" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 14 décembre 2019

Laïcité : la suprématie de l'État mais l'échec d'un idéal


Nous revenons encore à la laïcité. Ce sera notre dernier article sur le sujet. La laïcité est, d’après la constitution, le principe de la république au même titre que l’indivisibilité de la nation et la démocratie. Elle est même supérieure à cette dernière. Ce mot est souvent brandi pour faire baisser les têtes et faire taire les esprits. La meilleure voie pour connaître un principe ou une pensée est de revenir à ses origines, ce que nous avons fait en étudiant les écrits et les discours des principaux fondateurs de la laïcité. Cela nous permet aussi de prendre du recul et de ne point nous laisser guider par l’événementiel et l’éphémère. Or, de cette étude ressort bien des contradictions et d’ambiguïtés. Il est donc difficile de comprendre en quoi la laïcité peut être un principe pour une nation…

La laïcité : neutralité religieuse ?

La laïcité tente d’être neutre en matière religieuse. Certes, la neutralité ne signifie pas indifférence. En effet, elle statue sur les religions elles-mêmes. Mais le fait d’interdire des membres de l’Église d’enseigner et de chasser les ordres religieux et les congrégations de la France peuvent-elles relever de la neutralité ? Comme nous l’avons montré, le but des pères de la laïcité est de supprimer l’autorité et l'influence de l’Église dans notre société et puis de s’opposer à toute autre domination d’une institution religieuse particulière. La laïcité accepte les religions tant qu’elles n’ont aucune influence déterminante dans la société ou sur l’individu.

Nous avons aussi pu constater l’ignorance religieuse à l’égard de l’Église de ceux qui imposent la séparation des Églises et de l’État. Mieux encore. Ils ne veulent point la connaître. Un tel mépris à l’égard des catholiques montre suffisamment l’intention qui les guide. Nous avons aussi été témoins de leurs mensonges et de leur calomnie, bien peu compatibles avec la liberté de conscience qu’ils vantent de défendre.

La réalité nous montre aussi que l’Église a résisté efficacement aux politiques de l’État et à leur prétention, car, contrairement à ce que nous pensons, la loi de 1905 instituant la séparation des Églises et de l’État n’a pas été appliquée comme les politiques le voulaient.

La laïcité : la liberté de conscience ?

La laïcité prône la liberté de conscience quand elle demande aux instituteurs d’être des éducateurs de conscience et d’inculquer à leurs élèves la foi et la morale laïque telle qu’elles sont conçues par le ministère de l’instruction publique.

L’enseignement laïc n’est pas, comme le souhaitait Condorcet, dédié à l’instruction et propre à transmettre les vérités. Un tel modèle exigerait l’indépendance de l’école à l’égard de l’État. Or, ce n’est pas ce modèle que Jules Ferry et Ferdinand Buisson ont choisi. D’une part, l’État dirige l’enseignement, intervient dans les programmes, définit ce qu’il faut croire et ce qu’il faut ne point dire. D’autre part, l’école est avant tout le lieu de formation du citoyen. L’instructeur est le nouveau missionnaire, l’ardent apôtre de la république. Le modèle est plutôt celui de Le Pelletier de Saint Fargeau.

La laïcité n’est qu’une étape, sans-doute la plus aboutie, de la conquête de l’État sur la société et les individus. Elle reflète la volonté des politiques de détenir un pouvoir sans rival dans la société, imposant leurs lois sans qu’elles n’entendent une voix puissante et agissante s’opposer à leurs intérêts. Elle manifeste la victoire du pouvoir temporel sur le pouvoir religieux.

La laïcité : égalité religieuse ?

La laïcité défend l’égalité religieuse. Elle permet, dit-on, la tolérance religieuse. Mais cette égalité est un trompe-œil. Elle permet d’affaiblir les religions en les nivelant afin d’inculquer une autre religion qui les dépasse toute. Pour cela, il suffit de comprendre ce qu’est l’enseignement laïque.

La plus grande victoire de la laïcité réside dans l’enseignement. Par sa conquête, certes lente mais efficace et assurée, elle donne aux politiques le pouvoir de construire l’avenir, de former les consciences, de toucher aux âmes. Là se transmet surtout une nouvelle religion. Selon Vincent Peillon, « Ferdinand Buisson (1881-1932), grand artisan de la laïcité française, la conçoit comme une religion nouvelle, dont l’expression peut être à la fois philosophique et politique. Le républicanisme n’est pas seulement un ensemble d’institutions ou de dispositifs matériels, mais un certain esprit. L’école de la république est par conséquent la mise en œuvre d’un véritable pouvoir spirituel, portant et transmettant des valeurs et non pas seulement des connaissances »[1]. C’est donc par l’école que se diffuse et s'implante la nouvelle religion sans laquelle la république, telle qu’elle a été conçue au XIXe siècle, ne pourrait tenir.


Aucune société ne peut connaître l’ordre et la paix sans que les principes qui guident le politique ne soient conformes à ceux qui dirigent l’âme de la nation. Telle est une des leçons qu’Edgard Quinet a retenues des événements dont il a été témoin, voire acteur. Toujours selon ses leçons, une révolution politique ne peut donc réussir sans qu’il n’y ait auparavant changement de religion. Celui-ci est possible par l’éducation dans l’école. Telle est le véritable but de l’enseignement laïque.

Enfin, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans nos articles, en évacuant Dieu de l’école et de l’espace public, l’État habitue les individus à vivre sans Dieu et à se passer de Lui. Ils deviennent indifférents, voire athées. Cependant, le but des pères de la laïcité n’était pas de détruire la religion mais l’Église et toute institution l’imitant. Ils voulaient une religion sans dogme ni prêtre. Le résultat en est bien différent. C’est le relativisme, l’indifférentisme religieux et l’impiété.

La laïcité : légende ?

Les lois de 1880 qui mettent en place une école gratuite, obligatoire et laïque mettront plus de cinquante ans pour se réaliser dans les faits. Il est en outre bien difficile à des instituteurs de mener à bien leurs missions avec le dévouement que réclame Buisson quand nous songeons à leur maigre salaire et au peu de moyen dont ils disposent. Aujourd’hui encore, en dépit de leur importance pour notre avenir, ils ne sont pas les plus aisés de la république. Un député gagne probablement mieux sa vie que l’instituteur qui forme le futur électeur. 

Enfin, l’idéal d’une telle école demeure un idéal. Il fait partie de la légende républicaine avec ses « hussards noirs ». « Reste une mystique et une légende indéniables. La République a besoin de l’école… Celle-ci en est le temple où les vertus civiques sont honorées, où une égalité de droit est réalisée, puisqu’elle met chacun aux prises avec le savoir, où l’identité entre la nation française et l’universalisme des Droits de l’Homme est exaltée, où l’on pratique la laïcité comme religion civile. À se complaire toutefois dans ce miroir on oublie qu’il fut dès le début une idéalisation. C’est davantage le mythe de l’école que l’école réelle. »[2] Cela est encore bien vrai aujourd’hui. Il est demandé à l’école de former des citoyens et donc de faire la république mais aussi d’en être le miroir. L’école doit être le lieu où l’inégalité sociale doit être supprimée, où tous les élèves doivent être égaux devant le savoir. Le mot est lâché : égalité, telle est la valeur qui doit s’affirmer dans l’école…

La laïcité : égalité de l’éducation

En 1870, à la salle Molière, Jules Ferry prononce un célèbre discours sur l’égalité d’éducation. L’école doit poursuivre le combat qui a conduit à mettre fin aux privilèges, aux dernières distinctions. Il évoque les gains de la révolution. Il veut en finir avec une dernière inégalité, celle de l’éducation. « Je ne viens pas prêcher je ne sais quel nivellement absolu des conditions sociales [...]. Pour que la réforme démocratique se propage, la première condition c'est qu'une certaine éducation soit donnée à ce qu'on appelait autrefois un inférieur, à celui qu'on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité »[3].

Cependant, Jules Ferry ne veut pas que tous les enfants aient une éducation égale. Il laisse exister les écoles payantes dans lesquelles les familles aisées peuvent envoyer leurs enfants. Ce sont les classes élémentaires dans les établissements secondaires. Il les privilégie même. La gratuité n’est en effet valable que pour les écoles communales. Après avoir aidé ces écoles payantes, Jules Ferry peut naturellement se réjouir. « L'usage s'est établi partout d'annexer aux établissements secondaires des cours élémentaires destinés à préparer les très jeunes enfants mieux qu'ils ne pourraient l'être dans la plupart des écoles primaires aux études d'un ordre plus élevé auxquelles les destinent leurs familles. »[4]

En fait, se développent deux sortes de filières scolaires, l’une pour la population la moins aisée, constituée d’écoles primaires (élémentaires et supérieures), l’autre pour les enfants plus privilégiés, les écoles secondaires (classes élémentaires, collège et lycée). Ainsi, un enfant est élevé dans sa condition pour y rester. L’inégalité sociale demeure contrairement à la légende républicaine. Car on craint que l’école inspire aux enfants une ambition excessive qui risque de les « détourner des carrières où les engagerait soit l’hérédité soit le jeu naturel des forces sociales »[5]. L’école ne doit former le citoyen qu’à sa fonction sociale conformément à son rang. L’idée d’une école égalitaire ne voit le jour qu’au début de la cinquième république. Nous sommes bien loin des principes de l'école tenue par l'Église catholique...

Jules Ferry ne veut donc pas une égalité sociale ou dans l’instruction mais une égalité dans l’éducation. Car si l’État doit s’occuper des écoles, ce n’est pas seulement pour instruire les enfants mais pour « y maintenir une certaine morale d'État, certaines doctrines d'État qui importent à sa conservation. »[6]

La laïcité : gratuité et obligation



 
Certains pensent peut-être que la laïcité a permis à l’école d’être gratuite et obligatoire, et ainsi de développer l’instruction, de combattre l'ignorance. C’est oublier que ces deux principes, bons en soi, ne concernent que l’école primaire. En outre, c’est surtout ignorer que l’Église a institué la gratuité des écoles primaires dès la fin du XVIIe siècle en dépit du mépris et des calomnies des « philosophes des Lumières ». Les exemples de Charles Démia et surtout de l’institution des Frères chrétiens suffisent pour montrer le dévouement de l’Église pour éduquer et instruire les pauvres, les enfants des ouvriers, des artisans, des valets. Mieux encore. Ils ont su aussi développer une pédagogie moderne dont nous sommes bien redevables. Ces exemples ont été détruits une première fois par la révolution de 1789 puis une seconde fois par les lois de la république. Et des voix osent dire que l’Église est obscurantiste et opposée à la diffusion de la connaissance ?! Enfin, dès Louis XIV, l’école primaire était obligatoire pour tous, même si en pratique, cette obligation n’était pas toujours respectée.

Conclusions

La laïcité est définie comme un ensemble de valeurs mais elle ne les respecte pas. Elle n’est qu’une arme pour le pouvoir temporel de dominer la société et les individus en affaiblissant le pouvoir spirituel. Elle lui permet d’inculquer et de maintenir les principes qui lui permettent de garantir son autorité. C’est ainsi que l’État est devenu tout puissant. Des députés représentant une minorité de la population peuvent ainsi sans difficulté voter des lois contre les intérêts de la nation et de la population.

Mais la laïcité demeure un idéal, une légende au sens où elle n’est pas capable d’assurer les missions que ses fondateurs lui ont données, c’est-à-dire l’éducation des consciences. L’école est sans-doute le lieu où son ambition démesurée a échoué de manière frappante. Elle a voulu remplacer l’Église dans sa fonction enseignante. Or, une telle fonction nécessite dévouement et charité sans limite. Aucun règlement scolaire ne vaux les règles de l’institut des Frères des écoles chrétiennes. L’instituteur le plus dévoué ne rivalise pas avec le laïc religieux le plus dévoué.

Or, si l’école ne peut exercer ses missions, que deviennent les enfants puisque l’État a réduit l’influence de l’Église, l’autre pôle d’éducation. La liberté de conscience n’est donc plus qu’un rêve. L’enfant devenu grand ne dispose plus d’une conscience suffisamment formée pour s’opposer à la force de l’opinion et des faiseurs d’idéologie et de rêve. Plus de repère, plus d’ordre, plus de morale. L’homme contemporain est un être fragile qui se laisse conduire au gré des émotions et des sentiments, un être peu convaincu qui se laisse manipuler par toute sorte d’idéologie. C’est un être sans bagage...



Notes et références
[1] Vincent Peillon, entretien, Qu’est-ce que la morale laïque ?, Cité 2012/4, n°52, cairn.info.
[2] L. CORNU, J. Claude POMPOUGNAC, J. ROMAN, dans École — Citoyenneté — Laïcité dans: Spirale, revue de recherches en éducation, n°7, 1992, Instruction - Éducation civique, www.persee.fr.
[3] Jules Ferry dans Discours et Opinions de Jules Ferry, Paul Robiquet, tome I, Armand Colin, 1896.
[4] Jules Ferry dans Discours et Opinions de Jules Ferry, Paul Robiquet, tome I.
[5] Paul Lapie, L'École et les Écoliers. Le texte date de 1904, mais il est repris et publié chez Alcan en 1923 alors que Paul Lapie est directeur de l'enseignement primaire dans Jules Ferry : des repères brouillés, Lelièvre Claude, Communications, 72, 2002,  L'idéal éducatif, www.persee.fr.
[6] Discours de Ferry à la Chambre le 26 juin 1879, Discours et Opinions de Jules Ferry, Paul Robiquet, tome III.
[7] Cet article conclut les articles qui ont été écrits depuis août 2019. Il achève aussi l'étude sur les relations entre les pouvoirs temporel et religieux commencée en mars 2018.

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