" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 18 février 2023

La Sainte Messe au cœur de l'Église : la constitution Sacrosanctum Concilium, une tentative de restauration liturgique


La sainte messe est au centre de la vie de l’Eglise. Elle est cœur du catholicisme. Pourtant, combien d’hommes et de femmes se disent-ils chrétiens, voire catholiques, sans se rendre à l’église le dimanche pour assister à la messe dominicale comme le demande l’Église ? Il n’est plus surprenant de voir des bancs tristement vides le jour des grandes fêtes ou encore des cérémonies d’enterrement de fidèles sans messe. Ce manque d’intérêt révèle sans aucune doute une profonde crise de foi et de piété. Si certaines voix ne s’en inquiètent pas, voire semblent en être ravies, considérant cette baisse de la pratique comme un bon signe de changement de la vie chrétienne, nous préférons entendre celles qui ne veulent point accepter cette situation déplorable…

De nos jours, nous assistons aussi à la division des catholiques selon leur conception de la Sainte Messe. Les uns demeurent fidèles à l’ancien rite romain quand d’autres suivent encore celui de Paul VI ou participent à des messes toujours plus innovantes. La position des papes est encore plus significative. Ce que Benoît XVI a accepté, le pape François refuse. Ce qui était hier permis ne l’est plus aujourd’hui. Au XVIe siècle, les différents mouvements protestants s’opposent aussi aux catholiques par la mise en place de nouvelles cérémonies en rupture avec la messe. Toutes ces querelles et divisions illustrent encore de manière éclatante l’importance de la sainte messe dans la vie et la piété des fidèles. C’est sans-doute une triste leçon à retenir de la crise qui atteint l’Eglise. Elle nous oblige à tourner notre regard vers la sainte messe …

Pourtant, au lendemain du deuxième concile de Vatican, les pères conciliaires semblaient être satisfaits des travaux entrepris sur la liturgie. Ils pensaient avoir œuvrer pour une meilleure participation des fidèles à la sainte messe. Plus de cinquante ans plus tard, la situation est terrible comme nous venons de le décrire : baisse de la fréquentation, ignorance des fidèles, querelles et divisions. Quelles que soient nos opinions et nos convictions sur ce sujet, nous ne pouvons pas ne pas prendre conscience de l’échec.

La sainte messe est désormais le sujet de notre essai apologétique afin de mieux faire connaître ce qui est le cœur de l’Eglise et de la défendre contre tous ceux qui l’ont remise en cause afin de contribuer avec tant d’autres à une restauration que nous souhaitons vivement. Pour cela, nous allons tenter de comprendre l’origine de la crise qui touche la sainte messe et d’abord, dans cet article, de présenter la constitution Sacrosanctum Concilium du deuxième concile de Vatican dont le but était de rénover la liturgie…

La constitution Sacrosanctum Concilium

En effet, avant de traiter des innovations et des bouleversements de la nouvelle messe, commençons par comprendre les motivations qui les ont fait naître. Pour cela, nous allons commencer par présenter la constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium du 4 décembre 1963. Celle-ci est l’une des trois constitutions doctrinaires promulguées par le deuxième concile de Vatican II.

La constitution comprend sept chapitres qui peuvent être répartis en deux parties. La première partie définit les principes généraux et les normes à apporter « pour la restauration et le progrès de la liturgie » (chap. I) alors que la seconde n’est que l’application de ces normes aux différentes parties de la liturgie. Les chapitres II à VII révisent en effet le mystère de l’Eucharistie (II), les rites des différents sacrements (III), l’office divine (IV), l’année liturgique (V), la musique sacrée (VI), l’art sacré et le matériel du culte (VII). Un appendice en faveur d’une réforme du calendrier liturgique termine la constitution.

La première partie commence par définir en quoi la célébration liturgique est une action de l’Eglise d’une extrême importance. Elle est « l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Eglise ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré » (7), même si elle n’en est pas son unique activité. Elle est aussi « sommet et source de la vie de l’Eglise. » (10) L’action de l’Eglise tend vers elle et en même temps toute sa vertu en découle. La liturgie est aussi le principe de la piété.

Cependant, pour obtenir cette pleine efficacité, non seulement la célébration doit être valide et licite, mais les fidèles doivent aussi être dans « les dispositions d’une âme droite » (11). La constitution insiste surtout sur la participation des fidèles qui doit être « consciente, active et fructueuse. »

En outre, la constitution veut améliorer la formation liturgique du clergé et des fidèles (II).

Enfin, dans une troisième partie, elle définit « la restauration de la liturgie » (III) et qu’elle promeut le développement de la vie liturgique dans le diocèse et la paroisse (IV) et de la pastorale liturgique (V).

La constitution souligne donc l’importance de la liturgie qu’elle veut restaurer pour favoriser les bonnes dispositions des fidèles afin qu’ils en reçoivent toutes les vertus. Son rôle et son caractère sacrés imposent aussi une grande prudence. Enfin, comme elle est de nature doctrinaire, elle définit des principes, des normes, des limites. Elle n’est pas avant tout pratique. Nous allons désormais étudier uniquement la partie portant sur la « restauration de la liturgie ».

Objectifs de la « restauration de la liturgie »

La réforme liturgique doit répondre aux objectifs que s’est fixé le deuxième concile de Vatican. Il s’agit de faire progresser la vie chrétienne chez les fidèles, de mieux adapter aux nécessités de l’époque celles des institutions qui sont sujettes à des changements, de favoriser tout ce qui peut contribuer à l’union de tous les chrétiens, de favoriser la conversion des hommes. Ainsi, « il lui revient à un titre particulier de veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie. »[1] Les modifications apportées à la Sainte Messe relèvent donc d’un objectif plus vaste.

Les objectifs de cette rénovation et de ce progrès sont de rendre la participation des fidèles « consciente, active et fructueuse » (11), « pleine, consciente et active » (14), « plénière et active » (41), « consciente, pieuse et active » (48), « consciente, active et facile » (79). Le terme de « participation active » revient à dix-huit reprises dans le texte.

Notons aussi que neuf fois, la constitution précise que les modifications doivent être jugées « utiles », « nécessaires » ou « pertinentes ».

Les limites de la réforme liturgique

La réforme liturgie a pour but de restaurer la liturgie et plus particulièrement la Sainte Messe. La constitution précise qu’il existe dans la liturgie une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et une partie sujette au changement. C’est donc cette partie muable qui doit faire l’objet d’une restauration. « Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire. » (21) La constitution le rappelle à plusieurs reprises. La révision des rites doit se faire « là où il en est besoin » (4).

Cette rénovation doit se faire également « avec prudence dans l’esprit d’une saine tradition » (4), même si elle doit adapter les rites aux circonstances et aux nécessités d’aujourd’hui. Les modifications doivent répondre à une double nécessité. « On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Eglise les exige vraiment et certainement, et après s’être assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique. » (23) Cela signifie donc l’absence de rupture. Enfin, les modifications ne doivent pas conduire à singulariser un rituel par rapport à d’autres.

Enfin, la constitution définit aussi les autorités qui sont légitimes pour effectuer les changements, c’est-à-dire le Siège apostolique, voire l’évêque et dans les limites fixées à l’assemblée des évêques. L’autorité ecclésiastique ayant compétence sur un territoire doit instituer une commission liturgique nationale chargée « de diriger la pastorale liturgique », « de promouvoir les recherches et les expériences nécessaires chaque fois qu’il s’agira de proposer des adaptations au Siège apostolique. » (44) De même, l’évêque doit disposer d’une commission liturgique « pour promouvoir l’action liturgique » (45) sous sa direction. Enfin, le prêtre n’a aucune autorité pour « ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie » (22),

Les points à modifier

Les principaux points de changements consistent à promouvoir le « goût savoureux et vivant de la Sainte Ecriture » (24). Les lectures seront donc « plus abondantes, plus variées et mieux adaptées » (35). La partie la plus importante des Saintes Ecritures devra être lue en l’espace d’un nombre déterminé d’années (51).

La rénovation doit promouvoir la célébration communautaire au détriment de la célébration individuelle et quasi-privée. En outre, elle doit favoriser « les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. » (30)

Elle doit préserver la dignité de la célébration. Les participants à la célébration doivent exercer leur fonction « avec toute la piété sincère et le bon ordre qui conviennent à leur ministère » (28) et selon leur rôle. Le rôle des fidèles ne doit pas être oublié.

La constitution insiste sur le rôle pédagogique de la liturgie. Elle doit « signifier les réalités divines invisibles » (33). Cependant, les modifications doivent simplifier les rites, les rendre plus brefs et éviter les répétitions inutiles. Leur compréhension doit être rapide. De brèves monitions pourront être insérées dans les rites eux-mêmes « mais seulement aux moments les plus opportuns et dans les termes indiqués ou avec des paroles équivalentes. » (35)

« L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. » (36) Cependant, la constitution précise que l’emploi de la langue vernaculaire étant très utile pour les fidèles, il est possible de lui accorder une grande place.

Enfin, la constitution promeut l’adaptation de la liturgie au caractère et aux traditions des différents peuples sous condition que ces adaptations ne soient pas liés à des superstitions et à des erreurs et qu’elles soient conformes « avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique. » (37) En outre, le rite romain doit être substantiellement sauvegardé.

Quelques remarques

Après avoir rappelé la valeur de la liturgie liturgique, la constitution prône une réforme de la liturgie. Il s’agit surtout de supprimer « tout ce qui, au cours des âges a été redoublé ou ajouté, sans grande utilité » (50). De même, des choses disparues au cours du temps pourront être rétablies « dans la mesure où cela apparaîtra opportun ou nécessaire » (50). Il s’agit bien d’une restauration, ce qui signifie que la substance des rites doit être gardée et que les modifications doivent être mineures. À plusieurs reprises, la constitution souligne la prudence qui doit accompagner la restauration en raison de la valeur même de la liturgie tout en prônant des évolutions.

Nous pouvons aussi noter qu’après avoir clairement défini des principes, la constitution donne la possibilité de les déroger si cela est nécessaire et utile. Ainsi, après avoir rappelé la conservation de l’usage de la langue latine dans les rites latins, elle demande d’accorder une plus large place à la langue vernaculaire si cela est utile pour le peuple. La constitution tente donc de concilier la Tradition et le progrès en définissant le principe de développement organique, ce qui semble impliquer une continuité dans les modifications liturgiques.

La formation est un élément clé de la réforme liturgique. La constitution souligne en effet l’importance de la formation liturgique des prêtres et des fidèles, sur laquelle fonde en effet la restauration de la liturgie. Toute modification s’appuie sur une connaissance de la liturgie et de la tradition liturgique, qui doit guider le progrès liturgique dans la continuité de la tradition. Il ne s’agit pas simplement de connaître les raisons d’être des différents gestes et rites ainsi que de leurs évolutions mais aussi d’acquérir le sens de la liturgie ou encore l’esprit de la liturgie. Cette formation s’étend à tout ce qui constitue la liturgie, notamment l’art et la musique sacrés. Sans cette connaissance, il n’y a point de restauration possible, de retour à la tradition authentique.

Cependant, cette restauration n’est pas un simple retour à la tradition. Elle cherche une meilleure participation des fidèles bien qu’elle ne définit pas clairement ce qu’elle entend par participation « consciente, pleine, active ». Certes, celle-ci dépasse une participation extérieure des fidèles puisqu’elle demande l’implication de leur intelligence, de leur sensibilité et de leur volonté. Mais le texte ne cherche-il pas à dépasser aussi cette intériorité pour défendre une notion théologique, celle du sacerdoce des chrétiens ? Une participation active pourrait être aussi comprise comme une capacité d’initiative qui est proposée aux fidèles. Or fondamentalement, le fidèle est passif dans la célébration liturgique. Celle-ci est aussi encadrée par les autorités compétentes. Elle respecte enfin la tradition liturgique.

Alors que la constitution concentre l’attention sur les fidèles, elle précise que la fin de la liturgie et de tout ce qui la constitue est la gloire de Dieu et leur sanctification. Cependant, elle le rappelle de manière discrète. La glorification de Dieu est ainsi mentionnée quatre fois dans le texte.

Conclusions

La constitution Sacrosanctum Concilium est votée avec 2147 voix pour (« placet ») et 4 contre (« non placet ») après deux sessions seulement. Elle est donc satisfaisante pour l’unanimité des pères conciliaires. Elle se présente comme une restauration qui cherche à rendre la liturgie plus accessible aux fidèles pour une meilleure participation et compréhension des fidèles, et finalement pour leur sanctification, dans la continuité de la tradition.

Cependant, si les principes et les normes de la restauration de la liturgie sont suffisamment clairs, l’ensemble présente quelques risques. Elle se fonde notamment sur une connaissance de la liturgie, sur la formation et sur l’obéissance aux autorités de l’Église. Si ces conditions décisives n’étaient pas remplies, l’appel à l’adaptation et aux modifications pour le progrès pourrait rapidement conduire à de malheureuses initiatives incontrôlables contraires à la tradition liturgique et finalement à l’esprit de la constitution. Or, au lendemain du deuxième concile de Vatican, un autre esprit s’est imposé…


Note et référence

[1] Paul VI, Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, Préambule,4 décembre 1963, vatican.va. L'ensemble des citations provient de cette constitution. 

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