Luther à la diète de Worms |
Les premières concessions
Par la bulle Exsurge
Domine, le Pape Léon X excommunie Luther en 1520. Conformément aux lois
de l’époque, il comparait en 1521 devant la diète[1] de
Worms. Il risque de subir la peine de mort. Néanmoins, il est protégé par des
seigneurs qui menacent de prendre les armes si leur maître est en danger. Le 25
avril, Charles Quint le condamne tout en le laissant partir. Par ruse, le duc Frédéric III de Saxe (1463-1525) le met aussitôt en lieu sûr. Le 26 mai, un édit impérial le met au ban
de l’empire.
Le luthéranisme se développe rapidement avec la complicité des seigneurs. Aux deux premières diètes
de Nuremberg, en 1522 et 1524, les délégués du Pape dénoncent vainement les
effets de la propagande luthérienne et demandent l’exécution de l’édit de Worms. En
guise de réponse, les princes souhaitent la convocation d’un concile pour
examiner les griefs de la nation allemande. Enfin, ils veulent que les
doctrines de Luther soient soumises à un nouvel examen, ce qui revient à
remettre en cause l’autorité du Pape et de l’empereur.
Plus tard, en juin 1526, à
la première diète de Spire, les seigneurs luthériens profitent de la situation
délicate de Charles Quint pour obtenir des concessions. L’Empereur a en effet
besoin d’eux pour combattre les Turcs qui le menacent à ses frontières. Il est
décidé que chaque État réglerait les affaires religieuses à son gré et
exécuterait ou non le décret de Worms en attendant la convocation d’un concile.
De telles concessions font naître une réelle crainte chez les princes et
seigneurs catholiques. Ils concluent alors une alliance entre eux, se prêtant
mutuellement défense. À leur tour, pour répondre à la constitution de cette alliance,
les princes luthériens se réunissent dans la ligue de défense à Dessau par
laquelle ils se promettent aussi de s’aider mutuellement contre les attaques de
l’empereur ou des catholiques. Deux camps de dressent l'un contre l'autre...
Charles Quint à la
recherche de l’unité religieuse
La seconde diète de Spire |
L’empereur Charles Quint ne
désespère pas. Il veut rétablir l’union entre les catholiques et les
protestants. Il réunit alors les différents chefs de mouvement pour arriver à un
accord qui pourrait les satisfaire. Pour représenter les partis
de la « réforme », Melanchthon,
fidèle disciple de Luther, le remplace. Ce dernier ne peut en effet être présent
puisqu’il est banni de l’Empire. Lors de la diète d’Augsbourg (1530), il livre
une confession, dite « confession
d’Augsbourg ». Elle comprend des articles qui concernent les dogmes et
les abus à combattre. Pour les luthériens, elle est un texte fondateur et
normatif.
Cependant, dans la
confession d’Augsbourg, Melanchthon relativise la doctrine de Luther ou passe certaines
de ses idées sous silence. Habile et conciliant, il tente de montrer que les
doctrines nouvelles demeurent fidèles à la Sainte Écriture, à l’Église
catholique et à l’enseignement des Pères. Mais une commission de vingt théologiens
catholiques la rejette. Elle montre qu’elle est remplie de contradictions,
d’erreurs et d’hérésies. Une nouvelle commission comprenant des catholiques et des
protestants se réunit de nouveau. Melanchthon est encore prêt à faire des
concessions. Il accepte la juridiction des évêques et va même à consentir à reconnaître
la primauté du Pape. Mais Luther intervient et s’y oppose formellement. C’est finalement
l’échec des négociations. L’empereur remet alors en vigueur le décret de Worms.
Il demande le rétablissement de l’autorité épiscopale dans ses droits, la
suppression des livres hérétiques et la remise des biens confisqués au clergé.
Il demande enfin aux protestants de se soumettre à Rome.
L’échec de Charles Quint
Les protestants n’acceptent
pas la décision de l’Empereur. Elle est en effet lourde de conséquence. Ils
devraient alors restituer les biens sécularisés, c’est-à-dire les biens qu'ils ont confisqués, et ne
plus participer ou favoriser le développement de la « réforme ». La révolte armée est inévitable. Mais, certains ont des scrupules pour entrer en guerre contre l’empereur. Le
prince Jean de Saxe consulte alors Luther sur la question de savoir s’il est
permis aux princes de résister à leur souverain. Luther lui répond dans deux
ouvrages : Avertissement à mes bien-aimés Allemand au sujet du recez d’Augsbourg
et Gloses
sur le prétendu édit de l’Empereur. Dans le premier, il déclare que le
recez est un juste sujet de révolte et dans le second, il déverse tout son
venin contre la papauté. Rassurés, les princes luthériens concluent la ligue de
Smalkalde le 29 mars 1531.
Or Charles Quint est de
nouveau menacé par les Turcs qui viennent d’envahir la Hongrie. Les princes
protestants refusent toute aide si les décisions d’Augsbourg ne sont pas
annulées. L’empereur doit alors signer la paix dite de Nuremberg le 23 juillet
1532. C’est une victoire pour le clan protestant. Les seigneurs protestants
obtiennent le droit de culte dans leurs États. Cela ne signifie pas que tout chrétien a droit de suivre le culte de sa foi. Cela signifie simplement que le seigneur peut imposer le culte catholique ou luthérien dans son État. Chaque État doit en effet s’en
tenir à sa croyance religieuse. Il est interdit de s’attaquer pour des motifs
de religion. Les procès en cours devant le tribunal ecclésiastique à cause de
la confiscation des biens confisqués doivent être suspendus. Or, contrairement
aux clauses du traité, le luthéranisme progresse et gagne d’autres États,
parfois par à la force.
L’échec du Pape
En 1533, une nouvelle
tentative, venant cette fois-ci de Rome, est lancée pour parvenir à une
solution. Le Pape Clément VII autorise l’empereur à proposer aux protestants la
réunion d’un concile sous deux conditions, dont la soumission de ses
membres à ses décisions. Réunis à Smalkalde, les seigneurs protestants ne
veulent se soumettre qu’à la Sainte Écriture et demandent la convocation du
concile dans une ville allemande. La liberté du concile est confirmée par le
Pape Paul III, soucieux aussi de parvenir à un accord. Il choisit cependant la
ville italienne de Mantoue.
Finalement, les seigneurs protestants
refusent toute participation de protestants au concile. Ils déclarent qu’ils
n’ont pas besoin de concile et mettent en doute la liberté de ses membres. Pour
répondre à l’offre du Pape, Jean-Frédéric de Saxe demande à Luther de rédiger
un mémoire afin qu’il précise les points sur lesquels les protestants doivent
rester fermes. Contrairement à Melanchthon, Luther accentue les divergences
avec l’enseignement de l’Église catholique dans les 23 articles de Smalkalde. Ce
document fait partie de la confession de foi du luthéranisme.
En 1538, face aux progrès et
à l’intransigeance de la Ligue de Smalkalde, les princes catholiques concluent
une nouvelle alliance, la Sainte Alliance.
L’échec des conférences
En 1539, Charles Quint met
en place des conférences religieuses en vue d’un accord. Des réunions ont eu
lieu à Haguenau et à Worms en 1540 puis à Ratisbonne en 1541.
Les conférences réunissent
des théologiens protestants et catholiques. Ils s’entendent sur les questions
de la foi, du péché originel et de la justification mais ils buttent sur
l’Église et l’eucharistie, sur la confession et la satisfaction. Mais
l’empereur se rend compte que les princes protestants, soutenus notamment par
la France, sont opposés au rétablissement de l’unité religieuse. En maintenant la division, la France veut
en effet affaiblir la puissance
impériale qui la menace. Quant aux princes protestants, ils sont attachés à une
doctrine qui leur permet notamment de séculariser, c’est-à-dire de confisquer les
biens ecclésiastiques. En outre, Charles Quint ne peut guère s’attarder sur des
négociations qui n’aboutissent pas. Il doit en effet combattre une nouvelle
invasion turque.
L'Intérim de Ratisbonne, l'échec d'un compromis |
Le 25 juin 1541,
l’empereur signe finalement un accord stipulant les conclusions de la
conférence et les articles sur lesquels les théologiens se sont mis d’accord.
Cet accord est appelé l’Intérim de Ratisbonne. Les deux partis s’engagent à
accepter ces articles, d’observer la paix de Nuremberg et de s’abstenir de
détruire des couvents. Mais, devant le mécontentement
des princes protestants, Charles Quint les autorise à supprimer finalement les monastères situés sur leur territoire. Toujours à l’affût, Luther réclame des catholiques
une rétractation formelle de leur doctrine sur la justification.
En dépit de l’Intérim de
Ratisbonne, les protestants prennent le diocèse de Naumbourg-Zeitz en 1542, en
imposant un évêque luthérien. Pendant que le duc Henri de Brinswck-Wolfenbuttel
envoie des renforts à l’empereur pour sa guerre contre les Turcs, la ligue de
Smalkalde envahit son territoire, le chasse et commet toutes sortes d’excès et
de destruction. Les protestants s’implantent dans d’autres territoires en
gagnant à leur cause des comtes et des villes.
Il ne faut pas oublier que
ce ne sont pas les habitants qui réclament le luthéranisme mais bien le prince
ou le comité municipal. Leur conversion implique la mise en œuvre systématique
du programme luthérien et par conséquent l’obligation pour les habitants de se
soumettre à la foi nouvelle. Mais parfois, ce principe n’est pas respecté. En
Westphalie, lorsque l’évêque François de Waldeck entre dans la ligue de
Smalkalde, ses sujets le forcent à abdiquer. Quand le duc Guillaume de
Juliers-Clèves veut réformer son territoire, son projet est arrêté par
l’empereur.
Le recours aux armes
Charles Quint à la bataille de Mühlberg |
« cujus
regio, ejus religio »
Mais
Charles Quint est l’objet d’une odieuse trahison. Maurice de Saxe, pourtant son
allié, l’attaque par surprise à Innsbruck avec le soutien de la France. Malade
et impuissant à surmonter son attaque, Charles Quint entame des négociations. C’est
le traité de Passau. Puis, le 25 septembre 1555, à la paix d’Augsbourg, la
division religieuse est entérinée.
Le
traité d’Augsbourg reconnaît l’existence des deux confessions, celles des
catholiques et des protestants qui adhèrent à la Confession d’Augsbourg. Ils
sont libres de professer leur doctrine et de célébrer leur culte sans être
inquiétés. Mais en fait, ce droit de culte est accordé aux princes selon le
« jus reformandi »,
c’est-à-dire le droit d’imposer ou non la « réforme » dans leur État sans aucune condition. La religion
du prince est la religion de l’État et s’impose à tous ses sujets. En suivant
ce principe, le Palatinat change quatre fois de confession en quarante ans. La
liberté individuelle de religion n’est finalement qu'accordée au prince. Les biens
déjà sécularisés restent en possession des princes protestants. Mais, désormais,
toute conversion d’un prélat ou bénéficier catholique à la confession
d’Augsbourg implique la renonciation à leur dignité et à leur bénéfice. C’est
la réserve ecclésiastique. Cette décision va freiner considérablement les conversions...
Les
catholiques se plaignent de la perte de leurs biens. Le Pape juge la décision funeste et
l’invalide. Les protestants se plaignent de la clause de la réserve
ecclésiastique qui leur enlève un moyen de progresser. Cependant, ils
obtiennent des avantages considérables. Mais en divisant l’Allemagne en deux
camps, l’avenir paraît ténébreux…
Conclusion
Le
Pape François a raison lorsqu’il affirme que la division des Chrétiens
entre protestants et catholiques a été « historiquement perpétuée plus par des hommes de pouvoir de ce monde que
par la volonté du peuple fidèle »[2] mais il
faudrait ajouter que non seulement des hommes de pouvoir, tel Charles Quint,
ont cherché à les réunir mais que cette volonté de division est inhérente à la
politique menée par Luther qui a lié sa cause à celles des princes et
seigneurs. Sans leur soutien, aurait-il pu imposer sa doctrine ? Luther a tout fait pour éviter le retour de l'unité religieuse. Il est l'homme de la division...
Les
seigneurs protestants ont joué un rôle fondamental dans la diffusion et le
succès de la doctrine de Luther. Le landgrave Philippe de Hesse, qui est le
véritable auteur de la paix de Nuremberg, a certainement fait plus pour le
luthéranisme que les livres de Luther. Sans la protection des princes, sans la
trahison de l’un des leurs, que serait devenue la doctrine de Luther ? Ils
avaient beaucoup à perdre dans le retour à l’unité religieuse. Luther aussi…
Remarquons
enfin que parmi les textes fondateurs du luthéranisme se trouvent la Confession
d’Augsbourg et les 23 articles de Smalkalde, œuvres de circonstances qui ont
été écrites en fonction du catholicisme. Le premier cherche la conciliation
quand le second accentue la séparation. Étrange mélange aux intérêts peu
concordants. Ce sont des œuvres qui ont pour but non de décrire en soi ce que
croit un disciple de Luther mais de les présenter en fonction de la doctrine de
l’Église catholique. Œuvres d’un temps, œuvres bien humaines, œuvres
parfaitement intéressées …
Notes et références
[1] La diète est une assemblée composée des différents souverains (princes-électeurs, princes ecclésiastiques et laïcs, ville libre) que compte le Saint Empire germanique. Elle est chargée de veiller sur les affaires générales de l’Empire et de régler les différends entre les différents États qui le composent. Elle se réunit à des lieux différents : Nuremberg, Augsbourg, Spire et Ratisbonne.
[2] Pape François, Homélie, prière œcuménique commune dans la cathédrale luthérienne de Lund, 31 octobre 2016, w2.vatican.va.
[3] Détenteur d'un bénéfice ecclésiastique, c'est-à-dire d'un ensemble de biens destinés à financer un office ecclésiastiques. Théoriquement, ils doivent permettre au détenteur de remplir les tâches associées à l'office.
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