" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 2 mai 2020

La morale juive au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ (1) : la Loi au cœur de la morale juive


Souvent, par ignorance ou volontairement, la morale chrétienne est décrite comme un ensemble de règles à observer destinées à éviter le péché au point que pour une grande majorité de nos contemporains, elle se réduit à un « code de péché » insupportable ou impossible à observer. Cette conception de la morale chrétienne est réductrice et fausse. Elle manifeste clairement une méconnaissance du christianisme et un déni de réalité. Elle est aussi le signe d’une volonté malveillante qui cherche à mépriser et à discréditer en la présentant comme désuète, inadaptée à l’homme moderne et finalement repoussante, condamnable. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, la morale chrétienne est entachée de préjugés et de mensonges que nous pouvons ni ignorer ni seulement déplorer. Certains penseurs chrétiens se sont aussi appuyés sur cette conception inexacte pour imposer une nouvelle conception de la morale contraire à celle du christianisme, égarant encore plus de nombreux fidèles. Aujourd’hui, l’Église souffre d’une crise profonde de la morale.

Pour combattre les fausses conceptions de la morale et chercher à apporter un peu de clarté dans un monde bien enténébré, nous croyons nécessaire de revenir au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, là où tout à commencer. Certains de nos articles ont déjà abordé des aspects de la morale païenne[1]. Nous allons désormais décrire la morale juive au début de notre ère

Un temps d’occupation et de scandale

Dans nos articles, nous avons déjà rapidement présenté le milieu juif dans lequel est né et a grandi Notre Seigneur Jésus-Christ[2]. De manière brève, nous avons en effet présenté la situation politique et religieuse à l’époque de son avènement. Cette description nous permet de mieux comprendre le contexte dans lequel va naître le christianisme. Rappelons très rapidement la situation politique de la Palestine au début de notre ère. Elle a son importance pour mieux saisir la morale juive…

Lorsque naît Notre Seigneur Jésus-Christ, la Palestine appartient à l’empire de Rome mais garde une certaine autonomie. Mais bientôt, elle en sera une province, gouvernée directement par l’autorité romaine. L’intervention de Pompée dans des querelles qui opposent les princes du royaume a mis fin au règne des rois de la dynastie hasmonéenne. Sous la tutelle des païens, elle supporte le règne d’Hérode Ier[3], dit le Grand (73 av. J.C. – 4). Il n’est guère aimé ni apprécié. Certes, celui-ci a agrandi et rénové le Temple de Jérusalem et parfois s’est montré bienfaiteur à l’égard du peuple juif mais il se montre en fait tyrannique, cruel et ambitieux. Usurpateur du trône, il se montre vil serviteur de Rome. Il a construit des temples et bâtiments païens, dédié des villes aux maîtres de l’empire et, sous son règne, la culture hellénique s’est développée. Ses mœurs et ceux de ses enfants scandalisent les Juifs. « Telle fut l’histoire d’Hérode le Grand : des effusions de sang, des spoliations, des impôts écrasants, la débauche, le mépris des lois. »[4]

À la mort d’Hérode, les Romains met fin au royaume de Judée. La Palestine est divisée et partagée entre ses fils. Archélaüs, fils aîné, gouverne la Judée, la Samarie et l’Idumée en tant qu’ethnarque avant d’être disgracié à la suite de plaintes des autorités juives. À partir de l’an 6, ses terres sont désormais administrées directement par un procurateur, qui relève lui-même du légat impérial de Syrie. Antipas est encore tétrarque de la Galilée et de la Pérée, Philippe, celui du reste de la Transjordanie. Leurs mœurs scandalisent les Juifs. L’hellénisme s’étend. Le peuple juif est sous la domination des païens. Qu’est-elle devenue la Terre promise ?

Les sources de connaissance portant sur la morale juive

Il est difficile de bien connaître la vie morale des Juifs aux temps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si nous ne prenons pas en compte le Nouveau Testament, nous serions bien dépourvus d’informations. Le Talmud[5] n’est pas encore constitué et sera influencé par la réaction juive à l’égard du christianisme. Il contient la Mischna, qui fixe un ensemble de règles à appliquer, mais elle représente la vision des écoles rabbiniques qui finalement imposera le judaïsme. Or, celui-ci ne représente pas encore la religion juive. Au début de notre ère, les règles ne sont pas encore fixées. Depuis la période des Macchabées, temps glorieux des Juifs, nombreuses font encore l’objet de discussions. Il est donc difficile de décrire les exigences de la vie morale de l’époque. Mais il est possible d’en dessiner de grands traits…

Flavius Joseph[6] (v. 36- v. 100) apporte un meilleur témoignage de la vie juive de l’époque de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cependant, il est à prendre avec précaution. Ses œuvres intitulés Guerre des Juifs, Contre Apion et Antiquités juives, sont apologétiques. Elles ont pour but de défendre les Juifs face à leurs détracteurs et à l’incompréhension ou l’ignorance des païens. En outre, après avoir combattu les troupes romaines, il se rallie à Rome et gagne la confiance et l’estime des conquérants. Il est donc naturellement considéré comme un traître par ses concitoyens. Cependant, si « Flavius Joseph fut un très mauvais Juif », il est « un très bon historien »[7]. D’autres Juifs ont écrit des ouvrages apologétiques comme Photin ou l’auteur de la Lettre d’Aristée. Enfin, n’oublions le regard des Romains et des étrangers sur la moralité des Juifs.

Avec ces ressources, plutôt maigres, nous allons essayer de décrire les principaux traits de la morale juive au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ…

La morale juive, une morale religieuse

Le peuple juif est incontestablement un peuple profondément religieux, habité par la foi en un seul Dieu, qui s’est révélé au travers de son histoire et des Écritures Saintes. Tout est imprégné de sa foi. La morale juive est donc inséparable de la religion, de la piété, des devoirs religieux. Comment peut-elle en effet ne pas être religieuse quand le peuple juif a été constitué et organisé par la volonté divine ? Sa mémoire garde précieusement ses bienfaits depuis le départ d’Abraham. Sa libération et son départ d’Égypte sont au centre de ses souvenirs. Il n’oublie pas que la terre qu’il occupe est une terre sainte. Il se souvient encore des victoires inespérées que Dieu lui a apportées contre les nombreux ennemis qu’il a dû affronter. Il garde encore en mémoire la glorieuse royauté de David puis celle de Salomon. Ses épreuves, la destruction du Temple et sa captivité loin de la Judée ne s’oublient pas. Par conséquent, intimement présent dans son passé, voire constitutif de son histoire, Dieu est indissociable du peuple juif qui vit intimement en sa présence, dans toutes ses activités. Les calamités qui l’affligent, notamment l’occupation romaine, le coûtent énormément. Il vit aussi de ses douleurs signes de son désobéissance à l’égard de Dieu.

Le peuple juif est convaincu de son élection divine et porte en lui la fierté de Lui appartenir. Il défend jalousement son appartenance et pratique avec fidélité et ferveur les différents rites et rituels religieux. Il est en effet le peuple de l’alliance dont le corps est la Loi. Celle-ci est « la constitution qui encadre et délimite le pacte conclu par Dieu avec le peuple juif. »[8] La vie juive est alors encadrée par une série de règles. La morale juive est ainsi marquée par son légalisme.

La piété du Juif prend plusieurs formes : prière officielle ou personnelle, selon des formules fixées ou selon son inspiration, jeûne par humiliation, expiation ou pour obtenir des faveurs, œuvres de miséricorde ou de charité dont la pratique est une obligation morale à laquelle nul ne peut soustraire, pas même le pauvre. Toutes ces formes de piété manifestent un sentiment religieux profond et vivant, collectif et personnel. Elles traduisent le désir et la volonté d’honorer et de servir Dieu au-delà de tout formalisme.

Qu’est-ce que la Loi ?

La Loi regroupe l’ensemble des commandements qui se trouvent dans des livres sacrés regroupés aujourd’hui sous le nom de Pentateuque[9], dite aussi « Loi de Moïse », constitués de cinq livres : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Ces livres ne sont pas des ouvrages de loi comme notre code civil. Les commandements sont en effet insérés dans le récit de l’histoire du peuple élu. Ils ne peuvent être compris s’ils sont séparés des liens que Dieu a établis à plusieurs reprises avec son peuple, c’est-à-dire de l’alliance entre Dieu et son peuple. Ce récit raconte aussi les merveilles et les miracles opérés par Dieu au profit de son peuple mais aussi les trahisons et les insoumissions de ce même peuple ainsi que les châtiments divins qu’il a subi en raison de ses péchés. L’alliance n’est donc pas un vain mot. Elle s’inscrit dans l’histoire et la mémoire. Elle engage la responsabilité des Juifs tant au niveau individuel que collectif.

Le Pentateuque raconte donc l’histoire de l’alliance entre Dieu et son peuple. Elle comprend aussi des enseignements fondamentaux sur Dieu Lui-même, tout ce que doit savoir ses fidèles. Il comprend aussi les clauses de l’alliance. Il précise les droits et les devoirs de chaque contractant ainsi que les conséquences en cas de non-respect. Elle implique la Loi dont la désobéissance a des conséquences sur l’ensemble du peuple. Inscrite dans l’histoire du peuple, la Loi est ainsi fondée sur l’alliance et sur ce que Dieu a fait. Par l’alliance, le peuple juif est assuré du soutien de Dieu. La Loi garantit donc la protection divine.

La Loi se fonde sur deux piliers : le respect de la foi en Dieu et la justice sociale. Le premier demande un renoncement aux autres divinités et une reconnaissance de sa souveraineté sur l’ensemble de la vie. Le second définit les droits de chacun. La justice est à appliquer sans distinction de classe sociale
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Que trouvons-nous dans la Loi ?

La Loi comprend 613 préceptes que le Juif doit observer. Nous pouvons distinguer plusieurs séries de règles. Un premier ensemble relève du domaine purement religieux. Il concerne les fêtes religieuses, les modalités des sacrifices, les devoirs et les privilèges des prêtres et des lévites, les motifs de souillure ou d’impureté, les rites de purification, le droit de refuge, etc. Le prophète Ézéchiel regroupe cet ensemble de lois sous l’expression de « loi de la Maison », c’est-à-dire celle du Temple. Ces règles ont une conséquence sur la vie quotidienne des Juifs et sur sa vie morale pour deux raisons. D’une part, les devoirs religieux sont fortement liés à la notion de pureté et à des obligations, notamment pour assister aux cérémonies et faire des sacrifices. Les modalités de pardon, nécessaire en cas de violation de la loi, y sont aussi définies.

Un troisième ensemble de règles porte sur les relations entre les individus au sein du peuple, de la tribu et de la famille. Elles régissent les activités sociales, politiques et judiciaires de la société. Elles fixent par exemple le repos du sabbat, les lois sur le mariage, l’alimentation, les droits de la femme, de l’époux, du propriétaire, les droits du salarié, le statut de l’esclavage, l’assistance des plus pauvres, l’existence de zone de refuge, l’interdiction du prêt à intérêt, les infractions et les peins associées, etc. Elles forment un véritable code civil et pénal du peuple juif. Parmi ces règles, certaines définissent ce qui est pur et impur.

La Loi comprend enfin le Décalogue sous plusieurs formes, simple dans la Table des Lois ou plus détaillée. C’est un véritable code moral, définissant les obligations, les devoirs et les interdits. Il est associé à des bénédictions et à des malédictions rattachées à son respect ou à sa désobéissance.

Aujourd’hui, les études bibliques répartissent ces règles sous forme de codes : le code de l’alliance[10], qui règle surtout la vie de la société, la loi de sainteté ou encore la loi sacerdotale et le code deutéronomique.
La Loi, volonté de Dieu


 
La Loi précise donc ce que Dieu attend de son peuple et la façon dont Il veut que son peuple vive, non seulement sur le plan religieux mais dans tous les domaines de la vie. Elle définit ainsi la morale. Elle fixe aussi les règles de la justice divine puisque c’est par la Loi que le peuple juif sera jugé. La Loi comprend en effet des bénédictions et des malédictions. Les unes sont données s’il persévère dans son obéissance, les autres s’il se détourne de ce que Dieu lui demande.

Pour le Juif, la Loi est sacrée, complète et parfaite en raison de son origine divine. Elle est l’expression de la volonté divine qui oblige tout Juif et concerne le peuple juif en son entier, une volonté transmise par la Sainte Écriture. « Vous avez ordonné que vos commandements soient gardés très exactement. Plût à Dieu que toutes mes voies soient dirigées pour garder vos justifications ! Alors je ne serai pas confondu, quand je fixerai mes yeux sur vos commandements. Je vous louerai dans la droiture de mon cœur, parce que j’ai appris les jugements de votre justice. Je garderais vos justifications : ne m’abandonnez pas entièrement. » (Psaumes, CXVIII, 4-8)

Parfois, la Loi est synonyme de Parole de Dieu. Elle est sa voix et le chemin qui mène vers Lui. « La loi du Seigneur est sans tache, elle convertit les âmes […] Les justices [11] du Seigneur sont droites, elles réjouissent les cœurs ; le précepte du Seigneur est plein de lumière, il éclaire les yeux. […] les jugements du Seigneur sont vrais, ils se justifient par eux-mêmes. » (Psaumes [12], XVIII, 8-10) Elle est même plus que cela. Elle est en effet pour Lui le signe sensible de l’amour de Dieu à son endroit. C’est pourquoi la Loi peut lui apparaître un joug léger. Les jugements du Seigneur « sont désirables au-dessus de l’or et de nombreuses pierres de prix, et plus doux que le miel et un rayon de miel. » Le Juif est donc soucieux et désireux de la connaître et de la transmettre à leurs enfants. « Chez nous, qu’on demande les lois au premier venu, il les dira toutes plus facilement que son propre nom. »[13]

La Loi imprègne donc la vie quotidienne du Juif, les activités privées, sociales et politiques. La Loi fait alors l’objet de méditation et d’études. Son étude est même un devoir supérieur à tout autre. Elle est en fait le noyau de la société juive. Elle la régisse sans distinction entre les activités privées, sociales et politique. Elle est la « Loi de vie ». Le peuple juif est donc appelé justement le peuple de la Loi. Finalement, « le peuple juif vivait de la Torah, avec la Torah, et pour la Torah. »[14]

Les prêtres, anciens maîtres de la Loi

« Si tu aperçois qu’un jugement […] est difficile et douteux, et que tu voies à tes portes que les avis des juges sont partagés, lève-toi, et monte au lieu qu’aura choisi le Seigneur ton Dieu. Et tu viendras vers les prêtres de la race Lévitique, et vers le juge qu’il y aura en ce temps-là ; tu les interrogeras, et ils te découvriront la vérité du jugement. » (Deutéronome, XVII, 8-9) À plusieurs reprises, le Deutéronome précise qu’il appartient aux prêtres d’interpréter la Loi et d’adapter les règles qu’elle prescrit. Les prêtres devaient répondre aux besoins auxquelles elle ne répondait pas tout en respectant ses principes, élaborant ainsi une sorte de jurisprudence.

Le Juif était alors dans l’obligation de suivre l’enseignement du prêtre au risque d’être châtié. « Tu feras tout ce qu’auront dit ceux qui président au lieu qu’aura choisi le Seigneur, et ce qu’ils t’auront enseigné, selon sa loi, et tu suivras leur avis, et tu te détourneras point à droite ni à gauche. Mais celui qui s’enorgueillira, ne voulant pas obéir au commandement du prêtre, qui, en ce temps-là, sera ministre du Seigneur, ton Dieu, ni à l’arrêt du juge, cet homme-là mourra, et tu ôteras le mal d’Israël.» (Deutéronome, XVII, 10-12)

Or, depuis la destruction du Temple et l’exil du peuple juif, les prêtres ont perdu ce rôle au profit des scribes ou docteurs de la Loi, les hommes du livre, désormais tenu de garder la Loi intacte et de la transmettre.

Les scribes et docteurs de la Loi, les nouveaux maîtres de la Loi



 
Au cours de la captivité, la synagogue est devenue une véritable institution[15]. Revenons en effet à l’histoire, en ce temps où le Temple, qui faisait la fierté du peuple juif, était détruit. Les Juifs ne pouvaient donc plus offrir à Dieu des sacrifices. Ils ont alors pris l’habitude de se réunir, au moins une fois par semaine, pour prier et entendre la parole de Dieu ainsi que des exhortations. Au retour de Palestine, les synagogues se sont multipliées dans toutes les villes. C’est ainsi que depuis leur déportation puis de leur retour en Palestine, les principaux acteurs de ces réunions dans les synagogues, c’est-à-dire les scribes, ont pris de l’importance au point de jouer le rôle des prêtres dans l’interprétation de la Loi. Parmi ces scribes, se détachent les docteurs de la Loi, encore appelé « rabbi », c’est-à-dire maître, aujourd’hui « rabbin », dont la tâche est d’enseigner la Loi.

Nous pouvons alors comprendre que si le Temple reste le seul lieu sacré par excellence, ou encore le centre de l’activité religieuse, dans lequel se succèdent les différentes cérémonies religieuses conformément aux prescriptions divines, lieu vers lequel aussi se tournent tous les regards et autour duquel la vie religieuse s’organise, les synagogues sont en fait les points centraux de la vie juive. Toute la famille, y compris les femmes, s’y rend les jours de sabbat et de fête. C’est donc au travers des scribes et des « rabbis » que le Juif apprend à observer et à aimer la Loi. Ils ont ainsi une grande influence auprès de la population juive.

La plupart de ces scribes sont de tendance pharisienne[16]. Ils étudient la Bible, la copient avec soin et rigueur, commentent et enseignent au peuple juif. En tant que maître et garant de la Sainte Écriture et de la tradition orale, ils sont consultés par les Juifs pour éclairer leur vie et répondre à toute sorte de questions. Les docteurs de la Loi sont réputés pour leur science et l’exactitude de leurs connaissances de la Loi. Enfin, leur influence s’explique aussi par leur réputation d’hommes pieux.

Ainsi, les scribes et plus particulièrement les docteurs de la Loi sont « entourés de respect et comblés d’honneurs pendant leur vie »[17]. Comme ils enseignent dans les synagogues, ils peuvent atteindre toute la population et modeler l’âme de tout Juif.

La tradition orale



 
L’ensemble des décisions et interprétations de la Loi proviennent ainsi de l’enseignement oral des docteurs de la Loi. Cet enseignement est considéré comme venant de Moïse en raison d’une chaîne interrompue de la tradition au travers des sages, appelé tannaïm [18]. La Mishna clôt cet enseignement. L’ensemble de cet enseignement oral, conservé en mémoire, constitue la tradition. Alors que la Loi écrite est fixée, intouchable, les scribes lui édifie un complément qui s’enrichit au gré des générations et dont la légitimité est fondé sur la chaîne interrompue de l’enseignement depuis Moïse.

Les prescriptions de la tradition orale ne viennent donc pas tous du texte sacré. Elles sont tirées de la Loi par conséquence ou par déduction. Certaines d’entre elles viennent aussi d’anciennes coutumes anciennes ou de la nécessité de répondre aux besoins du temps et à la faiblesse des hommes par l’usage d’une casuistique subtile. D’autres sont le résultat d’une exégèse poussée. C’est ainsi que les prescriptions auxquelles doivent se soumettre les Juifs se sont multipliées, devenant un lourd fardeau. En outre, le fait de les méconnaître est un péché aussi grave que mépriser les paroles de Dieu.

Conclusions

Profondément religieux, le peuple juif vit selon les commandements et les préceptes fixés par la Loi qui fixe un cadre de la vie quotidienne. Tout est orienté vers Dieu et l’accomplissement de sa volonté. Or la volonté divine est incarnée par la Loi, qui est alors au centre et au cœur de la vie juive et de toutes les préoccupations. Cependant, elle ne suffit pas pour répondre à tous les besoins. C’est ainsi que les scribes et docteurs de la Loi, qui en sont les garants et les interprètes, ont rajouté aux différents commandements et préceptes diverses règles afin de répondre aux besoins de leur peuple et aux divers cas de conscience au point d’enfermer le Juif dans un véritable maillage de prescriptions et d’interdits.

Salomé, Gustave Moreau
Ainsi, la morale juive ne peut qu’être profondément, intimement religieuse, fortement pratique et vécue dans le quotidien sous le regard tourné vers Dieu. Si elle a connu quelques variations au cours du temps, marquées par l’influence des scribes au détriment des prêtres, elle demeure encore vive et puissante au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ en dépit des drames que le peuple juif a connus.

Or, la morale juive est toujours menacée. Le peuple juif vit sous l’occupation romaine, c’est-à-dire païenne. Depuis leur retour de la captivité, la culture hellénique s’est aussi étendue et elle s’est encore affermie en Palestine avec Hérode le Grand et ses fils. Des villes sont dédiées aux Empereurs, abandonnant leur nom juif. À Jérusalem, au cœur de la ville sainte, Hérode a implanté un théâtre. L’hellénisme n’est pas seulement des pierres qui s’élèvent. C’est aussi un ensemble de mœurs, une morale particulière. Enfin, les Juifs ne résident pas uniquement en Palestine. Nombreux sont ceux qui vivent dans des citées au milieu des païens. Ce contexte hostile et dangereux n’est pas sans influence sur la morale juive.


Notes et références
[1] Voir Émeraude, janvier et février 2020, articles « La morale antique (3) : pessimisme et insatisfaction morale », « Les mœurs antiques (1) : avortement et exposition des enfants », « Les mœurs antiques (2) : les actes homosexuels », « Les mœurs antiques (3) : l’esclavage ».
[2] Voir Émeraude, mars 2015, articles « Le temps de Notre Seigneur Jésus-Christ » réparti en trois articles portant sur les partis religieux et politiques, la vie religieuse et la situation politique. Voir aussi avril 2015, « La pensée religieuse juive au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ » ou encore « Judaïsme, christianisme : continuité, rupture ? ».
[3] Hérode le Grand règne à partir de 37 avant Jésus-Christ.
[4] J. Klausner, Jésus de Nazareth, 1933.
[5] Voir Émeraude, février 2015, article « Notre Seigneur Jésus-Christ : le témoignage des Juifs ».
[6] Voir Émeraude, février 2015, article « Notre Seigneur Jésus-Christ : le témoignage des Juifs ».
[7] Archéologue Yigaël Yadin cité par Pierre Vidal Naquet, propos recueillis par Florence Groshens dans Conférence.
[8] Hans Joachim Scoeps, Etienne Trocmé, Jésus et la Loi juive,
[9] Pentateuque, terme forgé par les Juifs grecs, signifiant « cinq » (« penta ») « fabriquer, faire, forme » (« teuchos »). Au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, et cela depuis Esdras, les cinq sont regroupés sous le terme de « Torah » dont le sens premier est « enseignement ». C’est plus tard, et sous l’influence de la version grecque de la Bible, qu’elle a pris le nom de « Loi ».
[10] Le code de l’alliance reprend surtout les prescriptions définies dans l’Exode (XX, 22-23). La loi de sainteté est plutôt disséminée dans le Lévitique. Le code deutéronomique porte sur le Deutéronome.
[11] Les « justices » désignent les commandements et les préceptes selon l’hébreu, c’est-à-dire la loi mosaïque. Voir référence.
[12] Bible selon la Vulgate, traduit et annotée par l’abbé S.J. Glaire, notes complétées par F. Vigouroux, Nouvelle édition, éditions D.F.T., 2002
[13] Joseph Flavius, Contre Apion, Livre II, XVIII, §178, trad. par Léon Blum, Publications de la société des études juives, Œuvres complètes de Flavius Joseph, tome septième, éditeur Ernest Leroux, 1902.
[14] A. Tricot, Initiation biblique, Introduction à l’étude de la Sainte Écriture, 7ème partie, chapitre XX, III, 5.1 publiée sous la direction de A. Robert et A. Tricot, Desclée & Cie,  1938.
[15] Voir Émeraude, mars 2015, article « La Terre sainte au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ (2) : la vie religieuse. »
[16] Voir Émeraude, mars 2015, article « La Terre sainte au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ (2) : les partis religieux et politiques »
[17] A. Tricot, Initiation biblique, Introduction à l’étude de la Sainte Écriture, 7ème partie, chapitre XX, III, 5.2.
[18] Tannaïm provient d’un terme judéo-araméen, signifiant répétiteur.

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