" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 22 octobre 2016

L'Église selon Saint Irénée de Lyon

Saint Irénée (130-202), évêque de Lyon, est un des Pères de l’Église, successeurs des Pères apostoliques. Auditeur fervent de Saint Polycarpe, il a vécu à Smyrne en Asie Mineure. Il a ainsi pu « encore percevoir un écho direct de la parole de ceux qui avaient été les témoins oculaires de la vie du Christ »[1]. En 177, il devient évêque de Lyon, succédant à Pothin, fondateur de l’Église vers l’an 150 et mort en prison. Il est donc un témoin précieux et authentique de l’Église des premiers temps mais surtout un garant de l’enseignement de l’Église.

Saint Irénée nous a laissé un écrit connu sous le nom de Contre les Hérésies[2]. Il apparaît comme un « pasteur lucide, pleinement conscient des responsabilités qui pèsent sur lui à un tournant critique de l’histoire, à une heure où l’hérésie gnostique ne cesse de gagner du terrain et menace de submerger les communautés chrétiennes. »[3] Nous avons cherché à savoir comment ce grand évêque conçoit l’Église.

Remarquons avant tout que Saint Irénée utilise le terme d’Église aussi bien dans le sens d’Église répandue dans le monde que dans le sens d’Église locale. Les deux sens sont encore confondus.

L’unité de l’Église et unité de foi

La première information frappante que nous donne Saint Irénée sur l’Église est son Unité. « L’Église garde avec soin, comme n’habitant qu’une seule maison, elle y croit d’une manière identique, comme n’ayant qu’une seule âme et qu’un même cœur, et elle les prêche, les enseigne et les transmets d’une voix unanime, comme ne possédant qu’une seule bouche » (I, 10, 2). Une est sa foi. Pourtant, selon Saint Irénée, de nombreux obstacles s’opposent à cette unité. Son universalisme en est un. L’Église se répand en effet dans le monde entier et rencontre des hommes aux langues diverses. Pourtant, elle garde son unité et transmet fidèlement aux hommes ce qu’elle a reçu en dépit de leur diversité.

Aux premiers siècles du christianisme, l’Église se trouve face à l’hérésie gnostique. Saint Irénée oppose son unité aux multiples et innombrables variations de doctrines gnostiques. « Toute la véritable Église possède une seule et même foi à travers le monde entier » (10, 3). L’un s’oppose à la pluralité.

La fidélité au dépôt de la foi

Comment Saint Irénée explique-t-il l’instabilité et le pluralisme de l’hérésie gnostique ? L'hérétique se repose uniquement en sasagesse, c’est-à-dire « une fiction de son imagination » (III, 2, 1). Lorsque la Sainte Écriture les récuse, ils lui renient toute authenticité et fiabilité. Ils fabriquent leur propre canon. Lorsque la Tradition s’oppose à leurs doctrines, ils prétendent qu’elle n’est ni complète ni intègre. « Il se trouve donc qu’ils ne s’accordent plus ni avec les Écritures ni avec la Tradition. » (III, 2,2)

Or l’attitude de l’Église est différente. Le dépôt de la foi est précieusement gardé dans l’Église grâce à la succession des évêques. La foi de l’Église est la foi des Apôtres précieusement gardée. La Tradition qui se manifeste par la succession légitime des évêques est garante de l’unité de la foi.

Les hérétiques sont « les disciples […] de leur propre jugement perverti : d‘où la diversité de leurs opinions, chacun d’entre eux recevant l’erreur suivant sa capacité. L’Église, au contraire, qui tire des Apôtres sa ferme origine, persévère à travers le monde entier dans une seule et même doctrine sur Dieu et sur son Fils. » (III, 12,7)

La Tradition, garant de l’unité de la foi

Pour la première fois, le terme de « Tradition » est employé dans un écrit chrétien connu. Saint Irénée la définit comme venant « des apôtres et qui, grâce aux successeurs des presbytres[4], se garde dans les Églises » (III, 2, 2). Elle se distingue des versions écrites des Évangiles. Elle est perceptible en toute Église. Cette Tradition n’est pas celle d’une Église locale mais bien de l’Église. Elle se manifeste par la succession connue et ininterrompue des Apôtres.

La conservation de la foi s’explique donc en particulier par la succession ininterrompue des évêques. Comme il ne peut pas énumérer les successions de toutes les Églises, Saint Irénée choisit « l’Église très grande, très ancienne et connue de tous » (III, 3, 2). Il s’agit de l’Église de Rome, « elle en qui toujours, au bénéfice des gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres. » (III, 3, 2) Ce privilège s’explique par l’excellence de ses origines. Saint Irénée voit en Saint Pierre et Saint Paul ceux qui « fondèrent et établirent l’Église de Rome » (III, 3, 2). L’énumération de la succession des évêques de Rome à partir des Apôtres est pour Sainte Irénée une preuve « très complète qu’elle est une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l’Église, depuis les Apôtres jusqu’à maintenant, s’est conservée et transmise dans la vérité. » (III, 3, 3) Car chaque évêque enseigne fidèlement ce qu’il a reçu. « Les Apôtres et leurs disciples enseignaient exactement ce que prêche l’Église » (12, 13). Et ce que chacun reçoit est la doctrine que l’Église transmet et qui est la seule vraie.

L’Église, seule gardienne de la foi

Pour Saint Irénée, l’unité de foi est gage de vérité. Par conséquent, l’enseignement de l’Église est vrai. « Le message de l’Église est donc véridique et solide, puisque c’est chez elle qu’un seul et même chemin de salut apparaît à travers le monde entier. » (V, 20, 1) La vérité est donc à recevoir de l’Église.

En outre, tous peuvent la trouver. « C’est elle qui est la voie d’accès à la vie, tous les autres sont des voleurs et des brigands. » (III, 4, 1) Ainsi faut-il rejeter toute doctrine ou parole venant des hérétiques. Il faut non seulement ne pas délaisser la doctrine de l’Église mais aussi se réfugier dans l’Église pour fuir les erreurs.

Seule l’Église a reçu le « Don de Dieu », c’est-à-dire le Saint Esprit. Elle est sans cesse sous son action. « Là où est l’Église, là est aussi l‘Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce. Et l’Esprit est Vérité. » (III, 24, 1) Ceux qui s’excluent de l’Église s’excluent de l’Esprit et par conséquent « ne se nourrissent pas non plus aux mamelles de leur Mère en vue de la vie et n’ont point part à la source limpide qui coule du corps du Christ. » (III, 24, 1) L’Église est la Mère qui allaite ou encore le corps du Christ qui abreuve. Elle est encore « plantée comme un paradis dans le monde » (V, 20, 2). Ainsi exclus de la vérité, ils ne peuvent qu’errer dans l’erreur et « ballottés par elle » (III, 24, 2) puisqu’« ils ne sont pas fondés sur le Roc unique mais sur le sable » (III, 24, 2).

Les missions de l’évêque

Saint Irénée s’applique donc à s’opposer aux hérétiques et à les ramener à l’Église tout en raffermissant les néophytes. Car telle est la mission des évêques, la mission des pasteurs de l’Église, « gardienne fidèle de la foi » (V, Préface). Non seulement il faut s’attaquer aux erreurs mais éviter aussi que les plus faibles puissent se laisser entraîner par des doctrines étrangères. Il faut enfin réintégrer les égarés dans l’Église. Nous retrouvons l’idée traditionnelle de la véritable recherche de l’Unité de l’Église.

Conclusion

Comprenons Saint Irénée. Il doit s’opposer à une hérésie qui menace sérieusement l’Église. Son ouvrage se concentre naturellement sur la foi. Il montre alors en quoi l’Église est véritablement l’Église du Christ par rapport aux différentes sectes gnostiques. L’unité de sa foi est un fait qui démontre sa véracité, son authenticité.

Il nous rappelle aussi de manière admirable que sous l’action du Saint Esprit, l’Église garde et transmet précieusement l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, conservant ainsi la foi des Apôtres. Elle prêche donc la Vérité sans laquelle il n’est point possible de se nourrir de la vie. Or l’hérésie est nouveauté et instabilité. Elle se divise en multiples doctrines et sectes. L’unité de foi distingue la vraie Église de toutes celles qui prétendent l’être. La Tradition témoigne de cette unité de foi. Elle est donc démontrable historiquement.

Comme le démontrera plus tard Saint Augustin, l’Église est finalement la règle de foi. C’est donc vers elle qu’il faut se tourner pour juger de la véracité d’une doctrine ou de l’interprétation de la Sainte Écriture. Il faut recourir à elle comme à une Mère. Gardienne de la foi, l’Église a aussi le devoir d’enseigner la vérité, de dénoncer et de réfuter l’erreur, d’affermir les fidèles dans la foi et de chercher à faire changer les hérétiques pour les réintégrer dans l’Église. Saint Irénée nous en donne le meilleur exemple d’un pasteur dévoué, protégeant son troupeau et en quête de brebis égarées…





Notes et références
[1] Adelin Rousseau, Introduction dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, traduction A. Rousseau, Sagesses chrétiennes, Cerf, 2001.
[2] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur
[3] Adelin Rousseau, Introduction dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur.
[4]Les presbytres désignent les évêques.

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