L’ignorance
est l’un des plus terribles des maux. Elle détourne de la lumière bien des
âmes. Et sans lumière, comment peuvent-elles être libres, libres d’avancer vers
leur véritable bonheur ? Dans les ténèbres, les erreurs se cachent et les
vices se dissimulent sous l’apparence de la vérité et des vertus. Les beaux
parleurs, les biens pensants, de bons sentiments peuvent alors tromper les
esprits et les conduire là où ils ne doivent pas aller. Et, croyant bien faire
et bien penser, certaines personnes se trompent de combat, défendant ce
qu’elles croient être justes et s’opposant à ce qu’elles croient être néfastes.
Dans les ténèbres, nous ne pouvons que marcher comme des aveugles derrière
d’autres aveugles. Pour ceux qui veulent dominer les esprits, il est de leur
intérêt de nous éloigner de toute lumière.
Les
préjugés sur les relations entre l’Église et l’État
Pendant
de nombreuses générations, il a été écrit que l’Église n’a été qu’un agent de
l’oppression, un instrument aux mains des despotes, un bel outil
d’asservissement. La religion chrétienne ne serait que l’opium du peuple au
profit des puissants de ce monde. De manière semble-t-il paradoxale, elle
chercherait, dit-on aussi, à soumettre l’État et à lui dicter ses ordres pour
tenir les consciences et les former à sa convenance. Elle ne chercherait qu’à
gouverner les pays et à ériger des régimes théocrates. Ces critiques, encore
persistantes aujourd’hui, en particulier dans la mémoire collective, concernent
souvent une époque particulière de notre histoire, celle où les rois
dirigeaient la France. Le Moyen-âge est souvent leur cible. Temps d’obscurité,
temps des ténèbres, s’exclament-elles encore, temps où l’Église aurait enchaîné
les âmes ! Et lorsque l’Église tente aujourd’hui de condamner des
comportements, des lois injustes et iniques, bien des voix insolentes se lèvent
encore, brandissant de sublimes étendards, pour défendre la liberté que le
peuple aurait gagnée en se libérant de son joug ! …
Les
événements que la France connaît aujourd’hui ou encore de multiples faits
quotidiens montrent que les relations entre l’État et les religions demeurent encore
un sujet d’actualité. Les questions qu’ils soulèvent nous ramènent sans aucun
doute à un temps où l’Église jouait un rôle politique et influençait les
dirigeants du monde. Douloureux réveil ? Indispensable prise de
conscience ? Après cinquante ans de silence pesant, où au nom d’une
idéologie, la religion chrétienne a été cloisonnée, enfermée, réduite à une
affaire personnelle, laissant l’État aux mains seuls des idéologues insensés,
il est difficile aujourd’hui de ne point s’interroger pour ceux qui ne veulent
plus rester enfermés dans les ténèbres. Il est encore plus difficile de
cautionner tout politique religieuse faite de désintéressement, de silence et
d’ignorance à l’égard de l’État, véritable politique de rupture avec l’histoire
de l’Église et son enseignement traditionnel…
Une
Église de plus en plus mêlé à l’État
Dans
des précédents articles, nous
avons montré les principes fondamentaux que l’Église
a défendus depuis ses origines sur ses relations qu’elle doit entretenir avec
l’État et les autorités politiques :
- distinction des pouvoirs religieux et politique ;
- primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel ;
- nécessité d’une collaboration entre les deux pouvoirs ;
- origine divine de toute autorité ;
- obéissance à toute autorité dans les limites de la foi et de la charité.
L’histoire des premiers siècles du christianisme nous montre aussi la lutte qu’elle a menée pour préserver sa liberté, accentuant alors l’un des principes évoqués.
- distinction des pouvoirs religieux et politique ;
- primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel ;
- nécessité d’une collaboration entre les deux pouvoirs ;
- origine divine de toute autorité ;
- obéissance à toute autorité dans les limites de la foi et de la charité.
L’histoire des premiers siècles du christianisme nous montre aussi la lutte qu’elle a menée pour préserver sa liberté, accentuant alors l’un des principes évoqués.
L’histoire
nous montre aussi que par la force des choses, sans le chercher vraiment et
pour répondre à une terrible détresse, l’Église a assumé un rôle politique.
Cela a été vrai lors des grandes invasions barbares au cours duquel des hommes
d’Église ont fini par être les chefs de la cité pour suppléer à l’impuissance
des autorités politiques, à la carence des institutions et de l’administration.
Ils ont été bien présents et actifs face à la désagrégation de l’Empire romain
d’Occident. Par leurs activités, leur fermeté et leur courage, l’Église a non seulement gagné
du prestige au sein du peuple qu’elle a défendue et soutenue mais elle a également
affermi son autorité. Elle est devenue un acteur incontournable pour les vainqueurs
et les nouvelles puissances du moment. Par leurs compétences et leur autorité
morale, par leurs fonctions spirituelles, les évêques et les abbés ont
nécessairement tenu un rôle politique indéniable dans la construction d’une
nouvelle société et civilisation. Le baptême de Clovis n’est pas un acte
anodin. Il est un acte fondateur.
Mais
le rôle que l'Église a tenu n’est pas sans danger. Déjà, avant les invasions
barbares, au temps de l’Empire romain, l’Église s’est opposée aux
prétentions des empereurs, qui, défendant leur rôle d’« évêques de dehors », intervenaient abusivement
dans les affaires religieuses, y compris dans les questions de dogmes. Se
considérant finalement comme les seuls vicaires de Dieu, ses instruments, voire
ses inspirés, ils ont cherché à la cloisonner dans un pur rôle spirituel.
Aujourd’hui, les biens pensants ainsi que les autorités politiques ne font-ils
pas la même chose en imposant ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire, en
enfermant la religion dans l’intimité de la conscience, dans l'impuissance ?
L’Église
a souvent connu ce danger, ces folles et dangereuses prétentions du pouvoir
politique, surtout lorsqu’elle a acquis un rôle politique justifié. Elle a dû
réagir pour se défense et remplir ses missions. Prenons encore deux exemples.
Ils nous permettront de comprendre la réaction de l’Église, réaction souvent
mal comprise…
Retour
au royaume des Francs
Prenons
l’exemple de ce temps où des royaumes barbares se constituent sur les débris de
la civilisation romaine occidentale. Revenons à l’époque des rois mérovingiens,
ces fameux « rois fainéants ».
Depuis la fin du Ve siècle, après les conquêtes des peuples germains en Europe,
l’Occident est constitué de différents royaumes dirigés par des dynasties
provenant des tribus vainqueurs. Après le baptême et les victoires de Clovis,
le royaume des Francs domine l’ancienne Gaule et une partie des terres germaniques
sous la direction des rois mérovingiens. Les Wisigoths dirigent la péninsule
Ibérique. Les Ostrogoths puis les Lombards dominent en grande partie l’actuelle
Italie. L’Empire romain de Byzance est encore maître de certaines régions.
Mais
le royaume des Francs est rapidement divisé selon la coutume franque du
partage. Lorsqu’un roi meurt, il est réparti entre ses fils. Le royaume est
aussi déchiré par des guerres perpétuelles. C’est une époque de violence et
d’un déclin redoutable du droit et de la culture. La société se barbarise en
dépit des efforts de l’Église. Le royaume des Francs se désagrège alors lentement,
laissant le véritable pouvoir aux puissants du moment, en particulier au maire
du palais, véritable maître du royaume, sorte de premier ministre. Au VIIIe
siècle, sans être roi, le véritable maître du royaume n’est point le roi, mais
Charles Martel…
Charles
Martel, l’intérêt politique et personnel au-dessus de l’intérêt de l’Église
Charles
Martel est surtout connu pour avoir arrêté des troupes musulmanes à Poitiers en
732. Par sa victoire, il a arrêté la progression de l’Islam en Europe
Occidentale. Il est alors considéré comme le sauveur de la chrétienté
naissante. Il est aussi connu comme le protecteur de l’Église. À la demande des
Papes, il soutient et protège les missionnaires, par exemple Saint Boniface en
terre germanique et Saint Willibrod en Frise. Menacé par les Lombards en 739, le
Pape Grégoire III attend aussi de lui la protection dont il a besoin. N’a-t-il
pas arrêté les Arabes à Poitiers ? Mais Charles Martel demeure silencieux. Il
ne bouge pas. L’alliance avec les Lombard est en effet précieuse pour lui.
Finalement, pour le maire du Palais, l’intérêt politique prime sur l’intérêt de
l’Église. Certes, il est bon chrétien, de foi solide, indiscutable, mais il
n’hésite pas à sacrifier les intérêts de l’Église à sa politique chaque fois
qu’il est nécessaire.
Pour
tenir son rôle et maintenir son pouvoir, face notamment aux grands du royaume, qui
supportent de moins en moins son autorité, Charles Martel a besoin d’une armée
puissante et de seigneurs dévoués. Les guerres qu’il mène lui coutent chères.
Alors, pour se constituer des troupes loyales et subvenir aux frais des guerres
continuelles qu’il a à soutenir ou qu’il doit entreprendre, Charles Martel
distribue les biens de l’Église à ses soldats et aux grands du royaume, achetant
ainsi leur confiance et leur fournissant armes et équipages. Ce ne sont pas
seulement des terres et des pierres qu’il dilapide. Ce sont aussi des dignités
ecclésiastiques qu’il confère à ses hommes, évêchés et monastères. Tout en
étant laïc, Milon devient ainsi à la fois évêque de Reims et de Trèves. Certains
historiens parlent alors de sécularisation ou de laïcisation de l’Église, ne
craignant pas un certain anachronisme. L’Église parle plutôt de simonie,
c’est-à-dire la vente ou l’achat de choses religieuses ou spirituelles telles
que les sacrements, une dignité religieuse, une juridiction ecclésiastique,
etc.
La
simonie, un mal pour l’Église
Simon le Magicien et les Apôtres Neuilly-en-Donjon |
Charles Martel n’est pas le premier à pratiquer la simonie. C’est en effet une pratique qui s’est développée dans le royaume des Francs sous les rois mérovingiens. Un certain Eusèbe achète pratiquement l’évêché de Paris en 592. La violence est aussi un autre mode d’accaparement comme cet évêque d’Embrun et de Gap qui, accusé de meurtre, finit par être déposé.
Mais
si les évêques sont nommés par le roi, ce dernier peut faire d’excellent choix.
Le roi Dagobert a ainsi nommé Saint Ouen, évêque de Rouen, Saint Eloi, évêque
de Noyon ou encore Saint Didier, évêque de Cahors. Collaborateurs du roi, ils
l’ont aidé à rétablir le royaume tout en menant une véritable vie religieuse.
La sainteté est ainsi mise au service du prince pour le plus grand bien de la
population.
Mais, que deviennent les choix du prince quand ce dernier ne songe pas prioritairement au bien de l’Église et au salut des âmes ? Que deviennent ces évêques si leur nomination ne répond qu’à des critères politiques ? Que deviennent les brebis si le pasteur est choisi en fonction des intérêts d’un puissant ou d’un État ? C’est le cas de Charles Martel…
Mais, que deviennent les choix du prince quand ce dernier ne songe pas prioritairement au bien de l’Église et au salut des âmes ? Que deviennent ces évêques si leur nomination ne répond qu’à des critères politiques ? Que deviennent les brebis si le pasteur est choisi en fonction des intérêts d’un puissant ou d’un État ? C’est le cas de Charles Martel…
Une
autre raison explique certainement la volonté des princes de nommer eux-mêmes
les évêques et les abbés. Depuis les invasions barbares, ils ont pris une
grande place dans la société, assurant des fonctions laïques importantes. En
outre, en ce temps de barbarisation et d’ignorance, ce sont les seuls qui sont
suffisamment instruits et compétents pour mener des tâches d’administration. Le
pouvoir s’appuie donc sur eux pour faire fonctionner l’État ou maintenir
l’autorité. Cela est aussi valable pour tous les clercs. Ils assurent des
fonctions laïques, parfois plus lourdes que leurs fonctions religieuses. Ils
sont conseillers du roi, chefs d’armée, ambassadeurs. Leur fidélité apparaît
enfin plus solide et sûre que celle des seigneurs. Sans descendance, ils n’ont
pas non plus de besoins ou d’ambitions à satisfaire.
La
spoliation des biens de l’Église
Imitant
encore les rois mérovingiens, Charles Martel laisse aussi des postes d’évêques
ou d’abbés vacants pour percevoir les revenus qui leurs sont associés. Des moines
n’ont plus alors d’abbé pour les diriger, plus d‘évêque pour les prêtres. La
discipline en souffre ainsi que la cohésion des communautés. Finalement, le
maire du Palais, véritable homme fort du royaume des Francs, semble user de
l’Église comme de ses biens propres. Par ses nominations et ses spoliations,
Charles Martel achève aussi de désorganiser l’Église franque. Il marque
l’exemple d’une sujétion de l’Église à un prince plus soucieux des intérêts politiques
que des intérêts religieux. La situation changera avec Pépin, le fils de
Charles Martel. D’esprit beaucoup plus religieux, il garde notamment pour la
papauté « un sentiment complexe mêlé
d’affection, d’admiration, mais aussi d’effroi sacré »[2].
L’opposition
des évêques
Saint Léger, martyr en 678 |
Au-delà
de ces réunions, des évêques s’opposent ouvertement à la politique des rois.
Saint Léger est l’un d’entre eux. Il prêche la morale aux grands et tient tête
aux excès du pouvoir. En 678, Ébroïn, maire du palais de Neustrie, le condamne
à mort. Nombreux sont aussi ceux qui rappellent au roi ses devoirs. Saint Césaire
d’Arles ou Saint Nizier de Trêves interrompent des offices et refusent de les
poursuivre quand ils voient entrer dans l’église un prince ou un roi dont la
conduite est scandaleuse.
La
soumission de l’Église au niveau local
Ce
que fait Charles Martel au sommet de l’État, d’autres le pratiquent aussi au
niveau local. Les rois et les véritables maîtres du royaume ne sont pas en
effet les seuls à vouloir soumettre l’Église à leur volonté. Des seigneurs
laïcs interviennent aussi sans scrupule dans les affaires religieuses. Ils font
pression sur l’évêque pour soustraire des prêtres à sa juridiction, attribuent
à des laïcs la direction de certaines abbayes, usurpent des terres et pillent
des monastères. La dîme est le versement du dixième de ses biens à l’Église.
Depuis le concile de Tours en 567, son paiement est prescrit comme un devoir.
Mais les seigneurs locaux la détourne à leur profit. L’Église est aussi confrontée
à un douloureux problème que constitue le don de patronage.
Les
seigneurs laïcs veulent en effet exercer leurs droits sur les églises qu’ils
ont fondées. Ils veulent rester propriétaire de l’édifice et le vendre
lorsqu’ils le souhaitent. Mais, en raison de l’usage sacré du lieu, il existe
une législation qui limite leurs droits de propriétaire. Il est notamment
interdit de le morceler entre des cohéritiers, chacun pouvant en effet désigner
un prêtre. Il leur est aussi interdit de détruit l’édifice. Les disputes
tournent autour de la collation du bénéfice, c’est-à-dire des revenus liés à la
charge religieuse, mais surtout de l’autorité du seigneur et de leur descendant
au regard de l’évêque. Le propriétaire ou patron veut y installer le curé de
son choix et le déposer à son gré. Au concile d’Orléans, en 541, il obtient le
droit de patronage, c’est-à-dire le droit de désigner les titulaires des
églises qu’ils ont érigées. Ce privilège amoindrit l’autorité de l’évêque. Le
territoire est en effet morcelé entre de vastes domaines qui appartiennent à
des seigneurs locaux. Depuis l’écoulement de l’Empire romain, les villes ont
perdu de l’importance et le christianisme s’est ruralisé. Ainsi, peu à peu, de
nombreux curés dépendent beaucoup plus de leur seigneur que de leur évêque.
Or
ces prêtres, de véritables clercs domestiques, sont le plus souvent d’origine
servile. Ils sont traités comme des serviteurs par leurs maîtres. Agobard,
archevêque de Lyon au début du IXe siècle, se plaint de cette situation :
« Il s’est développé un usage impie,
qui fait qu’il n’y a pratiquement personne, aspirant tant soit peu à la gloire
du monde, qui n’ait son prêtre domestique, non pour lui obéir, mais pour exiger
sans cesse de lui une obéissance due et indue. »[3] Ainsi
sont-ils méprisés. En plus de leurs fonctions religieuses, ils assurent le rôle
d’intendant, de comptable et de simples domestiques. Que devient alors la
dignité du clerc en tant que prêtre ? Et que dire de ces laïcs riches,
plus alors enclins aux mépris et à l’insubordination à l’égard de l’évêque ?
L’Église
en danger
Ainsi,
l’Église est dans une situation de plus en plus dangereuse. Les puissances temporelles la considèrent comme leur bien et exerce une lourde tutelle sur les
évêques et les abbés. Cette situation impacte alors sur la qualité des évêques,
des abbés et des prêtres, et finalement sur le fonctionnement de l’Église, sur
sa crédibilité, sur le salut des âmes. L’Église est ainsi ravagée par de
terribles désordres. Saint Boniface nous dresse un bilan peu flatteur. « La religion est foulée aux pieds,
écrit-il en 742 au Pape Zacharie. […] La
plupart des sièges épiscopaux sont livrés à des laïques cupides ou à des clercs
adultères. Et ceux qui se vantent de ne pas avoir des défauts sont des
ivrognes, des chasseurs, des soldats qui répandent le sang des chrétiens comme
celui des païens. »[4] Pour
augmenter sa puissance, Charles Martel a augmenté le désordre au sein de
l’Église.
Par
sa richesse et sa puissance, par ses fonctions même religieuses, l’Église est
une proie bien tentante pour des seigneurs peu scrupuleux ou ambitieux, ou
encore plus attirés par leurs intérêts propres que par ceux de l’Église. Les
grands de ce monde cherchent ainsi à s’accaparer des nominations ou de ses
biens. Certes, la plupart ont un rôle de défenseur ou de protecteur de l’Église
mais au détriment de sa liberté. Dans cette collaboration entre les autorités
temporelles et religieuses, la primauté finit par revenir aux premières,
entraînant alors de sérieux désordres dans l’Église. Toute réforme cherche
alors à restaurer la liberté de l’Église et la primauté du pouvoir religieux
sur le pouvoir temporel...
Vers
une réforme de l’Église
Mais
une telle réforme, si elle veut aboutir, ne se fait pas sans l’autorité
politique, sans son assentiment. Saint Boniface le sait bien. Sous Charles
Martel, cela n’est pas possible. mais à sa mort, il laisse son pouvoir à ces deux fils,
Carloman et Pépin, tous les deux élevés dans un monastère. Ils sont
profondément religieux et soucieux de l’Église. Le premier deviendra moine.
Saint Boniface juge alors le moment favorable pour réformer l’Église en
relation avec le Pape Zacharie. Des conciles réformateurs sont réunis dans
chacun des royaumes de 742 à 743, puis en 747, Pépin et Carloman convoquent un
grand concile général de tout l’empire franc. Ces conciles regroupent des
représentants de l’Église et de l’État. Les décisions sont ainsi prises d’un
commun accord entre eux. Ces assemblées réunissent les métropolitains, les
évêques, les abbés et les grands du royaume. Ils sont bien le lieu d’une
collaboration actives entre les autorités religieuses et temporelles.
Des
canons rétablissent les trois degrés de la hiérarchie ecclésiastique :
prêtres, évêques et métropolitains. Les évêques, dépendant des métropolitains,
gouvernent seuls leur diocèse. Le Pape confirme les choix des métropolitains et
leur envoie le pallium. Il est aussi prévu la convocation annuelle des conciles
pour traiter des affaires de l’Église.
Le
deuxième d’axe d’amélioration est le règlement de la situation temporelle des
églises. Certes on impose au clergé une part de contribution qui lui incombe en
temps de guerre et dans les nécessités pressantes du royaume mais on lui
garantit contre les abus dont il a été victime et on lui donne la dépendance
suffisante pour réformer les mœurs.
Une
série de canons disciplinaires est aussi promulguée pour régler la vie du
clergé, notamment pour distinguer le clerc du laïc. Il est interdit aux clercs
par exemple de porter des armes[5] et des
habits laïcs[6].
Toute chose indigne ou susceptible de provoquer un scandale est interdite. Des
sanctions sont enfin prévues pour toute débauche.
Enfin,
le quatrième objectif de ces conciles est la lutte contre les superstitions qui
proviennent du paganisme ainsi que certaines coutumes.
Conclusions
Saint Boniface |
Il
est vrai que les exemples d’abus ne manquent au temps des mérovingiens. Charles
Martel est sans-doute l’exemple le plus frappant d’une politique néfaste à
l’égard de l’Église. Mais d’autres rois et princes se sont aussi bien comportés
avec l’Église, montrant une collaboration bénéfique pour l’État comme pour
l’Église. Saint Boniface n’aurait pas pu réformer l’Église, s’opposer aux abus
et combattre l’indignité des clercs sans l’appui des frères Pépin le Bref et
Carloman.
Que
dire alors de cette histoire ? Que les relations entre l’Église et l’État
dépendent grandement des vertus chrétiennes de ceux qui disposent du
pouvoir et du contexte dans lequel elles évoluent ? Faut-il qu’elles
ne dépendent que de choses si fragiles ? La Cité de Dieu et la cité
terrestre sont deux cités rivales, opposées par leur principe mais mêlées
ici-bas dans une même histoire. Le véritable bonheur appartient à celui qui vit
dans la Cité de Dieu. La destinée de l’homme est donc de gagner cette cité et d’y
demeurer jusqu’au moment où tout sera joué. Or, un prince peut aussi bien
appartenir à l’une des deux cités. En fonction de ces principes de vie, son attitude
à l’égard de l’Église sera alors différente. Elle ne peut être indifférente.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ nous l’a enseigné, l’homme ne peut rester
indifférent à Dieu. Il est pour ou contre. C’est alors à l’Église de rappeler
aux princes ses devoirs et de faire en sorte qu’ils demeurent dans la Cité de Dieu.
Mais comment peut-elle rappeler ses devoirs si on lui refuse ce droit ?
Comment peut-elle conduire les hommes vers la Cité de Dieu si elle ne peut
conduire celui qui dirige les hommes ? Si l’Église est indifférente à
l’égard de l’État, alors elle se condamne à souffrir le joug de l’État…
Notes et références
[2] Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, III, Pluriel, Hachette, 1991.
[2] Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, III, Pluriel, Hachette, 1991.
[3] Agobard, dans Histoire
religieuse de l’Occident médiéval, Jean Chélini, III.
[4] Saint Boniface cité
dans Histoire
générale de l’Église, Tome II, Le Moyen-âge, volume IV, De la
chute de l’Empire d’Occident à Grégoire VII, 476-1073, n°83, librairie
Vitte, 1933.
[5] Concile germanique
(742), canon 2.
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