" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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samedi 6 août 2016

Unité des Chrétiens vaine sans charité

Épîtres aux Corinthiens : Enluminure

Bibliothèque Nationale de France
Fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, l’Église est une et indivisible. Faite de chairs et d’âmes, de faiblesses et de forces, de membres divers et uniques, animée du souffle divin, elle rassemble les hommes et les femmes de toute origine, de tous les temps, de tous les pays. Divine et humaine, elle est ancrée dans le réel et dans les cieux, traversant les siècles et perdurant dans l’éternité. L’ineffable se mêle ainsi aux mortels. Qu’il est bon d’être dans la demeure du Seigneur ! Qu’Il est bon et miséricordieux, Celui qui nous a conduit à la montagne de Dieu !



La maison de Dieu est aussi faite de bois et de pierres que les Apôtres ont plantées autrefois dans les terres romaines et barbares. Écoutant la voix de leur Maître et guidés par le Saint Esprit, ils ont semé la bonne parole, répandant l’enseignement du Verbe fait chair, de Notre Seigneur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour nous sauver et ressuscité des morts avant d’être élevé dans les cieux. Par leurs œuvres, l’Église s’est développée et s’est répandue rapidement sur toute la terre : Jérusalem, Antioche, Rome, Éphèse, Alexandrie, Smyrne, Carthage…


Mais les hommes demeurent des hommes, poussières nées de poussières. Les Apôtres le savent bien. Profondément réalistes, ils ne s’égarent pas dans des utopies ou dans des chimères. L’espérance qui les guide n’est point naïveté. Ils visitent les communautés chrétiennes, veillent sur elles, les reprennent, les réprimandent lorsqu’il le faut. Leurs paroles ne sont pas que douceur. Elles sont aussi sainte colère. Car certaines communautés chrétiennes s’égarent et s’oublient. L’Église de Corinthe en est un exemple. Au temps de Saint Paul, elle est déjà divisée par les troubles. Le premier siècle chrétien n’est pas en effet encore achevé que les chrétiens de Corinthe se font reprendre par l’Apôtre. Ses faiblesses et ses misères nous sont décrites dans une de ses épîtres. Sa lettre est dure, terriblement ironique. Elle nous rappelle combien l’unité des Chrétiens est vaine sans la charité

La ville de Corinthe

Au temps de l’Empire romain, la ville de Corinthe est un des plus importants ports de la Grèce antique. Elle est immensément riche. Célèbre par l’éclat des arts et des sciences, elle attire un grand nombre d’étrangers. Célèbre aussi par ses fêtes religieuses, elle abrite un temple dédié à la déesse Aphrodite.

Temple d'Apollo, Corinthe
En l’an 52, durant son deuxième voyage apostolique, Saint Paul arrive dans cette ville pour l’évangéliser. Il « demeura un an et demi à Corinthe, y enseignant la parole de Dieu. » (Actes des Apôtres, XVIII, 11). En dépit de l’hostilité des juifs, il y fonde une communauté chrétienne qui devient florissante. Elle est composée en grande partie de païens et renferme aussi des juifs. Après son départ de Corinthe, son œuvre est continuée par Apollos, un juif, originaire d’Alexandrie, « homme éloquent et versé dans les Écritures » (Act. Ap., XVIII, 24).

Un esprit de faction

Mais rapidement, l’église de Corinthe est divisée par une querelle d’où naissent des factions, chacune groupée autour d’un prédicateur. Les uns disent en effet « moi, je suis à Paul ! », les autres disent : « moi, je suis à Apollos » ou encore «  et moi, à Cephas ! ». Chacun prend parti pour le prédicateur de qui il a reçu la foi.

Saint Paul
Apprenant leur dispute, Saint Paul adresse aux chrétiens de Corinthe une lettre. Il les exhorte à cesser leur querelle et à rester unis. « Je vous exhorte, mes frères, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, à avoir tous un même langage ; qu’il n’y ait point de divisions parmi vous, mais soyez bien unis dans un même esprit et un même sentiment. »(I Épître aux Corinthiens, I, 10) Saint Paul leur rappelle que Céphas, Apollos et lui-même ne sont que « des ministres par le moyen desquels vous avez cru, selon ce que le Seigneur a donné à chacun. J’ai planté, Apollos a arrosé ; mais Dieu a fait croître. Ainsi celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose ; Dieu, qui fait croître, est tout. » (I Cor., II, 5-7) Il nous ramène à l’essentiel : « Moi, je suis du Christ, tout simplement. » Et seul Dieu assure l’efficacité au travail de chacun. La mission vient de Dieu, son succès également. « Dieu seul est, et Dieu seul agit, puisque Dieu seul donne d’agir »[1]. Tout l’honneur revient donc à Dieu. Et chacun œuvre pour lui. Il est aussi vain de se revendiquer d’un homme puisque tous appartiennent au Christ. Ce n’est point l’esprit de Dieu qui les guide mais un esprit de jalousie et d’orgueil, qui divise les cœurs. Comme tout cela est bien humain ! « Vous êtes encore charnels » (I. Cor., III, 2)

Un esprit enflé de vanité

Dans son épître, Saint Paul dénonce une certaine ivresse doctrinale. Elle semble être une caractéristique des habitants de Corinthe. Plus tard, le Pape Saint Clément devra à son tour apaiser la communauté remuante de cette ville.

« Que nul ne s’abuse soi-même. Si quelqu’un parmi vous pense être sage dans ce siècle, qu’il devienne fou, afin de devenir sage. » (I Cor., III, 18) Si l’un des docteurs de l’église de Corinthe se croit sage, sage de cette sagesse dont Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas voulu, qu’il y renonce. « En effet, la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » (I Cor., III, 20). 

Certains fidèles dotés de dons les utilisent parfois à mauvais escient au lieu de les employer pour l’édification de l’Église. Enflés de leur science et de leurs privilèges, ils prétendent même dépasser ceux qui leur ont apporté l’Évangile. Saint Paul les accable de son ironie. « Nous sommes insensés à cause du Christ, et vous, vous êtes sages en Christ ; nous sommes faibles, et vous êtes forts ; vous êtes en honneur, et nous dans le mépris ! » (I Cor., IV, 10) À eux l’élévation et aux autres souffrances et indignités ! Quelle suffisance ! Quelle vanité ! Tout cela est bien indigne du titre qu’ils portent ! « Qu’as-tu que tu ne l’aie reçu ! Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu ? Déjà vous êtes rassasiés ! Déjà vous êtes riches ! » (I Cor. IV, 7-8) Au contraire, « que personne donc ne mette sa gloire dans des hommes » (I Cor., III, 21). Saint Paul demande alors aux Corinthiens de « ne pas aller au-delà de ce qui est écrit, ne vous enflant pas d’orgueil en faveur de l’un ou de l’autre. » (I Cor., IV, 6) Il leur demande de ne pas emprunter une voie qui n’est pas celle de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Des mœurs perverties

Un autre sujet de querelle indigne Saint Paul. « On entend dire généralement qu’il y a parmi vous de l’impudicité, et une telle impudicité, qu’elle ne se rencontre pas même chez les païens » (I Cor., V, 1) Les mœurs se sont déjà relâchées ! L’Apôtre dénonce en effet un cas d’inceste.

Corinthe est une ville réputée pour sa corruption et ses nombreuses tentations. Le seul nom de Corinthe est synonyme de dissolution et de dérèglement. Le risque pour les chrétiens d’être pervertis est donc grand. Et certains d’entre eux le sont déjà comme le révèle un scandale. Or Saint Paul nous rappelle que « ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu » ! (I  Cor., VI, 9)

Mais la réprimande de Saint Paul ne concerne pas directement le cas d’inceste. Il s’attaque principalement à l’indifférence des chrétiens de Corinthe à l’égard de ce péché. Il s’indigne en effet que l’incestueux n’ait même pas été excommunié, c’est-à-dire exclu de la communauté ! Les chrétiens de Corinthe ne sont même pas émus du scandale !

L’indifférence coupable

Saint Paul dénonce donc leur indifférence alors qu’ils s’enflent de leurs privilèges et s’enivrent de leurs discussions. Comment des chrétiens peuvent s’enfler et se glorifier alors que leur communauté porte en elle un tel scandale ! « Et vous êtes enflés d’orgueil ! Et vous n’avez pas été plutôt dans le deuil, afin que celui qui a commis cet acte fût ôté du milieu de vous ! » (I Cor., V, 2) Ils auraient dû pleurer comme nous pleurons sur un mort ! Ils auraient dû aussi expulser de leur sein le coupable s’il ne venait à se repentir. Car nous le rappelle Saint Paul, il ne faut pas avoir de relations avec les impudiques de ce monde. « Ôtez le méchant de chez vous. » (I Cor., V, 13) Comme il le précise, il ne s’agit pas de rompre avec les gens de ce monde sinon « il vous faudrait sortir du monde » (I Cor., V, 10), fuir dans le désert. Il parle des impudiques chrétiens, c’est-à-dire ceux qui portent le nom de frère. Car ils déshonorent l’Église de Dieu. Il faut laisser Dieu juger les non-chrétiens…

Dans une lettre qu’il adresse aux Thessaloniciens, Saint Paul nous exhorte de nouveau à rompre la communion avec les chrétiens rebelles. « Et si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous vous adressons dans cette lettre, notez-le et ne le fréquentez pas, afin qu’il éprouve de la honte. » (II Thess., III, 14) Par cette exclusion, il s’agit bien de l’édifier. Car rajoute-t-il aussitôt, « ne le regardez pourtant pas comme un ennemi, mais avertissez-le comme un frère » (II Thess., III, 15).

Saint Paul redoute aussi l’action perfide qu’exerce autour d’elle une faute scandaleuse. « Un peu de levain fait lever toute la pâte » (Épître aux Galates, V, 9). Ce proverbe est familier à l’Apôtre. Une faute suffit pour infecter toute la communauté. Lorsqu’elle n’est pas réprimée, elle perd de son horreur. Son influence est encore plus dévastatrice. 

Ainsi pour le bien des coupables et de la communauté, il est nécessaire de les excommunier, c’est-à-dire de les retrancher de l’Église …

Une charité refroidie…

Enfin, Saint Paul nous apprend que certains chrétiens « osent aller en jugement devant les injustes, et non devant les Saints » (I Cor., V, 1), c’est-à-dire devant des fidèles. « Un frère est en procès avec un frère, et cela devant des infidèles ! » (I Cor., VI, 6) Autre véritable scandale ! Car ce sont bien les Chrétiens qui doivent juger le monde et « ce sont des gens méprisés dans l’Église que vous prenez pour juges ! » (I Cor., VI, 4)


Dans la jeune communauté chrétienne de Corinthe, la charité s’est déjà refroidie, la discipline s’est relâchée, la vie morale s’est affaiblie, donnant lieu à de véritables scandales. Et personne ne semble en être offusqué !

Ainsi confronté aux querelles des chrétiens de Corinthe, Saint Paul nous expose les raisons de leurs divisions : jalousie, vanité, indifférence, refroidissement de la charité. Avant que n’éclatent les disputes, les cœurs sont déjà dominés par un esprit contraire à celui de Notre Seigneur Jésus-Christ.

De sa lettre, nous pouvons finalement retenir deux choses. 
D’une part, le retour à l’unité impose une conversion. Puisque la division naît d’un esprit tourné vers soi et vers le monde, il est nécessaire que l’âme se retourne vers Dieu. 
D’autre part, le salut des fidèles impose parfois l’exclusion de ceux qui peuvent le menacer dans sa foi ou dans sa morale. La charité le commande. 

Ainsi la recherche de l’unité des Chrétiens ne doit pas remettre en cause la fin de l’Église, c’est-à-dire l’union des âmes à Dieu. La fin et les moyens ne doivent pas être confondus. La première des charités est de dénoncer les erreurs et de rappeler la vérité.

Le retour à Dieu

Saint Paul aux Colossiens

Joseph-Benoît Suvée, XVIIIe.
La franchise et l'honnêteté de Saint Paul sont efficaces. Après plusieurs interventions, Saint Paul parvient à apaiser les dissensions qui ont frappé l’église de Corinthe. Tite lui apporte en effet la bonne nouvelle. « Il nous a raconté votre ardent désir, vos larmes, votre zèle pour moi, en sorte que ma joie en a été plus grande. »(II Épître aux Corinthiens, VII, 7) Il sait que sa première lettre les a attristés mais il ne s’en repent pas car « vous avez été attristé selon Dieu » et « cette tristesse selon Dieu produit un repentir pour le salut, qu’on ne regrette pas, au lieu que la tristesse du monde produit la mort. » (II Ep. Cor., VII, 9-10) La première épître a conduit les fidèles à la pénitence, ce qui est indispensable pour un retour à Dieu. Après avoir été excommunié, le fidèle responsable de l’inceste a reconnu sa faute et a demandé pardon…

Mais les divisions persistent à cause d’un clan judaïsant. Ce dernier accuse Saint Paul d’être trop sévère, versatile et charnel, et d’agir avec intéressement. Dans sa deuxième lettre, il se défend de ses accusations et réfute leur calomnie. Il revendique l’autorité d’Apôtre. Il la défend avec énergie. Ses mots sont de nouveau durs. « Je déclare à ceux qui ont péché auparavant et à tous les autres pécheurs, que, si je retourne chez vous, je n’userai d’aucun ménagement. »(II Ep. Cor., VIII, 3) Ainsi il leur demande de s’éprouver eux-mêmes  pour voir s’ils sont dans la foi. Le retour de l’unité passe par un examen de conscience.

Les lettres de Saint Paul sont pleines d’ardeur et de confiance. L’Apôtre veut regagner le cœur des âmes. Comme une mère inquiète de ses enfants, il parle aux Corinthiens avec douceur et sévérité, avec prière et menace, avec tendresse et éloquence. « Notre bouche s’est ouverte pour vous, ô Corinthiens, notre cœur s’est élargi. Vous n’êtes point à l’étroit dans nos entrailles, mais les vôtres se sont rétrécis. Rendez nous la pareille, - je vous parle comme à mes enfants,- vous aussi, élargissez vos cœurs. » (II Ep. Cor., VI, 11-13) Comme un père avec ses enfants, il veille sur leur salut, même si cela nécessite sévérité et remontrance.











[1] Dom Paul Delatte, Les Épîtres de Saint Paul, replacées dans le milieu historique des Actes des Apôtres, tome I, 1928.

dimanche 24 juillet 2016

Mouvement oecuménique : expression "subsistit in" dans Lumen Gentium

Dans l'article précédent, nous avons rappelé la doctrine ecclésiologique de la constitution dogmatique Lumen Gentium du second concile de Vatican. Elle définit la nature de l’Église dans le cadre du mouvement œcuménique. Il est indéniable que cette doctrine présente des nouveautés, voire des ruptures avec l’enseignement traditionnel de l’Église, même si la Congrégation de la foi se défend de toute nouveauté et parle plutôt de développement. « Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence. »[1]

Parmi les nouveautés du texte, l’expression « subsistit in » a été à l’origine de nombreux débats et conflits, montrant ainsi toute l’ambiguïté du terme employé. Rappelons que la constitution dogmatique définit que l’Église du Christ « subsiste dans l’Église catholique »(8).

Sens du terme « subsiste »

Le terme « subsiste » peut prendre deux sens :
  • au sens philosophique, il renvoie à l’expression philosophique « subsistance » qui « désigne l’acte par lequel une réalité existe par elle-même, dans sa propre perfection et non dans une autre » ;
  • au sens courant, il est équivalent à « se trouve », « existe », «  se réalise dans ».

Par différentes interventions, la Congrégation de la foi a dû préciser le sens de l’expression dans la constitution dogmatique Lumen Gentium. Nous allons y revenir...

Église du Christ et Église catholique 

En 2007, aux questions sur le sens à donner à l’expression « subsistit in » utilisée dans Lumen Gentium, la Congrégation de la Foi donne la réponse suivante : « subsister signifie la perpétuelle continuité historique et la permanence de tous les éléments institués par le Christ dans l’Église catholique, dans laquelle on trouve concrètement l’Église du Christ sur cette terre. »[2] Elle précise que ce terme ne peut être attribué qu’à la seule Église catholique. « L'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique. »[3]

Le Concile de Vatican II veut ainsi souligner qu’en dépit de la pluralité des églises et des confessions chrétiennes, l’Église catholique détient et a toujours détenu réellement ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé. Les fidèles « confessent que la totalité de la vérité révélée, des sacrements et du ministère, que le Christ a donnée pour la construction de son Église et pour l'accomplissement de sa mission, se trouve dans la communion catholique de l'Église. »[4]

Et plus clairement, comme l’affirme la Congrégation de la Foi, il y a bien « pleine identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique ». Le sens philosophique de « subsiste » est ainsi nettement privilégié. Tel est l’avis du Cardinal Radzinger, futur Benoît XVI. « Par le mot subsistit, le Concile a voulu exprimer la singularité et non la multiplicité de l’Église catholique ; l’Église existe comme sujet dans la réalité historique. »[5]

Les éléments ecclésiastiques de sanctification et de vérité



Pourquoi les Pères conciliaires n’ont-ils pas alors utilisé le terme « est » qui présente la vertu d’être sans équivoque ? La Congrégation de la Foi nous donne encore quelques éléments de réponse. « L’usage de cette expression, qui indique la pleine identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique, ne change en rien la doctrine sur l’Église, mais a pour raison d’être de signifier plus clairement qu’en dehors de ses structures, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité. »[6] La définition que donne la constitution Lumen Gentium a donc pour objectif de clarifier la place des autres communautés chrétiennes par rapport à l’Église catholique dans l'oeuvre de la Rédemption. Ainsi différencie-t-elle l’Église du Christ de l’Église catholique. Nous retrouvons le sens courant de l’expression « subsiste ».

Dans un texte plus ancien, Dominu Iesus, publié en 2000, la Congrégation de la foi avait déjà précisé la doctrine que renferme l’expression « subsistit in » : « par l'expression "subsistit in", le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ;  d'autre part, "que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures",  c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Mais il faut affirmer de ces dernières que leur "force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique" »[7].

Lien entre l’Eglise catholique et les autres églises ?

La Congrégation de la foi s’oppose donc à l’interprétation selon laquelle l'unique Église du Christ pourrait aussi subsister dans des Églises et Communautés ecclésiales non catholiques. « Le Concile avait, à l'inverse, choisi le mot subsistit précisément pour mettre en lumière qu'il existe une seule “subsistance” de la véritable Église, alors qu'en dehors de son ensemble visible, existent seulement des elementa Ecclesiae qui — étant des éléments de la même Église — tendent et conduisent vers l'Église catholique »[8]. Des éléments institués par Notre Seigneur Jésus-Christ se trouvent présents, de manière imparfaite, hors de l’Église catholique. S’ils sont efficaces, leur efficacité dérive de l’Église catholique et non des églises et communautés qui les possèdent.

C’est pourquoi le second Concile de Vatican considère que les églises et communautés qui ne sont pas en communion avec l’Église catholique ont cependant des liens étroits avec elle au point qu’elles peuvent être considérées comme unies à elle et porter le titre de « véritables Églises particulières ». Et par ces liens, « l'Église du Christ est présente et agissante dans ces Églises, malgré l'absence de la pleine communion avec l'Église catholique. » Telle est la doctrine de la communion imparfaite que le pape Jean-Paul II développera dans son encyclique Ut Unum sint [9]. « Les éléments de cette Église déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude, dans l'Église catholique et, sans cette plénitude, dans les autres Communautés »[10].

C’est pourquoi il est faux de croire que l’unité de l’Église est à rechercher et à construire en regroupant les différents éléments dispersés dans les différentes communautés. Le fidèles « n'ont pas le droit de tenir que cette Église du Christ ne subsiste plus nulle part aujourd'hui de sorte qu'il faille la tenir seulement pour une fin à rechercher par toutes les Églises en commun »[11]

Les Églises particulières, des églises déficientes

Concile épiscopal de l’Eglise orthodoxe russe
Quelles sont ces « églises particulières »? Ce sont celles qui ont « conservé l'épiscopat valide et la substance authentique et intégrale du mystère eucharistique »[12]. L’« église anglicane » n’est donc pas une église particulière. Toutes les communautés chrétiennes nées de la Réforme ne peuvent en fait prétendre à ce titre puisque elles « n’ont pas conservé l’authentique et intégrale réalité du Mystère eucharistique, surtout par la suite de l’absence de sacerdoce ministériel » [13]. Ce titre concerne surtout les églises orientales

Cependant, « la condition d’Église particulière dont jouissent ces vénérables Communautés chrétiennes souffre d’une déficience » puisque la communion avec l’Église catholique demeure « un des principes constitutifs internes » de l’Église particulière. Elles sont alors appelées « Églises sœurs des Églises particulières catholiques » et peuvent porter le titre d’Églises particulières et locales. »[14] Telle est la doctrine dite des Églises sœurs.

Ainsi les Églises particulières sont dites déficientes. Mais, nous dit encore le Concile de Vatican II, « ces Églises et Communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L'Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d'elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique. »[15] Les « frères séparés » peuvent donc être sauvés de manière indirecte, non pas en vertu de leur église mais des dons confiés à l’Eglise catholique et subsistant partiellement dans les églises particulières.

Intention des Pères conciliaires

Par l’emploi de l’expression « subsistit in » dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, les Pères du second concile de Vatican ont voulu, par l’équivocité du terme, désigner deux choses : 
  • l’Église du Christ est et demeure l’Église catholique ;
  • mais que des éléments de sanctification et de vérité appartenant en propre à l’Église du Christ se trouvent aussi hors de l’Église catholique. 

Le but est de prendre en compte dans la définition de l’Église l’existence et le statut des églises et communautés non catholiques dans un souci d’œcuménicité.

Ainsi les Pères conciliaires peuvent définir les communautés qui peuvent légitimement porter le titre d’églises particulières. Ils peuvent aussi définir leur valeur salvatrice comme dérivée de la plénitude de grâce et de vérité confiée par le Christ à l’Église catholique qui est le moyen de Salut. C’est en tant qu’elles sont dans une certaine "communion" avec l’Église catholique qu’elles ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du Salut.

Mais les différentes interventions de la Congrégation de la Foi montrent combien l’équivocité du terme est propre au malentendu. Certains y voient la renonciation par le second Concile de Vatican de l’identification complète entre l’Église du Christ et l’Église catholique quand d’autres considèrent que l’Église du Christ peut se réaliser différemment, l’Église catholique n’étant qu’une parmi tant d’autres.

Dans les différentes interventions, il est explicitement affirmé que seule l’Église catholique est l’Église du Christ puisqu’elle-seule détient pleinement les moyens de salut que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a fournies. Mais elle affirme aussi que l’Église catholique n’a plus l’exclusivité de ces moyens salvateurs puisque d’autres communautés possèdent une force salvatrice qu’elle tire de leur "communion".

Une définition réductrice ?

Si l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique au sens où elle est l’Église catholique parce qu’elle contient en plénitude les moyens de salut, cela signifie que l’Église du Christ se définit par la quantité ou la qualité des moyens de sanctification et de vérité qu’elle possède. Elle ne subsiste pas dans les autres églises puisqu’elles ne peuvent que contenir que des éléments que Notre Seigneur Jésus-Christ a fournis et non la totalité. Elle ne se définit pas par ses membres ou par sa hiérarchie, et par les relations qui existent entre eux. Elle n’est pas définie en tant que société mais en tant qu'instrument.

Dans ce cas, comment pouvons-nous parler de l’unité de l’Église si les fondements même de cette unité, à savoir l’unité de charité et l’unité de gouvernement, ne sont pas pris en compte dans la définition même de l’Église ? Que deviennent-ils en effet si la notion de société n’y est pas incluse ?

Or selon la Congrégation de la foi, la communion avec le Pape est un élément constitutif de l’Église particulière. Pourtant, la congrégation définit aussi l’Église particulière comme disposant d’un épiscopat valide. Il y a bien dans la nature de l’Église une notion de relations entre le chef et ses membres.

En outre, un membre d’une église ou d’une communauté séparée peut prétendre s’y sauver puisqu’elle dispose de moyens de salut et de force salvatrice, même s’ils ne sont pas en plénitude et qu'elle dérive de l'Eglise catholique. « L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique. » Mais qu’est-ce que signifie  le terme de « plénitude » ? En outre, elle souffre de déficiences. Mais en quoi est-elle déficiente ? Tout ne serait -il que "question de quantité de sanctification et de vérité" ? On pourrait croire qu’en utilisant les moyens de l’Église catholique, le salut serait assuré, ce qui ne serait pas le cas hors de l’Église catholique. Mais si elle possède une "quantité de sanctification et de vérité", elle disposerait peut-être aussi d'une quantité de perdition et de mensonge, ce qui ne serait pas le cas pour l’Église catholique ? Et plus elle disposerait de quantité de sanctification et de vérité, plus elle serait unie à l’Église catholique ? L’unité serait-elle en fonction de cette "quantité" ? Une question demeure alors. Comment le savoir ? En clair, comment distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais pour le salut de l’âme ? Ou dit autrement, qu’est-ce qui rend visible l’Église du Christ ? Car elle doit être reconnaissable…

En nous posant de telles questions, nous nous apercevons que la définition que nous propose le second Concile de Vatican nous semble insatisfaisante.

La visibilité de l’Église

La difficulté réside dans les éléments constituant la visibilité de l’Église. Cette question a été au centre de nombreux débat dès le début du christianisme, ou plus précisément dès la naissance des premiers schismes. 

La constitution dogmatique Lumen Gentium définit la visibilité de l’Église par trois éléments :
  • une profession de foi identique ;
  • la célébration des mêmes sacrements ;
  • un unique ministère[16]

Or la doctrine catholique relative aux sacrements fait une distinction entre la validité et l’efficacité d’un sacrement. Cette distinction est importante car elle est intimement liée à la notion de l’Église et surtout à la notion de plénitude. Nous ne la retrouvons pas dans la définition que nous donne le second concile de Vatican.

En outre, comme nous le confessons dans le Credo, l’Église est une, sainte, catholique, apostolique, telles sont les notes qui nous permettent de distinguer la véritable église. L’unité de l’Église se fonde sur l’unité de foi et sur l’unité de gouvernement, sans oublier l’unité de charité. La première se manifeste par l’adhésion pleine et entière à une même profession de foi. La seconde se traduit par l’attachement au Pape et aux évêques en communion avec le Pape. La catholicité et l’apostolicité sont aussi des signes visibles de l’Église.

Approfondissement ou innovation ?

Après avoir défini la doctrine relative à l’expression « subsistit in », nous pouvons désormais vérifier s’il s’agit d’une innovation ou d’un développement de la doctrine de l’Église sur l’Église. Et si elle est une innovation, en quoi innove-t-elle ?

Trois encycliques définissent clairement l’enseignement de l’Église avant le concile de Vatican II : 
  • Satis cognitum (1896) de Léon XIII, que nous avons déjà étudié ;
  • Mortalium animos (1928) de Pie XI ;
  • Mysticis Corporis (1943) de Pie XII. 

Les deux premiers textes définissent clairement que l’Église catholique, une et indivise, est la seule église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Le mouvement œcuménique consiste donc à faire réintégrer les chrétiens séparés dans l’Église catholique. Selon l’encyclique de Pie XII, il y a parfaite identité entre le Corps du Christ et l’Église catholique. Il est aussi enseigné que des chrétiens peuvent néanmoins être unis à l’Église tout en n’étant pas membre du Corps du ChristDans tous ces textes, il est clairement défini qu’hors de l’Église, il n’y a point de salut, sauf dans des cas particuliers.

Les textes post-conciliaires traitent essentiellement du cas des églises et communautés qui ne sont pas en communion avec l’Église catholique et non plus du cas des "frères séparés". S’ils traitent des chrétiens séparés et de leur salut, leur sujet principal est bien la notion d’Église et les relations existant entre l’Église et les autres églises ou communautés. En dehors de l’Église catholique, il existe des Églises à proprement parler. En outre, des églises peuvent être en communion avec l’Église, communion réelle mais imparfaite. Ainsi le mouvement œcuménique est la recherche de la pleine communion de ces églises et communautés. Enfin, les Églises disposent en eux-mêmes des éléments de sanctification et de vérité, certes imparfaits mais réels.

Concrètement, une telle doctrine conduit à de telles déclarations : « Les catholiques reconnaissent que d’autres Églises et communautés ecclésiales sont sous la Parole, autrement dit sous la mouvance de l’Esprit Saint qui ouvre au sens des Écritures. »[17] quand auparavant, l’Église catholique enseignait qu’elle-seule détenait le sens réel de la Sainte Écriture. Ou encore que tous les chrétiens sont certes unis de manière imparfaites ou en communion partielle mais ils sont unis réellement, et leur communion est réelle[18].

Ainsi, le second Concile de Vatican reconnaît la présence d’Églises hors de l’Église catholique et de leur valeur sanctifiante quand la doctrine pré-conciliaire ne traitait que des chrétiens situés hors de l’Église catholique, considérant qu’il n’existe qu’une seule Église, une et indivise. Cela remet en cause deux points. 
  • l’Église catholique ne possède pas la plénitude de la catholicité. « La plénitude de la catholicité propre à l’Église, gouvernée par le Successeur de Pierre et les Évêques en communion avec lui, est entravée dans sa pleine réalisation historique par la division des chrétiens. »[19]
  • elle instaure la notion de communion réelle et imparfaite, incluant par là une modification de la notion même de communion, qui devient finalement une notion capitale dans le mouvement œcuménique. Elle est plus ou moins réalisée. Le but du mouvement œcuménique est de parvenir à la pleine communion entre les différentes Églises, et non plus de la communion des Chrétiens dans l'Eglise catholique.


Conclusion

Le second concile de Vatican a donc cherché à définir l’Église afin de prendre en compte l’existence des églises et autres communautés chrétiennes et dans le but d’encadrer le mouvement œcuménique. Cependant, cette définition soulève des difficultés et par ses innovations, remet en cause la doctrine traditionnelle de l’Église catholique. Certes, les Pères conciliaires ont cherché à développer une doctrine, en considérant non plus le salut des chrétiens hors de l’Église mais le statut des église et communautés chrétiennes séparées de l'Eglise catholique mais ce développement est devenu une véritable évolution c'est-à-dire une innovation dans la doctrine catholique, et osons le dire, une rupture puisqu’il conduit à leur reconnaître notamment une certaine valeur sanctifiante

Le véritable problème réside en fait dans le silence du second concile du Vatican et l’ambiguïté d'un texte sur un sujet si grave et difficile, laissant court à des interprétations qui remettent en cause gravement l’enseignement de l’Église. Le remplacement de « est » par « subsiste dans », sans véritable explication, est peut-être signe d’une certaine légèreté.

Ce changement révèle surtout une volonté de ne pas reconnaître clairement, haut et fort, que l’Église catholique est le « seul port de salut », la seule Église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ pour notre salut, très probablement pour des raisons œcuméniques. 

Toute cette évolution n’a pourtant pas résolu le problème de la division des Chrétiens. « Le problème œcuménique très actuel est de savoir comment concilier les deux déclarations : l'une, selon laquelle l'Église de Jésus Christ subsiste dans l'Église catholique, et l'autre, qu'il existe des Églises en dehors de l'Église catholique. Le Concile lui-même ne dit rien à ce sujet. »[20]



Notes et références
[1] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église,  2007.
[2] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[3] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 2000.
[4] Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme, 17, 1993.
[5] Cardinal Ratzinger, L’ecclésiologie de la Constitution conciliaire Lumen Gentium2000.
[6] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[7] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 2000.
[8] Note 56, Dominus Iesus, à propos du livre Église : charisme et pouvoir, P. Leonardo Boff,  Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : AAS 77 [1985].
[9] Nous traiterons de cette encyclique au mois d'août.
[10] Jean-Paul II, encyclique Ut unum sint, 14.
[11] Congrégation de la Foi, Mysterium Ecclesiae, 1.
[12] Congrégation de la Foi, Dominus Iesus, 17.
[13]Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[14]Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007.
[15] Décret Unitatis redintegratio, n.3.
[16] Voir Lumen Gentium, 8.
[17] Code de droit canonique, can. 767.
[18] Voir Mgr Vincent Jordy, note sur la prédication en contexte œcuménique, 21 novembre 2014.
[19] Congrégation de la Foi, Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l’Église, 2007. Cf. Lettre Communionis notio, Congrégation pour la Foi, n. 17.3
[20] Mgr Walter Kasper,  Unité ecclésiale et communion ecclésiale dans une perspective catholique dans Revue des Sciences Religieuses, tome 75, fascicule 1, 2001 dans www.persee.fr.