Nous revenons encore à la
laïcité. Ce sera notre dernier article sur le sujet. La laïcité est, d’après la constitution, le principe de la république au
même titre que l’indivisibilité de la nation et la démocratie. Elle est même
supérieure à cette dernière. Ce mot est souvent brandi pour faire baisser les têtes et faire taire les
esprits. La meilleure voie pour connaître un principe ou une pensée est de
revenir à ses origines, ce que nous avons fait en étudiant les écrits et les
discours des principaux fondateurs de la laïcité. Cela nous permet aussi de prendre
du recul et de ne point nous laisser guider par l’événementiel et l’éphémère.
Or, de cette étude ressort bien des contradictions et d’ambiguïtés. Il est donc
difficile de comprendre en quoi la laïcité peut être un principe pour une
nation…
La laïcité : neutralité
religieuse ?
La laïcité tente d’être
neutre en matière religieuse. Certes, la neutralité ne signifie pas
indifférence. En effet, elle statue sur les religions elles-mêmes. Mais le fait
d’interdire des membres de l’Église d’enseigner et de chasser les ordres religieux et les
congrégations de la France peuvent-elles relever de la neutralité ? Comme
nous l’avons montré, le but des pères de la laïcité est de supprimer l’autorité et l'influence de l’Église dans notre société et puis de s’opposer à toute autre domination d’une
institution religieuse particulière. La laïcité accepte les religions tant qu’elles n’ont aucune influence déterminante dans la société ou sur l’individu.
Nous avons aussi pu
constater l’ignorance religieuse à l’égard de l’Église de ceux qui imposent la séparation des Églises et de l’État. Mieux encore. Ils
ne veulent point la connaître. Un tel mépris à l’égard des catholiques montre
suffisamment l’intention qui les guide. Nous avons aussi été témoins de leurs
mensonges et de leur calomnie, bien peu compatibles avec la liberté de
conscience qu’ils vantent de défendre.
La réalité nous montre aussi
que l’Église a résisté efficacement aux politiques de l’État et à leur prétention, car,
contrairement à ce que nous pensons, la loi de 1905 instituant la séparation
des Églises et de l’État n’a pas été appliquée comme les politiques le
voulaient.
La laïcité : la liberté
de conscience ?
La laïcité prône la liberté
de conscience quand elle demande aux instituteurs d’être des éducateurs de
conscience et d’inculquer à leurs élèves la foi et la morale laïque telle
qu’elles sont conçues par le ministère de l’instruction publique.
L’enseignement laïc n’est
pas, comme le souhaitait Condorcet, dédié à l’instruction et propre à
transmettre les vérités. Un tel modèle exigerait l’indépendance de l’école à
l’égard de l’État. Or, ce n’est pas ce modèle que Jules Ferry et Ferdinand
Buisson ont choisi. D’une part, l’État dirige l’enseignement, intervient dans
les programmes, définit ce qu’il faut croire et ce qu’il faut ne point dire.
D’autre part, l’école est avant tout le lieu de formation du citoyen.
L’instructeur est le nouveau missionnaire, l’ardent apôtre de la république. Le
modèle est plutôt celui de Le Pelletier de Saint Fargeau.
La laïcité n’est qu’une
étape, sans-doute la plus aboutie, de la conquête de l’État sur la société et les individus.
Elle reflète la volonté des politiques de détenir un pouvoir sans rival dans la
société, imposant leurs lois sans qu’elles n’entendent une voix puissante et
agissante s’opposer à leurs intérêts. Elle manifeste la victoire du pouvoir
temporel sur le pouvoir religieux.
La laïcité : égalité
religieuse ?
La laïcité défend l’égalité
religieuse. Elle permet, dit-on, la tolérance religieuse. Mais cette égalité
est un trompe-œil. Elle permet d’affaiblir les religions en les nivelant afin
d’inculquer une autre religion qui les dépasse toute. Pour cela, il suffit de
comprendre ce qu’est l’enseignement laïque.
La plus grande victoire de
la laïcité réside dans l’enseignement. Par sa conquête, certes lente mais
efficace et assurée, elle donne aux politiques le pouvoir de construire
l’avenir, de former les consciences, de toucher aux âmes. Là se transmet surtout
une nouvelle religion. Selon Vincent Peillon, « Ferdinand Buisson (1881-1932), grand artisan de la laïcité française,
la conçoit comme une religion nouvelle, dont l’expression peut être à la fois
philosophique et politique. Le républicanisme n’est pas seulement un ensemble
d’institutions ou de dispositifs matériels, mais un certain esprit. L’école de
la république est par conséquent la mise en œuvre d’un véritable pouvoir
spirituel, portant et transmettant des valeurs et non pas seulement des
connaissances »[1].
C’est donc par l’école que se diffuse et s'implante la nouvelle religion sans laquelle la
république, telle qu’elle a été conçue au XIXe siècle, ne pourrait tenir.
Aucune société ne peut
connaître l’ordre et la paix sans que les principes qui guident le politique ne
soient conformes à ceux qui dirigent l’âme de la nation. Telle est une des
leçons qu’Edgard Quinet a retenues des événements dont il a été témoin, voire acteur. Toujours selon ses leçons, une révolution politique ne peut donc
réussir sans qu’il n’y ait auparavant changement de religion. Celui-ci est
possible par l’éducation dans l’école. Telle est le véritable but de
l’enseignement laïque.
Enfin, comme nous l’avons
souligné à plusieurs reprises dans nos articles, en évacuant Dieu de l’école et
de l’espace public, l’État habitue les individus à vivre sans Dieu et à se
passer de Lui. Ils deviennent indifférents, voire athées. Cependant, le but des
pères de la laïcité n’était pas de détruire la religion mais l’Église et toute
institution l’imitant. Ils voulaient une religion sans dogme ni prêtre. Le
résultat en est bien différent. C’est le relativisme, l’indifférentisme
religieux et l’impiété.
La laïcité : légende ?
Les lois de 1880 qui mettent
en place une école gratuite, obligatoire et laïque mettront plus de cinquante
ans pour se réaliser dans les faits. Il est en outre bien difficile à des
instituteurs de mener à bien leurs missions avec le dévouement que réclame
Buisson quand nous songeons à leur maigre salaire et au peu de moyen dont ils
disposent. Aujourd’hui encore, en dépit de leur importance pour notre avenir,
ils ne sont pas les plus aisés de la république. Un député gagne probablement
mieux sa vie que l’instituteur qui forme le futur électeur.
Enfin, l’idéal d’une telle école
demeure un idéal. Il fait partie de la légende républicaine avec ses
« hussards noirs ». « Reste une
mystique et une légende indéniables. La République a besoin de l’école…
Celle-ci en est le temple où les vertus civiques sont honorées, où une égalité
de droit est réalisée, puisqu’elle met chacun aux prises avec le savoir, où
l’identité entre la nation française et l’universalisme des Droits de l’Homme
est exaltée, où l’on pratique la laïcité comme religion civile. À se complaire
toutefois dans ce miroir on oublie qu’il fut dès le début une idéalisation.
C’est davantage le mythe de l’école que l’école réelle. »[2]
Cela est encore bien vrai aujourd’hui. Il est demandé à l’école de former des
citoyens et donc de faire la république mais aussi d’en être le miroir. L’école
doit être le lieu où l’inégalité sociale doit être supprimée, où tous les
élèves doivent être égaux devant le savoir. Le mot est lâché : égalité,
telle est la valeur qui doit s’affirmer dans l’école…
La laïcité : égalité de
l’éducation
En 1870, à la salle Molière,
Jules Ferry prononce un célèbre discours sur l’égalité d’éducation. L’école
doit poursuivre le combat qui a conduit à mettre fin aux privilèges, aux
dernières distinctions. Il évoque les gains de la révolution. Il veut en finir
avec une dernière inégalité, celle de l’éducation. « Je ne viens pas prêcher je ne sais quel nivellement absolu des
conditions sociales [...]. Pour que la réforme démocratique se propage, la
première condition c'est qu'une certaine éducation soit donnée à ce qu'on
appelait autrefois un inférieur, à celui qu'on appelle encore un ouvrier, de
façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité »[3].
Cependant, Jules Ferry ne
veut pas que tous les enfants aient une éducation égale. Il laisse exister les
écoles payantes dans lesquelles les familles aisées peuvent envoyer leurs
enfants. Ce sont les classes élémentaires dans les établissements secondaires. Il
les privilégie même. La gratuité n’est en effet valable que pour les écoles
communales. Après avoir aidé ces écoles payantes, Jules Ferry peut
naturellement se réjouir. « L'usage
s'est établi partout d'annexer aux établissements secondaires des cours
élémentaires destinés à préparer les très jeunes enfants mieux qu'ils ne
pourraient l'être dans la plupart des écoles primaires aux études d'un ordre
plus élevé auxquelles les destinent leurs familles. »[4]
En fait, se développent deux
sortes de filières scolaires, l’une pour la population la moins aisée,
constituée d’écoles primaires (élémentaires et supérieures), l’autre pour les
enfants plus privilégiés, les écoles secondaires (classes élémentaires, collège
et lycée). Ainsi, un enfant est élevé dans sa condition pour y rester.
L’inégalité sociale demeure contrairement à la légende républicaine. Car on craint
que l’école inspire aux enfants une ambition excessive qui risque de les
« détourner des carrières où les
engagerait soit l’hérédité soit le jeu naturel des forces sociales »[5].
L’école ne doit former le citoyen qu’à sa fonction sociale conformément à son
rang. L’idée d’une école égalitaire ne voit le jour qu’au début de la cinquième
république. Nous sommes bien loin des principes de l'école tenue par l'Église catholique...
Jules Ferry ne veut donc pas
une égalité sociale ou dans l’instruction mais une égalité dans l’éducation.
Car si l’État doit s’occuper des écoles, ce n’est pas seulement pour instruire
les enfants mais pour « y maintenir
une certaine morale d'État, certaines doctrines d'État qui importent à sa
conservation. »[6]
La laïcité : gratuité et
obligation
Certains pensent peut-être
que la laïcité a permis à l’école d’être gratuite et obligatoire, et ainsi de
développer l’instruction, de combattre l'ignorance. C’est oublier que ces deux principes,
bons en soi, ne concernent que l’école primaire. En outre, c’est surtout ignorer
que l’Église a institué la gratuité des écoles primaires dès la fin du XVIIe
siècle en dépit du mépris et des calomnies des « philosophes des Lumières ». Les exemples de Charles Démia et
surtout de l’institution des Frères chrétiens suffisent pour montrer le
dévouement de l’Église pour éduquer et instruire les pauvres, les enfants des
ouvriers, des artisans, des valets. Mieux encore. Ils ont su aussi développer
une pédagogie moderne dont nous sommes bien redevables. Ces exemples ont été
détruits une première fois par la révolution de 1789 puis une seconde fois par
les lois de la république. Et des voix osent dire que l’Église est
obscurantiste et opposée à la diffusion de la connaissance ?! Enfin,
dès Louis XIV, l’école primaire était obligatoire pour tous, même si en
pratique, cette obligation n’était pas toujours respectée.
Conclusions
La
laïcité est définie comme un ensemble de valeurs mais elle ne les respecte pas.
Elle n’est qu’une arme pour le pouvoir temporel de dominer la société et les
individus en affaiblissant le pouvoir spirituel. Elle lui permet d’inculquer et
de maintenir les principes qui lui permettent de garantir son autorité. C’est
ainsi que l’État est devenu tout puissant. Des députés représentant une
minorité de la population peuvent ainsi sans difficulté voter des lois contre
les intérêts de la nation et de la population.
Mais
la laïcité demeure un idéal, une légende au sens où elle n’est pas capable
d’assurer les missions que ses fondateurs lui ont données, c’est-à-dire
l’éducation des consciences. L’école est sans-doute le lieu où son ambition
démesurée a échoué de manière frappante. Elle a voulu remplacer l’Église dans
sa fonction enseignante. Or, une telle fonction nécessite dévouement et charité
sans limite. Aucun règlement scolaire ne vaux les règles de l’institut des
Frères des écoles chrétiennes. L’instituteur le plus dévoué ne rivalise pas
avec le laïc religieux le plus dévoué.
Or,
si l’école ne peut exercer ses missions, que deviennent les
enfants puisque l’État a réduit l’influence de l’Église, l’autre pôle
d’éducation. La liberté de conscience n’est donc plus qu’un rêve. L’enfant
devenu grand ne dispose plus d’une conscience suffisamment formée pour
s’opposer à la force de l’opinion et des faiseurs d’idéologie et de rêve. Plus
de repère, plus d’ordre, plus de morale. L’homme contemporain est un être
fragile qui se laisse conduire au gré des émotions et des sentiments, un être
peu convaincu qui se laisse manipuler par toute sorte d’idéologie. C’est un
être sans bagage...
Notes et références
[1] Vincent Peillon,
entretien, Qu’est-ce que la morale laïque ?, Cité 2012/4, n°52,
cairn.info.
[2] L. CORNU, J. Claude POMPOUGNAC, J. ROMAN, dans École — Citoyenneté — Laïcité dans: Spirale,
revue de recherches en éducation, n°7, 1992, Instruction - Éducation civique, www.persee.fr.
[3] Jules Ferry dans Discours
et Opinions de Jules Ferry, Paul Robiquet, tome I, Armand Colin, 1896.
[4] Jules Ferry dans Discours
et Opinions de Jules Ferry, Paul Robiquet, tome I.
[5] Paul Lapie, L'École
et les Écoliers. Le texte date de 1904, mais il est repris et publié
chez Alcan en 1923 alors que Paul Lapie est directeur de l'enseignement
primaire dans Jules Ferry : des repères
brouillés, Lelièvre Claude, Communications, 72,
2002, L'idéal éducatif, www.persee.fr.
[6] Discours de Ferry à
la Chambre le 26 juin 1879, Discours et Opinions
de Jules Ferry,
Paul Robiquet, tome III.
[7] Cet article conclut les articles qui ont été écrits depuis août 2019. Il achève aussi l'étude sur les relations entre les pouvoirs temporel et religieux commencée en mars 2018.
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