" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 29 janvier 2016

Les failles des théories mythiques



Selon certains beaux penseurs, y compris chrétiens, les événements bibliques ne seraient que des mythes. De manière périodique, des revues dites spécialisées nous le rappellent sans-cesse sans se lasser. Or toujours selon ces faiseurs de chimères, un mythe dissimule des vérités qu’il faut dévoiler. Il faudrait donc rechercher celles qui se cachent dans les récits de la Sainte Écriture. Pour y parvenir, des experts élaborent de belles méthodes, novatrices et révolutionnaires, censées remplacer l’exégétique traditionnelle, devenue obsolète et ringarde. Les théories et les méthodes ne manquent donc pas depuis le XIXe siècle, se succédant rapidement sans pourtant apporter les résultats escomptés. Heidegger, Jung, Freund, et bien d’autres ont inspiré bien des solutions.

En dépit de la diversité et de l’ingéniosité des exégètes aux solutions miraculeuses, nous retrouvons les mêmes principes, les mêmes procédés, les mêmes objectifs. En partant du principe que le christianisme est d’origine humaine, c’est-à-dire une religion comme une autre, fondée sur des fictions et non sur des faits historiques avérés, ils le comparent avec les diverses religions, les récits mythiques et légendaires, voire folkloriques, afin de déterminer des filiations et des dépendances, et pour les plus ambitieux la religion primitive, originelle. Ainsi derrière l’étalage de science qui accompagne des déclarations prometteuses, nous retrouvons parfois une volonté continue de dénigrer et de s’opposer à la foi chrétienne, à l’Église et à son enseignement. Dans notre article, nous présentons les principales failles des méthodes employées en nous bornant aux récits évangéliques.

Les « plagiats » du christianisme

La méthode la plus répandue pour démontrer des liens de dépendance entre les récits évangéliques et un mythe censé être plus ancien est de les rapprocher puis de juxtaposer les éléments similaires pour faire naître des liens de dépendance. Comme le mythe est supposé plus ancien, la conclusion paraît évidente : le christianisme les a empruntés pour forger une nouvelle fable. Par ces parallélismes en apparence frappants, on tente de montrer que le christianisme a plagié les religions païennes de manière volontaire ou inconsciente. On dénonce par ailleurs son manque d’originalité, voire l’esprit mensonger des premiers chrétiens. Finalement, on en déduit que le christianisme n'est que la survivance du paganisme sous une nouvelle forme d’expression religieuse, ou encore une synthèse des religions au temps de son développement.

Les exemples de comparaisons ne manquent pas. Notre Seigneur Jésus-Christ est ainsi comparé à  Isis, le dieu sauveur, qui ressuscite après avoir été tué, à Asclépios, un dieu sauveur, médecin des âmes, ou encore à Mithra, le dieu solaire, né dans une grotte. On rappelle aussi les naissances miraculeuses de certains dieux, provenant de l’union d’immortels avec des femmes dont certaines sont vierges, enfantant alors un homme-dieu. La déesse Cybèle est souvent évoquée. Son titre de mère des dieux nous renvoie à celui de Sainte Marie. On compare aussi les éléments cultuels, les sacrifices, les formes de piété. L’eucharistie et le baptême sont ainsi comparés aux rites du mithracisme, au taurobole notamment. La fête de Noël est associée aux fêtes saturnales, aux célébrations du Mithra ou encore au jour solennel du « sol invictus »[1]. Tout est bon à comparer, même l'incomparable…

Toutes ces comparaisons s’appuient sur des connaissances qui proviendraient notamment des découvertes archéologiques. Tout cela semble sérieux et scientifiquement démontré. Tant de similitudes entre les récits évangéliques et les histoires païennes nous conduiraient à croire que le christianisme ait été fortement influencé par les religions païennes au point d’en être une forme évoluée. Est-ce vraiment le cas ?

Une tactique forte ancienne

Cette méthode n’est en fait guère nouvelle. « Vous avez converti les sacrifices des païens en agape, leurs idoles en martyrs à qui vous offrez les mêmes hommages ; vous apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments ; vous célébrez les mêmes fêtes que les Gentils, comme les calendes et les solstices… »[2] Cette accusation est celle de Faustus, manichéen au temps de Saint Augustin, au IVème siècle (entre 350 et 400).

Elle provient aussi des païens eux-mêmes. Au IIème siècle, Celse utilise à profusion « la méthode comparative pour ravaler les dogmes chrétiens au rang des antiques fictions et des légendes périmées »[3]. La naissance virginale de Notre Seigneur Jésus-Christ serait des vestiges des fables de Danaé, de Mélanippe, d’Augé et d’Antiope. Le récit de sa résurrection ne serait qu’une copie de l’histoire d’Aristée de Proconnèse. Mais son attitude est ambigüe puisqu’en même temps, il flétrit le christianisme comme étant une innovation en rupture avec la religion des aïeuls.

Les Juifs accusent aussi les Chrétiens d’imiter les païens. « Vous devriez rougir de raconter les mêmes choses qu'eux »[4] en parlant de la naissance virginale de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Enfin, cette méthode a souvent été reprise dans un passé plus proche par les adversaires de l’Église. Voltaire compare ainsi les religions dans le but de montrer que le christianisme n’est qu’une copie dégradante et décadente du paganisme.

Trop de suggestions

Le triomphe de Dionysos
Il est parfois très rapide de déceler l’imposture dans les ouvrages qui accumulent les comparaisons entre le christianisme et les religions antiques pour ensuite affirmer des filiations. Or de tels ouvrages n’abordent pas sérieusement leurs croyances et leur fonctionnement. Ils ne font que multiplier des rapprochements et des ressemblances, juxtaposant des éléments semblables, pour que leur accumulation emporte l’adhésion. Finalement, « on suggère plus qu’on ne démontre. »[5].

Parfois, il ne s’agit que de simples allusions. Mais elles dévoilent suffisamment de graves lacunes et de profondes ignorances de la part de leurs auteurs. Après avoir évoqué les déesses antiques, l'un d'entre eux affirme par exemple  que « la théologie de Sainte Marie reprend et parfait les conceptions immémoriales, asiatiques et méditerranéennes, de la parthénogénèse (faculté d’autofécondation) des Grandes Déesses. »[6] Il n’hésite pas à parler de la divinisation de Sainte Marie.

Un peu de recul, de connaissances et d’esprit critique suffisent pour déceler et dénoncer de telles impostures.

Des erreurs philologiques

Les ressemblances qu’on évoque avec plus ou moins de détails sont-elles bien réelles ou artificielles ? Telle est une des questions que nous devons nous poser. Ou dit autrement, proviennent-elles des faits eux-mêmes ou de leur description ? Les similitudes qu’on exhibe parfois avec force peuvent en effet être purement fictives au sens où elles n’existent que dans les mots et non dans la chose en elle-même.

De manière générale, de telles similitudes peuvent provenir de deux erreurs ou fautes caractéristiques. D’une part, la religion antique est décrite avec un regard moderne, profondément influencé par le christianisme. Sans être chrétiens, ce sont bien une main et un esprit façonnés par une société christianisée qui écrivent et comparent, qui interprètent et projettent leurs idées. Même l’adversaire le plus acharné du christianisme ne peut se défaire de cet héritage encore vivace. L’image qu’on donne d’un récit antique est alors imprégnée de christianisme. On ne parvient pas si facilement à prendre le recul nécessaire pour se détacher de son environnement, de ses habitudes intellectuelles, de sa façon de penser. Il est aussi très probable que cette description soit fortement teintée d’esprit chrétien de manière volontaire afin de mieux souligner les similitudes recherchées…

Prenons un exemple. Dans un ouvrage savant, on présente Osiris comme un Dieu-Sauveur qui meurt violemment avant de ressusciter ou encore de sa résurrection après un baptême dans les eaux du Nil. Toujours dans le même ouvrage, on décrit les mystères de Mithra et d’Attis : « le néophyte participait rituellement à un scénario liturgique autour de la mort et de la résurrection (ou de la re-naissance) de la divinité. En somme, l’initiation réalisait une sorte d’imitatio dei. »[7] Ou « le premier repas initiatique se réduit en somme à l’expérience de la valeur sacramentaire du pain et du vin ». On n’hésite pas ainsi à parler en théologien pour expliquer les cultes païens. Les Égyptiens auraient-ils développé une théologie qu’ils nous auraient transmise avec une si grande précision ?

Certes, il est parfois nécessaire et inéluctable d’utiliser des références chrétiennes, suffisamment connues par l’opinion, pour faciliter la compréhension d’une religion et d’un culte devenus étrangers et inaccessibles tant les principes et les idées auxquels elle se référe nous sont inconnus. Les lecteurs ont besoin de se raccrocher à des choses et à des images qu’ils connaissent et qu’ils peuvent manipuler pour comprendre. Un passé enfoui n’est abordable que s’il est traduit dans un langage que nous pouvons entendre. Nous retrouvons ce même besoin dans la science lorsqu’il s’agit de vulgariser une théorie complexe. Nous retrouvons aussi les mêmes erreurs[8]. À force de simplifier et d’interpréter, on finit par égarer le lecteur, voire par le tromper. Ainsi le langage employé pour décrire un mythe est imprégné de concepts chrétiens. Finalement, des similitudes naissent dans la description quand elle est en fait absente dans le fait décrit.

D’autre part, il est difficile de décrire des religions sans employer le langage actuel, son style, son vocabulaire, eux-mêmes influencés par le christianisme. On arrive même à employer la terminologie chrétienne, parfois volontairement. Cet abus de langage crée alors de la confusion, invente des liens, provoque des parallèles. Les similitudes ne proviennent pas alors des faits en eux-mêmes mais des mots. Elles n’existent pas dans la réalité historique mais uniquement dans l’esprit du lecteur.

Cette confusion est encore accrue lorsqu’on emploie des mots comme s’ils étaient éternels, comme si les générations les ont toujours employés avec le même sens, la même signification, le même esprit. C’est méconnaître l’inéluctable évolution de la langue. Il est donc trompeur de souligner une ressemblance en partant des mots seuls. Certains ouvrages manquent de rigueur et de prudence dans les termes employés. Ont-ils au moins recours à la philologie pour justifier leurs discours ?

Ainsi tout parallélisme qu’on tente d’établir entre deux faits si éloignés dans le temps et l’espace est-il véridique ou artificiel ?

Des erreurs historiques

Une autre erreur consiste à décrire une religion antique comme éternellement figée et immuable. Or, elle a nécessairement évolué au cours du temps, en particulier sous l’influence des religions qu’elle a rencontrée ou des circonstances notamment politiques. En se répandant, elle a généralement absorbé des éléments provenant d’autres religions et d’autres pratiques. Mithra en est un exemple caractéristique. Quand on parle d’une religion déterminée, faut-il donc l’associer à une époque précise, à une phase de son développement, sinon on arrive à des confusions regrettables. Le paganisme de Julien l’Apostat, fortement influencé par le christianisme, ne peut être comparé au paganisme de ses aïeuls. La rigueur historique permet ainsi d’éviter bien des confusions.

Tout en étant très antiques par ses origines, des mythes incorporent des éléments d’âge plus récent et moins ancien que les récits évangéliques. Certains d’entre eux font l’objet d’une cure de rajeunissement, en particulier pour s’opposer au christianisme. Les cas d’Apollonius de Tyane ou d’Asclépios en sont des exemples caractéristiques. Le mithracisme et le néo-paganisme ont aussi imité son adversaire pour le combattre comme l’attestent de nombreux historiens. Les défenseurs de la foi ont rapidement souligné ces plagiats manifestes, voire caricaturaux.

Prenons l’exemple du culte d’Isis. D’abord localisé dans une ville parmi d'autres avant de s'imposer localement puis dans toute l'Égypte, il devient culte public avec l’avènement des rois. Puis après Ptolémée, elle devient un culte à mystère en 300 avant Jésus-Christ, devenant une sorte de synthèse entre les religions grecques et égyptiennes. Reprenant les attributs de plusieurs divinités, il s’identifie aussi à Dionysos et à Asclépios, devenant un dieu universel, maître du ciel et de la terre. Introduit à Rome sous Caligula, elle devient fortement marquée par un rituel impressionnant et par l’espoir d’immortalité pour ses adeptes. D’abord fortement associé à Isis, Osiris est ensuite remplacé par Sérapis par Ptolémée. Le premier est dans certains mythes présenté comme le dieu du royaume des morts, retrouvant la vie après être dépecé par son frère, quand le second est plutôt décrit comme le dieu du Soleil, un dieu qui ne meurt point. Nous voyons donc dans les religions antiques une très grande fluctuation. Elles ne sont pas aussi figées que nous pouvons le croire. À l’époque de Notre Seigneur Jésus-Christ, le culte d’Isis version Sérapis prédomine.

Il est en fait très difficile de fixer la chronologie d’un mythe ou d’une religion. Tout n'est qu'hypothèse et intuition. Cela nécessite beaucoup de prudence, d’hypothèses, de sens critique, bien souvent absents dans les articles des beaux penseurs, si affirmatifs dans leurs déclarations.

Question de sources historiques

Lorsque des savants nous décrivent avec détails et certitude des religions orientales comme celles des mystères orientaux, nous sommes un peu déconcertés. Leurs connaissances soulèvent de sérieuses questions. D’où viennent-elles ? Comment les connaissent-elles ? Ce sont en effet des cultes à mystère, fondés sur une initiation. Localisées, peu répandues et destinées à une certaine élite, ces religions gardent secrets leur savoir, l’organisation de leurs cérémonies, et tout ce qu’elles contiennent, secrets jalousement gardés que seuls les initiés peuvent connaître.

Cependant, certaines religions ont dévoilé une part du mystère qui les recouvrait. Le mystère d’Osiris provient par exemple essentiellement d’un historien grec de l’ère chrétienne, vers le IIIe siècle. Tout en le décrivant avec un esprit grec et un vocabulaire évolué, dans un monde qui commence à devenir chrétien et qui entre en conflit avec la nouvelle religion, il le décrit comme s’il était sous sa forme originelle. Comme cette description porte quelques influences chrétiennes, on finit par croire que la religion originelle qu’il semble décrire a influencé le christianisme. Conclusion bien hâtive et peu convaincante !

Le plus souvent, notre connaissance des religions anciennes ne provient pas directement de sources historiques fiables. Elle est même difficile, voire impossible, pour les cultes à mystère qui ont su préserver leurs secrets. Le passé nous laisse en fait peu de traces pour comprendre réellement ce que croyaient et pratiquaient des hommes à une époque lointaine. Il faut donc être prudent lorsqu’on nous donne une description précise d’une religion antique, surtout lorsqu’elle n'est censée être connue que par des initiés.

Ressemblances superficielles

Mais en dépit de toutes les difficultés que nous venons de décrire, imaginons que nous connaissions une religion antique telle qu’elle était pratiquée et crue. Imaginons aussi que ses croyances soient clairement connues dans ses concepts et sa terminologie. Faisons en plus l’hypothèse que nous disposons suffisamment de preuves pour être convaincus de son antiquité. Enfin, supposons que nous trouvions des points de ressemblances avec le christianisme en toute objectivité. Reste alors à démontrer qu’il y a imitation, copie ou plagiat. En effet, si nous pouvons établir des ressemblances, cela signifierait-il nécessairement qu’il y a imitation ou dépendance ? Le simple fait d’établir des parallélismes ne suffit pas en effet pour le démontrer. En restant sous ce seul plan, nous sommes encore loin de la démonstration, de la science. Il ne s’agit pas en effet de persuader mais de convaincre.

Devons-nous par exemple croire que la vieille religion romaine ou le mithracisme aient influencé le christianisme car le jour de Noël correspond à la date d’une de leurs célébrations ? Le solstice d’hiver n’a pas le même sens pour les Romains fêtant les fêtes saturnales, les disciples de Mithra ou du « sol invictus », ou pour les Chrétiens. La similitude n’implique pas systématiquement imitation. Un symbole identique peut en effet revêtir plusieurs significations différentes. Le jugement ne doit donc pas s’arrêter à l’image mais aller jusqu’au concept qu’elle est censée porter.

Revenons aux réalités humaines

Loin de toute volonté polémique ou fallacieuse, les similitudes entre religion soulèvent en fait une question intéressante à se poser. Pourquoi certains éléments, porteurs de symboles, sont-ils communs à des religions éloignées dans le temps et l’espace ? Pourquoi le solstice d’hiver est-il si prisé par les religions ? Pourquoi des hommes emploient-ils les mêmes images tout en l’enrichissant de sens différents ? La cause réside probablement dans l’origine et le développement de la religion. Prenons le cas du christianisme. Des païens convertis ne peuvent oublier le contexte religieux dans lequel ils ont vécu. Ils ont nécessairement repris des attitudes et des symboles païens, fortement ancrés dans leur existence et dans leurs pensées, tout en les vidant progressivement de l’esprit païen pour les emplir lentement de l’esprit chrétien. La langue notamment s’enrichit progressivement de nouveaux mots et concepts tout en gardant des termes anciens. La forme demeure mais l’esprit change radicalement. L’Occident ne s’est pas fait chrétien en un jour. Ainsi au-delà du culte, du rite, de la fête, faut-il chercher l’esprit qui l’anime.

Nous voyons l’Église fortement préoccupée de prendre en compte cette réalité humaine. Lors de la conversion des peuples anglo-saxons, le missionnaire Saint Augustin de Canterbory raconte au pape Saint Grégoire le Grand une étrange habitude des païens convertis. Avant la messe, ils se livrent à une sorte de repas rituels à l'imitation des païens. Saint Grégoire lui demande de ne pas interdire cette coutume si elle n’est pas contraire à l’esprit chrétien pour laisser le temps faire son ouvrage. Elle finit en effet par disparaître progressivement et par être interdite lorsque le moment opportun était venu.

Ainsi, au lieu de chercher des similitudes pour établir des parallèles, parfois très sophistiqués, probablement dans l’esprit fallacieux de démontrer l’origine humaine du christianisme, il faut surtout comprendre la cause des similitudes et prendre en compte l’esprit qui anime ces points similaires. Faut-il aussi comprendre les dépendances contextuelles et discerner, au-delà des ressemblances formelles, les dissemblances profondes qui se cachent derrière les symboles. En clair, il faut resituer les points similaires dans leur environnement en prenant en compte les réalités humaines, beaucoup plus prégnantes que nous le pensons. L’homme a besoin de temps pour modifier son comportement et sa vision du monde, pour se libérer de ses erreurs et de ses habitudes afin de s’attacher aux vérités. Cessons donc de croire en l’homme virtuel, qui d’une baguette magique serait devenu l’homme chrétien tel qu’il le sera plusieurs siècles après sa conversion. Ne pensons pas dans l’éternité…

Le véritable élément comparatif

Au-delà des conclusions hâtives et pernicieuses, nous pouvons voir dans ces similitudes formelles, mêmes artificielles, un point commun essentiel, voire fondamental, entre un grand nombre de religions : le besoin inhérent à tout homme de se raccrocher à des éléments qui lui sont proches pour exprimer ses croyances et organiser un culte. L’idée du sacrifice est probablement identique à toutes les religions. Le soleil vainqueur des ténèbres est un bel exemple de symbole pour décrire le processus naturel de la vie, cycle comprenant la naissance, l’affaiblissement, la mort puis la renaissance.

Les différents et nombreux religions et cultes révèlent le besoin d’établir des liens avec Dieu ou des divinités. Or comment peuvent-elles y parvenir, Dieu étant inaccessible et invisible ? L’homme a besoin de symboles, de faits sensibles et concrets pour exprimer des choses insensibles et accéder à un monde inatteignable de manière naturelle. Où peut-il trouver ces « moyens d’expression » si ce n’est dans les manifestions de la présence divine, c’est-à-dire dans la nature ? Les ressemblances que nous pouvons trouver dans les religions montrent finalement ce sentiment fort de la présence de Dieu dans les choses qui entourent les hommes, dans leur vécu, dans leur histoire personnelle et collective. L’homme est un être religieux profondément concret. Les concepts ne suffisent pas pour nourrir sa foi.

Nous comprenons alors les véritables dissemblances qui séparent les religions. S’il utilise les choses qui l’entourent comme moyens d’expression de ses croyances, l’homme les regarde différemment selon la religion qui l’anime. Le disciple de Mithra regarde-t-il le Soleil comme l’adepte du culte d’Isis ou de la vieille religion romaine ? Pour confronter deux religions, faut-il alors comparer la vision qu’elles ont du monde, de la vie et de l’homme. Or comment est-il possible de voir dans les idées de Création ex-nihilo et de Providence, propres au christianisme, une quelconque origine dans le paganisme ?

Des silences significatifs

Dans de nombreux articles défendant l’origine païenne du christianisme et des récits évangéliques, nous constatons souvent que leur auteur oublie d’évoquer l’influence chrétienne dans les religions païennes. Nous avons souvent évoqué cette influence dans les exemples manifestes d’Apollonius de Tyane ou de Julien l’Apostat [11]. Pire encore, on insinue que le christianisme les a imités ! Mais admettre cette influence revient à souligner la nouveauté et la force du christianisme.

Le combat acharné qu’ont mené les véritables défenseurs du paganisme montre en outre l’incompatibilité profonde du christianisme avec la société dans laquelle elle se répand. Le paganisme et le christianisme sont fondamentalement opposés. Les idées de Providence, de Création ex-nihilo, de Résurrection sont inconcevables pour les païens. Or ces idées reposent dans les symboles, dans le rite, dans les récits. Comment pouvons-nous alors croire à une dépendance religieuse entre eux en dépit des ressemblances ?

Enfin, ces « savants » oublient le combat qu’a mené l’Église pour s’opposer à toute confusion dans son enseignement et dans son culte. Dans ses sermons sur Noël, le Pape Saint Léon insiste pour dénoncer ceux qui demeurent fidèles à des attitudes païennes qui manifestent un attachement au culte du soleil. Il condamne par exemple l’habitude païenne de se retourner vers le soleil levant, et, courbant la tête, de s’incliner en l’honneur du soleil. « Que les fidèles rejettent donc de leurs habitudes cette damnation perversité et se gardent de mêler l’honneur dû à Dieu seul aux rites d’hommes qui sont esclaves des créatures. »[9] Il revient alors à la signification chrétienne du jour de Noël, au sens exact du symbolisme chrétien.

Certes le christianisme ne refuse pas l’usage des symboles que peut nous donner la nature mais, comme nous le rappelle Saint Paul, il faut éviter les abus afin de demeurer dans la foi. Il faut user « avec mesure et selon la raison, de toute la beauté des créatures et de toute la parure de ce monde. » (I. Cor., IV, 18)

Les récits, le culte, les symboles, etc. sont donc associés à un enseignement officiel. Les dissocier revient alors à ne plus les comprendre et à établir des similitudes erronées, fondées non sur des réalités mais sur des convictions injustifiées, c’est-à-dire sur des a-priori.

Conclusion

L’étude de comparaison des religions nécessite beaucoup de prudence, de rigueur philologique et historique, et finalement de sens critique, très souvent absents dans de nombreux articles et ouvrages. « Fautes de ces précautions préalables, tout flotte au gré du dilettantisme érudit. »[10] Bien aventureux, présomptueux et insensés sont ceux qui pensent trouver dans des ressemblances plus ou moins superficielles entre les religions païennes et le christianisme des causes, des imitations et des liens de dépendance. Leur force de persuasion réside plus sur notre ignorance et nos naïvetés, sur une méconnaissance profonde des réalités humaines, sur notre silence. De telles études révèlent le plus souvent une volonté fallacieuse de s’attaquer au christianisme. L’objectivité et l’honnêteté y sont souvent absentes. Combattre de telles erreurs revient souvent à démasquer et à dénoncer cette malhônneteté…





Notes et références
[1] Voir Émeraude, janvier 2016, article "Noël et les fêtes païennes".
[2] Faustus dans Contra Faustum, XX, 4, de Saint Augustin, Patrologie latine, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, III, cerf, 2005.
[3] Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, 2ème partie, I.
[4] Saint Justin, Dialogue avec Tryphon, LXVII, 1, trad. par M. de Genoude, numérisé par Marc Szwajcer, édition Royer, 1843.
[5] Chantepie de la Soussaye, Préface au Manuel d’histoire des religions, 1904 dans Préface de Hervé Duchêne, Cultes, Mythes et Religions, Reinach, Robbert Laffont, Bouquin, 1996.
[6] Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome II, , n°238, Payot, 1978.
[7] Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome II, n°205.
[8] Voir Émeraude, décembre 2015, article « Relativité et relativisme ».
[9] Saint Léon, 7ème Sermon de Noël, §5, Sermons, Tome I, les éditions du cerf, 2008.
[10] Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, 4ème partie, VI, Cerf, 2005.

[11] Voir notamment Émeraude, décembre 2015, articles "Julien l'Apostat, un exemple d'évolution religieuse", "Contre Julien l'Apostat, un abîme entre le christianisme et la paganisme" et "Apollonius de Tyane, un exemple de l'influence chrétienne sur le paganisme".

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