" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 2 avril 2016

Qu'est-ce que la religion ?





Définir la religion n’est pas une chose simple. Pourtant, le fait religieux est un fait universellement constaté. Dans les grottes de Lascaux jusqu’à nos églises, sur tous les continents et dans les lointaines contrées, aujourd’hui comme hier, nous retrouvons l’homme priant, offrant des sacrifices à des êtres qui le dépassent. L’homme ne vit pas sans croyances, sans prières, sans rites religieux. Aucune civilisation ne s’est développée sans récit fondateur religieux, sans culte rendu aux morts. Aucune société ne l’ignore, même si la nôtre semble l’avoir évacuée de sa sphère publique. L’homme est un être profondément religieux.

Les faits religieux, sont-ils des faits comme tant d’autres ? De nombreuses théories les considèrent comme objets de science sur lesquels elles appliquent des méthodes et des analyses scientifiques. La chose religieuse, qu’elle soit croyance ou pratique, formant ou non une religion, est souvent décrite comme un stade de la connaissance humaine préalable à la science, une invention des hommes censée les protéger de leurs angoisses, une projection de leurs fantasmes ou encore une émanation de sa structure cérébrale. Nombreuses sont les explications plus ou moins sérieuses. La plupart d’entre elles soulignent généralement de manière radicale un des aspects qui les caractérisent. Les uns se concentrent sur son caractère anthropologique, social, d’autres sur la psychologie, sur le psychisme, s’égarant finalement dans des conclusions inacceptables, provoquant légitimement rejets et scandales de la part des croyants. 

La religion est ainsi devenue objet de science, notamment en anthropologie, en psychologie, en philosophie, en histoire. Pourtant, chose incroyable, il n’existe pas de consensus sur sa définition. Divers dans leurs formes, visibles sous différentes interpellations, les faits religieux n’impliquent pas en effet nécessairement une religion. Sa définition varie selon les « sciences » et les théoriciens. Certains penseurs élaborent un concept en étudiant et en comparant des faits religieux, généralement à partir de présupposés. Ils les réduisent à certains aspects en excluant de fait d’autres aussi fondamentaux, tout cela généralement pour servir une théorie qu’ils sont censés démontrer. D’autres, au contraire, élaborent une définition pour inclure tout fait religieux au point que tout devient presque religion. Enfin, des penseurs se penchent plutôt sur la distinction du sacré et du profane qui serait le fondement de toute religion. Mais le sacré est-il une chose qui existe en soi ou un aspect de ce qu’on cherche à définir ? Comment pouvons-nous enfin répartir ce qui est sacré ou profane sans connaître ce qu’est un fait religieux ou non-religieux ? La définition de « religion » ou de « religieux » est liée à celle du « sacré ». Le « sacré » ne la constitue pas. Parfois, de tels penseurs tombent dans une tautologie navrante…

Notre article a pour objet de revenir sur la notion classique de « religion » qui demeure le point fondamental dans toute étude des faits religieux. Comment pouvons-nous en effet parler de pluralisme religieux, d’œcuménisme ou encore de tolérance religieuse sans savoir ce dont on parle ?

De manière classique, les philosophes antiques et chrétiens tirent le mot « religion » de deux mots latins :
  • « relegere » (« relire », « recueillir », « considérer avec soin ») ;
  • « religare » (« relier »).

Religion au sens « relegere »

Au sens de « relegere », le terme de « religion » désigne le grand soin et le profond respect avec lequel l’homme traite les choses qui concernent le culte de Dieu. La religion est alors présentée comme une vertu ou un devoir.  Telle est la définition de Cicéron.






Cicéron appelle en effet religieux « des gens exacts à remplir tous les devoirs qui ont rapport au culte divin »[1]. Lactance, qui reproduit le même passage, nous apporte une traduction plus claire : « on appelle religieux ceux qui relisent et repassent dans leur esprit ce qui regarde le culte des dieux. » Le terme viendrait de la racine « legere » qui signifie « lire », « repasser » au sens d’examiner avec soin, d’étudier attentivement. Saint Isidore de Séville reprend l’idée de Cicéron comme nous l’apprend Saint Thomas d’Aquin. « Pour définir la religion, Isidore adopte l'étymologie suggérée par Cicéron : L'homme religieux, c'est celui qui repasse et pour ainsi dire relit ce qui concerne le culte divin. »[3] Le religieux est donc celui qui pratique un rite religieux de manière réfléchie ou raisonnable. Il y aborde avec « diligence ». Cicéron rapproche l’expression « religion » de « prendre soin » ( « diligere » ), « comprendre » (« intelligere »). La religion serait alors « un rapport réfléchi, prudent et raisonné au culte des dieux »[28].

Il ne s’agit pas d’une « relecture intérieure ». Le sens de « méditation » est cependant pris par Saint Thomas d’Aquin. « Religion viendrait donc de « relire », ce qui relève du culte divin, parce qu'il faut fréquemment y revenir dans notre cœur ; selon Proverbe (3, 6) : en toutes tes démarches pense à lui. »[2] Cependant, Saint Thomas entend bien l’expression de Cicéron comme une relecture attentive des choses qui se rapportent au culte de Dieu

Le sens de « scrupule de conscience » est aussi utilisé, surtout depuis Benveniste[4]. Mais si en effet, le terme peut l’exprimer comme le montre Saint Augustin, Cicéron ne le mentionne pas.

La religion est donc une chose louable. « De quelque manière qu'on nous représente ces divinités, et quelque nom que la coutume leur donne, nous leur devons un culte plein de respect : culte très-bon, très-saint, qui exige beaucoup d'innocence et de piété, une inviolable pureté de cœur et de bouche [...]»[5] 

Cicéron oppose alors la religion à la superstition. La religion « n'a rien de commun avec la superstition, dont nos pères, aussi bien que les philosophes, ont entièrement séparé la religion. »[5] La superstition est un défaut, un vice, parce qu’elle manifeste un excès dans le culte. « Ceux qui passaient toute la journée en prières, en sacrifices, pour obtenir que leurs enfants leur survécussent, furent appelés superstitieux ; et depuis on a donné à ce mot un sens plus étendu. »[6] Le terme de « superstition » viendrait de « superstar » qui signifie « se tenir au dessus de ». Le « superstis » est le témoin qui survit, le survivant.

Nous pouvons penser que Cicéron ne cherche pas à définir ce qu’est véritablement la religion mais plutôt à la distinguer de la superstition afin de montrer que l’une est digne de respect quand la seconde ne mérite aucune créance. C'est « une conception rigoureusement philosophique de la religion que défend Cicéron »[7]. Cicéron voudrait en fait dire qu’une religion sans philosophie reste superstitieuse. Cependant, rappelons que Cicéron ne traite uniquement du culte de Dieu et non des questions divines dans son ensemble. 

Dans un autre ouvrage, De Inventione, Cicéron nous donne une définition de la religion. Elle est « le fait de se soucier d’une certaine nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte. »[8] Elle se rapporte toujours aux soins apportées à une divinité.


Religion au sens de « religare »

Au sens de « religare », le terme de « religion » désigne le lien qui rattache l’homme à Dieu, à un être qui existe en soi.  La  religion est alors définie comme un ensemble de vérités et de pratiques par lesquels la vie du croyant est ordonnée à Dieu.

Lactance (wikipédia)
L’apologète chrétien Lactance ( v.250-325) définit la religion comme étant « le lien de laquelle nous sommes attachés à Dieu »[9]. « Le nom de religion vient du lien dont nous sommes attachés à Dieu : la piété nous tient comme liés à lui, et nous oblige à le servir comme notre maître et de lui obéir comme à notre père. » Ce lien se manifeste par la piété. Il s’appuie sur Lucrèce qui veut dénouer les nœuds de la religion. Il précise que c’est Dieu qui lie l’homme. Le lien vient donc d’une initiative divine. Il y a  un « re-lien » au sens où l’homme s’attache à Dieu, c’est-à-dire répond favorablement à l’initiative divine.


Lactance s’oppose alors à l’origine étymologique que propose Cicéron puisque « la superstition et la religion ont, selon son sentiment, le même objet, qui est de rendre aux dieux le culte qui leur est dû ; et ainsi il n'y a point de différence. Quelle raison m'apporterait-il pour montrer que ce soit un acte de religion de prier une fois les dieux pour la conservation de la vie des enfants, et que ce soit un acte de superstition de prier dix fois pour le même sujet? Si c'est bien fait de prier une fois pour obtenir cette grâce, c'est encore mieux fait de prier plusieurs fois. » [10] La véritable différence entre la religion et la superstition ne se situe donc pas dans un excès quelconque. « La différence est en ce que la religion a la vérité pour objet, au lieu que la superstition n'a pour objet que la fausseté et le mensonge : il importe davantage de savoir ce que vous adorez, que d'examiner la manière dont vous l'adorez. »[11] Ainsi selon Virgile, le superstitieux ne connaît pas les anciens dieux. Le culte qu’il rend est donc vain. Il y a bien une relation entre la connaissance que nous avons de Dieu et le culte qui est nécessaire de Lui rendre.

La religion, l’union à Dieu

Saint Augustin préfère l’idée selon laquelle le terme de « religion » viendrait de « religare » : « nous attachant donc ou plutôt nous rattachant (car nous l’avions perdu par un détachement coupable), et nous reliant à lui, d’où vient encore, dit-on, le mot de religion. »[12] Il souligne surtout le fait qu’un premier lien a été coupé, lien qui est nécessaire de renouer désormais. Le « re-lien » rappelle donc le péché originel. Il est donc important de rétablir ce lien.

Saint Augustin définit en outre la raison de ce lien. « L’amour nous attire vers Lui pour donner le repos en Lui ; fin suprême où la perfection seule nous fait trouver la béatitude. » Le bien final est l’union à Dieu. « Voilà le culte de Dieu et la vraie religion et la solide piété et le service dû à Dieu seul »[13] Saint Augustin définit donc une finalité à la religion et à tout ce qui la compose. C’est donc selon cette finalité que doit être jugée la religion. « La seule voie qui nous conduise sûrement à une vie bonne et heureuse est la vraie religion, celle qui adore un seul Dieu et reconnaît en lui avec une piété éclairée, l'auteur de la nature entière, en qui tout commence, se perfectionne et se conserve dans un ordre parfait. »[14]

Mais Dieu a-t-Il besoin de la religion ? Qui serait « assez insensé pour croire que Dieu ait quelque besoin de nos offrandes ? »[15] Ainsi tout culte que nous rendons à Dieu ne profite qu’à l’homme et non à Dieu. « Ainsi Dieu n’a besoin ni de victimes, ni d’aucun objet corruptible et terrestre ; il n’a pas même besoin de la justice de l’homme, et tout le culte légitime qu’on lui rend profite à l’homme et non à Dieu. »[16] Elle est pour nous seuls un moyen d’union à Dieu en vue de la seule félicité de l’homme.

Une relation sociale ?

Cependant, Saint Augustin nous rappelle que l’expression de religion ne semble pas uniquement désigner le culte de Dieu. Chez ses contemporains, le sens de « religion » s’est en effet étendu à des choses bien humaines, c’est-à-dire aux liens du sang ou encore aux relations sociales. Le terme de « piété » est aussi employé pour l’accomplissement des devoirs envers les parents. C’est notamment en ce sens que Caton nous demande de leur rendre un culte. Il est aussi étendu aux œuvres de miséricorde. De tels usages ne font qu’introduire de l’ambiguïté et ne sont en fait que des usurpations. La religion au sens propre ne désigne que le culte de Dieu et pas n’importe quel culte.

Après avoir rappelé ces différentes significations, Saint Augustin rappelle le sens propre du terme « religion ». « Ce que la langue grecque désigne par « latreia », et que la langue latine traduit par servitude[17], mais servitude uniquement vouée au culte de Dieu  ce qui se dit en grec « frhskeia » en latin, religion, mais religion qui nous attache à Dieu ; enfin cette qeosebeia que nous ne pouvons rendre qu’en trois mots culte de Dieu ; tout ce que ces différentes expressions comprennent n'est décidemment dû qu’à Dieu, au vrai Dieu »[18]. Saint Augustin rejette donc toute idée de lien social dans la signification du mot « religion ». Il s’agit bien d’un lien entre Dieu et les hommes…


La religion, une initiative humaine ?


Si elle est un lien nécessaire uniquement à l’homme pour s’unir à Dieu afin d’atteindre le bien suprême, ce pour quoi l’homme a été fait, la religion révèle alors l’intention de Dieu à notre égard. Est-Il en effet désintéressé de notre bonheur puisqu’Il nous donne la possibilité de s’unir à Lui ? La religion manifeste donc le véritable amour de Dieu à l’égard des hommes. Donc toute religion qui ne répond pas à cette intention divine n’est pas une vraie religion. C’est pourquoi « le vrai sacrifice, c’est toute œuvre que nous accomplissons pour nous unir à Dieu d’une sainte union : toute œuvre qui se rapporte à ce bien suprême, principe unique de notre véritable félicité. »[19] Tout acte religieux qui ne répond pas à l’intention divine n’est pas un acte d’une vraie religion.

Mais la religion est-elle réduite aux rapports que l’homme veut établir avec Dieu ? Dans ce cas, elle proviendrait uniquement de l’homme. Elle regrouperait toutes les initiatives humaines pour que l’homme se relie à Dieu. Or suffit-il de vouloir prier pour que la prière soit efficace ? Devons-nous brûler de l’encens devant une pierre censée représenter une divinité pour qu’elle nous exauce ? Non. Le culte doit être agréé, accepté, béni par la divinité elle-même. De telles initiatives doivent répondre à l’intention de Dieu. Elles sont par là choses divines. « Le sacrifice, bien qu’offert par l’homme, est une chose divine. »[20] Car finalement le dernier mot appartient à Dieu...

Cela revient à dire que la religion dépend de la volonté de Dieu et non celle de l’homme. Nous ne pouvons pas nous unir à Dieu sans nous soumettre à Lui. Cela paraît évident et pourtant, bien des discours semblent oublier cette vérité. Ne dit-on pas  par exemple qu’il suffit de croire avec sincérité pour plaire à Dieu ?

Le lien à rétablir entre Dieu et les hommes ne naît-il que de l’homme ? Ne pouvons-nous pas inclure l’initiative divine, c’est-à-dire l’action divine elle-même ? La religion viendrait-elle en fait de l’homme ou de Dieu ? La question est d’importance. Si elle n’était qu’une initiative humaine alors la multiplicité des formes religieuses serait inhérente à la notion même de la religio, tant qu’elles répondraient à l’intention divine et seraient agréées par Dieu...

La religion au sens de « réélire »

Saint Thomas d’Aquin [21] nous donne enfin une dernière origine étymologique du terme de « religion ». Il serait dérivé de « réélire » selon Saint Augustin. En effet, dans ses Rétractations, le Père de l’Église revient sur la définition qu’il a donnée dans De la vraie Religion. « J’ai écrit en un autre endroit « Tendons vers le même Dieu, et reliant (religantes) nos âmes à lui seul, ce qui est, à ce que l’on croit, l’étymologie du mot religion, abstenons-nous de tout culte superstitieux. » Je préfère l’étymologie que je cite. Pourtant, il ne m’a pas échappé que des études autorisées de la langue latine ont proposé pour ce mot une autre origine, c'est-à-dire que l’on dise religio à cause de religitur (ce qui est réélu ou relu). Ce mot est un composé de legendo, comme l’est eligendo (élisant / choisissant), de sorte qu’en latin religo (je relis ou je réélis) soit comme eligo (j’élis / je choisis) »[22].  

La religion serait le devoir de réélire, c’est-à-dire de choisir de nouveau Dieu comme le bien suprême, ce que nous avons perdu par négligence. Selon une traduction de La Cité de Dieu, Saint Augustin aurait alors écrit : « en l’élisant (eligentes), mieux : en le réélisant (religentes), car négligeant (neglegentes) que nous sommes, nous l’avions perdu –, en le choisissant de nouveau (religentes) – d’où vient, dit-on, religio – nous tendons vers lui par l’amour, afin que l’atteignant, nous trouvions en lui le repos. »[23] Comme nous l’avons vu, d'autres traducteurs traduisent aussi « réélire » par « relier ».

La synthèse de Saint Thomas d’Aquin

Après avoir rappelé les trois sens étymologiques, « lecture renouvelée, choix réitéré de ce qui a été perdu par négligence, restauration d'un lien », Saint Thomas d’Aquin rappelle le caractère propre de la religion : « la religion au sens propre implique ordre à Dieu. » Il est donc insensé de vouloir définir ce terme sans évoquer Dieu ou toute divinité. Reprenant Saint Augustin, il précise encore ce qu’est la vraie religion, c’est-à-dire la religion au sens propre. « Car c'est à lui que nous devons nous attacher avant tout, comme au principe indéfectible ; lui aussi que, sans relâche, notre choix doit rechercher comme notre fin ultime ; lui encore que nous avons négligé et perdu par le péché, et que nous devons recouvrer en croyant, et en témoignant de notre foi. »[24]

Précisions que pour Saint Augustin et ceux qui le suivront, les trois sens du terme de « religion » ne sont pas considérées comme opposés mais plutôt complémentaires contrairement aux chercheurs contemporains qui cherchent à les opposer et à en définir l’origine exacte. Seul Lactance parmi les auteurs anciens a  clairement refusé l’origine « relegere ».

Au sein de l’Église

La définition de Lactance et de Saint Augustin a été reprise dans certains catéchismes. « Généralement adoptée, cette étymologie fait naître l’idée d’un accord réciproque entre Dieu et l’homme, et, par là même, met en lumière le vrai caractère de la religion, le seul qui conduise à une conception exacte de l’idée exprimée par le mot, celle du lien mystérieux qui unit l’homme à la divinité. »[25] Dans un traité d’apologétique du début du XXe siècle, nous trouvons aussi cette définition : « La religion peut se définir : l'ensemble des liens ou des relations morales qui rattachent l'homme à Dieu et des devoirs qui en découlent. »[26] Cependant, cette position n’est pas générale.

Reprenant la synthèse de Saint Thomas d’Aquin, des traités théologiques reprennent les trois sens de l’expression « religion » sans les opposer. « Le mot religion vient de « religare », « relier » ; ou de « relegere », « relire » ; ou de « reeligere », « élire », « choisir » de nouveau ; parce que la religion nous attache et nous unit étroitement à Dieu ; ou parce qu'elle nous rappelle que nous devons nous occuper souvent des  choses de Dieu ; ou parce qu'en pratiquant la religion, nous choisissons Dieu de nouveau, comme étant le souverain bien que nous avions perdu par le péché . »[27] Il revient donc sur le principal objet de la religion : le culte de Dieu.

Conclusion

Il est parfois utile de revenir à l’étymologie d’un mot. Elle donne des informations précieuses sur la signification d’une expression. Cela est en particulier vrai pour le terme de « religion » dont l’étude a donné lieu à trois grandes explications étymologiques. Il ne s’agit pas de les confronter de manière systématique afin de dégager une définition ou le sens primitif selon des principes souvent bien fragiles. Comme l’a si bien signalé Saint Thomas d’Aquin, elles sont toutes fortement inséparables de la notion de Dieu et du culte qu’il faut lui rendre. Soulignons aussi que Cicéron, Lactance ou Saint Augustin cherchent à distinguer la religion de ce qui n’est pas en proposant des critères (culte réfléchi, union à Dieu, chemin du véritable bien). Ils sont conscients qu’il existe des fausses religions.

Aujourd’hui, l’expression « religion » a évolué, profondément évolué.  Comme nous le rappelle Saint Augustin, au temps antique, le terme de « religion » était aussi pris en un sens très large, dans un sens très vague, excluant même toute idée de divinité. C’est pourquoi dans La Cité de Dieu, il revient longuement sur la notion de religion pour bien limiter son sujet. Aujourd’hui, cette prudence - ou cette rigueur intellectuelle - n’existe plus. Nous sommes en pleine confusion sémantique. Aujourd’hui, la notion de « religion » s’est considérablement élargie pour inclure tout comportement ou expérience religieux. Désigne-t-elle toujours la même chose ?

Comment la religion est-elle perçue en effet aujourd’hui ? Elle est plutôt vue comme une affaire intérieure, une conviction, ne relevant que de la sphère privée. Elle est catégorisée comme un savoir inférieure à la science et à la sagesse, voire illégitime. Elle apparaît comme une invention de l’esprit ou une œuvre institutionnelle humaine. Une telle perception est bien contraire aux sens donnés par Cicéron ou Saint Augustin. Elle manifeste très clairement une dépréciation et une déconsidération de la religion, qui ont commencées au XVIe siècle pour se poursuivre jusqu’à nos jours. Elle n’est plus considérée comme un « chemin de bonheur » ou une « voie de salut ». Elle a aussi la prétention de vouloir libérer l’homme de la religion. Elle prétend donc avoir une meilleure idée du bonheur ou du salut de l’homme. En clair, elle se substitue à la religion en se dégageant de toute divinité. Elle se proclame, sans le dire, comme la seule et vraie religion.

Selon cette perception de la religion, nous pouvons alors comprendre que la recherche d’une « vraie religion » n’a aucun sens pour un esprit imprégné de cette perception moderne de la religion puisqu’il exclut de facto la finalité de la religion, c’est-à-dire le salut de l’homme. Ainsi quand nous parlons de « religion », faut-il avant tout s’entendre sur le sens même du terme. Sans cette précaution, les débats sur la liberté religieuse deviennent vite insolubles et sans issue. La véritable question est de savoir si effectivement il existe une et une seule voie qui nous conduise sûrement à une vie bonne et heureuse, au bonheur suprême, c’est-à-dire existe-t-il une seule vraie religion.



Notes et références

[1] Cicéron, De natura deorum, livre II, XXVIII, trad. de M. Nisard, Firmin Didot frères, 1859, http://www.w3.org.
[2] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIA IIae, Question 81, article 1, Conclusion.
[3] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa IIae,  Question 81, article 1.
[4] Linguiste français (1902-1976), spécialiste de la grammaire comparée des langues indo-européennes.
[5] Cicéron, De natura deorum, livre II, XXVIII.
[6] Cicéron, De natura deorum, livre II, XXVIII.
[7] Jean Grondin, La philosophie de la religion, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2009.
[8] Cicéron, De Inventione, 2, 261 dans Jean Grondin, La philosophie de la religion, V, II.
[9] Lactance, Institutions divines, livre IV, XXVIII
[10] Lactance, Institutions divines, livre IV, XXVIII
[11] Lactance, Institutions divines, livre IV, XXVIII
[12] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, III, volume 1, édition du Seuil, 1994.
[13] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, III, volume 1,.
[14] Saint Augustin, De la vraie religion, I, 1, traduction l’abbé Joyeux, dans Œuvres Complètes de Saint Augustin, tome III, éd. L. Guérin, 1864.
[15] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, V.
[16] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, V.
[17] On parle encore de « latrie ».
[18] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, I.
[19] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, V.
[20] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, VI.
[21] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIA IIae, Question 81.
[22] Saint Augustin, Rétractations, I, 13, 9 dans Wikipédia, article « Étymologie de religion », publié le 5 novembre 2015.
[23] Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, 3, trad. Lucien Jerphagnon, Paris, Gallimard, 2000 dans Wikipédia, article « Étymologie de religion ».
[24] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIA IIae, Question 81, Conclusion.
[25] Ambroise Guillois, Explication du catéchisme, 1869 dans Wikipédia, article « Étymologie de religion », publié le 5 novembre 2015.
[26] Walters Deviviers, Cours d’apologétique chrétienne ou exposition raisonnée des fondements de la foi, 1906, 19ème édition, Castermann, bibliothèque Saint Libère 2008, http://liberius.net.
[27] Card. Gousset, Théologie dogmatique ou exposition des preuves et des dogmes de la religion catholique, Tome Ier, 14ème édition, 1884.
[28] Jean Grondin, La philosophie de la religion, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2009.

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