En reconnaissance de la naissance
d’un héritier et conformément à un vœu, Louis XIII (1601-1643) consacre son
royaume à Sainte Marie et demande de commémorer cet événement tous les ans le
15 août. Cet acte éminemment religieux et politique souligne l’importance de la fête de l’Assomption
dans la dévotion mariale. Si cette fête est très ancienne, le dogme qui lui
est associé est néanmoins très récent. Il a fallu en effet attendre le 1er
novembre 1950 pour que le pape Pie XII
définit et proclame le dogme de l’Assomption de Saint Marie : « nous affirmons, déclarons et définissons
comme un dogme divinement révélé que : l’Immaculée Mère de Dieu, Marie
toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée
en corps et en âme à la gloire céleste. »[1]
C’est encore un exemple où la croyance précède la proclamation d’un dogme.
Avant même qu’elle ne soit enseignée par l’Eglise comme vérité révélée, la
croyance en l’Assomption de Sainte Marie a été rejetée par l’ensemble des protestants et par les orthodoxes, la
considérant comme une invention des
catholiques.
Sous prétexte de l’œcuménisme
moderne, il serait peu honnête et dangereux de ne point traiter ce qui nous
sépare des protestants et des orthodoxes. De peur de froisser ceux qui se sont
séparés de nous ou bien de faire face à leurs contradictions, certains
catholiques préfèrent ne point proclamer ce que l’Eglise demande de croire au
risque d’affaiblir la foi, y compris parmi les fidèles. Au lieu de nous perdre
dans une sorte de silence hypocrite où se mêlent naïveté, lâcheté et duperie, nous
allons plutôt essayer de comprendre l’origine du dogme de l’Assomption pour
mieux le défendre et l’exposer, à partir d’études sérieuses[2].
Mais écoutons d’abord ceux qui le rejettent…
Les protestants unanimes contre
l’Assomption
Pourtant, Luther n’était pas à
l’origine défavorable à la fête de l’Assomption. Il semble en fait ne pas s’en
intéresser. Mais croyant qu’elle détournait les fidèles des fêtes de Notre
Seigneur Jésus-Christ, en particulier celle de l’Ascension, il finit par la
rejeter. Son refus est significatif. Les protestants refusent tout ce qui
semble remettre en cause le lien direct entre Notre Seigneur Jésus-Christ et le
fidèle. Sans-doute est-ce la raison qui les obligent peu à peu à refuser tout
ce qui pourrait détacher Sainte Marie de notre pauvre humanité ? Or, pour
le catholique, cette relation directe
n’est pas exclusive. Il croit aussi que par Sainte Marie, le fidèle peut être
davantage lié à Notre Seigneur Jésus-Christ.
Les protestants ne croient donc ni
à l’Immaculée Conception ni à son Assomption ni à sa participation à l’œuvre du
salut. S’ils sont unanimes dans leur rejet, ils se divisent sur d’autres
vérités, notamment sur la maternité divine ou sa virginité perpétuelle comme si
finalement, ils ne s’identifient que par
leur opposition au culte marial des catholiques.
La Dormition chez les orthodoxes
Pourtant, la définition de
l’Assomption ne parle pas de la mort de Sainte Marie. Celle-ci est une question bien distincte de celle de
l’Assomption. Le rejet des orthodoxes peut s’expliquer par l’utilisation de
l’expression « Immaculée Conception »
dans la proclamation du dogme de l’Assomption. Les orthodoxes rejettent en
effet le dogme de l’Immaculée Conception[7].
Mais comment peuvent-ils garder une certaine cohérence dans leur doctrine mariale ?
L’incorruptibilité du corps de
Sainte Marie
Nous allons d’abord évoquer Saint Hippolyte, mort en 258. Certes,
il ne traite pas de la fin de Sainte Marie, mais son enseignement mérite d’être
entendu. Il porte sur l’incorruptibilité
de son corps qu’il compare à du « bois
imputrescible », un bois qui n’est exposé à aucune corruption. Il nous
dit en effet que Notre Seigneur Jésus-Christ est « constitué, quant à son humanité, de bois
imputrescibles, c’est-à-dire de la Vierge et de l’Esprit-Saint, recouvert à
l’intérieur et à l’extérieur comme par l’or très pur du Verbe de Dieu. »[8]
Un silence mystérieux sur la fin
de Sainte Marie
Saint Epiphane évoque ainsi un prodige sans rien préciser. « Je n’ose parler, je le garde en ma pensée. »
Il demeure silencieux à son tour « par
révérence pour cette Vierge incomparable. » Pourtant, il fait
référence à l’Apocalypse de Saint Jean qui nous parle d’une femme qui
s’envole sur les ailes d’un aigle, échappant ainsi à un dragon. Mais, gardant
son secret, il ne veut rien affirmer sur
la fin de Sainte Marie. Sa conclusion est alors étrange. « En fait », conclut-il, « personne ne sait quelle a été sa fin. »[12]
Comme d’autres commentateurs, nous pourrions croire qu’il ne veut rien affirmer
de peur de témoigner en faveur d’un groupe de femmes hérétiques, les
collyridiennes, qui, croyant en son immortalité, vouent à la Sainte Vierge un
véritable culte d’adoration.
Mais, quelle que soit la fin de
Sainte Marie, Saint Epiphane se demande comment elle est parvenue à la gloire
parfaite. Car il en est convaincu. Elle
est déjà dans le Royaume de son Fils en son corps et en son âme. « Ce que [Notre Seigneur Jésus-Christ] a voulu, c’est qu’elle soit un tabernacle
saint, et qu’elle soit en possession de son royaume », une possession
qui ne soit pas qu’à moitié.
La croyance en un enlèvement de
Sainte Marie au IVe siècle ?
Plusieurs apocryphes de la fin du
Ve siècle décrivent des prodiges qui ont accompagné la fin de vie de Sainte
Marie. Certains d’entre eux affirment clairement que le corps de la Sainte
Vierge n’a pas subi de corruption et qu’il a été enlevé vers le ciel. Si ces
apocryphes peuvent répondre à la curiosité populaire et nourrir la piété, ils
s’appuient généralement sur une croyance déjà acquise donc plus ancienne, et
sur un enseignement qu’ils enrichissent et agrémentent de nombreuses
fantaisies.
Cependant, à la fin du IVe siècle, bien avant ces apocryphes, il a été trouvé
sur plusieurs manuscrits des annotations attribuées à Eudoxe, évêque arien, mort en 370. Il reprend le Magnificat en y
ajoutant cette phrase mystérieuse : « Et voici que maintenant je passe de la terre aux cieux, et que je suis
tirée pour la réalisation d’un mystère ineffable. » Cet ajout
s’appliquerait-il à la maternité divine de Sainte Marie ? Cet ajout nous
renvoie à une représentation d’un sarcophage daté du début du IVe siècle, où
une main venant du ciel saisit le poignet d’une femme qui va ainsi être tirée
au ciel. La scorie pourrait donc évoquer l’enlèvement de la Sainte Vierge tirée
vers le ciel par son Fils bien avant la diffusion d’apocryphes.
Le témoignage de Saint Ephrem au
IVe siècle
Le témoignage de Saint Ephrem
nous montre qu’à la fin du IVe siècle, l’Assomption de la Sainte Vierge était
déjà enseignée en Orient. Elle conduit à la
glorification de Sainte Marie, conséquence de sa maternité divine. Ainsi,
son corps a échappé au sort commun à toute chair. Sévérien, évêque de Gabala,
mort après 408, proclame même que Sainte Marie est la Mère des vivants, qu’elle
est dans « un lieu lumineux, dans la
région des vivants ». Du ciel, elle entend nos louanges à travers les
siècles. Soulignons que cet enseignement date d’avant le concile d’Ephèse (431). Il n’est donc pas la conséquence
du développement du culte marial qui se produit après la proclamation du titre
de « Theotokos » attribuée
à Sainte Marie[16].
La fête de la Dormition
Selon la plupart des
commentateurs, la fête aurait pour origine une fête dédiée à Sainte Marie, le
15 août, entre Bethléem et Jérusalem, dans un lieu de pèlerinage le plus
important de la Palestine, un rocher sur lequel, selon la tradition, Sainte
Marie s’est reposée sur le chemin de Bethléem. Plusieurs sources attestent
cette fête au Ve siècle : un document liturgique arménien de Jérusalem
datée entre les années 419 et 439, un discours d’un moine et prêtre,
probablement prononcé le 15 août 431, la vie de Saint Théodose le Cénobiarque
écrite en 530. Un tropologion géorgien de Jérusalem, c’est-à-dire un recueil
d’hymnes, daté de 600, reflète la pratique liturgique de Jérusalem vers 560
environ. Il indique que le 15 août est dédié au souvenir de Sainte Marie. Les hymnes chantent même
la Dormition de Sainte Marie.
La fête la plus ancienne en
l’honneur de la Dormition est attestée en Syrie au Ve siècle. Il s‘agit d’un
discours poétique de Jacques de Saroug, mort en 521, probablement prononcé en
489 dans la ville de Nisibe. L’auteur mentionne notamment l’inhumation du corps
de la Sainte Vierge au Mont des Oliviers mais souligne que son tombeau demeure
inconnu jusqu’à son époque.
À Rome, un décret du pape Sergius I (687-701) introduit solennellement la
fête de la Dormition. Cependant, le Pape Théodore I (642-649) aurait apporté
une contribution importante à une fête la célébrant. Saint Grégoire de Tours
évoque aussi une fête à la fin du VIe siècle. La fête prend ensuite le nom de
l’Assomption.
À partir du IXe siècle, des
textes sont défavorables ou favorables à l’assomption corporelle de Sainte
Marie. Les grands scolastiques comme Saint Albert le Grand et Saint Bonaventure
l’enseignent sans difficulté. Saint Thomas d’Aquin estime que leur
argumentation est raisonnable. Les théologiens qui les succèdent sont unanimes à la doctrine de l’Assomption.
Conclusions
Depuis le IIIe siècle, l’Eglise a enseigné l’Assomption de Sainte Marie
au travers des Pères de l’Eglise et de la liturgie avant même le concile
d’Ephèse qui proclame la maternité divine de Sainte Marie. La doctrine s’est
ensuite développée puis affermie par les grands scolastiques sans connaître de
divisions ou d’obstacles. Il est sans-doute un des dogmes qui emportent sans
difficulté l’adhésion des théologiens au sein de l’Eglise au cours de son histoire.
Il est alors difficile de recourir à l’imagination ou à la psychologie pour
expliquer le dogme de l’Assomption. En outre, comme l’ont si bien compris
l’Eglise dès les premiers siècles, il est aussi difficile de parler du terme de
la vie de Sainte Marie sans l’associer à son Fils. Ceux qui parlent aussi de « mariolâtrie » devraient donc davantage
méditer sur la maternité divine de la Sainte Vierge. Mais y croient-ils
encore ? Quand on est Mère de Dieu, on n’est plus une femme ordinaire…
Enfin la formulation du dogme de
l’Assomption ne prend pas position sur la mort naturelle de Sainte Marie. Elle
utilise l’expression « après avoir
achevé le cours de sa vie terrestre ». Comme l’ont aussi enseigné les
homélies byzantines, elle affirme qu’elle « a été enlevée en corps et âme dans la gloire céleste. » Les
orthodoxes ne peuvent donc s’y opposer. Mais ce serait alors accepter par
cohérence l’Immaculée Conception et finalement l’autorité du pape…
Notes et références
[1] Pie XII,
constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1er
novembre 1950, Denziger n°3901.
[2] Nous
nous appuyons surtout sur les études menées par le Révérend Père Martin Jugie
(1878-1954) sur l’Assomption. Voir La mort et l’Assomption de Marie, Rome,
1944. C’est un ouvrage de référence.
[3] Article L’assomption
de la sainte vierge : qu’en disent les protestants, 15 août 2022,
Site WEB reforme.net.
[4] Voir
article Cette étrange Assomption, Anne-Marie Balenbais, 15 août 2021, regardprotestants.com.
[5] Anne-Marie
Balenbais, article Comprendre l’Assomption, 15 août 2021, region-ouest.epudf.org,
site WEB du Protestant de l’Ouest ;
[6] Pasteur
André Thomas, article Marie : points de vue catholique et
protestants, 11/07/2003, modifié le 12/08/2019, La Croix.
[7] Voir Émeraude,
[8] Saint
Hippolyte, sermon Dominus regit me, cité par Théorodet, Eranistès, I, P., G., t.
LXXXIII, col. 85-88, dans La mort et l’Assomption de la Sainte Vierge
dans la tradition des cinq premiers siècles, Martin Jugie, dans Echos
d’Orient, tome 25, n°141, 1926, persee.fr.
[9] Voir De
Virginitate, Saint Grégoire le Thaumaturge.
[10] Germain,
patriarche de Constantinople, Homélie 1 sur la Dormition, dans Histoire
des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème
partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’Immaculée Conception et
l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.
[11] Saint
Epiphane de Salamine, Contra haereses, LXXVIII, 10-11 La
mort et l’Assomption de la Sainte Vierge dans la tradition des cinq premiers
siècles (suite), Martin Jugie, dans Echos d’Orient, tome 25, n°142,
1926, persee.fr.
[12] Saint
Epiphane de Salamine, Contra haereses, LXXVIII, 24.
[13] Saint
Ephrem, In Natalem Domini, sermo XI dans La mort et l’Assomption de la
Sainte Vierge dans la tradition des cinq premiers siècles, Martin
Jugie.
[14] Saint
Ephrem, In Natalem Domini, sermo IV.
[15] Saint
Ephrem, In Natalem Domini, sermo XII.
[16] Voir Emeraude, octobre 2022, articles "Sainte Marie, Mère de Dieu, Theotokos".
[17] André
de Crète (env. 660-740), Homélie 2 sur la Dormition, dans Histoire
des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème
partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’Immaculée Conception et
l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.
[18] André
de Crète (env. 660-740), Homélie 2 sur la Dormition, dans Histoire
des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème
partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’immaculée Conception et
l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.
[19]
Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème partie, La Vierge Marie,
H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’immaculée Conception et l’Assomption de Marie,
II.
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