D’une manière générale, les
mouvements protestants sont défavorables à l’usage de l’image comme objet de dévotion,
quelle soit sa forme. Ils la considèrent en effet comme le support d’une piété
de superstition[1] alors
que pour les catholiques, elle est au contraire l’objet d’une véritable
piété profondément chrétienne. C’est pourquoi l’usage de l’image et sa
finalité sont une des questions qui opposent les protestants et les
catholiques. Elles soulèvent aussi des questions au sein du protestantisme. Si
Luther est plutôt favorable à l’image mais uniquement comme support pédagogique
de transmission de la foi sans-doute par pragmatisme, Calvin et Zwingli n’y
voient qu’idolâtrie et superstition. Mais, en dépit de cette différence, d’une
voix unanime, ils accusent l’Église d’avoir perverti le christianisme en
inventant et en développant le culte de l’image. Leurs vives oppositions n’ont
pas été sans conséquence dans la diffusion du protestantisme auprès de la
population. Sa propagation a souvent été accompagnée de la destruction de
peintures, de sculptures et finalement de toutes images religieuses…
Icône de la Vierge attribuée à Jean Damascène Monastère de Hilandar |
La Querelle des Images est une
des grandes crises qu’a connue l’Église au VIIIe siècle, au temps de
l’empire byzantin, plus particulièrement en Orient. Elle oppose ceux qui
refusent les représentations religieuses sous toutes leurs formes et veulent
les briser afin de supprimer le culte des images alors très répandues à cette
époque et ceux qui veulent le défendre. Tout commence en 726 par un édit de
l’empereur byzantin Léon III (v. 680-741), dit l’Isaurien, qui proscrit le
culte des images et ordonne de les détruire dans tous les édifices sacrés ou
profanes. Conformément à ses ordres, les statues des églises et les icônes sont
alors brisées. Les briseurs d’image, appelés iconoclastes, mènent aussi
de violentes représailles contre tous ceux qui veulent les défendre et les
protéger. Pour faire cesser cette crise, il a fallu deux conciles œcuméniques,
le deuxième concile de Nicée (787) et le sixième concile de Constantinople
(869-870).
Les origines de la Querelle des
Images
Au début du VIIIème siècle,
l’empire byzantin est en grande difficulté. Il lutte encore pour sa survie.
Alors que les guerres civiles se succèdent et que les empereurs changent
rapidement, les forces de l’empire ottoman s‘apprêtent à lancer une nouvelle attaques
sur Constantinople. L’arrivée au pouvoir de Léon III en 717 met fin aux
troubles dynastiques et assure à l’empire une véritable stabilité.
L’élaboration d’un nouveau code juridique et d’autres œuvres illustrent sa
volonté de réformer l’empire. Sur le plan militaire, le nouvel empereur
défait en 718 les armées ennemies parvenues aux portes de la cité impériale.
Plus tard, en 740, il emportera une victoire décisive sur l’empire ottoman qui
mettra Byzance à l’abri pendant quelques siècles. Finalement, avec
l’accession au trône de l’empereur Léon III, l’empire byzantin entre dans une
ère d’apogée. Cependant, cette période de puissance débute par une crise
grave, celle de l’iconoclasme connue aussi sous le nom de Querelle des images,
qui sera à l’origine de violence et d’une nouvelle guerre civile.
Or, à la même époque, l’empire
ottoman réagit contre le culte des images que suivent les chrétiens sur son
territoire. Comme les Juifs, les Musulmans rejettent toute représentation
religieuse. En 723, considérant le culte des images comme une idolâtrie, le
calife ordonne aux chrétiens d’enlever les images de toutes leurs églises de
son territoire.
En Asie, depuis quelques siècles,
la vénération des images des saints s’est répandue et affermie dans l’empire
byzantin au point de devenir une des manifestations les plus importantes du
christianisme oriental. Au VIIIe siècle, sans-doute animé par une foi avide
de pure spiritualité ou choqués par des pratiques superstitieuses qu’ils
considèrent comme un retour au paganisme, un courant d’hostilité parmi les
chrétiens s’est levé contre les excès de ce culte. Nombreux sont alors
les évêques qui s’opposent au culte des images. Toujours dans les régions
orientales, des hérésies chrétiennes se lèvent aussi contre cette pratique.
Des considérations politiques
peuvent aussi expliquer le combat contre le culte des images. Léon III est
effrayé par l’influence grandissante des moines sur la population, par la
multiplication de leurs monastères ainsi que leurs grandes richesses qui, en
raison de leur impunité financière, échappent au trésor impérial. Or les moines
sont de grands partisans du culte des images. La remise en cause du culte des
images lui permet alors d’amoindrir leur puissance.
De la persécution sous Léon III…
Jean Grammairien détruisant une peinture Miniature, Psautier de Chludov IXème siècle |
La promulgation de l’édit
impérial provoque la destruction des images et la mise au ban des défenseurs du
culte des images. Cette persécution devient plus violente et systématique sous
le règne de Constantin V, fils de Léon III.
À la lutte acharnée sous
Constantin V…
Le nouvel empereur est en effet un
iconoclaste encore plus acharné que son père. Il poursuit donc sa politique
contre le culte des images. Il réduit en silence ses opposants, les remplace
sur les sièges épiscopaux, et en crée d’autres qu’il réserve aux partisans de
l’iconoclasme. Il écrit aussi des traités théologiques pour défendre sa
position et développer une doctrine défavorable au culte des images. Il défend
d’une part une pleine identité entre l’image et ce qu’elle représente,
voire une consubstantialité. Mais, il développe une argumentation plus solide
que ceux qui voient seulement dans le culte des images une renaissance de
l’idolâtrie. Il évoque en effet la nature divine de Notre Seigneur Jésus-Christ
pour nier la possibilité d’une véritable représentation du Christ. Il rattache
alors le problème des images aux dogmes christologiques. Parmi les plus
hostiles à l’iconoclasme, se trouvent des monophysites qui ne voient en Notre
Seigneur Jésus-Christ qu’une seule nature, une nature divine.
Par ses mesures ecclésiastiques,
une propagation active et de nombreuses publications, Constantin V parvient à
étendre son influence et à imposer plus profondément ses décisions. Le 10 février
754, il réunit un concile à Hiéreia, qu’il revendique comme œcuménique
en dépit du refus du pape d’y participer. Ce concile comprend 358 évêques qui
tous sont des partisans de l’iconoclasme. Se fondant sur les écrits de
l’empereur, il rejette de manière absolue les images des saints sans aucune
distinction et toute vénération des images. Enfin, il prescrit la
destruction de toutes les images religieuses, anathématise le patriarche
Germain, Saint Jean Damascène et de nombreux défenseurs du culte des images, et
menace tous leurs partisans non seulement de l’anathème mais aussi de les
remettre à la vindicte de l’état. L’empereur met en pratique les décisions du
concile. Les images religieuses sont remplacées par des peintures profanes,
surtout par des images de l’empereur et des représentations à sa gloire. Il
n’admet aucune résistance et applique par le feu et le sang son programme.
Mais sa politique soulève une
vive résistance et déclenche une lutte acharnée entre iconoclaste et
partisans du culte des images. Une violente persécution s’abat notamment
sur les moines qui sont alors emprisonnés, flagellés et offerts en dérision au
peuple, et leurs biens sont confisqués. Un grand nombre de moines s’exilent en
Occident. Des conciles sont de nouveau tenus à Rome pour condamner
l’iconoclasme et défendre le culte des images.
La détente sous Irène
Le IIe concile de Nicée
distingue bien clairement la représentation religieuse de ce qu’elle
représente. Grâce à la représentation des saints par l’image, « on est amené à se rappeler et à aimer les
modèles originaux et à leur donner salutations et respectueuses
vénérations »[2]. Ainsi,
« celui qui vénère l’image vénère en
elle la personne de celui qu’elle représente. » Car « l’honneur rendu à l’image s’en va au modèle
original ». Ainsi, la vénération ne s’adresse pas à l’image mais au
saint qu’elle représente. Le concile refuse fermement toute consubstantialité
entre l’image et ce qu’elle représente. Il affirme aussi que cette vénération
n’a rien de commun avec l’adoration due à Dieu seul. L’image d’un saint ne
doit pas conduire à « l’adoration
véritable propre à notre foi, qui convient à la nature divine seule ».
Enfin, le concile légitime l’image par le recours de la Sainte Tradition et
par l’autorité de l’Église. Ceux qui refusent cet enseignement « méprise les traditions de l’Église et
imagine quelque nouveauté, ou rejette l’un des objets consacrés offerts par
l’Église »[3].
L’iconoclasme est ainsi condamné comme hérésie…
Ainsi, le concile défend
l’utilité des images et affirme la conformité du culte des images avec la
tradition de l’Église tout en écartant le reproche d’idolâtrie.
Le dernier sursaut de
l’iconoclasme
Cependant, le parti des
iconoclastes reprend de l’influence dans l’empire byzantin sous les règnes de
Léon V l’Arménien (813-820), de Michel II (820-829) et de Théophile (829-842).
Plus censé et plus mesuré,
l’empereur Michel II, son successeur, cesse la persécution et rappelle les
partisans des images sans néanmoins restaurer le culte des images. Il ne
connaît aucun des conciles et interdit toute discussion sur le problème des
images bien qu’il soit lui-même iconoclaste.
Son fils, Théophile, dont le
précepteur était le savant et iconoclaste Jean le Grammairien, n’est pas aussi
réservé et mesuré que son père. Admiratif de l’art et de la civilisation
arabe, il est un iconoclaste intransigeant. En 837, il fait monter Jean le Grammairien
sur le trône patriarcal et déclenche une violente persécution contre les
partisans des images, persécution qui dégénère en guerre contre le monachisme.
Mais son influence se réduit peu à peu. Son champ d’action finit par se limiter
à la capitale. L’iconoclasme ne survit pas à sa mort en 842…
L’impératrice Théodora,
régente pendant la minorité de Michel III (842-859), met fin définitivement à
la Querelle des Images. En 843, un concile proclame le solennel rétablissement
des images, que l’Église orthodoxe célèbre chaque année comme la « fête de l’orthodoxie ». Plus tard,
le IVe concile de Constantinople (869-870) renouvelle les décisions du 2ème
concile de Nicée en proclamant de nouveau l’utilité et la légitimité des
images des saints.
Conclusions
La Querelle des Images était
aussi née d’une bonne intention, de ceux qui aspiraient à une
spiritualité plus élevée, détachée de toute matérialité, ou encore de ceux qui
voulaient combattre les abus du culte des images. Mais ils ont oublié que la
piété d’un plus grand nombre a besoin de se nourrir d’images pour se tourner
vers les cieux. Corps et âme, l’homme a besoin de recourir à tous ses sens
pour prier et s’élever vers Dieu. Au lieu de vouloir combattre contre un
usage convenable et légitime pour en supprimer les excès, la meilleure solution
aurait été de lutter contre l’ignorance qui génère de tel abus. De bonnes
intentions peuvent parfois conduire à des drames et à des violences, surtout
lorsqu’elles sont guidées par l’intransigeance et l’aveuglement…
Épilogue
Pour répondre aux critiques des
protestants sur le culte des images, le concile de Trente reprend la
doctrine de l’Église qu’ a formulée le IIe concile de Nicée : « on doit avoir et garder, surtout dans les
églises, les images du Christ, de la Vierge Marie Mère de Dieu et des autres
saints et leur rendre honneur et la vénération qui leur sont dus. Non pas parce
que l’on croit qu’il y a en elles quelques divinités ou quelques vertu justifiant
leur culte, ou parce qu’on doit leur demander quelque chose ou mettre sa
confiance dans des images, comme le faisaient autrefois les païens qui
plaçaient leur espérance dans des idoles, mais parce que l’honneur qui est leur
est rendu renvoie aux modèles originaux que ces images représentent. Aussi, à
travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et
nous agenouillons, nous adorons le Christ et nous honorons les saints que ces
images représentent. »[4]
Il rappelle aussi aux évêques d’utiliser les peintures et autres
représentations comme moyen d’enseignement de la foi et de modèles à
imiter. Il exige enfin que les abus soient abolis « en sorte qu’on expose aucune image porteuse
d’une fausse doctrine et pouvant être l’occasion d’une erreur dangereuse pour
les gens simples. »[5]
Enfin, le concile met en place des mesures pour maîtriser le culte des
images et éviter tout excès. Quand un usage est convenable et
légitime, mieux vaut en effet préciser ou rappeler la doctrine sur lequel il
s’appuie tout en maîtrisant sa mise en pratique au lieu de vouloir les mépriser,
les renier et les supprimer. Telle est sans-doute une des règles d’une
véritable réforme de l’Église…
Notes et références
[1] Il est
vrai que de nos jours, des protestants semblent redécouvrir l’image comme un
lieu privilégié de la foi chrétienne, surtout dans notre monde d’images.
[2] 2ème
concile de Nicée (24 septembre au 23 octobre 787), 7ème session, 13
octobre 787, Denzinger 601.
[3] 2ème
concile de Nicée, 7ème session, 13 octobre 787, Denzinger 603.
[4] Concile
de Trente, Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques de saints, et
sur les saintes images, 3 décembre 1563, Denzinger 1823.
[5] Concile
de Trente, Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques de saints, et
sur les saintes images, 3 décembre 1563, Denzinger 1825.
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