" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 5 janvier 2019

La primauté de l'Évêque de Rome, successeur de Saint Pierre, avant la moitié du IIe siècle


Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ peuvent nous paraître étranges par leurs ambiguïtés. Certains commentateurs ou libres penseurs usent de ces prétendues contradictions pour défendre et diffuser des erreurs ou pour réfuter l’enseignement de l’Église. Certes, nous dit-on, Il a institué Saint Pierre comme chef de l’Église, comme pierre de fondement de l’édifice qu’Il a fondé. Mais ces paroles ne concernaient que « Simon appelé Pierre » au début de l’aventure. Cela est même normal puisqu’aucun architecte sérieux ne peut construire une maison sur du sable. Or une parole adressée à Saint Pierre ne peut guère concerner les hommes qui l’ont succédé. Ils prétendent alors qu’il n’est pas possible de faire reposer les pouvoirs du pape sur la Sainte Écriture. En fait, nous affirment-ils, les événements historiques ne seraient que la véritable origine du pouvoir pontifical. Face aux empereurs et princes qui voulaient s’imposer, les papes auraient affermi leur position. Ainsi, s’ils adhèrent désormais à la primauté de Saint Pierre, chose que leurs aînés ont souvent reniée, ils remettent plutôt en question la primauté pontificale.

Un tel discours peut nous surprendre. Il est en effet bien difficile de l’entendre quand nous méditons sur les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est encore plus surprenant quand nous connaissons les premiers textes chrétiens, les lettres de ceux qui ont connu les apôtres, les écrits des premières communautés. Ils indiquent tout le contraire. Que faut-il alors entendre ? Ou plutôt qui faut-il entendre ?...

La primauté de Saint Pierre, un sujet qui n’est plus d’actualité

Icône du VIe siècle
Monastère de Sainte-Catherine du Sinaï
Dans le passé, la primauté de Saint Pierre a en effet fait l’objet de sérieuses contestations et de nombreuses objections. On a remis en cause les paragraphes des textes évangéliques qui la justifient. Après le travail de nombreux experts, défenseurs de la foi, leur authenticité est dorénavant admise sans aucune difficulté. On s’est aussi attaqué aux interprétations des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais grâces aux méthodes critiques, leur véracité a été démontrée. Enfin, on a refusé l’idée que Saint Pierre puisse être évêque de Rome, usant parfois de la prééminence de Saint Paul dans les écrits sacrés.

Ne soyons pas dupes. En remettant en cause la primauté de Saint Pierre, on n’essayait pas d’attaquer réellement l’enseignement de l’Église sur ses origines mais on tentait plutôt de remettre en question la primauté pontificale. Telle était la véritable cible de leurs attaques. Si on montre en effet que la primauté de Saint Pierre est erronée, ou simplement d’origine humaine, la primauté des papes perd inévitablement toute légitimité. Elle devient un fruit de l’histoire ou des hommes. Leur attaque est instructive. Par leur insistance, elle souligne, sans doute à leur dépend, le lien fondamental qui unit la primauté de Saint Pierre à celle des papes. L’autorité du second perd toute valeur si la première n’est pas justifiée. Certes, l’attaque a avorté. On ne peut guère rejeter l’évidence : Saint Pierre a bien été institué chef des Apôtres par Notre Seigneur Jésus-Christ, pasteur de tous les fidèles.

Aujourd’hui, l’attaque est plus directe. Elle porte dorénavant sur le lien qui relie Saint Pierre au pape. Une objection, qui pourrait nous paraître naïve, est souvent relevée, surtout depuis la révolte de Luther. Elle a encore plus de force de nos jours dans l’ignorance ambiante où nous sommes, ignorance qui est finalement la force même de ces attaques. Selon cette objection, Notre Seigneur Jésus-Christ ne parle jamais du pape. Aucun écrit de la Révélation ne l’évoque. N’ayant aucune justification dans la parole divine, la primauté pontificale ne serait alors que le fruit de l’histoire. Elle est uniquement d’origine humaine.

La nécessité de l'évolution, porteuse de progrès ?

Le raisonnement ne s’arrête pas là. Ne méprisons pas en effet l’intelligence de nos adversaires. Si la primauté est née de l’histoire et s’est développée selon les circonstances, le gouvernement de l’Église peut alors continuer à évoluer pour qu’il s’adapte de nouveau aux situations et aux événements dans le but d’être toujours efficace. Rien n’est figé. Le dynamisme est même preuve de vitalité. L’important est en effet de marcher, toujours marcher et encore marcher. Seul compte le progrès, nous dit-on encore aujourd’hui. Parfois, en écoutant certains discours, nous avons l’impression de revenir dans un passé peu lointain et peu glorieux. On néglige les belles et dramatiques leçons de l’histoire. Évidemment, nos adversaires veulent que l’Église marche dans la direction qu’ils ont eux-mêmes désignée et sur la voie qu'ils ont tracée. Il n’y a progrès à leurs yeux que s’il répond à leurs attentes. Sinon ils en appellent à l’aveuglement, au passéisme, à l’obscurantisme, voire au fanatisme. On ridiculise. On méprise. On diabolise. Certes, ils en appellent à la tolérance mais ils en usent pour faire taire leurs adversaires. Certes, ils semblent respecter les idées de chacun mais ils refusent qu’elles se répandent ou qu’elles portent le moindre signe de véracité. Tout est relatif et subjectif, nous dit-on, sauf leurs propres philosophies, leurs propres opinions. L’ignorance et le silence réconfortent alors leur hégémonie.

La promesse toujours vivante

XVIe siècle
Marco Zoppo
Revenons pourtant aux paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il ne donne pas seulement une fonction particulière à Saint Pierre avec des pouvoirs, Il lui fait aussi une promesse. « Aussi moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » (Matth., XVI, 18) Entendons bien ces paroles. « Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » Elles vont au-delà de Saint Pierre et de ceux qui l’écoutent. Elles nous atteignent encore aujourd’hui.

L’Église est et demeurera à l’abri des forces du mal. Telle est la promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et cette promesse s’appuie sur un roc, sur Pierre. L’indéfectibilité de l’Église est indubitablement liée à Saint Pierre. Que devient alors cette promesse si Saint Pierre n’est plus. Un homme peut-il à lui-seule assurer ce rôle fondamental ? Il est voué à la mort, à la perdition, à l’impuissance. De même, quand Notre Seigneur Jésus-Christ envoie ses apôtres pour convertir les hommes, croie-t-Il vraiment que les douze qu’Il a choisis suffisent à changer le monde durant les quelques années qu’il leur reste ? Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ ne leur cache pas les souffrances qu’ils devront endurer. Saint Pierre n’ignore pas son martyr. Toutes ces promesses seraient donc absurdes si elles n’étaient limitées qu’au temps des premiers apôtres et qu’aux hommes auxquels elles s’adressent directement. La Sainte Écriture n’est pas une pièce de musée constituée de lettres mortes.

Faut-il aussi s’arrêter aux Évangiles ? Les Actes des Apôtres et les Épîtres sont aussi à prendre en compte. Ils nous décrivent les premiers pas de l’Église. Ils approfondissent et éclairent l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils appartiennent pleinement à la Sainte Écriture, à la Révélation. Ces textes sont sources de notre foi. Certains cherchent à les relativiser, n’y voyant qu’une perception des apôtres, qu’une interprétation toute relative des Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est alors oublier la promesse divine. C’est rejeter ce qu’auparavant on avait admis.

Et que font les apôtres ? Que fait cette Église indéfectible ? Les apôtres fondent des communautés de fidèles qui appartiennent à la même Église, l’Église qui est à Corinthe, à Éphèse, à Thessalonique, etc. Et que font-ils ? Ils choisissent des hommes qui porteront le titre d'évêques.

Le terme d'« évêques » 

Le terme « évêque » provenir très probablement du terme grec « episkopos » qui signifie « surveillant, gardien, protecteur ». Il est aussi proche, dans la langue grecque, de deux verbes, « episkeptomai » (« visiter, examiner ») et « episkopeo » (« regarder, inspecter »). Dans la version des Septante, nous trouvons aussi le terme de « episkope » pour désigner la « visite de Dieu ». Cette visite peut être un événement heureux. Dieu se souvient de son peuple et Il vient à son secours, le libère. Il peut être aussi un terrible jugement et donc un événement redoutable. La « visite de Dieu » indique donc que Dieu se met en présence de l’homme. Le terme se retrouve dans le Nouveau Testament dans un même sens. Mais il s'enrichit aussi d'un sens nouveau.

Dans les Actes des Apôtres, le terme d’« évêque » est plutôt pris dans un sens général. Il est utilisé pour désigner plutôt une tâche réservée aux chefs des communautés. Il est alors synonyme au terme de « presbytre » (« presbuteros »), qui donnera plus tard celui de « prêtre ». Parlant aux anciens d’Éphèse, Saint Paul les avertit des dangers qui menacent la foi. « Prenez donc garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Église du Seigneur, qu’Il s’est acquise par son propre sang. » (Actes des Apôtres, XX, 28) Il est employé pour désigner l’acte même de « veiller, surveiller », c’est-à-dire de régir, ou celui qui est désigné pour remplir cette mission. Il est rattaché aux mots de « troupeau », « paître ». La mission ressemble à celle du berger qui veille sur son troupeau. C’est pourquoi Saint Pierre utilise aussi le terme d’« évêque » pour désigner Notre Seigneur Jésus-Christ car Il est bien « le pasteur et l’évêque de nos âmes » (I Pierre, II, 25).

Dans ses épîtres, Saint Paul s’adresse aux « évêques » comme les chefs des communautés ou comme des prêtres. Il en définit les qualités à plusieurs reprises. « Il faut donc que l’évêque soit irréprochable » (I Timothée, III, 2), nous dit-il. Il doit prendre soin de l’Église. « Si quelqu’un ne sait pas gouverner sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Église de Dieu ? » (I Timothée, III, 5)  Le terme d’« évêque » semble être flou.

L'établissement des « évêques » successeurs des apôtres

Saint Paul établit aussi Tite pour qu’il achève ce qu’il a organisé dans la ville de Crète. Il doit aussi établir des anciens dans chaque ville. « Il faut que l’évêque soit irréprochable, comme étant un économe de Dieu » (Tite, I, 7) L’épître qu’il lui adresse lui donne des instructions sur le gouvernement des fidèles. Tite apparaît donc comme un personnage important, supérieur aux « anciens » et aux « prêtres ». Le titre et la fonction d’« ancien » est repris du judaïsme. Dans leur organisation, les Juifs nomment des « anciens » ceux qui se trouvent dans le Sanhédrin et à la tête des synagogues.

Saint Paul institue aussi Timothée, son « enfant légitime dans la foi » (I Timothée, I, 2), comme évêque. Il lui demande de veiller sur la doctrine et son enseignement. Le terme pour le désigner prend alors tout son sens. Comme pour Tite, Timothée apparaît comme un homme important, reconnu par l’ensemble de la communauté, y compris par les anciens. Saint Paul le distingue aussi des « presbytes » c’est-à-dire de prêtres. Il lui demande en effet de veiller sur eux afin qu’ils « gouvernent bien, soient jugés dignes d’un double honneur, surtout qui travaillent à la prédication et à l’enseignement. » (I Timothée, V, 17) Il leur impose les mains. Il doit les reprendre lorsqu’ils manquent à leurs devoirs. « O Timothée, garde le dépôt, évitant les discours vains et profanes, et les controverses d’une science qui ne méritent pas ce nom » (I Timothée, VI, 20) Ainsi, dans ces premières communautés, le groupe des prêtres est sous l’autorité de l’« évêque ».

Finalement, dans le Nouveau Testament, si le terme d’« évêque » est parfois utilisé pour désigner ceux qui veillent et surveillent, comme tout chef de communauté, par exemple les prêtres, il apparaît clairement que certains d’entre eux se présentent comme de véritables évêques, véritable chef d’une église, qui doit veiller sur les prêtres et les diacres comme sur les fidèles. Saint Paul en a lui-même institué pour l’organiser. Tite et Timothée en sont des exemples. Ils sont porteurs du dépôt de la foi, de l’orthodoxie de la doctrine. Dans les épîtres de Saint Paul, nous sentons dans l’établissement des évêques une volonté de continuité. Tite et Timothée sont bien les représentants des apôtres, responsables de l'Eglise localisée dans un lieu. Eux-mêmes doivent établir leur successeur.

L’institution des évêques selon le témoignage des pères apostoliques, Saint Clément puis Saint Ignace

Avant de poursuivre, rappelons que Saint Clément est évêque de Rome (93-97) à la fin du Ier siècle, et que Saint Ignace est évêque d’Antioche (107-117). Ils ont connu des Apôtres. C’est pourquoi ils portent le titre de « père apostolique ». Leur témoignage est donc précieux pour connaître l’organisation de l’Église au premier siècle et la doctrine entre la fin du premier siècle et le début du second, c’est-à-dire au lendemain du temps des apôtres…

Saint Clément de Rome est le plus proche. Il nous apporte un témoignage encore plus précieux. Il dit en effet aux Corinthiens que les apôtres ont établi des évêques, les reliant aux promesses de la Révélation. Le terme qu’il emploie est le même que celui de Saint Paul. « À travers les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. Et ce n’était pas là chose nouvelle : depuis de longs siècles déjà l’Écriture parlait des évêques et des diacres ; elle dit en effet : J’établirai leurs évêques dans la justice, et les diacres dans la foi (Isaïe, LX, 17). »[1] La Septante utilise le terme d’épiscope et parle de « gouverneur ». Saint Clément force probablement le texte du prophète. Il rappelle aussi que Moïse a choisi une tribu, celle des Levi, pour exercer le sacerdoce et le service du culte. Il a fait ainsi pour éviter les désordres car « la jalousie surgit à propos du sacerdoce »[2].

Saint Clément évoque aussi cette raison pour expliquer l’établissement des évêques. « Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat. C’est pourquoi, sachant très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succéderaient à leurs fonctions. »[3]

Saint Clément précise surtout que « d’autres personnages éminents »[4] ont aussi établi des évêques sans nommer leur titre. Ces « personnages éminents » désignent probablement ceux qui ont été établis par les apôtres, comme Timothée et Tite. Plus loin, il évoque les « presbytres » [5] mais selon certains commentateurs, ils s’agiraient des ministres qui ont reçu la dignité de l’épiscopat. Il semblerait alors que la terminologie n’est pas encore bien définie. Il est toujours difficile de distinguer l’évêque (« episkopos ») du presbytre (« presbuteros ») même si leur rôle apparaît clairement.

Saint Ignace, évêque d’Antioche, est nettement plus clair dans ses lettres. Il décrit une organisation plus avancée dans l’Église. Les termes « episkopos » et « presbuteros » désignent bien deux autorités distinctes, le premier, chef de l’Église locale, le second, prêtres. Il parle notamment d’Onésime qui a été envoyé par les chrétiens d’Éphèse. Il est leur « évêque selon la chair »[6], sans doute par opposition à l’évêque selon l’Esprit qui est Notre Seigneur Jésus-Christ. Il nous renvoie à Saint Pierre qui désigne aussi Notre Seigneur Jésus-Christ comme « pasteur et évêque » de nos âmes. Puis plus loin, il parle du « presbyterium », c’est-à-dire le collège des prêtres, qui est « accordé à l’évêque comme les cordes à la cithare »[7]. Il y a bien une distinction entre les deux charges, les prêtres relevant de l’autorité de l’évêque.

Saint Ignace nous rappelle aussi les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Comme Il est uni au Père, « les évêques, établis jusqu’aux extrémités de la terre »[8], sont unis à Lui, nous dit-il. Notre Seigneur Jésus-Christ parlait aussi de l’unité des apôtres en Lui. L’évêque est aussi celui qui est envoyé par le maître de maison pour administrer sa maison. « Donc il est clair que nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur Lui-même. »[9] Il perpétue son œuvre comme les apôtres ont été envoyés pour la poursuivre. Ainsi devons-nous obéir à l’évêque puisqu’il représente Notre Seigneur Jésus-Christ. « Il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; ce n’est pas cet évêque visible qu’on abuse, mais c’est l’évêque invisible qu’on cherche à tromper. » [10] Saint Ignace nous parle ainsi de chrétiens qui ne sont pas unis à leur évêque. Il prône donc l’unité des fidèles en l’évêque. « Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, ceux-là sont avec l’évêque »[11]. Il faut donc s’attacher à l’évêque si nous voulons demeurer en Jésus-Christ. Et finalement, « que là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est Jésus-Christ, là est l’Église catholique. »[12]

Saint Ignace réclame donc clairement l’unité pour chaque communauté. Elle doit se serrer autour de son évêque, du presbyterium et des diacres. L’évêque est au centre de cette unité. « Il est le premier auteur en qui l’on trouve nettement marqué l’épiscopat unitaire, c’est-à-dire la suprématie de l’évêque sur le corps des prêtres et sur les diacres. »[13] Il en est le centre doctrinal et disciplinaire comme il en est aussi le centre liturgique.

L’évêque de Rome

Début de la Première épître de Clément 

Édition gréco-latine d'Oxford (1633)
Comme nous venons longuement de l’évoquer,l’évêque est d’origine apostolique. Il perpétue l’œuvre de l’apôtre mais de manière locale, auprès d’une communauté bien définie pour lequel il a été établi. Pouvons-nous aussi le dire de l’évêque de Rome, successeur de Saint Pierre ? N’est-il que l’évêque de Rome comme Saint Ignace est celui d’Antioche ou Saint Irène, celui de Lyon ?

Remarquons que dans sa lettre, Saint Clément parle aux Corinthiens avec autorité et charité. Il leur écrit pour mettre fin à une discorde qui les divise. Certains fidèles se sont en effet unis pour destituer les « presbytères ». L’évêque de Rome y intervient pour ramener la paix et la soumission aux pasteurs légitimes. Son intervention paraît en outre naturelle. « Il parle avec une autorité frappante, nettement, en homme qui veut être obéi. »[14] A-t-il été consulté ou agit-il de sa propre initiative ? Nous l’ignorons. Qu’importe. La lettre est un premier témoignage indubitable du primat de l’évêque de Rome.

Dans la lettre aux Romains, Saint Ignace décrit l'Eglise de Rome comme « l’Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père »[15] Notons bien les termes. Remarquons en effet que l'Église de Rome ne préside pas sur la région des Romains mais bien dans la région romaine. Les mots employés n’indiquent pas les limites de la présidence de l’Église romaine mais le lieu où elle est établie. Elle préside dans la ville de Rome. 

Ensuite, examinons le terme de « charité » qu'il utilise. Dans quel sens Saint Ignace l'emploie-t-il ? Plus loin, dans la même lettre, il parle de « la charité des Église »[16] qui l’ont reçu. Dans sa lettre aux Philadelphiens, il désigne l’Église par l’expression « la charité des frères »[17]. Dans une autre, une expression similaire, « charité des Syriens et des Éphésiens » [18], est utilisée pour désigner la communauté des chrétiens. Ainsi il est bien probable que Saint Ignace emploie le terme de « charité » dans ce cas concret lorsqu’il définit l’Église romaine comme présidant à la charité. Est-ce une allusion à la prééminence à l’Église de Rome ? Tous ces qualificatifs semblent aussi le faire croire. Plus loin, il rappelle qu’elle a enseigné les autres Églises[19].

Conclusions

Saint Pierre sur le trône et 

six scènes de la vie de Jésus et de Saint Pierre
Église San Pietro in Banchi à Sienne, 1280
Maestro di San Pietro
Certes le terme d’« évêque » n’est pas encore bien défini dans les épîtres de Saint Paul et dans l’épître de Saint Clément mais ces mêmes textes montrent clairement que les apôtres ont investi des hommes éminents pour les représenter et pour diriger les communautés qu’ils ont fondées. Eux-mêmes ont à leur tour imposé de leurs mains leur successeur. Au temps de Saint Ignace d’Antioche, le rôle de l’évêque est assez net en Orient. À la fin du IIe siècle, il est considéré comme le représentant de Notre Seigneur Jésus-Christ, dépositaire du dépôt de la foi. Saint Ignace d’Antioche insiste sur l’obligation de s’unir à lui pour être uni à Notre Seigneur Jésus-Christ. Là où est l’évêque, là est l’Église, nous dit-il. Il est le signe visible de l’Église. Il est son chef visible.

Pourtant, contrairement aux apôtres, les évêques ne gouvernent que l’Église qui réside dans un lieu déterminé et ne peuvent prétendre détenir la vérité. Ils sont bien les chefs de l’Église qui est dans tel lieu. Son autorité est donc restreinte à un territoire. Cependant, l’un d’entre eux émerge de manière évidente : l’évêque de Rome. Il est à la tête de l’Église qui préside dans la ville de Rome, lieu de son siège. Son autorité s’exerce au-delà de Rome comme nous le voyons en pratique dans la lettre de Saint Clément aux Corinthiens. Saint Ignace, évêque d’Antioche, reconnaît aussi son rôle prééminent. Enfin, il est, aux yeux de Saint Irénée, l’autorité de référence en matière de doctrine. Elle s’impose aussi en matière de discipline. La primauté de l’évêque de Rome est ainsi clairement reconnue dès la fin du IIe siècle. Il dépasse tous les autres évêques.

Le premier rang qu’a tenu Saint Pierre au temps des apôtres est ainsi tenu par ses premiers successeurs, les papes. Cela ne fait que confirmer ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a promis. « Aussi moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » (Matth., XVI, 18) L’indéfectibilité de l’Église est indubitablement liée à Saint Pierre, c’est-à-dire à sa fonction. Sa charge de pasteur suprême est perpétuelle en la personne de l’évêque de Rome afin que l’œuvre de la Rédemption se perpétue dans le monde entier aussi longtemps que Dieu le voudra. La primauté pontificale se trouve ainsi dans la Parole divine dès la fondation de l’Église. Elle prend forme dans les premiers temps au fur et à mesure que l’Église s’étend dans le monde, qu’une hiérarchie se déploie. N’oublions pas que ces premières heures sont des heures de discrimination, de souffrance et de persécution. Les premières hérésies se développent aussi que les discordes. Pourtant, il est clair que l’évêque de Rome, successeur de Saint Pierre, agit et est reconnu comme au-dessus de tous les évêques. Contrairement aux idées reçues, sa primauté ne date pas du IVe siècle quand l’Empire romain se convertit au christianisme ou lorsque les papes doivent affermir leur autorité face aux prétentions des Empereurs et rois chrétiens…



Notes et références
[1] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLII, 4 dans Les Écrits des Pères apostoliques, Les Éditions du Cerf, 1963. Toutes les textes des Pères apostoliques cités dans cet article provient de cet ouvrage.
[2] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIII, 2.
[3] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 1-2.
[4] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 3.
[5] Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 5.
[6] Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, I, 3.
[7] Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, IV, 1.
[8] Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, III, 2.
[9] Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, VI, 1.
[10] Saint Ignace, Lettre aux Magnésiens, III, 1.
[11] Saint Ignace, Lettre aux Philadelphiens, III, 2.
[12] Saint Ignace, Lettre au Smyrniotes, VIII, 18.
[13] J. Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome I, La théologie anténicéenne, Librairie Victor Lecoffre, 1909.
[14] Daniel-Rops, L’Église des apôtres et des martyrs, V, Fayard, 1943.
[15] Saint Ignace, Lettre aux Romains, Introduction.
[16] Saint Ignace, Lettres aux Romains, IX, 3.
[17] Saint Ignace, Lettre aux Philadelphiens, XI, 2.
[18] Saint Ignace, Lettre aux Taliens, XIII, 1.
[19] Voir Lettre aux Romains, Saint Ignace, III, 1.
[20] L'article Émeraude, juin 2014, article "Des Apôtres aux Docteurs de l'Église". Il donne quelques informations sur les Pères apostoliques.

2 commentaires:

  1. Liste des preuves de la Papauté au premier millénaire : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/11/28/la-papaute-depuis-les-apotres/

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  2. Liste des preuves de la Papauté au premier millénaire : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/11/28/la-papaute-depuis-les-apotres/

    Article sur le cas de saint Clément de Rome : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/08/28/la-primaute-romaine-des-le-ier-siecle-la-lettre-de-clement-de-rome-aux-corinthiens/

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