" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 6 mars 2021

L'homme, l'union d'un corps naturel et d'une âme rationnelle. Il n'est ni un corps, ni une âme, encore moins deux entités juxtaposées qui s'ignorent...

Quand nous admirons les progrès scientifiques et technologiques de notre temps, nous pourrions croire que l’homme n’a jamais été aussi savant et fort que de nos jours. Nous pourrions même être tenté de rejeter toute idée de Dieu pour nous appuyer que sur nous-mêmes. Mais, les événements que nous subissons depuis plus d’un an font éclater avec violence la vanité de telles pensées. Ils montrent avec éclat sa réelle impuissance non seulement à éradiquer l’épidémie mais à trouver des remèdes palliatifs satisfaisants. La mort en elle-même l’effraye tant qu’il en oublie la vie. Le mot lui fait terriblement peur.

Au lieu d’avancer dans nos illusions, sans voir au-delà de notre vision, à la recherche d’un bonheur à court terme, croyant encore aux faiseurs de rêve et aux bons hâbleurs de nos temps modernes, il est temps de se poser et de revenir à l’essentiel, de se soumettre à la réalité. Si les remèdes aux différentes crises que nous connaissons sont à trouver, ils ne peuvent pas venir de rien. Le passé est un livre précieux qui regorge de leçons et de solutions. Il est donc temps de l’ouvrir. Des trésors s’y cachent. Ils montreront certainement que l’intelligence et la science ne sont pas l’apanage de nos contemporains. Maus faut-il encore avoir des yeux pour voir, des oreilles pour entendre.

Or quand nous parlons de réalisme et de vie, nous ne pouvons pas ignorer l’un des philosophes antiques qui nous a laissé de belles et profondes réflexions sur le sujet qui nous préoccupe, c’est-à-dire sur l’homme. Et comme il l’affirme avec raison, rien n’est plus important que de connaître ce que nous sommes. Les erreurs que nous commettons et notre impuissance persistante s’expliquent peut-être par notre ignorance sur ce que nous sommes à force de vouloir être ce que nous ne sommes pas.

Aristote demeure sans aucun doute une précieuse aide à notre époque troublée. Comme la foi et la raison s’allient avec merveille dans la recherche de la vérité, ce philosophe confirme ce qu’enseigne l’Église sur la nature humaine comme le montre Saint Thomas d’Aquin.

La méthode scientifique

Le Traité de l’âme d’Aristote est sans-doute la première étude globale des êtres vivants. Dans son introduction, l’auteur définit l’étude de l’âme comme étant la plus haute et la plus efficace dans la connaissance de la vérité.

Cependant, il nous fait rapidement prendre conscience des difficultés de la tâche lorsqu’il faut définir ce qu’est l’âme. Est-elle une substance, c’est-à-dire une chose individuelle, une qualité ou une quantité ? Est-elle au nombre des êtres en puissance ou en acte ? Est-elle simple ou composée ? Est-elle unique ou se diffère-t-elle selon l’être vivant ? Aristote s’interroge aussi sur la méthode à utiliser. Doit-il la définir directement en soi, ou d’abord par ses actes ou encore par ses objets ? Il indique que pour connaître ce qu’est l’âme, le meilleur procédé est de définir ses propriétés puis d’en déduire une définition. Or pour connaître ses propriétés, il faut nécessairement observer les faits.

Aristote pose alors un nouveau problème. Les facultés observées sont-elles propres à l’âme seule ou à l’être qui possède une âme ? L’acte de penser par exemple semble être spécifique à l’âme mais il semble qu’il ne peut exister sans un corps. Or, la question n’est pas sans importance. S’il existe en effet des facultés propres à l’âme seule, celle-ci pourrait alors avoir une existence séparée du corps. Si elle n’en a aucune, elle ne pourrait lui être séparée. Nous pouvons aussi en conclure que beaucoup de phénomènes sont le fait de l’âme unie au corps ou du corps uni à l’âme. Ainsi, faut-il inclure nécessairement le corps dans l’étude de ces phénomènes.

Si l’âme est connaissable par l’observation, Aristote conclut alors que l’étude de l’âme relève du physicien. Cependant, elle doit nécessairement intégrer les aspects matériel et formel. Si l’étude n’englobe exclusivement que l’un des aspects, elle ne pourrait qu’échouer à définir ce qu’elle est parce que la définition serait purement conceptuelle ou abstraite ou parce qu’elle négligerait le sens au profit de la seule nécessité physique.

Avant de présenter sa thèse et selon sa méthode habituelle, Aristote reprend les opinions des philosophes qui l’ont précédées « afin de tirer profit de qu’elles auront de juste et d’éviter ce qui ne l’est pas. »[1] Il les ramène à deux groupes selon les deux caractères principaux qui diffèrent l’être vivant des êtres non-vivants, c’est-à-dire selon le mouvement et la sensation. Le premier groupe caractérise le vivant principalement par le mouvement dont l’âme serait alors par excellence et primordialement le moteur. Le second est surtout attaché au fait que le vivant connaît et perçoit les êtres. Alors l’âme serait le principe de la connaissance. Les doctrines se distinguent aussi sur la nature de l’âme, corporelle ou incorporelle. Enfin, l’âme est présentée comme une harmonie, un équilibre entre tous les éléments qui composent le corps. Aristote étudie alors très minutieusement ces différentes conceptions de l’âme.

L’âme, principe de vie de tout corps vivant

Après avoir défini les doctrines qui l’ont précédé et montré leurs limites, Aristote revient à son point de départ et se lance dans son exposé. Il commence par un fait évident, observable par tous : « parmi les corps naturels, les uns ont la vie, les autres ne l’ont pas. »[2] La vie n’a de sens que pour les « corps naturels ». Tout ce qui sort de nos mains ne peut être doué de vie. Il n’y a pas de vie dans tout corps fabriqué par l’homme. L’expression « vie artificielle » n’a en effet guère de sens. Il ne suffit pas qu’un corps soit organisé et réalise des actions pour y voir de la vie. Son origine ne relève que de la nature.

La vie est donc ce par quoi un être animé se distingue d’un être inanimé. Aristote constate que certains corps naturels sont vivants et d’autres non. Par conséquent, le corps qui est commun aux vivants et aux non-vivants n’est pas l’âme. Le corps est sujet ou matière de l’âme.

Le philosophe définit alors ce qu’il entend par « vie ». « Nous entendons par vie les trois faits : se nourrir par soi-même, se développer et périr. »[3] Le mot désigne donc un corps naturel qui manifeste trois activités : la réalisation d’une fonction « se nourrir », le développement et le dépérissement. Les deux derniers sont des changements, dit aussi mouvement.

Quand il parle d’être animé, Aristote évoque évidemment les êtres qui sont animés par eux-mêmes. Que signifie être animé ? Le mot grec ancien désigne le vent, sa force, le courant, c’est-à-dire un phénomène naturel qui se manifeste sous forme de mouvement. Le corps naturel réalise la fonction « nourrir » « par soi-même » comme il s’anime et se meut de lui-même, ce qui renvoie alors à un principe qui réside à l’intérieur du corps naturel. Par conséquent, un corps naturel est doué de vie quand il est doté d’un principe intérieur qui lui permet de demeurer ce qu’il est pour un temps. Ce principe, Aristote l’appelle « âme », qu’il définit comme « la forme du corps ».

Forme et matière, puissance et acte

L’étude de l’âme nécessite de revenir sur la théorie générale d’Aristote. Revenons sur les termes de « forme » et de « matière ». Toute substance corporelle est, selon la philosophie aristotélicienne, composée de deux principes substantiels, l’un entièrement passif et en elle-même absolument indéterminé, l’autre actif et déterminant. Le première élément est appelée « matière », le second, « forme ».

La matière est ce avec quoi quelque chose d’autre est faite, et, qui par soi-même n’est rien de fait, incapable d’exister par autre chose. « La matière est simple puissance »[4]. La forme est comme ce qui spécifie l’être, à qui elle donne et d’être ceci ou cela, et d’exister. Prenons l’exemple classique d’une statue de bronze. Par analogie, il nous fera comprendre ce que ces mots en apparence abstraits parviennent à définir la réalité. Dans une statue de bronze, la matière est le bronze, la forme celle donnée par le sculpteur. La forme explique alors qu’un corps est indissociable à une étendue et à une localisation alors que la matière explique qu’en dépit des modifications apportées à la forme, le corps subsiste. La forme donne ainsi à un être son individualité, leur mode d’exister et d’agir, quand la matière lui permet d’exister et d’agir. Cependant, cet exemple reste imparfait puisque dans la statue de bronze, la forme n’est pas essentielle à la statue puisqu’elle peut changer. C’est pourquoi elle est dite accidentelle. Aristote qualifie la forme de substantielle. Ainsi, selon la philosophie aristotélicienne, tout corps est constitué de deux éléments indissociables, la matière et la forme, y compris les corps vivants.

Ainsi, Aristote étudie l’âme selon sa métaphysique. L’âme est alors la forme substantielle de tout corps naturel vivant. C’est elle qui est la forme de tout être vivant, le principe de vie qui distingue le corps vivant de tout être ou corps inerte. Mais cela signifie que le corps possède la vie en puissance, c’est-à-dire qu’il dispose de tout ce qui est requis pour réaliser les opérations propres à la vie. L’âme est ainsi l’acte de ce corps. Or, si la nutrition, le développement et le dépérissement sont actes du vivant, cela présuppose que les éléments matériels du corps reçoivent de l’âme l’acte premier qui les fait être un vivant.

L’âme, principe d’opérations

Selon une deuxième approche, Aristote revient sur les faits observables. « L’être animé se distingue de l’être inanimé, parce qu’il vit. »[5] Comme la forme est comme un élément qui spécifie toute chose, l’âme d’un être vivant diffère en fonction des facultés et des opérations qui le caractérisent. Aristote définit les propriétés qui distinguent l’être animé parmi les corps naturels. « Pour affirmer d’un être qu’il vit, il nous suffit qu’il y ait en lui une seule des choses suivantes : l’intelligence, la sensibilité, le mouvement et le repos dans l’espace ». Il en vient à définir quatre facultés qui définissent l’âme de tout vivant. « L’âme est le principe des facultés suivantes, et se trouve définie par elles : la nutrition, la sensibilité, la pensée et le mouvement. »[6] Cependant, les facultés sont de plus en plus élevées, les dernières englobant les premiers, celle de penser étant le degré ultime.


À partir de leurs facultés propres, Aristote distingue parmi les corps vivants, les végétaux, les animaux et les hommes. Le végétal est absorbé par la tâche de faire vivre sa propre matière. L’animal détient la faculté de sentir. L’homme est le seul qui pense parmi tous les êtres vivants. C’est pourquoi l’âme humaine est dite rationnelle.

Aristote étudie alors soigneusement chacune de ces facultés. Il en conclut que l’homme est constitué d’un corps humain et d’une âme rationnelle et que l’âme humaine a une propriété unique, celle d’être séparable du corps, ce que n’est pas possible pour l‘âme végétale ou animale.

Ainsi Aristote définit l’âme comme principe d’être et principe d’opération. Elle est ce par quoi d’abord nous avons l’être qui nous permet ensuite d’agir de telle et telle façon.

L’âme venant de dehors

Dans son Traité de la génération des animaux, Aristote revient sur l’origine de l’âme. « Il est impossible en effet de considérer l’embryon comme étant sans âme, et absolument privé de toute espèce de vie. »[7] L’embryon dispose au moins de l’âme nutritive ou végétative. « Ce n’est pas d’un seul coup que l’être devient animal ou homme, animal et cheval »[8]. Or, « ce qui vient en dernier lieu, c’est le complément qui achève l’être. » Donc l’âme animale ou sensible se développe en dernier chez l’animal.

Or « il faut nécessairement que les êtres aient toutes ces sortes d’âme en puissance, avant de les avoir en réalité »[9] Il y a deux solutions, soit certaines ou toutes sont produites dans l’être, soit certaines ou toutes viennent de l’extérieur. « Pour tous les principes dont l’action est corporelle, il est clair qu’ils ne peuvent exister sans le corps »[10]. La faculté de se nourrir ou de mouvoir est impossible sans organe de digestion ou de moyens de locomotion. Par conséquent, ces principes ne peuvent venir du dehors. Aristote en conclut que « l’entendement seul vient du dehors ». Car « son action n’a rien de commun avec l’action du corps. »[11]

Ainsi l’âme humaine s’introduit dans l’embryon humain pour se retrouver intacte après la mort de l’individu. « Il est certain qu’Aristote n’a nulle part précisé la nature du lien qui unit le principe de la pensée au principe de notre vie corporelle. Du moins, le soin mis par Théophraste à expliquer la pensée de son maître, dont il a pu pendant trente recevoir les confidences, oblige l’historien à maintenir les deux points suivants comme ayant constitué la double conviction d’Aristote : d’une part, le principe de la pensée vient du dehors, il est transcendant à l’ordre corporel et n’est aucunement l’actuation d’une puissance de la matière ; d’autre part, depuis le commencement de la vie proprement humaine dès le stade embryonnaire, le principe de la pensée forme avec le principe de notre vie corporelle, qui anime un corps d’homme, un tout dont il est une partie connaturelle. »[12]

Notons enfin que, dans ce traité, Aristote démontre que l’âme n’a pas son siège dans un organe particulier mais dans la totalité des organes.

Corps et âme, l’homme est un

Saint Thomas d’Aquin reprend l’enseignement d’Aristote et montre que sa philosophie sur l’homme n’est pas incompatible avec la foi.

Saint Thomas d’Aquin définit l’homme comme composé d’un corps et d’une âme. Ces deux composants ne sont pas deux substances distinctes mais forment un être vivant unique. Ils sont unis suivant le rapport de la forme à la matière. Or, si l’âme est unie au corps comme la forme à la matière, « il n’est pas besoin de poser un intermédiaire qui unirait l’un à l’autre »[13] puisque la matière et la forme sont entre elles comme puissance et acte. « C’est en effet par soi qu’il revient à la forme d’être l’acte de tel corps, et non par un autre. » En dépit de leur différence, « l’âme ne forme avec cette matière qu’un seul être »[14]. Par conséquent, il ne faut pas voir l’homme comme une âme ayant un corps à son service.

Selon Aristote, les fonctions sont diverses et hiérarchiques puisqu’elles ne se retrouvent pas toutes chez les êtres vivants. Le philosophe ne définit pas clairement si l’âme intellectuelle est distincte des autres âmes, c’est-à-dire s’il peut y avoir une coexistence d’âme dans un corps. Saint Thomas démontre que l’unité de l’être n’est pas possible sans unité de principe. En chaque individu, les fonctions expriment l’activité d’un principe unique auquel elles sont subordonnées hiérarchiquement, une fonction supérieure impliquant l’inférieur. Il n’y a donc pas de superposition d’âmes dans l’individu. Chez l’animal, il n’y a pas une âme végétative et une âme sensible, mais bien une âme sensible qui exerce aussi des facultés de l’âme végétative. « L’âme intellectuelle contient donc en sa perfection toute la réalité de l’âme sensitive des animaux, et de l’âme végétative des plantes. »[15] C’est ainsi qu’est assurée l’unité de l’être humain. Saint Thomas récuse donc l’idée qu’il y ait une multiplicité d’âmes dans l’homme. En outre, comme l’intelligence est unique pour l’homme, l’âme humaine est individuelle, donc propre au corps auquel elle est unie. Chacun des hommes est ainsi constitué d’un corps singulier et d’une âme singulière. Mais comment se fait-il alors qu’il ait autant d’âmes que d’hommes ?

L’âme humaine subsiste par soi et ne reçoit pas leur individualité de la matière. « Chaque âme humaine est une en tant qu’elle est une forme capable d’exister sans se multiplier dans la matière, sans se diversifier dans une multitude de corps. »[16] Elle n’a pas d’idées innées. Elle doit en effet connaître à partir des impressions sensibles et des images. Elle a donc besoin de fonctions sensitives donc du corps pour exercer son opération propre qui est l’intellection. Ainsi, l’âme est faite pour s’unir au corps. C’est donc en fonction de la diversité des corps que l’âme est singulière. L’union avec le corps peut donc être considérée comme principe matériel de l’individuation des âmes. Leur individualité « ne résulte pas de la matière ; elle est corrélative au corps, mais n’a pas sa cause dans les corps. »[17]

Dans l’homme, comme unique principe de l’existence et unique principe d’unité, l’âme tient donc un rang primordial.

L’achèvement de l’âme dans l’union de l’âme et du corps

Si l’homme ne se réduit pas à une âme et que des facultés de l’âme ont besoin du corps pour s’exercer, il existe néanmoins une seule faculté que l’âme est capable d’exercer sans le corps comme étant à soi seule sa substance : l’intelligence. « Les autres facultés psychologique sont le fait de l’âme unie au corps c’est-à-dire sont de l’âme en tant qu’elle anime le corps. »[18] Or « ce qui n’exige pas le corps pour agir n’exige pas le corps pour être. » Par conséquent, l’âme peut aussi exister comme substance indépendante du corps et sans le corps. Ainsi, contrairement aux autres âmes, l’âme humaine par sa puissance d’intellection est une forme qui subsiste par elle-même. Elle est capable de subsister en dehors du corps, en dehors de la matière qu’elle informe.

Cependant, si l’intellection est la fonction la plus haute, l’homme n’est pas seulement une pure intelligence. Cette faculté ne peut s’exercer dans l’homme sans le concours des sens donc du corps. « L’âme intellectuelle n’a pas besoin de corps si l’on considère seulement son activité rationnelle, mais en raison des facultés sensibles qui demandent des organes […] Il fallait donc que l’âme intellectuelle fût unie à un corps déterminé »[19]. Cette dépendance de l’intellection à l’égard des fonctions sensitives ne contredit pas le fait que l’intellection est une opération où le corps n’a pas sa part. Cette dépendance tient à l’objet de connaissance et non à l’opération. Ainsi, le sujet connaissant, ce n’est pas l’âme seule, mais l’homme, composé d’un corps et d’une âme.

Saint Thomas d’Aquin met ainsi en lumière la spiritualité de l’âme humaine, une dans le corps mais capable de subsister sans le corps sans néanmoins nous faire perdre de vue son engagement corporel. L’âme humaine « n’est pas une forme plongée dans la matière, totalement comprise en elle ; elle en est affranchie par sa perfection naturelle. »[20] Cependant, imparfaite dans l’ordre spirituel, elle ne peut exercer sa faculté propre sans être unie à un corps, sans le concours de ses sens. Ainsi, l’homme est fait d’une âme unique et d’un corps unique. Par son corps, il demeure dans le monde, par son âme, il s’ouvre au ciel…

Conclusion

Aristote puis Saint Thomas d’Aquin nous donnent une définition de l’âme et par conséquent de l’homme à partir de leurs observations et du raisonnement. Cette définition est incluse dans celle de l’être vivant. La première étape est en effet de définir ce qu’est l’être vivant, conduisant alors à en distinguer les différences entre les êtes animés et inanimés puis les propriétés caractéristiques communes aux vivants. Et parmi les vivants, il s’agit de nouveau de distinguer les êtres par leurs caractéristiques. C’est ainsi que l’homme peut être défini. C’est par l’observation, voire la contemplation du réel, que nous pouvons accéder à de si grandes vérités. Cela consiste à se conformer à ce qui est et non à ce que nous voulons. La philosophie ne se construit pas dans un monde d’idées ou de virtualité, sans prendre appui sur le monde réel. 

L’homme est donc le composé d’un corps naturel singulier animé d’une âme individuelle et immatérielle, principe de vie et d’opération, capable de se séparer du corps tout en étant destinée à ce corps. L’âme est ce par quoi le corps destiné à recevoir la vie possède effectivement la vie. L’homme n’est ni un corps ni une âme mais bien le composé d’un corps et d’une âme unis dans un même être. « L’âme n’a pas un être distinct du corps ; elle lui est unie immédiatement par son être. »[21] Si l’âme peut subsiste par elle-même en étant séparée du corps, elle s’unit au corps en vue de l’achèvement de l’homme. L’âme n’est pas comme un pilote dans un navire.

Par conséquent, vouloir le connaître uniquement par le corps ou par l’âme, c’est nécessairement ne comprendre qu’incomplètement l’homme et donc l’homme lui-même. Si notre regard ne porte que sur le corps en oubliant l’âme, nous finissons par vivre comme un animal. Et si au contraire, nous ne voyons en l’homme qu’une âme, alors nous considérons notre corps comme une prison. Il ne s’agit pas non plus de connaître l’homme par le corps et par l’âme comme si le corps et l’âme étaient deux entités séparées…

Les événements actuels révèlent encore cruellement le regard rétréci et bien pauvre que nos contemporains portent sur eux-mêmes. Pouvons-nous alors être surpris de leur impuissance à surmonter leurs épreuves ? Parfois, bien des remèdes apparaissent quand notre regard se soumet à la réalité telle qu’elle est et non telle que nous voudrions qu’elle soit. Revenir à la réalité…

 

 

Notes et références

[1] Aristote, De l’âme, I.

[2] Aristote, De l’âme, II, 1, 412a11, traduit par J. Barthélemy Saint-Hilaire, 1846.

[3] Aristote, De l’âme, II, 1.

[4] Aristote, De l’âme, II, 2, 412a3.

[5] Aristote, De l’âme, II, 2, §2, 413a11.

[6] Aristote, De l’âme, II, 2, §6, 413b.

[7] Aristote, Traité sur la génération des animaux, livre II, chap. IV, 1 traduit par J. Barthélémy-Saint Hilaire, Hachette, 1887.

[8] Aristote, Traité sur la génération des animaux, livre II, chap. IV, 3.

[9] Aristote, Traité sur la génération des animaux, livre II, chap. IV, 4.

[10] Aristote, Traité sur la génération des animaux, livre II, chap. IV, 6.

[11] Aristote, Traité sur la génération des animaux, livre II, chap. IV, 7.

[12] Paul-Bernard Grenet, Histoire de la philosophie ancienne, Chapitre VIII, édition Beauchesne, 1960.

[13] Saint Thomas d’Aquin, Contre les Gentils, livre II, chapitre 71, 1.

[14] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Livre I, question 76, article 1.

[15] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Livre I, question 76, article 3.

[16] Moreau Joseph, L’homme et son âme, selon Saint Thomas d’Aquin dans Revue philosophique de Louvain, 4ème série, tome 74, n°21, 1976.

[17] Moreau Joseph, L’homme et son âme, selon Saint Thomas d’Aquin.

[18] Saint Thomas d’Aquin, Commentaire du traité de l’âme d’Aristote, Livre I, leçon 1, 13, Louvain, 1922.

[19] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, livre I, question 76, article 5.

[20] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, livre I, question 76, article 1.

[21] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, livre I, question 76, article 7.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire