Pour
poursuivre notre étude sur les différents mouvements liturgiques qui ont
conduit à la crise actuelle, nous allons nous rendre en Autriche et rencontrer
Dom Parsch.
Des
rencontres déterminantes
Puis,
dans la dernière année de la guerre, alors que le régiment est stationné à
Kiev, Dom Parsch rencontre le père Wilhelm Schmidt, lui-aussi aumônier des
armées. Ce dernier lui fait découvrir la liturgie slavo-byzantine ainsi que sa
volonté de mieux faire connaître la messe aux catholiques. Il est alors étonné de la participation des fidèles.
Toujours
au cours du conflit, dans les Carpates et à Kiev, Dom Parsch redécouvre la Sainte Bible et la beauté des psaumes.
Ainsi, il se décide d’apporter aux fidèles « une nourriture spirituelle solide fondée sur la Bible, comprise et
méditée, et sur une participation active à la liturgie. » En 1918, de
son retour dans son couvent, il œuvre auprès des novices pour leur faire
davantage découvrir et apprécier les Évangiles. Ses sermons et ses conférences
sont aussi l’occasion pour lui de présenter la Sainte Bible et de mieux la faire
connaître. Dès 1919, il crée un cercle
d’études bibliques d’une centaine de personnes dans lesquels il approfondit
la connaissance de la Sainte Ecriture, donnant ainsi naissance à un « mouvement biblique ».
Une
nouvelle orientation du Mouvement liturgique
Dom
Parsch critique aussi le Mouvement liturgique d’apporter du désordre et des troubles dans la messe en voulant
impérativement faire réciter toutes les prières aux fidèles. « Nous avions cru que plus le peuple prie à
haute voix avec le prêtre plus la célébration de la messe est liturgique. »
La participation active ne consiste pas à mélanger les rôles des fidèles et du
prêtre. Chacun des rôles doit en effet être préservé. Il refuse par
exemple que les prières de l’offertoire et du canon soient dites en commun.
Ainsi, distingue-t-il la participation active de la « participation fausse et exagérée ».
Toujours
selon Dom Parsch, bien que le Mouvement liturgique ait pris conscience que la
messe a été surchargée d’ajouts au fil du temps, l’accessoire se mêlant à
l’essentiel, au point que les fidèles ne la comprennent plus guère, il n’a pas su faire le tri, notamment
clarifier le rôle de l’offertoire et donner à la communion sa place centrale,
même si Dom Parsch considère que « sacrifice
et communion vont ensemble », et que la communion est le « complément nécessaire du sacrifice. »
La préparation au sacrifice est même propice
à la participation active des fidèles. C’est ainsi qu’il développera
l’offertoire et, imitant une expérience de Dom Casel[4],
il remettra en vigueur la procession antique des chrétiens apportant la matière
du sacrifice jusqu’à l’autel.
Enfin,
Dom Parsch accuse le Mouvement liturgique d’avoir plutôt favorisé la messe
basse, à laquelle les fidèles assistent en silence ou en chantant et priant,
qu’il juge trop portée vers la piété
subjective, contrairement à la messe chantée, qu’il considère comme « la forme idéale, le rôle du prêtre, de la schola
et de l’assistance y est nettement marqué ».
La
participation active des fidèles à la messe
Dom
Parsch considère que personne ne s’est
vraiment intéressé à la participation des fidèles à la messe, les laissant
vaquer à leur occupation, « habitués
à rester tranquillement assis et à entendre, à recevoir, à se replier sur son
propre moi. » Selon ses propos, ils demeurent absolument passifs. « La
manière actuellement en usage d’entendre la messe est telle que chacun se livre
plus ou moins à des dévotions personnelles et n’accorde que rarement un peu
d’attention à ce qui se passe à l’autel. »[5]
« Le chrétien ne doit pas se comporter
passivement à la messe. Il ne doit pas se contenter de l’entendre, il ne doit
pas être un auditeur muet, mais il est appelé à la participation active et il
en est capable », en raison de son sacerdoce universel et de son
appartenance au Corps mystique du Christ. Dom Parsch veut donc rendre les
fidèles « acteurs dans le drame
sacré », laissant au prêtre ce qui est exclusivement du ressort
sacerdotal, la consécration et la dispensation des saints mystères. Il veut
donc modifier l’attitude des fidèles.
Les
objectifs de Dom Parsch sont alors très clairs : il veut réduire la séparation qu’il existe entre
les fidèles et la liturgie tout en respectant le rôle du prêtre et en
évitant les excès dont il a déjà été témoin. Pour cela, il veut employer la langue vernaculaire, améliorer la
compréhension de la liturgie et développer tout ce qui leur permet de jouer un
rôle actif dans les cérémonies, par exemple, en refaisant revivre des usages
antiques comme la procession de l’offertoire ou le baiser de paix. L’autel doit
aussi être placé au centre de la réunion liturgique et ne plus être adossé au
mur de l’abside. De même, il doit être tourné vers les fidèles de manière à ce
que le prêtre ne leur tourne pas le dos mais célèbre la messe face à
l’assistance. « C’est ce que réclame
la participation active du peuple […] à
la messe. » Enfin, puisque le chant favorise la participation active
des fidèles, Dom Parsch refuse d’attribuer le monopole du chant à des chorales
et de la laisser seule dans un coin de l’église ou dans une tribune ne vivant
que pour leur art sans néanmoins la supprimer. Il recherche plutôt « une union harmonieuse du chant artistique et
du chant populaire. […] La chorale
peut chanter certaines parties polyphoniques pour ensuite revenir au chant
populaire. »
Mais
il comprend qu’il ne peut atteindre son objectif que lentement, par l’instruction et l’éducation liturgique
afin de modifier l’attitude des fidèles.
Le
développement de la communauté liturgique
Dom
Parsch est conscient des difficultés qu’il devra surmonter pour parvenir à ses
fins. Comme il l’avoue, la « participation active » ne se fonde
sur aucune coutume ni usage traditionnel. Il rencontra donc des résistances
au changement d’habitude, notamment auprès des fidèles âgés. Il sait aussi que
le clergé et les autorités ecclésiastiques ne sont guère favorables à ses
idées. Par conséquent, il ne veut pas imposer la « participation active » au risque de les brusquer ou de
soulever leur opposition. Il est donc indispensable d’« avancer à tâtons » par des
expériences avec une très grande prudence.
En
outre, contrairement aux autres mouvements en faveur de la participation
active, mouvements qu’il juge intellectuels, trop académiques ou théoriques,
Dom Parsch veut davantage atteindre les
fidèles par la pratique. En effet, il veut mettre en pratique ses idées fondamentales, qu’il juge nouvelles,
innovantes, par des expériences progressives et répétées.
Pour
cela, Dom Parsch s’appuie sur la
création d’une communauté au sein de la paroisse et sur le développement de la
vie communautaire. Il la considère comme un « corps mystique en miniature » propice à ses expériences. L’église
de Sainte Gertrude devient ainsi le premier lieu de ses expérimentations avant
de diffuser ses idées en Autriche. Les cercles bibliques qu’il a créés
deviennent en fait lentement des « communautés
liturgiques ». Ses communautés prennent rapidement de l’ampleur. En
1930, la communauté de Sainte Gertrude est composée d’environ trois cent
cinquante personnes.
Dom
Parsch est ainsi convaincu que le renouveau liturgique tel qu’il entend doit
partir des « communautés liturgiques »,
plus soucieuse de développer « une
intense vie communautaire »[6],
surtout quand tous ses membres sont gagnés à la cause liturgique. Il défend donc
l’idée d’une communauté idéale,
« pratiquant et célébrant la
liturgie à la perfection, cherchant aussi à créer à partir d’elle un nouveau
style de vie. » Il définit les conditions requises pour obtenir une
telle communauté, notamment un prêtre dévoué uniquement à cette tâche et des
cercles d’étude servant à l’approfondissement des connaissances liturgiques et
au développement de l’esprit communautaire.
Une
nouvelle piété, une nouvelle église
Afin
de contribuer au développement de la vie communautaire, Dom Parsch redéfinit
le rôle de l’église. Celle-ci ne doit plus désormais servir à la dévotion
privée des fidèles. Elle ne doit avoir qu’un
seul rôle, celui de les rassembler, ne plus qu’être « un local de réunion confortable et pas comme
une halle de rassemblement des masses » et finalement « une maison de famille » ou
encore « une salle familiale intime »[9].
Rien ne peut nuire à la communauté « fixée
par la liturgie ». Ainsi, faut-il déplacer tous les objets de la piété
privée, statues et images saintes, ou encore chemin de croix et autels
particuliers dans leurs propres chapelles. L’église
doit ainsi être structurée pour répondre à la nouvelle piété qu’il veut
développer…
L’évolution progressive de la liturgie au sein des paroisses
La
communauté se forme par différentes activités, études, conférences, travaux
liturgiques… Une semaine consacrée à la liturgie au cours de l’année permet
ensuite de faire participer l’ensemble de la paroisse dans les travaux tout en
approfondissant leurs connaissances liturgiques. L’aspect théorique n’est guère
développé. L’important réside surtout dans
la pratique afin de familiariser les fidèles à la messe communautaire.
Cette semaine est accompagnée de soirées communautaires destinées aussi à
façonner la communauté. Pour s’opposer à la résistance des fidèles, Dom Parsch
recommande d’initier les jeunes enfants et de ne célébrer la nouvelle messe qu’une
fois par mois, de manière progressive
Ses
efforts portent aussi sur le clergé et plus particulièrement sur les séminaires
au moyen de revues, de journées de recollection et de conférences pastorales.
« Notre grand espoir repose dans la
jeune génération sacerdotale. Nous pouvons dire sans exagération : le
temps travaille pour nous, dans deux ou trois dizaines d’années tout le clergé
sera acquis au Mouvement liturgique. »[10]
Pour
diffuser ses idées, Dom Parsch publie des brochures et des fascicules à la
portée de tous les fidèles, puis la revue Bibel und Liturgie et enfin un
hebdomadaire Leb mit Kirch. Il offre aussi un témoignage sur ses réalisations
en matière d’activités liturgiques. Il met enfin en place des retraites
liturgiques dès 1931 à Vienne pour dame et jeunes filles.
Une nouvelle messe
Certes,
Dom Parsch insiste sur la progressivité des développements et le respect des
traditions, cependant, dans la pratique, il est bien difficile, voire impossible, de maintenir une continuité liturgique.
Il l’avoue lui-même que ses idées sont innovantes, que la participation active
s’oppose aux usages et aux coutumes. Comment peut-il alors garantir le respect
des traditions ? Si les gestes qu’il insère dans la messe sont antiques,
leur usage est une nouveauté…
Revenons
aussi sur les méthodes qu’utilise Dom Parsch. Il est convaincu que seule la
pratique, une pratique prudente, progressive, lente permettra de modifier la
manière des fidèles de participer à la messe. Son objectif est de former les
jeunes fidèles et les jeunes clercs, qui, eux, se chargeront d’imposer
naturellement ses idées. Il implique aussi les fidèles dans les modifications
liturgiques. Dom Ses méthodes sont
redoutablement efficaces.
Conclusions
Pour
Dom Parsch, la liturgie est l’instrument idéal pour résister à la
sécularisation et à la déchristianisation de la société. Elle apparaît ainsi un outil remarquable d’apostolat. Or,
par son expérience, il considère que la voie suivie par le Mouvement liturgie,
initié par Dom Guéranger et poursuivi par ses disciples, est mauvaise. L’objectif
de Dom Parsch est différent. Au lieu de mieux faire comprendre et apprécier la
liturgie, il veut plutôt modifier la
piété des fidèles et par conséquent leur manière de participer à la messe et à
la liturgie. Pour arriver à ses fins, il modifie la liturgie, reprenant
notamment de vieux gestes liturgiques dans un sens nouveau. Plus porté sur la
pratique et finalement sur l’activisme, Dom Parsch expérimente ainsi de nouvelles
formes afin de favoriser la participation active des fidèles et la vie
communautaire en les impliquant davantage dans les modifications liturgiques. Il
n’hésite pas non plus à modifier l’église afin qu’elle s’adapte à ses idées.
C’est
ainsi que, guidé par ses idées et aussi influencé par Dom Casel, ou encore par
ses différentes rencontres, Dom Parsch n’hésite pas à modifier la Sainte Messe
de manière habile, sans précipitation ni heurt, à partir d’une « communauté liturgique », notamment pour
réduire ou contourner la résistance des fidèles âgés et du clergé. Il veut
surtout toucher la jeunesse et les séminaristes, plus à même de l’entendre et
de le suivre. Finalement, sans aucune
autorisation des autorités ecclésiastiques, et par lui-même, il impose
finalement des modifications importantes à la messe. Et progressivement, par
l’habitude, il parvient à les faire accepter.
Dom
Parsch donne donc à la messe une nouvelle finalité. La messe n’a pas en
effet pour vocation première de développer la vie communautaire ou, dit
autrement, elle n’est pas un instrument aux mains des fidèles pour les unir
davantage dans une communauté. Elle est d’abord destinée à glorifier Dieu et à
sanctifier les fidèles. Ce changement implique nécessairement une nouvelle
orientation de la messe, désormais tournée vers le fidèle comme le manifeste
clairement la nouvelle orientation de l’autel, une messe qui rejette toute
spiritualité individuelle et refuse de nourrir et d’élever l’âme intérieure
pour se consacrer à la communauté locale, c’est-à-dire à la vie paroissiale.
C’est finalement la communauté locale
présidée par le curé, qui, d’elle-même et par elle-même, modifie la forme de la
messe pour l’adapter à son regard. La messe est ainsi livrée aux
expériences sans aucun contrôle de l’autorité ecclésiastique ni continuité avec
son histoire. Porté sur la pratique, Dom Parsch pousse les paroisses à l’activisme en matière liturgique. C’est
ainsi que naît une nouvelle messe ou plutôt une multitude de nouvelles messes,
toujours évolutives, jamais fixées, peu appropriées à l’Église, une et
universelle, c’est-à-dire catholique. Car, finalement, la communauté que
constitue Dom Parsch, est-elle vraiment le « corps mystique réduit » ? Peut-elle faire l’objet
d’expérimentation ?
Notes et références
[1] Dom Plus Parsch, Le Renouveau liturgique,
Castermann, 1950.
[2] Dom Pius Parsch, Le Renouveau liturgique au
service de la paroisse – sens et portée de la liturgie populaire,
traduction française par M. Grandclaudon, Mulhouse, Salvator, 1950. La plupart
des citations proviennent de cet ouvrage.
[3] Voir Émeraude, avril
2023, article « Dom Guéranger et le vrai sens de la liturgie ».
[4] Voir Émeraude, mai 2023,
article «Dom Herwegen, Romano Guardini et Dom Casel : l'Effort liturgique,
vers la transformation de la liturgie ».
[5] Dom Pius Parsch, Le Renouveau liturgique au
service de la paroisse – sens et portée de la liturgie populaire.
[6] Dom Parsch, Méthode pour un travail de
liturgie populaire.
[7] Dom Parsch, article Ist
das Laeinbrevier berechtigt ?, 1926, dans Bibel und Liturgie, 1,
1926-1927.
[8] Dom Parsch, article Die
objektive und subjektive Frômmingkeit, 1926, dans Bibel und Liturgie, 7,
1931-1932.
[9] Dom Parsch, Le Renouveau liturgique au
service de la paroisse – sens et portée de la liturgie populaire.
[10] Dom Parsch, Le Renouveau liturgique au
service de la paroisse – sens et portée de la liturgie populaire.
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