" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 26 août 2023

Le Mystère de l'Eucharistie, sacrement et sacrifice

Il est difficile de parler de l’Église ou encore de la vie chrétienne sans évoquer le mystère de l’Eucharistie. En effet, « le point culminant et comme le centre de la religion chrétienne est le mystère de la très sainte Eucharistie que le Christ, Souverain Prêtre, a instituée »[1]. Sans elle, il est bien difficile de s’unir à Celui qui est la Vie car « c’est d’elle que se répand parmi les hommes cette vie qui est la vraie vie. »[2] Le concile de Vatican II qualifie aussi « le sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne »[3]. Il est donc difficile de vivre chrétiennement comme membre de l’Église sans nous approcher du sacrement de l’Eucharistie et donc de le connaître pour davantage l’apprécier. De même, il est certainement impossible de croire en une union entre des chrétiens si ces derniers enseignent des conceptions différentes sur ce mystère puisque l’Eucharistie est signe d’unité. Si cet « événement central du salut »[4] est remis en cause par des erreurs ou par l’ignorance, c’est bien notre vie chrétienne et notre devenir dans l’éternité qui risquent d’être remis en question. L’Église a ainsi toujours considérée l’Eucharistie comme « un trésor du plus haut prix »[5]. C’est pourquoi « le mystère eucharistique […] n’admet ni réduction ni manipulation »[6]. Enfin, le mystère de l’Eucharistie a donné lieu à un culte spécifique que l’Église a développé et défendu, culte âprement combattu ou malheureusement incompris.

Dans cet article, nous allons nous pencher sur la doctrine de l’Eucharistie telle quelle est enseignée par l’Église. Comme le déclare Jean-Paul II, la référence demeure encore le concile de Trente, qui, en trois décrets, expose clairement la doctrine en tant que sacrement et sacrifice, deux caractères complémentaires et indissociables. Le premier décret porte sur le sacrement de l’Eucharistie[7], le deuxième sur le sacrifice de la messe[8] et le dernier sur la communion sous les deux espèces et la communion des enfants[9]. Chaque décret énumère des erreurs que le concile condamne.

Sacrement et sacrifice

L’Eucharistie est un des sept sacrements[10]. Comme tous les autres, il a été institué par Notre Seigneur Jésus-Christ. Celui de l’Eucharistie a été clairement institué lors de la Dernière Cène[11] comme l’exprime encore le concile de Trente. « Notre Rédempteur a institué ce sacrement si admirable lors de la dernière Cène, lorsque, après avoir béni le pain et le vin, il attesta en termes clairs et précis qu’Il leur donnait son propre Corps et son propre Sang. Ces paroles, répétées pas les saints évangélistes et répétées ensuite par Saint Paul se présentent en un sens propre et très clair »[12] Le sacrement de l’Eucharistie n’est pas une « pure invention »[13].

Tout sacrement signifie, représente, contienne, produise la grâce et la met dans l’âme de celui qui le reçoit. Tel un canal spirituel, il l’y fait découler de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il crée en l’homme la vie divine, la conserve et la développe par des moyens, signes sensibles et extérieurs, que Notre Seigneur Jésus-Christ a établis comme instruments de la grâce.

L’Eucharistie est aussi un sacrifice. « Notre Seigneur Jésus-Christ offrit à Dieu le Père son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin »[14] et ordonna aux Apôtres et à leurs successeurs dans le sacerdoce de les offrir à leur tour en prononçant ses paroles : « faites ceci en mémoire de moi »(Luc, XXII, 19).  « Dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ est contenu et immolé de manière non sanglante sur l’autel de la croix »[15]. Le Christ s’offre Lui-même par le ministère des prêtres.

Le concile de Trente déclare ce sacrifice comme « propitiatoire ». Il est offert à Dieu pour la rémission des péchés. L’Eucharistie « est légitimement offerte, non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres besoins des fidèles vivants, mais aussi pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore pleinement purifiés. »[16] Le sacrifice eucharistique n’est donc pas réduit à un sacrifice de louange et d’actions de grâces.

Ainsi, en tant que sacrement, l’Eucharistie est un moyen de salut destiné aux hommes, et, en tant que sacrifice, elle est un acte de culte envers Dieu.

La Présence réelle …

Dans le décret sur le sacrement de l’Eucharistie, «, le saint concile enseigne et professe ouvertement et sans détour que, dans le vénérable sacrement de la sainte eucharistie, après la consécration du pain et du vin, Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, est vraiment, réellement et substantiellement contenu sous l’apparence de ces réalités sensibles. »[17] Le concile anathématise donc celui qui dit que « dans le très saint sacrement de l’Eucharistie ne sont pas contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang en même temps que l’âme et la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, et, en conséquent, le Christ tout entier, mais dit qu’ils n’y sont qu’en tant que dans un signe ou en figure ou virtuellement »[18].

L’Église enseigne clairement la présence réelle et intègre de Notre Seigneur Jésus-Christ sous l’apparence du pain et du vin. Dans l’Eucharistie, sont en effet contenus le corps, l’âme et la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. La définition emploie trois termes « vraiment », « réellement » et « substantiellement », termes qui se complètent et se renforcent pour insister sur la réalité de cette présence. Ces termes s’opposent aux trois autres mots que sont « signe », « figure » et « virtuellement », qui peuvent remettre en question cette réalité.

Un mode de présence particulier

Mais, prétextant que Notre Seigneur Jésus-Christ ne peut être à la fois sur l’autel et dans les cieux, les calvinistes[19] refusent toute présence réelle. Pour répondre à cet argument, le concile de Trente précise que Notre Seigneur Jésus-Christ est bien présent sous l’apparence du pain et du vin « par un mode de présence que nous ne pouvons à peine exprimer par des mots, et que nous pouvons cependant reconnaître et constamment croire comme possible à Dieu par notre pensée éclairée par la foi. »[20] Notre Seigneur Jésus-Christ demeure présent à la droite de Dieu le Père « selon un mode d’existence qui est surnaturelle ». Et Il est « sacramentellement présent en de nombreux autres lieux en sa substance ». L’Eucharistie est un mystère…

Présent sous chaque espèce et dans chaque parcelle

Le concile de Trente précise que si en vertu des paroles de la consécration, il n’y a de présent sous l’espèce du pain que le corps, et, sous l’espèce du vin que le sang du Christ, Notre Seigneur Jésus-Christ est présent tout entier sous chaque espèce puisque sont désormais unis le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ qui est ressuscité et ne meurt plus, et en raison de l’union de la divinité avec le corps et l’âme. Chacune des espèces contient autant que les deux. Même sous chaque partie réelle de chaque espèce, le Christ tout entier est présent, y compris après la division de l’hostie consacrée. Il n’est donc pas nécessaire de communier sous les deux espèces contrairement à ce que croient des protestants qui veulent obligatoirement communier sous les deux espèces.

Présence produite par transsubstantiation…

Le concile de Trente enseigne la manière dont la Présence réelle se produit. Il déclare que « par la consécration du pain et du sang se fait un changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ Notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang. Ce changement a été justement et proprement appelé, par la Sainte Église catholique, transsubstantiation. »[21]

Quand l’Eucharistie est produite, il n’y a donc plus de pain ni de vin. Contrairement à ce que croyait Luther, les deux substances, la substance naturelle et la substance surnaturelle, ne coexistent pas. Le concile de Trente a ainsi condamné la doctrine de l’impanation et de la consubstantiation qu’enseignait Luther. Il y a bien conversion des substances naturelles en substances surnaturelles. C’est par cette conversion que Notre Seigneur Jésus-Christ est présent dans l’Eucharistie. Néanmoins, les espèces demeurent, ce qui explique que nous ne percevons que le pain et le vin. La foi seule juge. La transsubstantiation, que nous ne pouvons pas expliquer, est attribuée à la toute-puissance de Dieu.

Le terme de transsubstantiation est récusé par Luther, Calvin et les autres protestants, notamment parce qu’il n’est pas mentionné dans la Sainte Écriture.

Permanence de l’Eucharistie

La Présence réelle se réalise donc par la consécration. Par conséquent, les espèces consacrées contiennent réellement et totalement Notre Seigneur Jésus-Christ, immédiatement après la consécration. C’est pourquoi le concile de Trente condamne la doctrine selon laquelle Il est présent « seulement quand on en use en le recevant, ni avant, ni après, et que le vrai Corps du Seigneur ne demeure pas dans les hosties ou parcelles consacrées qui sont gardées ou restent après la communion. »[22]

La Présence réelle ne se limite donc pas à la communion. Selon cette erreur, il ne peut y avoir de culte eucharistique. En raison de cette permanence, il est possible de conserver l’Eucharistie et de la porter aux malades selon une très ancienne tradition. La croyance en la Présence réelle oblige aussi de la conserver en un lieu sacré et de la manipuler avec un très grand soin.

Objet d’un culte divin

La foi en la permanence de l’Eucharistie entraîne aussi le culte divin. En effet, croyant en Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Homme et vrai Dieu dans l’Eucharistie, « selon la coutume reçue depuis toujours dans l’Église catholique », les chrétiens « rendent avec vénération un culte de latrie, qui est dû au vrai Dieu »[23]Ce culte n’est pas une « horrible abomination »[24], « un sacrilège extrême »[25], le summum de l’imposture, ou encore le signe manifeste de l’idolâtrie comme le proclame Calvin.

Notre Seigneur Jésus-Christ, dans l’Eucharistie, est alors honoré par des fêtes particulières et porté en procession, par exemple pour la fête du Saint Sacrement, appelé aussi Fête Dieu, ou encore exposé publiquement à l’adoration des chrétiens.

Faut-il enfin s’en approcher « avec grand respect et sainteté »[26]. Saint Paul nous a déjà demandé de nous éprouver nous-même avant de nous y approcher (cf. I. Corinthiens, II, 28). Si une personne a conscience d’un péché mortel, elle ne peut recevoir le sacrement de l’Eucharistie sans une confession préalable.

L’excellence et la particularité du sacrement de l’Eucharistie

Le concile de Trente précise enfin les effets du sacrement. Il est un « aliment spirituel des âmes qui nourrit et fortifie ceux qui vivent de sa vie »,  un « antidote nous libérant des fautes quotidiennes et nous préservant des fautes mortelles » et « le gage de notre gloire à venir et de notre félicité éternelle », ainsi « qu’un symbole de cet unique corps dont Il est lui-même la tête et auquel il a voulu que nous soyons attachés par les liens les plus étroits de la foi, de l’espérance et de la charité, en sorte que nous disions tous la même chose et qu’il n’y ait pas de divisions parmi nous[27].

En outre, le concile de Trente rappelle que tous les « sacrements ont la vertu de sanctifier lorsque quelqu’un y a recours ». Or, « ce que l’on trouve d’excellent et de particulier est […] que, dans l’Eucharistie, se trouve l’auteur même de la sainteté avant que nous la recevons. »[28]

Conclusion

L’Eucharistie est un des grands mystères du christianisme, qui ne peut être surtout et d’abord entendu et conçu que par la foi. Il est ainsi impossible de démontrer la transsubstantiation. « Ce que tu ne comprends pas, ce que tu ne vois pas, la foi vive l’atteste, au-delà de l’ordre naturel. »[29] Néanmoins, la raison éclairée par la foi peut apporter quelques lumières et répondre notamment aux objections de ceux qui le refusent. Elle permet également de mieux connaître « l’œuvre que Dieu fait homme a, dans sa toute-puissante miséricorde, accomplie en faveur du genre humain. »[30] Par le sacrement de l’Eucharistie, Notre Seigneur Jésus-Christ nous apporte « une véritable abondance d’une vie plus qu’humaine »[31], faisant ainsi accroître merveilleusement notre véritable dignité humaine puisqu’elle nous élève par la grâce jusqu’à la divinité.

Nourriture céleste à recevoir et à consommer précieusement en tant que sacrement, l’Eucharistie est aussi sacrifice en tant qu’elle est offerte à Dieu au cours de la Sainte Messe. Elle est « sacrifice au sens propre »[32] au point que si elle est privée de sa valeur sacrificielle, elle perd tout sens. La doctrine sur le sacrement de l’Eucharistie ne doit pas nous détourner de celle de la Sainte Messe à laquelle elle est intimement et inévitablement associée. Doté de ce double caractère, sacrement et sacrifice, l’Eucharistie est décisive pour notre salut et notre vie éternelle. Il est donc essentiel de connaître la doctrine qu’enseigne l’Église sur l’Eucharistie et de la défendre contre toute erreur.

La connaissance de la doctrine sur l’Eucharistie implique aussi d’entourer ce mystère d’une grande vénération et d’un profond respect qui exclut négligence et irrévérence. L’Église l’entoure ainsi d’un culte divin et s’efforce de lui préparer un cadre digne des rites divins, veillant à écarter tout ce qui ne lui convient pas. La Sainte Messe au cours de laquelle se réalise l’admirable mystère est ainsi un livre sacré ouvert aux fidèles qui leur ouvre les yeux de l’âme en touchant à tous leurs sens dans un cadre adapté à ce trésor divin. Comme un écrin protégeant la plus belle des pierres précieuses, elle fait davantage éclater l’œuvre divine pour la plus grande gloire de Dieu et pour notre propre sainteté.

 



Notes et références

[1] Pie XII, lettre encyclique Mediator Dei sur la liturgie et le culte eucharistique, II, I, 20 novembre 1947, laportelatine.org.

[2] Léon XIII, lettre encyclique Mirae caritatis, 28 mai 1902, Denzinger n°3360.

[3] Concile de Vatican II, constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Eglise, chapitre II, n°11, 21 novembre 1964, Denzinger n°4127.

[4] Jean-Paul II, lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Eglise, chapitre I, n°11, 17 avril 2003, vatican.va.

[5] Paul VI, lettre encyclique Mysterium Fidei sur la doctrine et le culte de la sainte Eucharistie, 3 septembre 1965, vatican.va.

[6] Jean-Paul II, lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, conclusion, n°61.

[7] Concile de Trente, 13ème session, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, 11 octobre 1551.

[8] Concile de Trente, 22ème session, doctrine et canons sur le sacrifice de la messe, 17 septembre 1562.

[9] Concile de Trente, 21ème session, doctrine et canons sur la communion sous les deux espèces et la communion des enfants, 16 juillet 1562.

[10] Les autres sacrements sont : le baptême, la confirmation, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage.

[11] Voir Emeraude, août 2023, article « La Dernière Cène, ultime repas ».

[12] Concile de Trente, Décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chap. 2, Denzinger n°1638.

[13] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, p. 487

[14] Concile de Trente, doctrine et canons sur le sacrifice de la messe, chapitre 1, Denzinger n°1740.

[15] Concile de Trente, doctrine et canons sur le sacrifice de la messe, chapitre 2, Denzinger n°1743.

[16] Concile de Trente, doctrine et canons sur le sacrifice de la messe, chapitre 2, Denzinger n°1743.

[17] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 1, Denzinger n°1636.

[18] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, canon 1, Denzinger n°1651.

[19] Voir Calvin Institution chrétienne, livre IV, et le pamphlet d’Antoine Marcourt (v. 1485-1561), disciple de Jean Calvin, célèbre pour l’affaire des placards. Les placards contre la messe (1534), museeprotestant.org. Le pamphlet est intitulé « articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale, inventée directement contre la sainte cène de notre Seigneur, seul Médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ. »

[20] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 1, Denzinger n°1656.

[21] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 4, Denzinger n°1642.

[22] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, canon n°5, Denzinger n°1654.

[23] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 3, Denzinger n°1643

[24] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, nouvelle édition revue et corrigée sur l’édition française de 1560, p. 655, Franck Baumgartner, édition E. Beroud & C., librairie de la suisse française, archive. org.

[25] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, p. 487

[26] Concile de Trente, décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 7, Denzinger n°1646.

[27] Concile de Trente, Décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chap. 2, Denzinger n°1638.

[28] Concile de Trente, Décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chap. 2, Denzinger n°1638.

[29] Lauda Sion, chant de la fête du Très Saint-Sacrement de l’Eucharistie, dite aussi Fête-Dieu.

[30] Léon XIII, lettre encyclique Mirae caritatis sur la très sainte Eucharistie.

[31] Léon XIII, lettre encyclique Mirae caritatis sur la très sainte Eucharistie.

[32] Jean Paul II, lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, chapitre I, n°11.

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