" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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samedi 10 septembre 2016

"Hors de l'Église, point de salut"

Dans son discours d’ouverture, le Pape Jean XXIII souhaitait que le second concile de Vatican clarifie l’enseignement de l’Église pour favoriser l’unité des Chrétiens dans un contexte favorable au rapprochement. La constitution dogmatique Lumen Gentium [1] définit notamment ce qu’est l’Église. En effet, il n’est guère possible de parler de l’unité des Chrétiens sans définir ce qu’est l’Église et des relations qui existent entre l’Église et les communautés dites séparées. Le texte conciliaire distingue l’Église du Christ, l’Église catholique et les autres communautés.


Le second concile de Vatican ne définit pas l’Église en fonction de sa nature ou de ses membres mais en fonction des instruments de salut qu’elle possède. Il est dit que l’Église catholique possède seule en plénitude les moyens de salut que Notre Seigneur Jésus-Christ a fournis à l’Église alors que les autres communautés les possèdent partiellement. Ainsi ces dernières possèdent des moyens de salut même si leur force est tirée de l’Église catholique. De même, l’Église catholique possède seule en plénitude la vérité, les autres églises les possédant partiellement. C’est dans ce sens que l’Église « subsiste dans » l’Église catholique[2].

L’objectif de clarification voulu par l’initiateur du concile ne nous semble pas atteint, bien au contraire. La doctrine que nous venons de résumer nous semble trop succinctement définie dans la constitution dogmatique et soulève de nombreuses questions. L’ambiguïté des termes employés et le manque de précisions ont ainsi obligé la congrégation de la foi à intervenir à plusieurs reprises pour définir le sens du texte. Aujourd’hui encore, elle désoriente les catholiques. Elle semble en effet remettre en cause l’enseignement traditionnel de l’Église au point de favoriser le relativisme ou l’indifférence religieux. Que devient en effet l’adage : hors de l’Église, point de salut ? Doit-il être abandonné pour suivre l’orientation du second concile de Vatican ? Notre article revient sur cette citation célèbre...

Selon Saint Cyprien de Carthage

La phrase est tirée d’une œuvre de Saint Cyprien de Carthage, intitulée De l’Unité de l’Église. Elle a été écrite pour s’opposer à des schismatiques[3]. L’Église est l’« épouse du Christ », nous dit-il. « Elle nous garde pour Dieu, elle met au monde des enfants pour son Royaume. » Ainsi, continue-t-il, celui qui quitte l’Église commet un adultère. « Il ne pourra pas obtenir ce que l’Église promet. Celui qui abandonne l’Église du Christ ne recevra pas les récompenses du Christ. » Par conséquent, « c’est un étranger, un adversaire et un ennemi. » En effet, « on ne peut pas avoir Dieu pour Père quand on n’a pas l’Église pour mère. » Comme seul le bateau de Noé a pu sauver l’humanité du déluge, « personne ne peut se sauver en dehors de l’Église. »[4]

La position de Saint Cyprien est claire. Les textes post-conciliaires reviennent souvent sur son ouvrage pour légitimer le mouvement œcuménique sans évoquer sa doctrine de l’exclusivisme salutaire. Notons qu’elle donnera lieu à un conflit avec le Pape car elle s’inscrit dans son refus de reconnaître la validité des baptêmes conférés par des prêtres schismatiques.

Saint Cyprien soutient en effet qu’ils font rebaptiser ceux qui ont reçu le baptême par des hérétiques ou des schismatiques. Dans une lettre qu’il adresse à Quintus, il justifie sa position : « il est manifeste que ceux qui ne sont pas dans l'Église du Christ sont au nombre des morts, et qu'on ne peut recevoir la vie de celui qui n'est pas lui-même vivant, attendu qu'il n'y a qu'une Église qui, ayant obtenu la grâce de la vie éternelle, tout ensemble vit éternellement, et vivifie le peuple de Dieu. »[5] La citation est explicite dans deux des lettres de Saint Cyprien[6].

Selon Origène

Toujours au IIIe siècle, en Orient, Origène a le même discours : « que personne donc ne s’illusionne, que personne ne se trompe lui-même : hors de cette demeure, c’est-à-dire hors de l’Église, personne n’est sauvé. » Ainsi « celui qui en sort est lui-même responsable de sa mort »[7]. Le texte est tiré d’une homélie sur le récit historique de Josué et de l’installation des Juifs en Palestine. Il interprète la conquête de la Terre promise sous la conduite de Josué comme l’image charnelle de la conquête spirituelle du Royaume des Cieux sous la conduite de Jésus, le chef du nouvel Israël qu’est l’Église. L’homélie daterait de 239-242. Origène évoque aussi le récit de Rahab. Sa maison, figure de l’Église, est seule sauvée de la destruction de Jéricho[8] car elle-seule a recueilli les envoyés de Josué. Tous ceux qui y demeurent sont sauvés de la mort. Hors du bercail, dont Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule entrée, aucune brebis ne peut être sauvée.

Deux remarques

Saint Cyprien et Origène parlent essentiellement de ceux qui ont quitté l’Église en rompant l’unité de foi ou l’unité de gouvernement en adhérant à une hérésie ou à un schisme. Ils traitent aussi des apostats et des excommuniés, c’est-à-dire ceux que l’Église a retranchés de son sein. Mais ils ne traitent pas du cas des incroyants et des croyants des autres religions sans oublier les chrétiens qui, sans jamais avoir appartenu à l’Église, ne vivent pas en communion avec elle.

La deuxième remarque concerne le terme de l’Église. Saint Cyprien et Origène évoquent l’Église comme étant visible et non d’une éventuelle Église invisible ou spirituelle. Leurs discours traitent de problèmes concrets, ancrés dans une réalité bien comprise.

Sens de l’adage « Hors de l’Église, point de salut » 

L’adage exprime que, hors de l’Église, l’homme ne peut pas se sauver. Il n’existe pas d’autres portes de salut, d’autres voies pour gagner son éternité. Saint Cyprien compare l’Église à une mère qui par définition donne la vie. Certes elle n’est pas cause de la vie mais plutôt le canal par lequel elle se donne. Mais il ne suffit pas de renaître pour vivre, encore faut-il garder cette vie. L’Église donne donc aussi les moyens de la préserver, de la développer, de la fortifier. C’est pourquoi Saint Cyprien compare les hérétiques et les schismatiques à des morts. Ils ont reçu la vie mais ils ne l’ont plus. Le salut appartient à ceux qui possèdent la vie que seule l’Église peut donner et maintenir…

L’adage définit donc l’Église comme seule dispensatrice du salut. Il s’oppose donc clairement à l’idée selon laquelle d’autres religions détiennent des moyens de salut. Face au monde, elle affirme son exclusivité.

Si Saint Cyprien ou Origène sont les premiers auteurs chrétiens connus à avoir explicitement formulé l’adage « Hors de l’Église, point de salut », la vérité qu’elle exprime est nettement plus ancienne.

Un Pasteur, une Église

Rappelons d’abord qu’à plusieurs reprises, Notre Seigneur Jésus-Christ s’affirme comme seul Sauveur et unique Pasteur. Il est « le chemin, la vérité et la vie », nous dit-Il (Jean, XIV, 6). Hors de lui, point de salut. Sa mission est justement de sauver les hommes. Il est le Messie tant attendu qui doit établir le Royaume de Dieu. Il est le Pasteur qui doit rassembler le troupeau. « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jean, IX, 9). Il est l’unique Sauveur…

Les Apôtres prêchent la même nécessité, la même exclusivité. « Le salut n’existe pas en aucun autre ; car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. »(Actes des Apôtres, IV, 12)

L’Église, institution de salut

Avant son Ascension, Notre Seigneur Jésus-Christ avertit les Apôtres qu’Il doit les laisser. Puis, il « fut enlevé au ciel » (Marc, XVI, 19). Il ne les laisse pas seuls. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles. » (Matthieu, XXVIII, 20) Pour poursuivre son œuvre, Il fonde l’Église. Selon la doctrine catholique, Notre Seigneur Jésus-Christ « a résolu de construire la Sainte Église dans laquelle, comme dans la maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient réunis par le lien d’une seule foi et d’une seule charité » afin de « rendre durable l’œuvre du salut de la Rédemption »[9].

Notre Seigneur Jésus-Christ a acquis les moyens de salut au profit de l’homme. L’Église doit désormais les appliquer. Ainsi les Apôtres sont les « serviteurs du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. »(I Épître aux Corinthiens, III, 11). Elle est bien une institution de salut. Elle précède la communauté, la fonde et la maintient. Elle est ensuite la société des fidèles. Cela ne signifie pas qu’elle n’est qu’institution de salut…

L’ordre de mission que reçoivent les Apôtres est une conséquence de la mission dévolue à l’Église. L’évangélisation n’a pas de sens si elle n’est pas liée à l’idée du salut. « Allez par tout le monde et prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » (Marc, XVI, 15-16) Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ signifient d’une part que le baptisé peut être sauvé. Mais cela ne suffit pas. Pour être sauvé, il y aussi une deuxième condition, l’obligation de croire. Cette dernière est si importante que celui qui n’a pas la foi est nécessairement perdu. « Celui qui ne croira pas sera condamné. »

Mais que croire ? Ce qu’enseignent les Apôtres. À ses disciple, Notre Seigneur leur dit bien : « celui qui vous écoute, m’écoute, et celui qui vous méprise, méprise celui qui vous a envoyé. » (Luc, X, 16) Sodome et Gomorrhe, qui ont été détruites par Dieu pour leur immoralité, seront mieux jugées que ceux qui ont repoussé la prédication chrétienne. Dans leurs lettres, les Apôtres rappellent alors aux différentes communautés qu’elles doivent demeurer fidèles à leur enseignement. Saint Paul prévient aux Galates que, « quand nous-mêmes, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! »(Galates, I, 8) Saint Jean avertit du danger des séducteurs. « Prenez garde, afin que vous ne perdiez pas le fruit de votre travail, mais que vous receviez une pleine récompense. Quiconque va au-delà et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n’a point Dieu : celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils.» (II Jean, 8).

Il faut demeurer dans la lumière pour vivre de la lumière. « Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, vous demeurez aussi dans le Fils et dans le Père. »(I Jean, II, 20) Car Notre Seigneur Jésus-Christ est la lumière, « la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jean, I, 9) Et l’Église porte cette lumière et la répand. Tout l’enseignement de Saint Jean tourne autour de cette fidélité à Notre Seigneur Jésus-Christ et à son enseignement afin qu’Il demeure en nous. « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le vrai Dieu, et nous sommes en ce vrai Dieu, étant en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. » (I Jean, V, 20)

Mais l’évangéliste ne s’arrête pas là. Il demande de ne pas recevoir celui qui répand la mauvaise parole, c’est-à-dire le séducteur et le faux docteur. « Si quelqu’un vient à vous et n’apporte point cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : Salut ! Car celui qui dit : Salut ! participe à ses œuvres mauvaises. » (II Jean, 10-11) Nous retrouvons l’idée de Saint Paul. Nous devons rompre avec les chrétiens qui sont indignes de leur titre de peur de les encourager dans le péché et de diminuer la gravité de leur faute. Ce qui est vrai dans la moralité l’est aussi dans la vérité. Accueillir le mensonge, c’est favoriser sa diffusion ; c’est encourager les hommes à donner confiance aux séducteurs et aux faux docteurs. Ainsi l’Église a le devoir de dénoncer le mensonge et l’erreur, et d’exclure ceux qui pervertissent la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ.


L’Église est donc la continuation de l’action de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le temps et dans l’espace. Certains saints verront même une pleine identification entre l’Église et Notre Seigneur. Selon Bossuet, « c’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et communiqué. »[10]

Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ ne veut « qu’un seul troupeau et un seul pasteur » (Jean, X, 16). Il prie « pour que tous soient un » (Jean, XVII, 21). L’Église est une et indivisible par nature. Saint Paul définit précisément l’Église comme un corps dont la tête est Notre Seigneur Jésus-Christ. Les membres qui forment ce corps vivent de sa vie tant qu’ils restent attachés à la tête. Lorsqu’ils se détachent, ils meurent. La parabole de la vigne en est aussi une belle illustration. Le sarment qui n’est plus rattaché au cep n’en reçoit plus la sève et meurt. La vie n’y circule plus. Hors de l’Église, il n’y a plus de vie.  Il est nécessaire d’appartenir à l’Église pour être sauvé.



Mais quel sens faut-il donner à « appartenir à l’Église » ? Plusieurs cas se présentent. Avant de poursuivre, rappelons brièvement la doctrine catholique sur la sanctification de l’âme.

La grâce sanctifiante

Dieu peut nous communiquer sa vie divine dans une certaine mesure. La vie surnaturelle est cette participation à la vie divine. Le moyen de la verser en nous est la grâce. C’est un don surnaturel que Dieu nous accorde à cause des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est donc par la grâce que Dieu nous conduit à la vie éternelle. Elle est le seul moyen d’atteindre le ciel. Elle est aussi un don, c’est-à-dire une chose gratuite. Elle est enfin surnaturelle puisqu’elle dépasse les exigences de notre nature.

La doctrine catholique distingue deux sortes de grâces : la grâce actuelle, de caractère transitoire, et la grâce habituelle, de caractère permanent. La grâce habituelle réside dans notre âme et la rend juste et sainte aux yeux de Dieu. Elle est ainsi appelée grâce sanctifiante. C’est par elle que Dieu nous fait enfants adoptifs. Par le péché mortel, nous perdons toute grâce. Sans la grâce sanctifiante, il n’est point possible de vivre de la vie divine. 

La question d’appartenance

Par le baptême, le fidèle appartient à l'Église mais s'il ne possède pas la grâce sanctifiante ou s'il n'a pas la foi, il n'appartient qu'extérieurement à l’Église ou encore au corps de l’Église. Il est incorporé à l’Église mais sans avoir la vie divin qui lui assure le salut.

Revenons aux paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Celui qui ne croira pas sera condamné. » Remarquons qu’Il ne dit pas « celui qui ne sera pas baptisé et ne croira pas sera condamné ». D’autres fidèles de Dieu, comme les Justes de l’Ancien Testament, sont justifiés tout en n’ayant jamais reçu le baptême. Des enfants qui meurent sans baptême sont-ils damnés ? Des hommes n’ayant connu que leur île, sans aucun contact avec le monde extérieur, comment peuvent-ils être baptisés ? Selon la doctrine catholique, nous pouvons en effet gagner le salut sans connaître l’Église, notamment dans le cas de l’ignorance invincible[11]. Ces hommes appartiennent en fait intérieurement à l’Église ou encore à l’Âme de l’Église. L’Âme de l’Église comprend tous ceux qui vivent de la grâce sanctifiante.

Enfin, des hommes peuvent appartenir extérieurement et intérieurement à l’Église. Ils appartiennent au Corps et à l’Âme de l’Église. Cette règle est une nécessité de moyen pour tous ceux qui ont une connaissance suffisante de l’Église ou pourraient l’avoir mais restent dans une ignorance volontaire.

Rappelons encore un point essentiel : Dieu peut sauver qui Il veut. Il pourrait conduire l’humanité au salut sans Église. Mais ce n’est pas la voie normale qu’Il a choisie et qu’Il nous a donnée. Par ailleurs, personne autre que Dieu ne sait qui est hors de l’Âme de l’Église ou hors de l’Église. Il est donc inutile de vouloir traiter ces cas particuliers.

Appartenir à l’Âme de l’Église

Pour être sauvé, il faut donc appartenir à l’Âme de l’Église. C’est une nécessité de moyen. « Le moyen doit être saisi tout au moins en désir par celui qui veut atteindre le but auquel est ordonné ce moyen. »[12] Cela signifie que nul ne peut se sauver s’il n’appartient pas à l’Âme de l’Église. Cette loi ne souffre d’aucune exception.

Ceux qui sont dans l’erreur invincible, ceux qui observent leur religion de bonne foi et qui s’efforcent de plaire à Dieu selon les lumières de leur conscience peuvent appartenir à l’Âme de l’Église alors qu’ils ne font pas partie de son corps, du moins extérieurement et implicitement. Selon Pie IX, « nous savons et vous savez qui souffrent d’une ignorance coupable invincible à l’égard de Notre sainte religion, et qui, observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes, gravés par Dieu dans le cœur de tous, et disposés à obéir à Dieu, mènent une vie honnête et droite, peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle ; car Dieu, qui voit parfaitement, scrute et connaît les esprits, les âmes, les pensées et les habitudes de tous, ne permet pas, dans sa souveraine bonté et clémence, que celui qui, n’est pas coupable de faute volontaire soit puni par les supplices éternels. »[13]

Ceux qui sont dans l’ignorance volontaire, qui refusent d’entrer dans l’Église, d’accepter sa doctrine et de pratiquer ses commandements ne peuvent être sauvés. « Il est aussi très connu, ce dogme catholique : que personne ne peut se sauver hors de l’Église catholique, et que ceux-là ne peuvent obtenir le salut éternel qui sciemment se montrent rebelles à l’autorité et aux définitions de l’Église, ainsi que ceux qui sont séparés de l’unité de l’Église et du Pontife romain, successeur de Pierre, à qui a été confiée par le Sauveur la garde de la vigne. » [14]« Ils peuvent donc se sauver car Dieu les jugera sur ce qu’ils auront connu et accompli, non sur ce qu’ils auront ignoré la loi. »[15]

Conclusion





L’Église est ouverte à tous les hommes, sans exception. Tous ont donc la possibilité d’y entrer et d’y demeurer. Rien ne peut entraver l’entrée au Royaume de Dieu. La langue, la culture, la civilisation ne peuvent y faire obstacle. Notre Seigneur Jésus-Christ l’a fondée en lui dotant des pouvoirs et des moyens pour sauver tous les hommes et les ramener à l’unité en Dieu. Mais faut-il encore que l’Église soit connue, qu’elle ait des ouvriers pour répandre la bonne parole et que cette parole soit comprise. Elle a donc pour vocation de se développer et de se répandre afin de rassembler tous les hommes en Dieu. Mais si son rôle est de continuer l’œuvre rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle ne peut aller à l’encontre de l’homme au sens où il peut refuser d’y entrer en connaissance de cause. Par conséquent, libre de son choix, il porte la responsabilité de sa perte. De même, celui qui entre dans l’Église puis la quitte est condamné. Mais celui qui demeure dans l’ignorance invincible, non volontaire, qui peut le juger si ce n’est Dieu ? Soyons certains que Dieu accorde à tous les moyens d’atteindre le ciel et de vivre de son éternité. Nul ne peut échapper à sa miséricorde. Cependant, s’Il est cause de notre bonheur, l’homme est seul responsable de sa perte…

« Hors de l’Église, point de salut » ne doit donc pas être considéré comme une application stricte à tous les cas. L’adage ne peut englober toute la Miséricorde divine. Aucune expression. Il doit être vu comme un principe. « À nouveau nous devons mentionner et blâmer la très grave erreur dans laquelle malheureusement se trouvent certains catholiques qui pensent que des hommes vivant dans l’erreur et loin de la vraie foi et de l’unité catholique peuvent parvenir à la vie éternelle. Or cela est contraire au plus haut point à la doctrine catholique. »[16] Il signifie aussi que selon la volonté divine, quiconque reconnaît l’Église comme une institution divine a le devoir d’y entrer et qu’il ne lui est pas loisible de chercher son salut soit isolément soit dans une autre religion. Celui qui enseigne la Parole de vie doit donc prévenir son auditeur. Qui peut en effet être agréable à Dieu et L’aimer véritablement s’il laisse l’homme demeurer hors de l’Église en toute connaissance de cause ?  Là est la véritable charité…




Notes et références
[1] Voir Émeraude, "Le Concile de Vatican II : Lumen Gentium, source d'interrogations et d'inquiétudes", juillet 2017.
[2] Voir Émeraude, "Mouvement œcuménique : expression "subsistit in" dans Lumen Gentium", juillet 2017.
[3] Voir Émeraude, "La Tunique sans couture", Juin 2017.
[4] Saint Cyprien, De l’unité de l’Église, n°6, texte latin du Corpus Christianorum, séries Latina III, Brepols, 1972, trad. Pierre de Labriolle, www.patristique.org, mise en ligne 2004.
[5] Saint Cyprien, Lettre 71.
[6] Voir Saint Cyprien, Lettre 4, 4 et Lettre 73, 21,2
[7] Origène, Homelia in librum Jesu nave, III, 5.
[8] cf. Juges, II, 17-19.
[9] Concile de Vatican I
[10] Bossuet dans Histoire de l’Église, Dom. Ch. Poulet, chapitre préliminaire, Tome I, Beauchesne, 1935.
[11] L’ignorance est dite invincible lorsque l’ignorant n’a pas les moyens d’être instruit ou de s’instruire.
[12] Précis de théologie dogmatique, Tome II, §139.
[13] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore aux évêques d’Italie, 10 août 1863, Denzinger 2866.
[14] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore, Denzinger 2866.
[15] Abbé Boulanger, La Doctrine catholique, 1ère partie, Le Dogme (Symbole des Apôtres), n°130, 7ème édition, 1925.
[16] Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore, Denzinger 2865.

samedi 3 septembre 2016

Qu'est-ce que l'Église selon la doctrine catholique traditionnelle ?

Après avoir professé sa foi en la Sainte Trinité, le catholique proclame aussitôt sa croyance en l’Église. « une, sainte, catholique et apostolique ». Mais quelle est cette Église ? Nombreuses sont les voix qui nous décrivent, avec plus ou moins d’assurance, ce qu’elle est. N’est-elle que spirituelle et invisible ? Est-elle en voie de construction ou une réalité attendue ? On la réduit aux élus de Dieu en y excluant les pécheurs. On s’interroge aussi sur son origine. Est-elle divine ou ne serait-elle qu’œuvre purement humaine ? Depuis plus d’un siècle, l'Église fait ainsi l’objet de diverses théories et de remises en cause. On se dispute ainsi inlassablement ; on se défie dans l’indifférence. Depuis quelques années, son image est même devenue encore plus floue tant la voix des autorités de l’Église catholique est devenue confuse, imperceptible, voire inaudible. Le second concile de Vatican a certainement contribué à cette situation en écrivant que l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique. Qu’est-ce que finalement l’Église ?

Mais pour mieux saisir ce qu’elle est, n’écoutons pas les pensées qui naissent un jour, sans aucune racine ni avenir, encore moins celles qui ne font que plaire aux consciences. Lorsque le vent emporte tout, lorsque la tempête se déchaîne, lorsque le ciel fulmine,  il est bon de s’attacher à un roc qui a résisté à tant d’autres orages. Dans ces temps où la vérité et le mensonge s’entremêlent, où le sentiment étouffe l’esprit, où la vanité des hommes est si grande quand leur mémoire est si éphémère, il est parfois bon d’entendre la voix profonde de l’Église qui traverse les siècles sans craindre le regard des hommes. Pour connaître ce qu’elle est, nous avons déjà écouté son fondateur et les Apôtres, les premiers pasteurs. La Sainte Écriture nous donne des éléments de réponse qui réfutent toutes les belles théories. Écoutons désormais ce qu’elle nous dit par la voix de ses chefs légitimes et des conciles qui ont parlé avant le dangereux vingtième siècle …

Avant les grandes encycliques des XIXe et XXe siècles, avant le second concile de Vatican II, rares sont en fait les textes qui parlent uniquement de l’Église. Elle est indirectement traitée dans certains de ses aspects qui ont fait l’objet d’attaques et de remises en cause, notamment par les protestants. Parmi ces sujets, nous pouvons citer la primauté du Pape, la hiérarchie ecclésiastique ou encore le sacerdoce. Elle est aussi traitée lorsque sa liberté a dû être défendue face aux autorités politiques. Ainsi nous ne trouvons pas de définition précise de l’Église jusqu’au XIXe siècle.

« Le peuple fidèle répandu dans tout l’univers »

Le Concile de Trente, qui a donné tant de beaux textes sur la doctrine catholique, remarquables par leur concision et leur précision, ne donne pas non plus de véritable définition sur l’Église. Certes, pour la désigner, il reprend un mot de Saint Augustin qui la décrit comme « le peuple fidèle répandu dans tout l’univers »[1]. L’Église est donc avant tout un peuple marqué par son universalité et sa fidélité à l'égard de Dieu.

Mais quels sont les membres de ce peuple ? Le catéchisme issu du Concile de Trente nous les présente : ce sont « ceux qui ont été appelés par la Foi à la lumière de la Vérité et à la connaissance de Dieu, qui ont dissipé les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, qui adorent avec piété et sainteté le Dieu vivant et véritable, et qui Le servent de tout leur cœur. »[2] Elle regroupe les chrétiens qui demeurent dans la vraie foi et servent Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce sont ceux qui savent et adorent le vrai Dieu. Ce sont ceux qui L’aiment. Ce sont ceux qui peuvent demeurer avec Dieu. Or « ils ne peuvent pas demeurer avec Dieu, ceux qui n’ont pas voulu vivre de façon unanime dans l’Église de Dieu »[3]. Une telle définition nous semble peu précise.

Le catéchisme de Saint Pie X nous définit l’Église catholique par ses membres. Elle « est la réunion de tous ceux qui sont baptisés, croient et confessent la foi du Christ Notre Seigneur Jésus-Christ, participent aux mêmes sacrements et reconnaissent pour Vicaire du Christ sur la terre le Souverain Pontife romain »[4]. Elle définit les critères d’appartenance à l’Église. Ils s’appuient sur l’unité de foi, de culte et de gouvernement.

Entrer et demeurer dans l’Église

Nous sommes admis à l’Église par le baptême. Pour devenir membre de l’Église, il faut donc être baptisé mais de manière valide, y compris si le baptême est donné par un hérétique de manière régulière. « Celui qui a reçu le baptême d’un hérétique de façon régulière, devient membre de l’Église catholique en vertu de celui-ci […] dès lors qu’il confère le sacrement selon la foi de l’Église, et qu’il se conforme à la discipline pour ce qui fait partie de la validité du baptême. »[5] Et comme nous le professons, il existe un seul baptême par lequel nous entrons dans l’Église.

Nous rappelons que dans les premiers siècles du christianisme, au temps où la majorité des chrétiens était baptisée à l’âge adulte, la réception du baptême nécessitait au préalable une préparation, sous le nom de catéchuménat en Orient ou auditorat en Occident. Les catéchumènes suivaient des cours sous le contrôle de l’autorité ecclésiastique afin d’assimiler les vérités de la foi chrétienne. Ils étaient initiés à l’Écriture et recevaient une instruction morale. En outre, par leur conduite, ils devaient montrer qu’ils étaient dignes d’être admis au sein des fidèles. Ils étaient alors présentés par les parrains à l’évêque qui examinait si leur vie pendant la période de préparation était conforme aux exigences chrétiennes. La réception du baptême était donc précédée d’une longue préparation intellectuelle, spirituelle et morale, qui pouvait durer trois ans et s’achevait au jour de Pâques au cours duquel ils recevaient le baptême. Nous retrouvons des vestiges de cette cérémonie dans l’office de la nuit pascale. L’entrée dans l’Église nécessitait donc une préparation…

Cependant, le baptême ne suffit pas pour demeurer dans l'Église. Si le baptisé d’un hérétique « adhère aux erreurs de celui qui l’a baptisé, il est rejeté de l’unité de l’Église et privé des biens dont jouissent ceux qui ont leur demeure dans l’Église »[6]. Pour y demeurer ensuite, il faut nécessairement adhérer à la foi qu’elle professe. Mais cela n’est pas encore suffisant.

En effet, comme nous le précise le XVIème concile de Tolède, tenu en 683 : « tous ceux qui maintenant ne se trouvent pas en elle ou qui ne s’y seront pas trouvé, qui en sont séparés ou s’en seront séparés, ou tous ceux qui, dans le mal du manque de foi, auront nié que les péchés y sont remis, ceux-là, s’ils ne reviennent pas à elle à l’aide de la pénitence et s‘ils ne croient pas d’une foi entachée d’aucun doute » que les conciles ont défini ou « encore de tous les saints pères qui ont vécu dans la foi juste, prescrivent de garder »[7] seront alors « châtiés par une sentence de damnation éternelle ». Ce concile régional affirme la nécessité d’appartenir à la Sainte Église catholique. Il traite surtout du sort de ceux qui n’y appartiennent pas. Il définit trois catégories de personnes exclues de l’Église. Le catéchisme de Trente les classe en quatre catégories : les infidèles, ensuite les hérétiques et les schismatiques, enfin les excommuniés.

Une société de bons et de méchants

Contrairement aux idées répandues, l’Église ne comprend pas que des saints, c'est-à-dire les fidèles qui jouiront de la béatitude éternelle. Ce n’est pas un peuple de saints mais plutôt d’hommes et de femmes destinés à être saints. Il comprend donc aussi bien les bons que les méchants, les méchants différant des bons par leur conduite et leurs mœurs. Les bons, ce sont ceux qui non seulement professent la foi et participent aux sacrements mais ce sont aussi « ceux qui sont attachés les uns aux autres par l’esprit de grâce et le lien de la charité » [8]  Seront en effet sauvés ceux qui sont habités par la grâce et par la charité.

Selon la doctrine catholique, les bons et les méchants demeurant sur la terre forment l’Église militante. Les fidèles sauvés qui vivent de la béatitude éternelle constituent l’Église triomphante. Enfin, ceux qui souffrent dans le purgatoire sont l’Église souffrante. Pourtant, il ne faut pas croire qu’il existe plusieurs églises. L’Église est une et indivise. Si les bons et les méchants appartiennent donc à la même Église lorsqu’ils sont ici-bas, leur condition sera différente au moment du jugement. « Les méchants en effet ne sont dans l’Église que comme la paille confondue dans l’aire avec le bon grain, ou comme les membres morts sur un corps vivant. »[9] À l’heure de la mort, s’ils demeurent dans leur méchanceté, la béatitude éternelle leur sera définitivement fermée. Ainsi l’Église est plutôt constituée de saints en puissance.

Hors de l’Église point de salut

Le XVIème concile de Tolède nous dit qu’il faut appartenir à l’Église pour être sauvé. Elle a été instituée pour cela, pour être l’unique porte par laquelle il faut passer pour gagner le ciel. Ce n’est que le rappel de l’adage de Saint Cyprien : « hors de l’Église, point de salut »[10]. Contre les albigeois, le IVème concile de Latran, concile œcuménique, nous l’enseigne clairement : « il n’y a qu’une seule Église universelle des fidèles, en dehors de laquelle absolument personne n’est sauvé »[11]. Au XIVème siècle, dans sa bulle Unam Sanctam, Boniface VIII nous le rappelle aussi que « la foi nous oblige instamment de croire et à tenir une seule et sainte Église catholique […], hors de laquelle il n’y a pas de salut ni de rémission de péché […] »[12].

Pour réintégrer les Coptes et les Éthiopiens dans l’Église, le Concile de Florence définit une profession de foi commune en 1442 :« elle croit fermement, professe et prêche qu’« aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’Église catholique, non seulement païens » mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne peuvent devenir participants à la vie éternelle, mais iront dans « le feu éternel qui est préparé par le diable et ses anges » (Matth., XXVI, 41), à moins qu’à la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés »[13]. Il poursuit que rien ne peut les sauver s’ils n’appartiennent pas à l’Église. Inutiles sont donc les aumônes, la piété et les prières, le martyre même, « s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Église catholique ». Sans la vie éternelle coulant dans notre âme, le ciel nous est fermé. Et l’Église est ce canal par lequel Dieu nous la donne sans compter.

Une société divine

L’Église forme donc une société extraordinaire, unique, une société « surnaturelle et spirituelle en raison de la fin qui lui y est assignée et des moyens par lesquels elle y tend »[14]. Elle est aussi exceptionnelle car Notre Seigneur Jésus-Christ l’a dotée de tout ce dont elle a besoin pour demeurer et se développer, c’est-à-dire pour mener sa mission jusqu’à la fin des temps. L’Église est en effet « une société parfaite en son genre et en son droit, puisque, de par la volonté et le bienfait de son fondateur, elle possède en elle-même et par elle-même toutes les ressources nécessaires à son existence et à son action. »[15]

L’Église a pour but de poursuivre l’œuvre rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ en donnant à ses membres ce dont ils ont besoin pour y parvenir. C’est par elle que le chrétien peut obtenir la vie éternelle. Dans une profession de foi en usage en Afrique lorsque Saint Augustin était évêque, nous pouvons lire qu’il faut croire « en l’Esprit saint, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle par la sainte Église. »[16]

La fin de l’Église, sa raison d’être, est bien de fournir à ses membres les moyens de sanctification dont ils ont besoin pour atteindre leur propre fin, c’est-à-dire la vie éternelle. « De même que Jésus est venu sur terre pour que les hommes « aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jean, X, 10), de même l’Église se propose pour fin le salut éternel des âmes »[17]. Puis le catéchisme de Saint Pie X rappelle qu’elle a été instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ « pour que tous les hommes puissent toujours trouver en elle les moyens de faire leur salut éternel »[18]. Elle est donc l’Église du Christ destinée à perpétuer son œuvre rédemptrice comme nous le dit le premier Concile de Vatican. Il dit en effet que Notre Seigneur Jésus-Christ l’a fondé « pour perpétuer l’œuvre salutaire de la Rédemption perpétuellement durable. »[19]

L’Église a été instituée pour que l’homme puisse adhérer à la véritable religion. Le premier concile de Vatican nous enseigne en effet que « pour que nous puissions satisfaire au devoir d’embrasser la vraie foi et de persévérer constamment en elle, Dieu, par son Fils unique, a institué l’Église »[20]. L’Église est une institution divine. Notre Seigneur Jésus-Christ en est le fondateur.

L’Église, gardienne de la foi

Le premier concile de Vatican insiste aussi sur le rôle de l’Église comme gardienne de la foi. Elle est encore « le dépositaire et la maîtresse de la parole révélée »[21]. Elle est ainsi une voix qui juge en matière de foi, condamne et exclue. Dans les canons du premier concile œcuménique, celui de Nicée en 324, il est en effet écrit : «  l’Église catholique et apostolique anathématise » ceux qui professent des erreurs sur la nature du Fils de Dieu. Et tous les autres conciles, sauf celui de Vatican II, useront de ce pouvoir.

Au concile de Nicée, c’est la première fois que l’ensemble des évêques sont convoqués pour discuter de points doctrinaux et disciplinaires. Il est un « acte éminemment communautaire de l’Église et une manière extraordinaire pour sa hiérarchie d’exercer l’autorité. »[22] Avant cet « acte », les évêques avaient l’habitude de se réunir en diverses occasions pour régler notamment des désaccords, condamner des hérésies et terminer des schismes, et cela dès le IIe siècle. « Après avoir condamné l’hérésie, ils chassèrent de l’Église ses sectateurs et les retranchèrent de la communion. »[23] Lorsqu’une église locale prononçait une sentence d’excommunication contre un fauteur d’hérésie, elle envoyait aux autres églises une lettre les informant de leur décision et des circonstances. Elles devaient alors à leur tour exprimer leur adhésion formelle à leur décision et rejeter le condamné de la communion. Ainsi l’hérésiarque sera considéré excommunié par l’ensemble des évêques de partout.

Les évêques convoqués de partout lors des conciles dits œcuméniques déclarent ce qu’il faut croire et condamnent les erreurs. Au concile de Nicée, les Pères du concile ont nettement conscience qu’ils donnent à l’Église une définition valable pour tous. C’est une sentence définitive et universelle. Le symbole qui y est défini « doit être conservé fermement et constamment. Il est une gloire aussi bien pour nous que pour les Orientaux qui se reconnaissent comme catholiques, et pour les Occidentaux. »[24] C’est la mise en œuvre de l’unité de foi. Ceux qui n’y adhèrent pas «  se sépareront de notre communion et perdront le nom de fils. »[25]

Le concile de Nicée est l’exemple formel et incontesté du pouvoir de magistère de l’Église catholique. C’est elle qui enseigne ce qu’il faut croire et ne pas croire. Elle juge la vérité ou la fausseté d’une doctrine. Elle formule par écrit des articles de foi avec des mots auxquels tout chrétien doit adhérer. Dans le décret sur la justification, le Concile de Trente dit que l’Église catholique « sous l’inspiration de l’Esprit Saint, a toujours conservé »  ce que « les apôtres nous ont transmis ». Elle enseigne les vérités de la foi en les scellant par un jugement définitif et solennel auquel la foi est due. C’est aussi cela l’Église catholique. Et au IVème siècle, personne ne met en doute le droit de l’Église à définir sa propre loi.

Mais le Concile de Nicée ne dicte pas uniquement des formules dogmatiques. Il délibère aussi sur l’élaboration de la date de Pâques, sur les structures de l’Église, sur la dignité des prêtres, sur les conditions de la pénitence, sur des prescriptions liturgiques, etc. Elle est une société visible qui nécessite une organisation et des règles pratiques.

Nous voyons ainsi le rôle joué par l‘Église pour préserver l’unité de foi et de charité. Elle est bien le bercail de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui« a résolu de construire la Sainte Église dans laquelle, comme dans la Maison de Dieu vivant, tous les fidèles seraient réunis par lien d’une seule foi et d’une seule charité »[26].

Se manifeste ainsi le caractère visible de l’Église. Si elle est spirituelle par le but qu’elle poursuit et les causes qui opèrent la sainteté, elle est aussi « extérieure et nécessairement visible », « si on considère ceux dont elle est composée et les réalités qui conduisent aux dons spirituels »[27]. Elle est donc visible  comme « un corps vivant, actif et plein de sève ».

L'Église dans les professions de foi

Dans une liturgie du milieu du IVe siècle, nous pouvons lire une profession de foi, plus ancienne que cette liturgie, dans laquelle il est dit de « croire  en Dieu […] dans la sainte Église catholique »[28]

Dans la professions de foi d’Hippolyte de Rome (170-235), nous pouvons aussi lire qu’il faut croire « une seule divinité, une seule puissance, un seul règne, une seule foi, un seul baptême dans la sainte Église catholique et apostolique »[29] 

Dans une profession de foi attribuée à Quodvultdeus, évêque de Carthage (427-vers 453), il  dit qu’il faut croire « en vue de la vie éternelle par la sainte Église »[30].

Enfin, les symboles de foi, définissant qu’il faut croire en l’Église catholique, sont partagés par les Occidentaux et les Orientaux. Qu’il soit arménien, éthiopien ou romain, tous adhèrent à l’Église catholique. 

Ainsi l’Église catholique apparaît donc comme celle qui définit ce qu’il faut croire pour être sauvé. Elle seule définit la foi catholique dans les symboles. « Telle est la foi catholique : si quelqu’un ne croit pas fidèlement et fermement, il ne pourra pas être sauvé. »[31]

S’affirmer face à l’hérésie et au schisme

Dès les premiers temps, les chrétiens se sont confrontés à des hérétiques et à des schismatiques qui prétendent aussi être l’Église. Leur préoccupation était de définir les traits qui permettaient de reconnaître la véritable Église. Ainsi ont-ils défini les quatre notes que nous connaissons aujourd’hui : l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité.  Ensuite, face aux erreurs et aux attaques, provenant des orientaux et des protestants, l’Église a réaffirmé les points suivants :  

  • l’institution divine de l’Église : « Notre Seigneur Jésus-Christ a lui-même fondé l’Église en tant que Messie envoyé de Dieu et Sauveur du Monde »[32] ; 
  • la nécessité d’appartenir à l’Église pour être sauvé: « il est nécessaire à tous les hommes d’appartenir à l’Église pour obtenir le salut »[33] ; 
  • le pouvoir d’enseignement infaillible de l’Église, c’est-à-dire le magistère, dans l’annonce de la vérité divine, pouvoir confié aux Apôtres puis transmis à l’ensemble des évêques en union avec le Pape [34] ; 
  • l’infaillibilité du Pape : « l’évêque de Rome possède, en tant que successeur de Saint Pierre, en sa qualité de chef suprême de l’Église, le magistère suprême infaillible »[35] ; 
  • l’existence du pouvoir de gouvernement établi par le Christ Lui-même, autrement dit une hiérarchie[36] ;  
  • la primauté du Pape : « le Christ Lui-même a conféré le pouvoir de gouvernement aux Apôtres de telle sorte que l’un d’entre eux, Pierre, reçut le premier rang ou la primauté »[37].

Puis au XIXe siècle, un effort a été entrepris pour mieux défendre le double caractère de l’Église. Elle n’est ni purement divine, ni purement humaine. Elle est à la fois divine et humaine.

Retour à l’essentiel

L’Église s’est ainsi affirmée en tant que société parfaite, à la fois divine et humaine, instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ pour poursuivre son œuvre rédemptrice, et dotée des moyens pour mener à bien sa mission. Elle est la demeure de Dieu dans laquelle il faut nécessairement demeurer pour espérer un jour vivre de la béatitude éternelle. Il est donc essentiel à ses yeux de définir les critères d’appartenance à l’Église. C’est pourquoi certainement et avec pertinence elle s’est définie par ses membres. Mais elle a aussi dû lutter contre toutes les erreurs qui affaiblissaient son rôle ou pouvaient détourner les fidèles de leur salut. Ainsi a-t-elle défini ses caractéristiques, notamment ses origines divines, sa visibilité, sa hiérarchie, etc., et les critères qui la font reconnaître comme tant la vraie Église. C’est surtout par nécessité qu’elle s'est définie progressivement.

Dans toutes les affirmations que nous avons pu lire, l’Église catholique ne se distingue pas de l’Église du Christ. Elle s'affirme comme étant l'Église du Christ. En outre, si elle définit la foi nécessaire au salut, c’est-à-dire la règle de foi - Saint Augustin nous dit qu'elle est la règle de foi -  si elle juge, « lie et délie », pouvons-nous dire alors que l’Église subsiste dans l’Église catholique au sens qu’elles ne sont pas exactement identiques ? Ce que Notre Seigneur a fondé, c’est bien l’Église catholique. Comme le précise la congrégation de la foi, dans sa note explicative de la constitution Lumen Gentium, les moyens qu’Il a dotés à l’Église demeure pleinement dans l’Église catholique.

Mais le second concile de Vatican ne voit pas l’Église de manière traditionnelle car elle ne cherche pas à justifier sa mission ou à défendre une de ses qualités. Il cherche avant tout à unir les chrétiens par le bien des communautés séparées. Il doit donc élaborer un discours unifiant qui évite toute discrimination. La vue de l’Église en tant que société n’est donc pas pertinente puisque cela conduit nécessairement à déterminer les critères d’appartenance et par conséquent de séparation. Ainsi change-t-il l’angle de vue au risque d’appauvrir le regard que nous devons porter sur l’Église et finalement de perdre l’essentiel. Il définit ainsi l’Église par les moyens dont elle dispose, moyens que nous retrouvons aussi chez les « frères séparés », moyens qui incontestablement peuvent être bons et même salutaires. Le baptême par un hérétique selon les conditions que nous avons rappelées reste par exemple efficace. Cependant, l’Église telle qu’elle est définie de manière traditionnelle demeure aussi vraie. Elle est une société parfaite, faite de bons et de méchants, une société visible et invisible, qui enseigne, définit, juge et condamne. Elle est enfin garante de l’unité de foi et de charité. Cette définition demeure essentielle même si elle ne semble pas être complète et adaptée aux objectifs du concile, aux « besoins du temps ».

Pourtant la définition traditionnelle de l'Église répond à la véritable question que nous devons nous poser : est-ce que nous appartenons à la véritable Église ? C’est aussi la question que les chrétiens se posaient au premier temps du christianisme où les hérésies et les schismes étaient nombreux. La situation n’a pas changé. Au contraire. Les confessions et communautés ne sont jamais autant multipliées. Le fidèle a besoin d’affermir sa foi que peut fragiliser la profusion religieuse comme l’incroyant a aussi besoin de déceler le vrai du faux dans ce véritable supermarché du religieux qu’est devenu le monde.

Certes, les communautés séparées ont quelques « trésors » que rappellent avec justice les Papes mais que sont-ils ces « trésors » s’ils sont vains pour notre salut ? Que sont-ils si « nos frères séparés » ne s’intègrent pas dans l’ensemble des trésors de l’Église ? C’est justement parce que parfois ils ont été mis en exergue au détriment du reste ou mal utilisés qu’ils se sont séparés de l’Église. Et à quoi servent ces « trésors » puisqu’ils ne les conduisent pas à l’Église ?! Ces trésors devraient plutôt nous faire rougir et nous inciter à les redécouvrir au sein de l’Église catholique puisqu’elle détient ces trésors de manière parfaite et équilibrée. Nous comprenons alors l’attitude méfiante voire hostile des incroyants sensés en écoutant les voix de l’Église qui la voient d’une façon si réductrice... Et les églises ont fini par se vider…

« Nous croyons que la Sainte Église catholique, rachetée au prix de son sang, régnera avec lui pour toujours. »[38]





Notes et références
[1] Saint Augustin, Enarr. In Ps. CXLIX dans Catéchisme du Concile de Trente, chapitre X, §1..
[2] Catéchisme du Concile de Trente, chapitre X, §1.
[3] Pélage II, pape de 579 à 590, lettre Dilectionis vestrae aux évêques schismatiques d’Istrie (585 ou 586), Denzinger 469.
[4] Le Catéchisme de Saint Pie X, chapitre V, 2000.
[5] Benoît XV, Bref Singulari nobis au Cardinal Henry, duc d’York, 9 février 1749, Denzinger 2567.
[6] Benoît XV, Bref Singulari nobis au Cardinal Henry, duc d’York, 9 février 1749, Denzinger 2567.
[7] Profession de foi, XVIème concile de Tolède, commencé le 2 mai 693, Denzinger 575.
[8] Catéchisme du Concile de Trente, chapitre X, §1.
[9] Catéchisme du Concile de Trente, chapitre X, §1.
[10] Le sujet sera traité dans le prochain article de l'Émeraude.
[11] 4ème concile de Latran, 11-30 novembre 1215, chapitre 1, Denzinger 800.
[12] Boniface VIII, bulle Unam Sanctam, 18 novembre 1302, Denzinger 870.
[13] Bulle sur l’union avec les Coptes et les Éthiopiens, Cantate Domino, 4 février 1442, Concile de Florence, Denzinger 1351.
[14] Léon XIII, encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885, Denzinger 3166.
[15] Léon XIII, encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885, Denzinger 3166.
[16] Saint Augustin, Sermon 215, Denzinger 22.
[17] Léon XIII, encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885, Denzinger 3166.
[18] Le Catéchisme de Saint Pie X, chapitre V, 2000.
[19] Concile de Vatican, Constitution dogmatique Pasto Aeternis sur l’Église du Christ, 18 juillet 1870, Denzinger 3050.
[20] Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, chap. 3, 3ème session, 24 avril 1870, premier concile de Vatican (1869-1870), Denzinger 3012.
[21] Concile de Vatican, Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, 24 avril 1870, chap.III, Denzinger 3012.
[22] Ignacio Ortiz de Urba, Nicée et Constantinople, Histoire des conciles œcuménique, tome I, chap. I, Fayard, 1963.
[23] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V, 15 dans Nicée et Constantinople, Ignacio Ortiz de Urba.
[24] Pape Damase dans Histoire ecclésiastique, Sozomène, VI, 23 dans Nicée et Constantinople, Ignacio Ortiz de Urba.
[25] Pape Damase dans Histoire ecclésiastique, Sozomène, VI, 23 dans Nicée et Constantinople, Ignacio Ortiz de Urba.
[26] Concile de Vatican, Constitution dogmatique Pasto Aeternis sur l’Église du Christ, 18 juillet 1870, Denzinger 3050.
[27] Léon XIII, encyclique Satis cognitum, 29 juin 1896, Denzinger 3300.
[28] Papyrus liturgique de Dêr-Balyzeh, Fragment du VIème siècle découvert en Égypte, Denzinger 2.
[29] Constitution de l’Église égyptienne, vers 500, qui remonte à la Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome, composée vers 215 ou 217, version copte, Denzinger 3.
[30] Semons sur le symbole, Denzinger 22.
[31] Saint Athanase, symbole Quicumque, dit d’Athanase, sans-doute entre 400 et 500, n°42, Denzinger 75.
[32] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §138. Voir Concile de Vatican I, constitution dogmatique Pastor Aeternis.
[33] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §139. Voir Latran IV et  Concile de Florence (Bulle Cantate Domino).
[34] Voir Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §140 à 142. Voir Concile de Vatican I, Concile de Trente.
[35] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §142. Concile de Vatican I.
[36] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §143. Concile de Trente.
[37] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre V, §144. Voir Concile de Vatican, Concile de Trente, constitution dogmatique Auctorem Fidei de Pie VI (1503).
[38] Profession de foi, n°63, IIème concile de Tolède (675), Denzinger 540.