" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 16 janvier 2016

Noël et les fêtes païennes


Les fêtes de l’Annonciation et de la Nativité célèbrent un des plus grands mystères de notre foi, le mystère de l’Incarnation. Notre Seigneur Jésus-Christ, « le Fils unique de Dieu, et né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu des cieux, s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie et s’est fait homme. »[1] Le Verbe s’est fait chair le jour de l’Annonciation et Notre Seigneur Jésus-Christ est né de la Sainte Vierge Marie le jour de Noël.


Le mystère de l’Incarnation est inséparable de celui de la Rédemption. Il est associé à l’Annonciation et à la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce n’est donc pas étonnant s’ils font l’objet de vives attaques et de remises en question. De nos jours, on les présente comme des mythes ou des symboles afin de renier clairement leur historicité et par là remettre en question le mystère de l’Incarnation. Que deviennent alors notre foi et notre salut s’ils perdent leur réalité historique ? C’est pourquoi il est essentiel de réfuter ces erreurs et de défendre l’historicité de l’Annonciation et de la Nativité.

En réfutant la réalité historique de l’Annonciation et de la Nativité, on finit par les considérer comme des faits imaginaires, des inventions humaines, des récits symboliques. Par conséquent, plus ou moins implicitement, on accuse l’Église, qui les fête et les proclame chaque année, de se tromper et de tromper les fidèles, de les maintenir dans la superstition et dans l’erreur. Le christianisme qu’elle enseigne ne serait donc pas authentique. Il ne serait qu’un mensonge ou encore une superstition, un reste de paganisme.

Si les récits évangéliques qui décrivent sa conception et sa naissance ne sont pas vrais, que devient Notre Seigneur Jésus-Christ ? Que devient notre foi ? Pour les plus sérieux, on ne renie pas son existence, les témoignages historiques étant suffisamment clairs et indubitables. Mais on refuse de lui associer tout prodige. On lui refuse toute divinité. Il serait né comme tout homme. Il ne serait qu’un homme. Le Mystère de l’Incarnation ne serait qu’une erreur ou un malentendu. Et par conséquent, les dogmes relatifs à Notre Seigneur Jésus-Christ seraient faux et mensongers. On affirme alors que par ses dogmes, l’Église L’aurait déifié. Il serait devenu Dieu par les mains des hommes. Que deviendrait finalement notre foi ? Une coquille vide. Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait plus qu’un prophète, un moraliste, un saint comme un autre. Il ne serait plus l’objet de notre adoration. Une figure mythique comme tant d’autres…


Un des arguments pour renier la réalité historique de la Nativité consiste à montrer que la fête de Noël est une fête d’origine païenne pour insinuer ensuite que le récit de la Nativité est en fait une invention humaine. Dans cet article, nous allons présenter les fêtes païennes qui étaient fêtées le 25 décembre, aux alentours du solstice d'hiver...

Le solstice d’hiver

Le solstice d’hiver est l’événement astronomique qui correspond à une durée de jour minimal, le solstice d’été étant la durée de jour maximal. Il correspond au dernier jour d’un long cycle où la nuit ne cesse de croître, où le Soleil décline.

Selon le calendrier Julien, institué en 46 avant Jésus-Christ sous Jules César, il tombe le 25 décembre. Depuis la réforme du calendrier par le Pape Grégoire XIII au XVIe siècle, il tombe désormais aux alentours du 21 décembre. C’est pourquoi aujourd’hui, Noël n’est plus fêté le jour du solstice d’hiver. mais la date a prévalu sur l’événement astronomique.

Compte tenu des caractéristiques de ce jour unique dans le calendrier – la fin du déclin du soleil et sa croissance au détriment de la nuit - nous pouvons facilement comprendre pourquoi il a été choisi pour des célébrations religieuses : symbole du soleil renaissant, promesse d’un avenir lumineux, etc.

On oppose classiquement la fête de Noël à trois célébrations religieuses païennes qui ont lieu le 25 décembre : les fêtes en l’honneur du dieu Saturne à Rome, le culte de Mithra et la fête du soleil invaincu, « sol invictis »

Les fêtes saturnales

Le 25 décembre, les romains célébraient la fête de Brumelia en l’honneur de Saturne. Le terme de « Brumelia » vient de « bruma » qui signifie « hiver » ou « solstice d’hiver ». Elle était précédée des fêtes saturnales, qui se déroulaient du 17 au 24 décembre, au cours de laquelle les païens célébraient Saturne en tant que dieu des semailles et protecteur des semences. Au jour du solstice d’hiver, les païens attendaient ainsi de leur dieu la chaleur nécessaire pour les semailles du printemps. Les cérémonies religieuses consistaient  en prières adressées à Saturne et en "actions de grâces".

Les fêtes saturnales étaient les plus joyeuses de l’année. Elles étaient l’occasion de ripailles, de somptueux repas, voire d’orgies. Au cours de ces journées, les divisions sociales entre les Romains et les esclaves étaient censées être oubliées. Les esclaves retrouvaient la liberté et pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Selon Macrobe[15], toute licence était aussi permise aux esclaves pendant ces jours de fêtes. Les maîtres devaient même les servir. Il est en effet d’usage « pendant les saturnales, d’accorder toute licence aux esclaves. »[2] Parmi les esclaves était choisi un roi éphémère. Les fêtes saturnales étaient aussi une fête en faveur des pères et des mères.

C’était enfin un temps de réconciliation. Les riches pouvaient régler les dettes de leurs amis. On faisait cesser les hostilités. Le sénat vaquait. Les tribunaux étaient fermés. Il était interdit d’exécuter les criminels. On purifiait aussi les maisons. 

A la fin de cette période, lors de la fête des sigillaires[3], les Romains avaient l’habitude d’offrir des cadeaux, notamment aux enfants. Lors de cette journée, ils offraient des figures de formes humaines en terre cuite sur l’autel de Saturne pour assurer sa protection en signe d’"expiation".

Les Saturnales, Mosaïque de Pompé
Selon la religion romaine, Saturne[4] fut chassé de l’Olympe par son fils Jupiter pour avoir enseigné aux hommes l’agriculture[5] et l’usage de la charrue. Accueilli par Janus[6], le dieu des portes, il s’installa à Rome au pied du Capitole, enseignant aux Latins outre l’agriculture, la taille de la vigne, les premières lois et l’utilisation de la monnaie pour faciliter les échanges. Les poètes célèbrent son règne comme un âge d’or. La déesse Lua puis plus tard la déesse Opi[7] est la femme de Saturne. Leur union assure la prospérité et le bien-être aux hommes. Les fêtes saturnales remémorent ce temps d’abondance et de liberté. Elles représentent donc un temps de prospérité et de liberté. Selon Philocore[16], la fête des saturnales a été institué afin que « les pères de famille goûtassent avec tous leurs gens ces récoltes et ces fruits qu’ils avaient fait venir, en se livrant tous ensemble aux travaux des champs ; maître et esclaves, tous se réjouissaient en commun. » Au pied du Capitole se trouvait le temple de Saturne, dans lequel reposait le trésor de Rome. Saturne a été associé au dieu grec Chronos.

D’où viennent les fêtes saturnales ? Il existe de nombreuses hypothèses. En règle générale, elles sont considérées comme très anciennes. Elles auraient eu lieu avant même la fondation de Rome[8]. D’abord réduites à une journée, nuit comprise, Auguste les a étendues à trois jours, auxquels Caligula en ajouta un quatrième. On y a associé ensuite la fête des sigillaires. Les fêtes saturnales finissent par compter sept jours sous Dioclétien.


Mithra et ses attributs

Le mithracisme

Mithra est un dieu d’origine indo-iranienne dont le culte s’est répandu dans l’empire romain. Dans le Veda[9] indien, il est le soleil qui se lève, le ciel pendant la journée, un dieu solaire ou luminaire. Il est connu sous la domination de Mitra, « celui qui fait payer leurs dettes aux hommes ». Son culte s’est rapidement décliné. Dans l’Avesta[10] perse, il est le dieu de lumière et de sagesse, le symbole de justice, devenu plus tard le dieu du Soleil. Il en est devenu la personnification. Il est aussi le Dieu des contrats. Son culte ne cesse de prendre de l’importance. Chez les Perses, Mithra est vénéré de manière officielle au VIème siècle après Jésus. On le retrouve dans le zoroastrisme (Ahura - Mazda) et dans le manichéisme.


Il est difficile de définir les mythes qui entourent Mithra car ils évoluent énormément selon les influences. Il s’est en effet mêlé à de nombreuses religions. Après avoir été un dieu majeur dans un panthéon de divinités, il est devenu un ange lumineux, un serviteur du dieu de lumière, qui intercède auprès du dieu suprême pour les hommes, puis il est redevenu un dieu mais cette fois-ci unique. D’une manière générale, Mithra est associé au Soleil. Son avènement est donc naturellement fêté le 25 décembre.

Le culte de Mithra finit par gagner l’empire romain. Les premières allusions de Mithra à Rome datent de 96 après Jésus-Christ. Selon Plutarque[16], le culte aurait été introduit en Occident en 67 avant Jésus-Christ par des pirates ciliciens capturés par Pompée. Vers 160, les légions romaines de Syrie vouent un culte à Mithra. Des temples lui sont dédiés du II au VIème siècle sur toute l’étendue de l’empire romain. Julien l’Apostat en est un disciple. On suppose que le culte de Mithra est une « orientalisation » du vieux culte romain en un temps où l’Orient attirait les regards.

Le mithracisme est le culte de Mithra accompagné d’une initiation et d’un enseignement ésotérique. Il est fortement associé à l’astronomie, à la cosmologie et au symbolisme. Il tend à s’approcher de ce que sera le gnosticisme. Est associée au culte une organisation secrète hiérarchisée à laquelle s’ajoute un serment qui lie les membres lors d’un rituel. Les disciples du mithracisme forment en effet un ordre initiatique de sept degrés où l’on peut seulement y accéder après une sélection rigoureuse et élitiste, chaque degré d’initiation gardant ses secrets inaccessibles aux membres des degrés inférieurs. On observe la loi du silence. Aujourd’hui encore, nous les ignorons.


Les cérémonies comportent toujours un sacrifice d’un taureau dont le sang devait garantir l’immortalité de l’initié dans une sorte de "baptême". Les adorateurs suivent des rites de purification, d’abstinence et de "communion".

Le « sol invictus »


Dans le but d’unifier l’empire dans une même religion, l’empereur Aurélien institue un nouveau culte centré sur un point commun : la divinisation du Soleil. En 274, il décrète qu’au jour du solstice d’hiver, on célèbre le soleil invincible, le « sol invictus ». C’est la fête de sa naissance, « natalis solis invicti », « la naissance du soleil invaincu ». Il fait bâtir un temple en son honneur, crée un collège de pontifes du Soleil, choisis parmi les citoyens de rang sénatorial[11], et organise un culte officiel. Par cette fête, l’empereur Aurélien veut donc unifier toutes les religions en une seule : le culte du soleil invaincu, un soleil qui se lève chaque matin, qui, chaque année, réimpose sa domination sur la nuit après le solstice d’hiver lorsque recommence à croître la durée du jour. La date du 25 décembre correspond donc à la renaissance du soleil invaincu, la victoire de l’astre lumineux sur la nuit.

Il n’est pas le premier empereur à vouloir instituer un culte au Soleil. En 218, l’empereur Héliogabale (218-222) aurait introduit à Rome le culte du dieu solaire El Gabal dont il était grand-prêtre, afin qu’il supplante toutes les autres divinités. Il est adoré à Éphèse en Syrie romaine. Son culte est attesté au II et IIIème siècle. Il aurait porté le nom de « sol invictus » comme le dieu Mithra. Est-ce pour cela qu’il est parfois confondu à Mithra[12] ? El Gabal est un des dieux dont le culte héliolâtrique est très recherché à Rome. 

Selon l’auteur d’une Histoire Auguste de la fin du IVe siècle, Héliogabale aurait voulu transférer dans le temple du Soleil « les religions des Juifs, des samaritains et les rites chrétiens, afin que le clergé d’Héliogabale détienne les mystères de tous les cultes »[13]. Tous les magistrats et tous les prêtres devaient invoquer en priorité El Gabal lors des sacrifices publics[14]. Mais sa tentative fut un échec. Héliogabale fut éliminé en 222.

Conclusion

Le jour du solstice d’hiver, célébré le 25 décembre depuis le calendrier Julien, est, par son symbolisme, un jour de célébration religieuse pour la fête antique des saturnales mais aussi pour le mithracisme et tous ces cultes orientaux centrés sur le Soleil. L’« héliolâtrisme » est une des caractéristiques des religions au II et IIIème siècle de notre ère au point qu’Aurèlien a cru unifier l’empire sous une même religion centrée sur le Soleil. Depuis deux siècles déjà, le christianisme s’est répandu dans l’empire romain et au-delà. L’empereur a voulu aussi y englober la religion nouvelle.

Pourtant, en dépit d’une date commune, ces célébrations religieuses n’ont aucun rapport. Dans les Saturnales, elle annonce l’abondance et la prospérité, la licence et la débauche populaire. Dans le mithracisme, dédié plus aux élites, elle traduit la lumière, la justice, la vérité. Enfin, dans la vaine tentative d’Aurèlien, vain effort de syncrétisme des religions en vigueur, on voit l’idée ingénieuse d’unifier un empire devenu fragile, de plus en plus influencé par un Orient qui s’impose au détriment des traditions antiques romaines. 

Les défenseurs de la religion romaine comme Celse s’opposeront aux influences des religions orientales et à leur culte solaire. La mort tragique d’Héliogabale montre encore l’incompatibilité de ces rites venus d’Orient avec l’âme païenne de la ville éternelle. Devons-nous alors croire que la religion païenne de Rome, le mithracisme et la religion d’El Gabal ont même origine du fait qu’ils ont choisi une même date pour leur célébration ? Si effectivement, ces cultes n’ont aucune relation, pourquoi devons-nous alors croire que la fête de Noël provient aussi de ces religions ?

Au-delà de la date, il est en fait plus pertinent d’approfondir la connaissance de ces religions et de connaître la signification de la célébration de ces différents cultes pour identifier une relation, une influence ou une filiation quelconque. Ces exemples montreraient seulement peut-être deux choses : la capacité de l’homme à découvrir au travers des phénomènes naturels des symboles riches de sens, capables d’illustrer des idées religieuses (abondance, renaissance, victoire, opposition lumière et ténèbres, etc.) et le besoin de l’homme d’associer aux cultes religieux des faits naturels. La date du 25 décembre nous renvoie donc vers une lecture de la Création au regard de sentiments religieux, ou plus exactement vers une conception de la nature et de Dieu. C’est donc au travers de cette conception qu’il est possible de comparer légitimement les religions et de percevoir leurs relations. Tout autre comparaison n’est que superficielle…




Notes et références
[1] Profession de foi de Constantinople, 1ère Concile de Constantinople, 381, denz. 150.
[2] Macrobe, Saturnales, livre premier. Macrobe, néoplatonicien du Ve siècle.
[3] Le terme de « sigilaire » vient du latin, « sigillum », qui signifie « sceaux », ou « cachet de cire », ou dérive de « signum » (statue).
[4] Le nom « saturne » viendrait de « satu », « semence » selon Varron, écrivain et savant romain, né vers 116 et mort vers 27 avant J.C. .
[5] Plutarque présente Saturne comme l’inventeur de l’agriculture et le dieu des richesses dans Religions de la Grèce, ou recherche sur l’origine, les attributs et le culte des principales divinités helléniques, Pierre-Nicolas Rolle, 1828.
[6] Selon Macrobe, Janus aurait été le roi d’une région d’Italie. Il aurait accueilli Saturne venu de la mer et lui aurait appris l’art de l’agriculture. Janus et Saturne battirent deux villes voisines. Après la disparition de son ami, Janus aurait institué une fête en son honneur. Voir Macrobe, Saturnales, livre premier.
[7] Nom tiré probablement d’« Ops », la Terre.
[8] Selon Festus, le Capitole était appelé « mons Saturnius » avant la fondation de Rome. Le culte de Saturne viendrait des Phéniciens. Voir Religions de la Grèce, ou recherche sur l’origine, les attributs et le culte des principales divinités helléniques, Pierre-Nicolas Rolle, 1828.
[9] Ensemble de textes dits de visions du védisme puis du brahmanisme et de l’hindouisme.
[10] Ensemble de textes sacrés de la religion perse puis plus tard du mazdéisme.
[11] Voir Contra christianos, La critique sociale et religieuse du christianisme des origines au concile de Nicée (45-325), Xavier Levieils, édition Walter de Gruyter, 2007.
[12] Voir Jours de fêtes : histoire des célébrations chrétiennes, Robert féry, édition du Seuil, 2008.
[13] www.empereurs-romains.net.
[14] Voir Contra christianos, La critique sociale et religieuse du christianisme des origines au concile de Nicée (45-325), Xavier Levieils.
[15] Macrobe, écrivain, philosophe latin, auteur notamment des Saturnales. Il est né vers 370 après J.C.
[16] Philocore, historien grec mort en 260 avant J.C.
[16] Plutarque, philosophe grec de la Rome antique, né vers 46 et mort vers 125.

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