" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 1 août 2015

Le judaïsme selon Saint Irénee de Lyon

Après Saint Justin et Tertullien, nous allons poursuivre notre étude sur le judaïsme en écoutant un autre chrétien influent du christianisme, Saint Irénée (v. 130, v. 202) Évêque de Lyon, il est un des Pères de l’Église. Originaire d’Asie Mineure, il est de culture grecque et écrit en grec. Il n’est guère éloigné de la période apostolique. Il a connu Saint Polycarpe, lui-même disciple de Saint Jean.

Saint Irénée est bien différent de Saint Justin et de Tertullien. Plus jeune, il a grandi dans le sein de l’antique Église contrairement aux deux autres défenseurs de la foi qui ont été convertis du paganisme. Il témoigne donc de la plus ancienne tradition. Il ne cherche pas à être innovant ou original. Il veut simplement transmettre fidèlement ce qu’il a reçu des « Anciens ». Contrairement aussi aux deux apologistes, Saint Irénée occupe de hautes fonctions dans l’Église. S’adressant uniquement aux fidèles, il fait œuvre d’enseignement et de théologie, soucieux d’approfondir la foi. Il écrit non en philosophe ou en missionnaire mais en prédicateur.

Contre les Hérésies

Son principal ouvrage est intitulé Révélation et Réfutation de la prétendue Gnose, habituellement appelée Contre les Hérésies. Il est consacré à la lutte contre le gnosticisme. Cette hérésie menace l’Église en déformant et en combattant son enseignement. Elle tente de remplacer le christianisme par une religion dualiste, remettant notamment en cause l’origine divine de l’Ancien Testament. Pour la combattre, Saint Irénée présente et analyse d’abord les doctrines des différentes sectes gnostiques puis expose la foi selon l’enseignement de l’Église à partir de la Sainte Écriture et de la Sainte Tradition.

C’est au cours de cette deuxième partie qu’indirectement, il traite de l’Ancienne Loi et du peuple juif. Son discours s’inscrit en effet dans l’exposition du plan de Dieu, un plan qui manifeste sa Sagesse et sa Bonté, sa Justice et sa Miséricorde. Pour défendre la vérité et combattre l’hérésie, il est en effet indispensable de présenter le lien qui unit la Création à la Rédemption, lien que les gnostiques n’hésitent pas à rompre par leur dualisme. De même, pour saisir les relations entre le judaïsme ancien et le christianisme, il faut revenir à ce plan. Or ce plan se manifeste clairement dans la Sainte Écriture. Ainsi faut-il y revenir.

Au commencement, Dieu a créé le monde à partir de rien et a fait l’homme selon sa ressemblance. Tombé dans le péché, Adam a entraîné le monde et le genre humain dans sa chute. Mais Dieu ne l’a pas abandonné dans sa déchéance. Il a œuvré pour sa délivrance selon trois étapes : « dans l’Ancien Testament, par les prophètes, il s’est manifesté aux hommes en tant que Seigneur ; par son Fils, il leur a fait don d’une filiation adoptive ; et dans son règne, Dieu se révèlera notre Père. »[1] L’homme verra Dieu. Ainsi la Rédemption parachève la Création de manière surabondante. C’est le même Dieu qui est Créateur et Sauveur. Ainsi Saint Irénée combat-il les gnostiques qui, par leur dualisme, distinguent et opposent le Créateur et le Sauveur.

Contre le gnosticisme, Saint Irénée démontre alors que :
  • le Créateur est le même que le Dieu dont témoigne Notre Seigneur Jésus-Christ ;
  • Notre Seigneur Jésus-Christ nous fait connaître Notre Créateur ;
  • Notre Seigneur Jésus-Christ est le même Christ qui a été annoncé par l’Ancien Testament.
Comme Saint Justin et Tertullien, Saint Irénée se justifie par les Saintes Écritures qu’il cite selon la Septante. Il reconnaît sa valeur et son authenticité. Il rappelle son origine miraculeuse. Il s’appuie aussi sur des arguments historiques pour attaquer les gnostiques sur le terrain dogmatique. Il les traite de novateurs et « dénonce sans cesse la fragilité de leur christianisme qui n’a ni tige ni racine, en face duquel se dresse le témoignage authentique de la foi apostolique originelle. »[2] Il en appelle ainsià la Sainte Tradition qui témoigne de la Sainte Écriture.

En exposant le plan de Dieu, Saint Irénée en vient à plusieurs reprises à parler du peuple juif et de l’Ancien Loi, loin de toute polémique ou débat avec les Juifs. Ainsi est-il intéressant de l’écouter afin d’entendre l’enseignement de l’Église…

La voie de la véritable connaissance de Dieu

Contre le gnosticisme, qui distingue le Dieu Créateur et le Dieu du Salut, Saint Irénée démontre qu’il existe un seul Dieu, auteur des deux Testaments, à partir des paroles mêmes de Notre Seigneur Jésus-Christ, paroles que reconnaissent aussi les gnostiques. Les Patriarches, les Prophètes et Notre Seigneur Jésus-Christ reconnaissent tous un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre. Notre Seigneur n’annonce pas un autre Dieu que Celui-ci, rendant témoignage au Créateur qui s’est révélé dans l’Ancien Testament. Ils obéissent aussi au même commandement : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l’unique Seigneur. » (Ps, CXX, 2). Moïse et Notre Seigneur Jésus-Christ emploient les mêmes paroles. Selon le Christ Lui-même, les écrits de Moïse sont ses propres paroles. Notre Seigneur Jésus-Christ atteste ainsi publiquement que les prophéties parlent de Lui. Il est le Fils de Dieu dont l’existence est annoncée dans la Sainte Écriture. L’Ancien Testament annonce donc Dieu le Père et Dieu le Fils.

« Le peuple entier a entendu pareillement, mais tous n’ont pas cru pareillement pour autant. »(IV, 6, 6). Tous ne peuvent pas en effet connaître le Père et le Fils sans la volonté de Dieu. C’est par le Verbe que le Père est connu. Sans le Fils, nul ne peut connaître le Père. « La connaissance du Père, c’est le Fils » mais « quant à la connaissance du Fils, c’est le Père qui le révèle par l’entremise du Fils. » (IV, 6, 7). Finalement, « sans le bon plaisir du Père comme sans le ministère du Fils, personne ne connaîtra Dieu. »(VII, 3). La Sainte Écriture ne suffit donc pas pour connaître Dieu.


Or les Juifs n’ont pas reconnu le Verbe. « Ils se sont imaginé qu’ils pourraient connaître Dieu par le Père lui-même, sans le Verbe, c’est-à-dire sans le Fils. » (VII, 4). A plusieurs reprises, Saint Irénée blâme « la prétention des Juifs à posséder Dieu tout en méprisant son Verbe, par qui Dieu est connu » (IV, 6, 1) Par conséquent, Dieu le Père leur est inconnu. Les Juifs se sont fermés à la connaissance de Dieu.

Une surabondance de grâces

Dans les deux Testaments, se trouvent des choses anciennes et des choses nouvelles comme l’enseigne Notre Seigneur Jésus-Christ à ses disciples. « Les choses anciennes sont la Loi antérieure, et les nouvelles, la vie selon l’Évangile. » (IV, 9, 1)[3]. Les Prophètes ont aussi annoncé la venue de choses nouvelles, une nouvelle Loi différente de celle du mont Horeb. Le Nouveau Testament est donc en germe dans l’Ancien Testament.

Or c’est le même qui extrait ces choses du « trésor ». Le Maître de Maison [4] est Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est Lui qui a fixé l’ancienne Loi, adaptée aux « esclaves encore grossiers » (IV, 9, 1), comme c’est Lui qui a donné la nouvelle Loi « aux hommes libres et justifiés par la foi des préceptes appropriés et ouvrant aux enfants son propre héritage. »(IV, 9, 1)

Les choses nouvelles ont une valeur supérieure aux choses anciennes. La Loi nouvelle est en effet supérieure à la Loi ancienne. « Il y a ici plus que le Temple. » (Matth., XII, 6). « La grâce de la liberté est donc supérieure à la Loi de la servitude » (IV, 9, 2). Notre Seigneur Jésus-Christ donne plus que le Temple, plus que Salomon, plus que Jonas. C’est pourquoi « la grâce de la liberté » s’est répandue dans le monde. Notre Seigneur Jésus-Christ a aussi annoncé à ses disciples des choses encore plus grandes que celles des temps anciens. Le propre Fils de Dieu, le même Christ que Celui qui a été prêché par les Prophètes, s’est rendu présent, nous faisant connaître le Créateur de toute chose.

Les Prophètes annoncent la Loi nouvelle dans l’Ancien Testament. Or Celui qui l’a annoncé « au bon plaisir du Père » devait aussi l’établir. Il ne peut y avoir qu’un seul salut, qu’un seul auteur du salut, qu’un seul Dieu. C’est le même qui annonce le salut et le fait réaliser. C’est le même qui donne aux uns et aux autres selon « son bon plaisir ». Cependant, il y a plusieurs degrés pour élever l’homme jusqu’à Dieu…

Mais si nous refusons de reconnaître le même auteur dans les Lois anciennes et nouvelles, comment la Sainte Écriture peut-elle rendre témoignage de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Elle témoigne en effet de Lui « en instruisant par avance les hommes de la venue de son Fils et en leur annonçant le salut qui vient de Lui. » (X, 1) Nombreux sont en effet les prophéties et les figures qui annoncent le Fils dans l’Ancien Testament. L’ingratitude des Juifs qui se manifeste par leur rejet du Christ a aussi été prédite. Cela explique aussi l’attente de nombreux Prophètes et Justes. « Comment les Écritures lui rendraient-elles témoignages, si un seul et même Dieu n’avait, en tout temps, tout révélé et montré à l’avance […] ? »(XI, 1) 

Par la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ, il y a donc une surabondance de grâces. La joie de ceux qui L’ont vu a été plus grande que celle qu’ont pu éprouver ceux qui L’ont espéré. Elle a été donnée, non pas à cause de changements de l’homme, mais à cause d’un don de Dieu.

Ainsi à ceux qui ont reconnu et servi son Fils, Dieu le Père a rendu libres mais à ceux qui L’ont méprisé et ne Lui sont pas soumis, Il a apporté la ruine définitive en les retranchant de la vie. Sont aussi voués à la mort ceux qui recherchent la gloire purement humaine par des purifications toutes extérieures ou encore ceux qui sont emplis de zèle hypocrite, cupide et malicieux.

Le dépassement de la Loi ancienne

Ceux qui affectaient de suivre l’ancienne Loi ne faisaient qu’obéir à des traditions contraires à cette même Loi. Telle était l’accusation de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Ils ont dressé contre elle leur propre loi, qu’on appelle encore aujourd’hui loi pharisaïque. » (XII, 1). Ainsi comment pouvaient-ils reconnaître Notre Seigneur Jésus-Christ alors qu’ils n’étaient pas soumis à « la Loi de Dieu qui les orientait vers la venue du Christ » (XII, 1) ?

Ils accusaient injustement Notre Seigneur Jésus-Christ de ne pas appliquer la Loi alors qu’ils transgressaient le commandement essentiel de Dieu, à savoir l’amour envers Dieu. Lui-même demandait son application puisqu’il venait de Dieu. « Ce peuple m’honore des lèvres mais leur cœur est loin de moi ; c’est en vain qu’il me rende un culte, car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des commandements d’hommes. » (Is., XXIX, 13, Voir Matth., XV, 8-9) Comme Saint Paul nous le dit à leur sujet, ils ne sont pas soumis à la Loi de Dieu et ont voulu établir leur propre justice.

Ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas venu abolir la Loi. Il est venu l’accomplir et la dépasser. « Si votre justice ne dépasse celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Matth., V, 20) Il s’agit de ne pas croire seulement au Père mais aussi à son Fils, seule voie d’union à Dieu, de ne pas se contenter de dire mais de faire, et de se garder non seulement des actes mauvais mais même de leur désir.

Des hommes devenus libres

Adaptée à des esclaves, l’ancienne Loi « éduquait l’âme par les choses extérieures et corporelles, en l’amenant comme par une chaîne à la docilité aux commandements, afin que l’homme apprît à obéir à Dieu. » (IV, 1, 2) Mais Notre Seigneur Jésus-Christ a libéré l’âme. Il a enlevé à l’homme les chaînes de la servitude auxquelles l’homme s’était accoutumé afin qu’il puisse suivre Dieu sans chaînes. Il a par conséquent étendu les préceptes de la charité et accru la soumission à l’égard de notre Libérateur. « Le service de la liberté est plus considérable et plus glorieux que la docilité de la servitude. » (IV, 13, 2) Nous devons donc désormais agir en hommes libres. Notre Seigneur Jésus-Christ « ne nous a pas libérés pour que nous nous détachions de Lui – nul ne peut, placé hors des biens du Seigneur, se procurer la nourriture du salut –, mais pour que, ayant reçu plus abondamment sa grâce, nous l’en aimions davantage et que, l’ayant aimé davantage, nous recevions de Lui une gloire d’autant plus grande quand nous serons pour toujours en présence du Père. » (IV, 13, 3)

La liberté, un don de Dieu

Cette libération est un don de Dieu. Le salut de l’homme ne Lui apporte rien, étant parfait. « A Dieu, il n’apporte rien, car Dieu n’a pas besoin du service des hommes ; mais, à ceux qui le servent et le suivent, Dieu procure la vie, l’incorruptibilité et la gloire éternelle. »(IV, 14, 1) L’initiative provient de Dieu de manière gratuite. Lui qui n’a besoin de rien accorde sa communion à ceux qui ont besoin de Lui. « La gloire de Dieu, c’est de persévérer dans le service de Dieu » (IV, 14, 1) En suivant le Fils de Dieu, nous sommes glorifiés par Lui.

Ainsi apparaît le plan de Dieu. Depuis le commencement, Dieu, créateur de toute chose, a modelé l’homme en vue de ses dons, a formé en avance son peuple, l’a instruit par les Prophètes, accoutumant l’homme à porter son Esprit et à s’unir à Dieu, imposant la Loi appropriée. « Il dessinait, tel un architecte, l’édifice du salut » (IV, 14, 2).

Finalité de l’ancienne Loi : enseignement et prophétie

Dieu n’a aucunement besoin de la Loi. Elle a été imposée aux Juifs en vue de leur bien. La Loi est un puissant moyen pour éduquer un peuple toujours enclin à revenir aux idoles et pour l’accoutumer à demeurer dans le service de Dieu. Par le charnel, il l’appelle au spirituel, par le terrestre au céleste. Les prescriptions de la Loi répondent en outre à leur dureté et à leur soumission. Elle leur apprend donc à craindre Dieu et persévérer dans son service. Elle est donc enseignement. Elle est enfin une prophétie des choses à venir, notamment par les figures qu’elle contient.


La Loi est cependant marquée d’une certaine indulgence. Pouvons-nous alors la taxer de faiblesses comme le font les gnostiques ? Non aucunement. L’indulgence est parfois la voie la plus sûre pour préserver l’essentiel dans cet art difficile qu’est l’éducation comme le savent si bien les bons éducateurs. Dans le cas des Juifs, elle les attache plus sûrement à Dieu. L’indocilité des Juifs est-elle aussi une marque de faiblesse de la Loi ? Pas davantage. Car Dieu laisse à l’homme son libre-arbitre afin que « ceux qui auront désobéi soient jugés justement pour avoir désobéi et que ceux qui auront obéi et cru en Lui soient couronnés d’incorruptibilité. » (IV, 15, 2) La faiblesse réside donc dans l’homme et non dans la Loi divine.

Si la Loi ne contient aucune faiblesse, elle demeure cependant inefficace pour le salut des âmes. La circoncision, le sabbat et les autres prescriptions ne confèrent aucunement la perfection de la justice. Les prescriptions de la Loi sont en effet inefficaces puisque une multitude des Justes comme Adam, Lot, Enoch et bien d’autres encore ont été justifiés avant que ces prescriptions ne soient données. « La Loi n’a pas été établie pour le juste. » (IV, 16, 3) Les Justes antérieurs à Abraham et à Moïse n’avaient pas besoin de la Loi car « ils possédaient en eux-mêmes la justice de la Loi. » (IV, 16, 3) Et c’est parce que la justice et l’amour envers Dieu sont tombés dans l’oubli que la Loi a été donnée.

Les prescriptions de l’ancienne Loi sont enfin données comme des signes. « Et ces signes n’étaient ni vides de signification ni superflus, donnés qu’ils étaient par un sage Artisan. »(IV, 16, 1) La circoncision préfigure la circoncision éternelle. Elle est aussi un signe d’appartenance à la race d’Abraham. Le sabbat est le signe de la persévérance dans le service de Dieu tout au long du jour et du royaume en lequel l’homme fidèle reposera.

L’ancienne Loi est ainsi à la fois prophétie et enseignement. Elle est donnée comme signe et pour la servitude. Désormais, Notre Seigneur Jésus-Christ a aboli les préceptes de la Loi par la nouvelle alliance de liberté. Les préceptes naturels convenant aux hommes libres ont été accrus. Il leur a accordé de connaître Dieu comme Père par la filiation adoptive et d’aimer davantage leur Père. Nous avons reçu le pouvoir de la liberté. Ainsi devons-nous nous rendre compte à Dieu de nos actes, de nos paroles, de nos pensées. « C’est davantage dans l’exercice de la liberté qu’on éprouve si l’homme respecte et aime le Seigneur » (IV, 16, 5).

Le véritable sacrifice
Sacrifice d'Abel

Les sacrifices de l’ancienne alliance sont non plus d’aucun profit pour la justice. Dieu préfère l’obéissance qui sauve aux holocaustes. « Le sacrifice pour Dieu, c’est un cœur contrit et humilié, Dieu ne le méprisera pas. » (Ps., L, 18-19) Les sacrifices sont en outre bien inutiles à Dieu. Il n’a besoin de rien. « Immole à Dieu le sacrifice de la louange et acquitte tes vœux envers le Très-Haut ; invoque-moi au jour de la détresse, et je te délivrerai, et tu me glorifieras. » (Ps., IL, 14-15) Cependant, il n’exclut pas les sacrifices mais enseigne aux hommes le sacrifice véritable, « celui par l’offrande duquel ils se rendront Dieu favorable et obtiendront de Lui la vie. » (IV, 17, 2) Dieu attend de l’homme la foi, l’obéissance et la justice comme le proclament les Prophètes. « Je veux la miséricorde plus que le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes. » (Os., VI, 6)

Les sacrifices de l’ancienne alliance sont aussi obsolètes. Comme l’a annoncé le prophète Malachie, ils ont été remplacés par un sacrifice désormais offert en tout lieu. Le nom de Dieu est dorénavant glorifié par toutes les nations. « Je ne prends pas plaisir en vous, dit le Seigneur tout-puissant, et je n’agréerai pas de sacrifice de vos mains ; car du levant au couchant, mon nom est glorifié parmi les nations, et en tout lieu de l’encens est offert à mon nom, ainsi qu’un sacrifice pur : car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant. »(Mal., I, 10-11)

Les sacrifices de l’ancienne Loi ont en effet été remplacés par l’oblation de l’Église. L’offrande n’est désormais plus faite par des esclaves mais par des hommes libres. Seule l’Église offre désormais un sacrifice pur. « Les Juifs ne l’offrent plus : leurs mains sont pleines de sang, car ils n’ont pas reçu le Verbe par qui l’on offre à Dieu. »(IV, 18, 4)

Le plan de Dieu

Ainsi Dieu a été vu « par l’entremise de l’Esprit selon le mode prophétique, puis vu par l’entremise du Fils selon l’adoption, il sera vu encore dans le royaume des cieux selon la paternité, l’Esprit préparant d’avance l’homme pour le Fils de Dieu, le Fils conduisant au Père, et le Père lui donnant l’incorruptibilité et la vie éternelle, qui résultent de la vue de Dieu et participent à sa splendeur. » (IV, 20, 5) Un seul Dieu, un Dieu unique, a appliqué un plan adapté à l’homme pour arriver à ses desseins. « Il fallait que des annonces préalables fussent faites, selon un mode propre aux patriarches, par les patriarches ; qu’ensuite des préfigurations fussent offertes, selon un mode propre à la Loi, par les prophètes ; et qu’enfin la forme achevée fût présentée, en conformité avec la réalité plénière manifestée dans le Christ, par ceux qui ont reçu la filiation adoptive » (IV, 25, 3)

Les Patriarches et les Prophètes ont annoncé la venue du Fils de Dieu, « annonçant qui et quel il serait, afin que les hommes qui viendraient après eux, ayant la crainte de Dieu, accueillent aisément la venue du Christ, instruits qu’ils seraient par les Écritures. » (IV, 23, 1) Ainsi la grossesse extraordinaire de Sainte Marie a pu être acceptée par Saint Joseph, des Juifs ont pu suivre Notre Seigneur Jésus-Christ. « Aujourd’hui, cette Écriture se trouve accomplie à vos oreilles. » (IV, 23, 1) C’est pourquoi aussi les Apôtres peuvent démontrer par les citations des textes sacrés que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant.

Le peuple juif a donc été privilégié par cette instruction. Pour les Juifs, « l’enseignement était aisé, puisqu’ils avaient les preuves tirés des Écritures » (IV, 24, 1). Il suffisait d’écouter Moïse et les Prophètes. Mais les Juifs ont méprisé les paroles de Dieu, ne les mettant pas en pratique. Ils sont privilégiés par rapport aux Gentils. Les difficultés sont bien plus grandes pour les païens. Ils doivent rompre avec l’idolâtrie, croire en un seul Dieu, croire en Notre Seigneur Jésus-Christ, obéir aux commandements divins, etc. Tout un enseignement étranger, une doctrine nouvelle, une morale exigeante. D’où de plus grandes difficultés pour ceux qui doivent prêcher auprès des Gentils.

Le privilège du peuple chrétien



Cependant, les privilèges du peuple juif ne lui enlèvent pas les difficultés qui résident dans la Sainte Écriture. Le Christ est en effet annoncé de manière voilée comme un « trésor caché dans le champ » (Jér., IX, 1). Il est signifié par les paraboles et les figures qui ne peuvent être comprises qu’avec l’accomplissement des prophéties. « Obstrue ces paroles et scelle ce livre jusqu’au temps de l’accomplissement, jusqu’à ce que beaucoup apprennent et que la connaissance abonde ; car lorsque la dispersion aura pris fin, ils comprendront toutes ces choses. » (Dan., XII, 4, 7) Les prophéties ne sont qu’énigmes et ambiguïtés pour les hommes. Elles deviennent claires lorsqu’elles sont accomplies. Or en dépit de leur accomplissement, les Juifs ne les comprennent toujours pas « car ils n’ont pas ce qui est l’explication du tout, à savoir la venue du Fils de Dieu comme homme. » (IV, 26, 1) Ils n’ont pas la clé qui ouvre l’exacte interprétation. « Au contraire lue par les chrétiens, elle est ce trésor naguère caché dans le champ, mais que la croix du Christ révèle et explique : elle enrichit l’intelligence des hommes, montre la sagesse de Dieu, fait connaître les « économies » de celui-ci à l’égard de l’homme […] » (IV, 26, 1)

Car les Apôtres et leurs successeurs ont reçu « le sûr charisme de la vérité selon le bon plaisir du Père » (IV, 26, 2). C’est en eux que nous pouvons nous instruire de la vérité, c’est-à-dire en « ceux en qui se trouvent réunies la succession dans l’Église depuis les apôtres, l’intégrité inattaquable de la conduite et la pureté incorruptible de la parole » (IV, 26, 5)[5]. Il existe en effet de nombreux « presbytres » qui passent pour tels alors qu’ils ne sont que de mauvais serviteurs. « On doit donc se détourner de tous les hommes de cette espèce, mais s’attacher au contraire à ceux qui, comme nous venons de le dire, gardent la succession des apôtres et, avec le rang presbytéral, offrent une parole saine et une conduite irréprochable, pour l’exemple et l’amendement d’autrui. » (IV, 26, 4) La Sainte Tradition réside en eux.

En conclusion, « ce n’est pas inutilement, sans raison, au hasard, que fut donné le premier Testament : d’une part, il courba sous une servitude à l’égard de Dieu ceux à qui il était donné, et cela en vue de leur propre avantage, car Dieu n’avait nul besoin du service des hommes ; d’autre part, il montra une figure des choses célestes, parce que l’homme ne pouvait encore voir de ses yeux les choses de Dieu, il offrit une image anticipée des réalités de l’Église, pour que fût affermie notre foi, et il renferma une prophétie de l’avenir, afin que l’homme apprît que Dieu sait par avance toute chose. » (IV, 32, 2)

Les erreurs des Juifs

Revenons sur les erreurs des Juifs que décrit Saint Irénée. Il considère les Juifs comme « de mauvais intendants » (X, 3) qui sont jaloux de la surabondance de grâces qui est donnée dans la nouvelle Loi. En rappelant un oracle de David, Notre Seigneur Jésus-Christ nous apprend alors la cause de leur jalousie. Ils ne connaissent ni le sens des Écritures ni l’économie de Dieu.

L’attitude des Juifs n’est pas une surprise puisque la Sainte Écriture l’a annoncée. Elles « déclarent ouvertement que toutes les autres nations auront part à la vie et […] montrent que ceux-là même qui se vantent d’être la maison de Jacob et le peuple d’Israël sont déchus de l’héritage de la grâce de Dieu. » (III, 21, 1) Ils n’ont pas voulu abandonner leurs privilèges.

Les Juifs « n’ont pas reçu le Verbe de liberté, ni voulu être affranchis alors qu’ils avaient au milieu le Libérateur ; à contretemps et en dehors de la Loi, ils ont affecté de rendre à Dieu un culte dont celui-ci n’a nul besoin ; ils n’ont pas reconnu la venue du Christ que celui-ci effectua pour le salut des hommes ; ils n’ont pas voulu comprendre que tous les prophètes avaient annoncé deux venues de celui-ci » (IV, 33, 1)

Conclusion

Saint Irénée est dans la continuité de l’enseignement des Apôtres. Il reprend les arguments de Saint Justin et de Tertullien tout en soulignant davantage la nécessité de la foi pour comprendre. Mais son regard dépasse ces apologistes afin de mieux saisir le plan de Dieu. Face aux gnostiques, il définit la véritable gnose chrétienne et la source dans laquelle il faut la puiser. 

Dieu se fait connaître par sa grâce. Et sa connaissance passe par le Fils comme le Fils est connu par le Père. La Sainte Écriture participe à cette connaissance. Mais elle ne suffit pas. La Tradition qui réside dans les Apôtres et ses successeurs légitimes est nécessaire puisqu’ils ont reçu le don nécessaire pour comprendre la Parole de Dieu. En refusant de reconnaître le Messie, les Juifs se sont fermés à cette connaissance. Tel est le malheur d’un peuple qui persévère dans son aveuglement et dans son asservissement. La véritable gnose se trouve donc en Notre Seigneur Jésus-Christ qui apporte la liberté nouvelle au salut mais aussi les exigences qui lui sont associées. L’Église est désormais dépositaire de cette gnose.

Nous voyons donc la différence entre le judaïsme et le christianisme. Par son refus, le judaïsme s’enferme dans une prétention aveugle et dans une ignorance insurmontable. Il est œuvre humaine. Il se revendique illégitimement comme peuple de Dieu et dépositaire de sa Parole. Le christianisme est l’accomplissement de la volonté de Dieu en vue du salut. L’Église a été fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle est du plan de Dieu. Elle est la continuation d’une histoire qui a commencé par la Création.


Notes et références
1 Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, II, éditions de l’Orante, 1963.
2 Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, II, éditions de l’Orante, 1963.
3 Bon argument pour montrer la pertinence des termes « Ancien Testament » et « Nouveau Testament ». Rappelons en effet que ces termes ont tendance à être remplacés par « Premier Testament » et « Deuxième Testament ».
4 Voir la Parabole du Maître de Maison.

5 Voir Tite, II, 8.

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