La Sainte Ecriture
nous apporte quelques enseignements précieux capables de nous préserver de toute
témérité ou jugement hâtif par les lumières qu’elle nous donne. Quand nous
songeons au scandale du mal ou à nos propres douleurs, notre regard nous porte
naturellement vers Notre Seigneur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour nous
délivrer de la mort et nous apporter la vie éternelle. Les Livres sacrés nous
livrent aussi de nombreux exemples de saints et de justes qui ont souffert en
dépit de leur innocence. L’un d’entre eux porte d’une manière spéciale le
scandale du mal au point d’y apporter des réponses. C’est Job…
Job est un homme pieux et juste au témoignage même de
Dieu, qui, pourtant, à la proposition du diable, le livre à de nombreux
malheurs au point de lui faire perdre tout ce qu’il a, bétails et fortune,
enfants et épouses, réputations, santé, … avant de connaître une fin heureuse. Son histoire dramatique remet en cause la
doctrine selon laquelle Dieu sanctionne ici-bas les bons et les méchants selon
leurs mérites et leurs péchés, récompenses pour les premiers, punitions
pour les seconds. Par des faits concrets, le Livre de Job, qui raconte
cette histoire, traite du problème de la Providence divine et de la réalité du
mal. Dieu nous délivre ainsi un enseignement que nous devons écouter et
méditer.
Le Livre de Job
Cependant, l’histoire qu’il raconte se déroule dans des temps anciens, probablement
antérieurs à celui d’Israël, sans-doute contemporain des patriarches hébreux.
Elle est aussi connue bien avant la rédaction du livre puisque le livre d’Ezéchiel,
écrit vers 600 avant Jésus-Christ, évoque déjà Job.
Pour certains commentateurs, l’histoire serait une
légende, une parabole ou une allégorie. Pour d’autres, elle serait un fait
avéré. Mais qu’elle soit véridique ou inventée, cela ne nous importe peu
puisque cela ne change guère à son enseignement
inspiré[1].
Retenons néanmoins que le prophète Ezéchiel
évoque Job avec Noé et Daniel, les mettant ainsi au même rang que ces deux
personnages qui ont véritablement existé. « La parole du Seigneur me fut adressé : Fils d’un homme, quant à
une terre, lorsqu’elle aura péché contre moi en multipliant ses prévarications,
j’étendrai ma main sur elle […]. Et
si trois hommes justes, Noé, Daniel et Job, sont au milieu d’eux, eux-mêmes par
leur justice, délivreront leurs âmes, dit le Seigneur des armées. » (Ezéchiel,
XIV, 13-14) Tobie rappelle aussi
l’histoire de Job, sa patience et sa confiance en Dieu dans ses afflictions
(cf. Tobie,
II, 12). Dans son épître, Saint Jacques
le mentionne aussi pour rappeler son endurance dans les épreuves. « Voyez, nous appelons heureux ceux qui ont
souffert. Vous avez appris la patience de Job, et vu la fin du Seigneur,
combien le Seigneur est miséricordieux et clément. » (Jacques,
V, 11) C’est pourquoi nombreux sont les Pères et les Docteurs de l’Eglise, par
exemple Saint Thomas d’Aquin, qui considèrent l’histoire de Job comme un fait
avéré. Le traité talmudique Bara bathra ainsi que des
protestants [2]
et des exégètes catholiques [3] la
rangent plutôt comme une parabole ou une pure allégorie.
Le Livre de Job comprend un prologue et
un épilogue qui encadrent le texte principal, formé de dialogues et de
monologues.
Job, serviteur de Dieu
Le prologue décrit le
personnage central du récit, Job. Celui-ci habite au pays de Hus, qui,
selon certaines hypothèses, serait en l’actuelle Jordanie ou à la limite entre
l’Idumée et l’Arabie. Il est « un
homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal » (Job,
I, 1). Il est un fidèle de Dieu,
exempt de péché. Il connaît une
véritable prospérité par sa nombreuse descendance et par sa richesse
matérielle principalement en bétail. « Grand
parmi tous les Orientaux » (Job, I, 3), il est honoré, respecté
et universellement connu. Sa famille bénie par de nombreux enfants connaît la
paix et la concorde. Enfin, il est précisé sa
régularité et sa persévérance dans le culte qu’il rend à Dieu. Il est
particulièrement soucieux de l’âme de ses enfants.
Après avoir énuméré sa prospérité et ses vertus, le
prologue nous présente une scène dans laquelle les « fils de Dieu », c’est-à-dire les bons anges, se présentent
devant Dieu. Selon Saint Thomas d’Aquin [4], ils
contemplent Dieu et Lui rapportent ce qu’ils font, soumettant tout à son
jugement de leur propre volonté contrairement aux mauvais anges dont leurs
actions sont aussi soumises à l’examen de Dieu mais contrairement à leur
volonté. Et parmi les « fils de Dieu »,
se trouve Satan. Dieu demande alors d’où il vient, non pas par ignorance, mais
pour examiner ses intentions et ses actions. Il a « parcouru toute la terre » et l’a « visité dans tous les sens. » (Job, I, 7) Dieu lui
demande alors s’il n’a pas remarqué son « serviteur Job qui n’a pas de pareil sur la terre, homme simple et droit,
craignant Dieu et éloigné du mal » (Job, I, 8), témoignant ainsi
des vertus exceptionnelles de Job. Satan n’a pas en effet réussi à le tromper et
à le soumettre. Dieu, qui lui demande de contempler
son serviteur, afin qu’il admire ses
vertus, le condamne davantage.
Des vertus à éprouver
Mais, Satan refuse de voir en Job la sainteté et n’y voit
qu’intéressement. Son intention ne
serait pas aussi droite qu’elle puisse paraître. « Est-ce donc pour rien que Job craint
Dieu ? » (Job, I, 9) Satan accuse en effet Job
d’être vertueux pour obtenir des faveurs de Dieu et de Le craindre pour ne
point les perdre, agissant ainsi non par amour et sincérité mais pour les
choses temporelles qu’il peut obtenir de Dieu et qu’il a obtenues de Lui. S’il
n’était pas si prospère et si béni de Dieu, il n’aurait pas été aussi simple et
droit. S’il était éprouvé dans ses biens et sa chair, il aurait murmuré contre Lui.
Satan insinue donc que Job n’est pas vraiment juste. Afin de manifester ses bonnes intentions et donc ses vertus, Dieu permet
à Satan d’affliger son serviteur sans néanmoins toucher à lui :
« Voici, tout ce qu’il a, est en ton
pouvoir ; seulement, n’étends pas la main sur lui. » (Job,
I, 12)
Le prologue rappelle que les mauvais anges, y compris
Satan, ne peuvent nuire aux hommes sans la permission de Dieu. Par conséquent,
les malheurs qui s’abattront sur Job ont pour objectif de manifester à tous sa vertu, notamment contre toutes les calomnies
des impies. Le juste peut donc être éprouvé pour mettre davantage en valeur ce
qui est caché aux hommes et pour donner aux autres des exemples de vertus.
Job, accablé de maux
Par ces différentes calamités, de plus en plus fortes et douloureuses, Satan s’efforce de provoquer l’impatience de Job pour
qu’il blasphème. Tout est en effet orchestré afin de mettre à rude épreuve l’homme
juste et droit. Les faits rapportés à Job sont de plus en plus insupportables.
Les annonces s’enchaînent sans répit. À peine apprend-il un malheur qu’un autre
plus grand survient. Aucun espoir ne lui est donné, aucun temps pour s’en
remettre. Notons aussi qu’il est atteint au temps de son bonheur afin que le
malheur apparaît plus grand. À chaque fois, comme par miracle, un seul et
unique serviteur a pu s’échapper d’un désastre pour annoncer la mauvaise
nouvelle comme si par une disposition divine, il avait été sauvé pour pouvoir
l’informer du malheur. « Et je me
suis échappé seul pour te l’annoncer. » (Job, I, 15) Les pilleurs,
Sabéens ou Chaldéens, n’en sont pas enfin les seules causes de ces drames. Les
éléments naturels, feu et vent, sont aussi de la partie. Tous les éléments
semblent se concerter pour s’abattre sur le pauvre Job.
Lorsqu’il apprend la perte de ses enfants, Job manifeste
une réelle tristesse. « Il se leva
et déchira ses vêtements », nous dit la Sainte Ecriture. Puis se
jetant à terre, il adore Dieu et prie. Ses paroles traduisent ce qu’il montre
par ses gestes. « Nu je suis sorti
du sein de ma mère, nu j’y retournerai. » (Job, I, 20) L’homme vient
en ce monde sans aucun bien, il le quittera aussi sans eux. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. »
(Job,
I, 21) Tout cela n’est que justice. Si
Job éprouve une grande et légitime tristesse, il n’en est pas écrasé et
confesse en toute humilité qu’il n’a aucun juste motif de plainte envers Dieu
puisqu’il a perdu ce que Dieu a bien voulu lui donné. « Comme il a plu au Seigneur, ainsi c’est
arrivé. » (Job, I, 21) Il finit
alors sa prière par une action de grâce en raison de la bonté de Dieu.
De plus grandes épreuves
Après avoir parcouru toute la terre, Satan se retrouve de
nouveau devant Dieu. Celui-ci lui demande encore s’il a remarqué son serviteur
Job dont les vertus se sont encore davantage manifestées dans les épreuves
qu’il a subies. Contrairement aux insinuations de Satan, la perte de ses biens
ne l’a pas conduit à Le blasphémer, ce qui montre clairement qu’il n’agissait
pas pour sa richesse ou sa prospérité.
En laissant agir Satan, Dieu a donc fait apparaître davantage la sainteté de
son serviteur.
Satan frappe donc Job
dans sa chair. Celui-ci est alors atteint
d’un ulcère [5]
grave et généralisé au point qu’il ne trouve soulagement que sur un tas
d’ordure. La maladie qui le touche n’est pas seulement douloureuse, elle est
aussi honteuse. Au lieu de trouver consolation et soulagement auprès de son
épouse, ce ne sont que d’amères et dures reproches, ce qui ne peut qu’accroître
ses afflictions. « Comment
demeures-tu encore dans ta simplicité ? Bénis Dieu et meurs. » (Job,
II, 9) Sa femme le provoque et le pousse au désespoir, faisant ainsi le jeu du
diable. Job ne peut supporter ses paroles injurieuses et lui reproche sa
sottise, « femme insensée ».
Il est en effet insensé d’outrager Dieu quand, au lieu des bonnes choses que
nous avons reçues de Lui, nous refusons d’en accepter les mauvaises. Il endure de nouveau cette nouvelle épreuve
dans la patience et la résignation. « En tout cela Job n’a pas péché par ses lèvres. » (Job,
I,I, 10)
La douleur de Job devant ses amis
Les maux qui le frappent sont si grands que Job leur est
méconnaissable. « Ils se mirent à
pleurer ; déchirant leurs vêtements, ils couvraient leur tête de poussière
vers le ciel » (Job, II, 12) en signe de tristesse
et de consternation. Ils restèrent auprès de lui pendant sept jours et sept
nuits, dans le silence de la compassion tant « sa douleur était immense. » (Job, II, 13) Il est en
effet inutile de parler à celui qui ne peut entendre. Leur compassion et leur
compagnie sont alors les seules consolations que Job a reçues.
Après ces sept jours de silence, « Job ouvrit la bouche et il maudit son jour »
(Job,
III, 2), le jour de sa naissance, la nuit de sa conception. Notons qu’il ne
parle pas sous le coup de l’émotion. Il a su dominer sa tristesse quand elle
était extrême. Ce n’est pas sous
l’empire de la passion qu’il parle et exprime son accablement puisqu’il
n’exprime sa douleur qu’après sept jours de silence. C’est aussi la première
fois que nous entendons Job souffrir de ses calamités.
Job dit alors du mal aux jours qui l’ont vu concevoir et
naître en raison des maux qu’il subit. De nombreuses métaphores expriment alors
son souhait de n’être jamais né puisque sa naissance l’a fait vivre en de si
grandes calamités, puisque ses jours n’ont point caché la misère à ses yeux. De
même, il exprime ses douleurs d’avoir été conservé en vie, vie devenue à
charge. Il souhaite donc dormir, c’est-à-dire mourir, pour se taire et se
reposer, rejoignant rois et princes, riches et pauvres, petits et grands,
maîtres et esclaves. Tous finissent en effet par mourir. Dans l’au-delà, il n’y
a ni tumulte, ni fatigue, ni servitude.
Après s‘être lamenté sur le sort des malheureux et de
ceux qui peinent, Job montre encore son dégoût pour la vie et revient sur ses
propres malheurs, dont il reconnaît la
grandeur tout en avouant son innocence. Il repousse en effet l’idée qu’il endure
sa misère par sa propre faute. C’est alors que commencent les discours de ses
trois amis qui s’opposent à ses plaintes et à ses paroles. La responsabilité de l’homme dans les maux qui l’affligent sont
l’objet des discussions. Ses amis cherchent à le persuader que ses malheurs
sont la punition de ses péchés…
Conclusion
Le prologue du Livre de Job présente ainsi deux
idées portant sur les causes des maux qui frappent l’homme. Selon la première,
les calamités seraient des épreuves
que Dieu envoie pour mieux faire éclater ses vertus en révélant davantage ce
que l’homme ne peut voir, faisant notamment taire les calomnies. Selon Satan,
les vertus de Job ne seraient qu’hypocrisie. Selon la seconde, elles seraient une punition des fautes commises alors
que la prospérité serait la récompense des bons serviteurs de Dieu. Satan
évoque aussi cette idée pour relativiser les vertus de Job. Ce serait uniquement
pour préserver sa fortune et ses biens qu’il se montre vertueux.
Mais, Job désavoue cette idée puisque proclamant son
innocence, il se plaint des malheurs qui le frappent et il ne comprend pas la
misère dans lequel il est plongé. Le Livre de Job est donc une réponse à
tous ceux qui ne voient dans les maux ou le bonheur ici-bas que la rétribution
des mauvaises ou bonnes actions. Satan utilise l’idée de rétribution pour remettre en cause la sainteté de Job. Si
cette idée était vraie, elle remettrait alors en cause la pureté de l’intention
des fidèles de Dieu. N’est-ce pas déjà un premier argument à relever contre
cette idée ?
Enfin, notons que la cause des maux est indirectement
d’origine divine. Satan n’intervient en effet que sous la permission de Dieu.
Dans l’article suivant, nous poursuivons notre lecture
avec les différents discours des amis de Job et ses réponses…
Notes et références
[1]
Voir Emeraude,
octobre 2014, article « La Sainte
Bible, œuvre inspirée de Dieu ».
[2]
Par exemple, le philosophe et érudit allemand J. D. Michaelis (1717-1771) .
[3]
Par exemple Jean Lévêque, docteur en théologie, professeur d’exégèse de
l’Ancien Testament et les langues orientales à l’institut catholique de Paris
(1974-1990). Voir Le sens de la souffrance d’après le livre de Job, J. Levêque,
dans Revue
théologique de Louvain, 6ème année, 1975, persee.fr.
[4]
Voir Commentaire
du Livre de Job, Saint Thomas d’Aquin, docteurangelique.free.fr.
Les commentaires du Livre de Job par Saint Thomas d’Aquin demeure notre
principal guide de lecture.
[5]
Selon d’autres traductions du Livre de Job (Bible Crampon), la maladie est une
lèpre maligne, ce qui correspond mieux aux symptômes.
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