté en pleine mer. Car je ne trouvais aucun moyen d’expliquer comment le corps fait passer quelque chose dans l’âme ou vice-versa, ni comment une substance peut communiquer avec une autre substance créée. »[7] Comment un corps peut-il en effet interagir avec l’âme, et l’âme avec le corps ? Comment peut-il aussi en mouvoir un autre ?  Le problème s’est élargi aux mouvements entre corps[8].

La difficulté réside sur la définition du corps que donne Descartes. Si l’essence d’un corps se réduit en effet à l’étendue, il n’y a plus de principe d’action en lui. En effet, l’étendue « n’est que la faculté passive de recevoir diverses figures ». « Toutes les propriétés de l’étendue ne peuvent consister qu’en des rapports de distance. » Comment est-il alors possible que le corps puisse se mouvoir par lui-même ? Par conséquent, « si l’on réduit l’essence des corps à l’étendue, on est conduit à leur refuser toute activité. »[9] Il est alors tentant de reporter toute l’activité du corps en Dieu. Tel est l’occasionnalisme

L’occasionnalisme s’est développé au travers de trois philosophes, Louis de la Forge (1632-1666), médecin et philosophe, Géraud de Cordemoy (1626-1684), philosophe, historien et avocat, et surtout Malebranche (1638-1715).

Louis de La Forge est bien conscient des difficultés que soulève la doctrine de Descartes. Certes, le corps et l’esprit agissent l’un sur l’autre mais comment des substances opposées peuvent-elles s’interagir, la pensée sur la matière et la matière sur la pensée ? De même, en reprenant la définition du corps fournie par Descartes, il en conclut que « nul corps ne peut avoir la force de se mouvoir de soi-même »[10]. Par conséquent, « il faut que tout corps qui est dans le mouvement, soit poussé par une chose entièrement distinguée de lui, laquelle ne soit pas corps. » La Forge pose comme Dieu cause de tout mouvement du corps et des actions involontaires et inconscientes. Mais, comme leur maître à penser, identifiant l’âme à la conscience, il considère alors que seules les actions volontaires et conscientes ont pour cause l’âme. Et « si le corps n’avait eu tel mouvement, jamais l’esprit n’aurait eu une telle pensée, et si l’esprit n’avait eu une telle pensée, peut-être aussi que le corps n’aurait jamais eu tel mouvement. »

L’occasionnalisme se radicalise peu à peu. En effet, selon Cordemoy, Dieu intervient dans tout mouvement, y compris volontaire. « Les corps, les sentiments, les volontés et les désirs lui offrent l’occasion d’intervenir sans cesse dans le jeu des mouvements, sentiments et passions. »[11] Finalement, Cordemoy exclut toute causalité efficiente du monde sensible. S’il laisse encore l’esprit le soin de produire la pensée, Malebranche le lui refuse, allant jusqu’au bout de la logique.

Pour Malebranche, Dieu est la seule cause efficiente de toute chose, y compris de nos idées. Dans l’homme, Dieu produit tel sentiment à l’occasion de tel mouvement du corps, et Il produit tel mouvement du corps à l’occasion de telle pensée. Pour ne point enlever la liberté dans l’homme, Malebranche parle de son nécessaire consentement à la volonté divine. Et comme il renie toute activité en l’homme, ce consentement ne peut être perçu que comme un repos. Mais si la créature est dépourvue d’activité, existe-t-elle vraiment en dépit de la claire évidence donnée par l’expérience ? Si Dieu est cause de tout mouvement, ne risquons-nous aussi de croire que Dieu est en tout et finalement de tendre vers le panthéisme ? Pour répondre à cette question, Malebranche évoque la nécessaire foi pour éviter ces deux écueils. Cependant, sa solution n’est guère satisfaisante. Ces vérités sont-elles alors devenues inaccessibles à la raison ?

Finalement, avec l’occasionnalisme, la philosophie fait un bond en arrière. Leibniz préfère abandonner la doctrine de Descartes pour revenir à la nature humaine telle que définie l’aristotélisme.

Conclusion

Descartes a certes permis aux sciences de progresser et d’obtenir rapidement d’excellents résultats. Il est bien difficile de ne pas reconnaître sa part importante dans les progrès scientifiques et dans la connaissance de notre monde. Mais nous ne pouvons pas méconnaître la dangerosité de sa doctrine portant sur l’homme et la nature.

Mais, la doctrine qu’a proposée Descartes, une doctrine qu’il considère comme une « certitude universelle », ne satisfait pas non plus les savants et les philosophes, y compris parmi ses plus fervents partisans. Les objections à son système sont nombreuses, en particulier auprès des scientifiques de son époque. Ces derniers soulignent sans difficulté ses erreurs et ses certitudes grossières.

Le dualisme cartésien et les définitions qu’il laisse à sa postérité soulèvent bien trop de difficultés pour qu’elle ne donne pas lieu à de nombreuses théories. En séparant si radicalement la matière et la pensée dans l’homme au point de rendre leur union intelligible en l’homme, il était alors tentant de ne considérer seulement réelle et vraie que l’une des deux entités, soit la matière, soit la pensée. Ceux qui ont tenté de les unir de nouveau ont apporté des solutions qui paraissent trop artificielles. Certains philosophes en arrivent même à y réintroduire des thèses théologiques, montrant alors l’impuissance de la raison à connaître certaines vérités. D’autres s’y refuseront. Ils développeront alors l’empirisme ou retourneront à l’aristotélisme, philosophie plus sûre. Cela ne peut guère nous étonner. Le dualisme cartésien nous renvoie à des questions essentielles non seulement sur l’homme mais aussi sur la nature. Il a profondément fait changer le regard que l’homme avait sur lui-même et sur la vie.

Descartes est souvent peu apprécié en raison du culte de la raison ou du rationalisme dont il serait le père. Parfois, il est aussi loué parmi les chrétiens pour s’être opposé au matérialisme qui se développait à son époque, à tous ceux qui reniaient l’existence de l’âme et de Dieu. Mais, nous ne devons pas non plus oublier qu’il a contribué à une véritable rupture dans la manière de penser et de connaître l’homme et la vie, de les regarder et de les étudier. La conception de l’homme décrite par Descartes affaiblit en fait la doctrine chrétienne et rend inextricable certains mystères comme la résurrection de la chair. Comment pouvons-nous aussi récuser la métempsychose ? Par conséquent, la rupture ne relève pas uniquement de la philosophe. Elle est beaucoup plus profonde. La pensée moderne porte encore les blessures d’une pensée contradictoire et déséquilibrée…

Enfin, et cela est bien significatif, conscient de la contradiction du système cartésien, l’esprit moderne a plutôt accepté le dualisme cartésien tout en rejetant l’union du corps et de l’âme dans l’homme, récusant ainsi leurs interactions. Puisque le dualisme relève de la raison et donc de la science et leur union un fait d’expérience, le choix est en effet rapide. Deux mondes opposés se côtoient alors, le monde corporel objet de science, et donc de raison, la conscience, affaire d’opinion…. Ce n’est pas étonnant que la morale ne soit pas un sujet qui a intéressé Descartes.

 


Notes et références

[1] Philosophie magazine, 18 novembre 2012, site philomag.com.

[2] Voir Émeraude, mai 2021, article « Descartes, une nouvelle conception de l'homme, de l'âme et de la vie ».

[3] Voir notamment Émeraude, mai 2021, article « Contre la Métempsychose : unanimité des Pères de l'Église ».

[4] Gérard de Montpellier, Psychologie et dualisme, dans la Revue néo-scolastique de philosophie, 41ème année, deuxième série, n°60, 1938, www.persee.fr.

[5] François Jacob, La Logique du Vivant.

[6] Voir Émeraude, février 2021, article « L'incompétence de la science devant le mystère de la vie. Et pourtant... ».

[7] Leibnitz, Système nouveau de la nature, Journal des savants, 27 juin 1695, dans Œuvres philosophiques de Leibnitz, tome Ier, texte établi par Paul Janet, 1900.

[8] Nous pourrions croire que Newton a résolu le problème des mouvements de corps par sa théorie des forces mais son système ne dit pas ce qu’est une force en réalité.

[9] Roger Verneaux, Histoire de la philosophie moderne, chap. IV, II, 1963, Beauchesne et ses fils.

[10] La Forge, Traité de l’Esprit de l’Homme, chap. XVI dans La réception occasionnaliste de Descartes : des Malebranchistes à l’Encyclopédie, Véronique Le Ru, Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, avril 2005, mis en ligne le 30 mars 2009, consulté le 27 avril 2019, OpenEdition Journals.

[11]Cordemoy,  Discours V, dans Œuvres philosophiques de Cordemoy dans La réception occasionnaliste de Descartes : des Malebranchistes à l’Encyclopédie, Véronique Le Ru.

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