" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 24 juillet 2020

L'impuissance de la morale contemporaine face à la crise environnementale, révélatrice d'un modèle de vie centré sur nous-mêmes

Quand nous songeons à la scène du monde, qui s’agite à la moindre émotion, ne craignant ni le ridicule ni la contradiction, nous sommes tentés d’en rire avant que la tristesse ne finit par s’imposer. Nos contemporains savent-ils vraiment où ils vont, parfois avec frénésie ? Ils sont comme embarqués dans un navire où la barre vire au moindre coup de vent. Plus sa proue fonce dans la mer, plus il semble s’élancer vers de sombres nuages. Au loin, à l’horizon, une tempête s’annonce en effet terrifiante. Sur le navire, qui pressent la menace ? Pourtant, les vagues sont peu à peu plus hautes et plus agitées. Le vent ne cesse de souffler de plus en plus fort. Qui s’en soucie sur ce bateau s’enfonçant dans la pénombre ?

Des passagers se distraient dans les différents salons du  navire, dansant et buvant, faisant parfois naître des unions aussi éphémères que les battements d’un papillon de nuit, quand d’autres profitent du luxe et du confort pour s’oublier et s’endormir dans la quiétude. Confiant en son équipage et en son bateau, et fort de ses compétences, le capitaine du bateau ne s’inquiète guère. D’autres préoccupations lui paraissent plus urgentes. Quelques passagers, forts remuants et à la voix forte, se plaignent de la qualité des repas, de la pauvreté des divertissements qui leur sont offerts ou encore de la conduite irrespectueuse des membres de l’équipage à leur égard. D’autres refusent de suivre les règles de sécurité en dépit des nombreux avertissements sous prétexte de leur dignité et de leur liberté. Dans la soute, des mécaniciens commencent à se plaindre de leurs conditions de travail et souhaitent profiter des jouissances qu’offre le bateau et qui leur sont interdits. Pourtant, tout cela risque de connaître une fin tragique. La violente tempête s’approche furieusement du navire insouciant… Seuls ceux qui sont en-dehors de ce bateau peuvent deviner ce qu’il arrivera.

Une incohérence caractéristique de la société contemporaine

Dans une rue de Paris, nous laissons passer un groupe de jeunes étudiants, assez excités. Ils portent des drapeaux sur lesquels nous pouvons deviner des inscriptions en faveur de la planète. Ils portent aussi de superbes Smartphones, les derniers modèles. Certains d’entre eux vont certainement diffuser, sur un des réseaux sociaux à la mode, les photos et les films qu’ils viennent de prendre. Bien vêtus et bien portants, ils sont fiers de défendre une bonne cause. Ils défendent leur avenir. Accrochés à leur portable, ils se réjouissent d’en faire profiter à tous ceux qui partagent leurs idées…

La scène que nous venons de décrire est sans-doute caractéristique de notre société qui veut tranquilliser sa conscience. Car au-delà de l’émotivité artificielle, qui souvent provoque de tel mouvement de protestation, les manières de vivre ne changent pas

Ces jeunes étudiants comme tous ceux qui épousent leur cause, veulent-ils en effet abandonner leurs vacances au bord de la mer, leur voyage dans les pays étrangers et toutes les distractions que la société leur promet ?... Veulent-ils aussi arrêter de naviguer sur Internet à la recherche des dernières nouvelles ou des occasions exceptionnelles, de regarder les séries de film aux saisons interminables, ou encore de se partager leurs émotions ?... Veulent-ils également ne plus manger quand ils veulent et ce qu’ils veulent, au moindre coût ?... Veulent-ils arrêter de se vêtir différemment tous les jours et selon leurs humeurs, ou suivre la dernière mode comme ils entendent ?... Sont-ils prêts à abandonner toutes les machines qui les entourent et qui les soulagent de bien des peines ? Veulent-ils abandonner leur confort dans lesquels ils ont grandi ? Confort dans lequel ils se complaisent sans se rendre compte… Souhaitent-ils enfin prêts à quitter la ville de Paris et vivre en campagne selon le rythme qu’elle impose pour manger des fruits de la terre, de la terre qu’ils auront travaillée de leurs mains, dans la crainte des parasites et du mauvais temps ?...

Dans cet article, nous ne cherchons pas à étudier ou à remettre en cause la crise environnementale qui afflige notre planète. Nous sommes conscients de la situation déplorable dans laquelle elle se trouve. Nous y reviendrons un jour sur ce drame. Mais le véritable sujet de notre article est ailleurs. Les remèdes à cette crise paraissent évidents. Ils nécessitent de mettre en œuvre des mesures radicales qui naturellement vont à l’encontre du bien-être d’une partie de la population. Celle-ci devra y renoncer. Manifestant dans la rue, les jeunes étudiants ont certainement réclamé des mesures bien concrètes pour sauver la planète, mesures qui nécessiteront de réels et profonds sacrifices. Mais celles-ci soulèvent une question qui est en fait au cœur du problème. Sur quel fondement moral peuvent-ils les justifier aux yeux de nos contemporains pour les faire accepter ?

En effet, si nous observons avec un réel recul la conduite de nos contemporains depuis plus d’un siècle, au-delà des bonnes intentions et des pensées creuses, rien en eux ne permet d’apporter une justification solide.

Un remède : le renoncement à notre modèle de vie

L’état déplorable de notre planète ne peut guère nous étonner. Nos contemporains, ou du moins une partie, ne cessent de se préoccuper de leur bien-être en jouissant des biens que notre terre nous donne et cela au moins coût, sans songer à la limite de ses ressources. Vivant dans un confort encore jamais atteint par l’homme, confort qu’il finit par revendiquer comme un droit fondamental, ils espèrent obtenir ce qu’ils veulent. Tout semble leur être acquis. Leurs inquiétudes ne se limitent finalement qu’à des bagatelles. Or pour maintenir ce bien-être, voire encore l’améliorer, des hommes épuisent et violentent notre planète, cherchant les ressources nécessaires à leur faim insatiable. Tout cela leur parait naturel au point qu’ils ne voient pas le monde fonctionner sans machine ni transport, sans la profusion des biens qui nous entourent et des services qui nous sont proposés. Ne croyons pas non plus que la catastrophe est uniquement environnementale. Elle est terriblement humaine et sociale. La richesse des uns fait en effet le malheur des autres. Le bien-être d’une partie de la population repose en effet sur la misère et l’exploitation de l’autre partie. Il n’y a pas de dépense irraisonnable sans ressource ni travail aussi insensé. Tout cela a un prix.

Le salut de notre planète nous oblige à renoncer à la vie déraisonnable que nous menons aujourd’hui, à notre confort et à notre bien-être pour finalement éprouver ce qui est la nécessité. Nos contemporains accepteraient-ils un tel sacrifice en dépit d’une conscience de plus en plus vive de la catastrophe qui nous menace ? Les politiques ont bien compris que cette solution est impossible. Ils perdraient leur tête et leurs ambitions. Elle irait en effet à l’encontre de puissants intérêts et de redoutables égoïsmes. Ils éprouvent déjà bien des difficultés pour supprimer à leurs électeurs des privilèges surannés.

L’impuissance de la morale contemporaine

Que font-ils alors faire pour retrouver une vie plus mesurée, plus raisonnable et responsable ? La manière la plus classique est de faire peur à la population en montrant les désastres de plus en plus dévastateurs que causent nos insouciances. Le salut de l’humanité passe nécessairement par des sacrifices. Mais qu’est-ce que l’humanité ? Un concept, une pensée, un mot. Ce qui n’existe pas ne peut pas être sauvé. Soyons donc plus clairs. Ce sont des hommes, des êtres faits de chair et de sang, qui doivent se sacrifier dès maintenant pour d’autres, plus éloignés, dans un avenir incertain, plus ou moins improbable. Ils sont bien trop éloignés pour toucher nos contemporains plus intéressés par l’immédiateté

Songeons alors aux esclaves des temps modernes. Ils sont bien vivants et réels. Mais guère visibles, ils n’émeuvent pas longtemps l’opinion si versatile et facilement apitoyable. Pourtant, les moyens existent pour soulager vraiment l’autre partie de la population. Des milliards peuvent en effet soudainement surgir quand nous le voulons bien, c’est-à-dire quand il faut sauver notre économie et notre modèle de vie. L’argent n’est finalement pas un problème en soi…

La problématique que nous posons se précise. Si nous refusons aujourd’hui de soulager ceux qui peinent et souffrent de notre manière de vivre, c’est-à-dire une grande partie de la population mondiale alors que nous en avons les moyens, comment pouvons-nous vraiment accepter de sacrifier notre modèle de vie pour sauver des hommes qui n’existent pas encore ?

Prenons un autre exemple encore plus frappant : l’avortement. Celui-ci est devenu un droit généralisé que défend avec force une grande partie de nos contemporains. Or qu’est-ce que l’avortement de manière objective ? L’interruption d’une vie humaine appelée à naître et à se développer. Pourquoi est-elle interrompue ? Parce que, généralement, elle n’a pas fait l’objet d’un désir ou parce qu’en naissant, elles gâcheraient notre bien-être ou notre confort. S’il est alors possible d’interrompre une vie humaine pour une telle raison, comment est-il possible de demander aux hommes de sacrifier ce même bien-être pour des vies qui n’existent pas encore ? Certes, récemment encore, de bonnes consciences protestaient contre ceux qui tuaient des agneaux, à peine conçus pour accroître le rendement du lait de leur mère. La vie de l’homme ne vaut pas plus qu’un agneau ? Alors, que pensez des hommes si loin de leur cœur ?

Un appel à la science aussi dérisoire

Allons encore plus loin dans le drame que nous vivons. C’est au nom de la science que certains prophétisent des catastrophes environnementales. Mais la science n’en est-elle pas la cause ? Nous songeons à cette époque, encore bien proche, où les bien-pensants ne croyaient qu’en la science. Elle devait donner à l’homme le bonheur, la fin de tout souci et de toute misère. Elle devait nous apporter un avenir radieux. Quelle sottise ! Tout devait alors se régler selon elle. Et voilà le prix de cette folie. Certes, le sinistre XXe siècle avait déjà montré à plusieurs reprises ce que la science était capable de faire, mais ces leçons, apprises avec tant de douleurs, n’ont guère servi. Le XXIe siècle poursuit cette démence. La science enfle encore les esprits et sans-doute, elle nous livrera encore bien des désastres. Des apprentis-sorciers continuent encore leur expérience. Des progrès deviennent rapidement des cauchemars.

Pourtant, certains espèrent encore en la science pour sauver notre planète. Ils mettent leur espoir dans de nouvelles énergies, dans des technologies capables de réduire nos dépenses, voire à l’existence de planète habitable assez proche pour la conquérir et la peupler comme un nouvel Eldorado. Mais la science a-t-elle encore le droit de dire ce que nous devons faire alors qu’elle nous a conduits à un tel désastre ?

L’histoire et les actualités nous montrent suffisamment que l’homme ne sait pas maîtriser la nature et toute sa complexité. Quand il intervient pour résoudre un problème, il ne fait généralement qu’aggraver la situation. La science ne cesse pourtant de lui montrer l’étendue de son ignorance et la profondeur de sa vanité. Mais, il n’écoute guère les leçons qui lui sont données…

Évidemment, la science en elle-même n’a ni conscience ni âme. Le responsable reste l’homme…

Un appel à la conscience encore plus vain

Cependant, voilà qu’un cri vient nous répondre : la solidarité ! Ce mot est souvent lancé de nos jours pour justifier un renoncement quelconque. Il fait partie de ces termes devant lequel tous doivent se soumettre. Pourtant, ce mot est souvent mal employé.

Pour mieux le saisir, revenons à ses origines. Il provient d’un terme latin qui, en droit romain, signifie « devoir social » ou encore « obligation communautaire ». Il nous renvoie donc sur les responsabilités de l’individu dans un groupe auquel il appartient. Il n’y a donc pas de solidarité en dehors de ce groupe. Il ne correspond donc nullement à la générosité ou encore au don de soi. Or la solidarité qui est exigée ne concerne pas ceux qui devraient naître et qui finissent dans une poubelle ou encore les esclaves bon marchés si abondants en Afrique ou en Asie. Ces victimes ne font pas partie de la communauté qui intéresse les bien-pensants. De quelle communauté s’agit-il alors ? De ceux qui vont perdre… Nous n’avons guère envie d’appartenir à cette communauté. Nous ne pouvons donc guère entendre ce cri aux intentions bien peu louables.

La problématique devient pressante. L’appel à la conscience suffirait-elle à faire entendre la raison ? Mais pourquoi en appeler à la conscience ? Si la conscience se tait devant les drames actuels, bien concrets, que sont l’exploitation de la misère, l’avortement ou bien d’autres crimes encore, comment peut-elle venir au secours de la planète ? Elle paraît bien impuissante pour que la population renonce au bien-être dans laquelle la conscience semble aussi se complaire. Le scrupule des uns reste inefficace pour la réveiller. La raison est encore bien plus impuissante pour remuer les cœurs et les transformer.

Comment est-il possible d’éveiller cette conscience quand depuis plus de cinquante ans, elle a été forcée de se taire devant la libéralisation des mœurs ? Souvenons-nous en effet de cette époque et de ces banderoles. Il est interdit d’interdire, tel était le fameux slogan. Tout était permis. Et depuis ce temps, un vent de libéralisation a soufflé sur la société, nous faisant croire qu’effectivement, tout était permis et que la conscience était l’autorité suprême. Et les lois politiques et sociales ont suivi ce mouvement. Désormais, au nom de l’égalité, les dernières barrières morales s’effondrent dans l’indifférence sidérante de la population. Il serait donc ironique aujourd’hui de faire appel à la conscience pour sauver notre planète...

Conclusions

La problématique est enfin accessible, lumineuse. La morale contemporaine est centrée sur le bien-être de l’homme. Le bonheur fondamental réside essentiellement dans la satisfaction de soi dans toutes ses dimensions. Or le bonheur est ce qui donne une finalité à son action. Il est en quelques sortes le moteur de son comportement mais aussi l’âme de ses pensées. Le regard du contemporain est donc purement anthropocentrique, voire purement concentré sur son égo et ses intérêts. Tout doit en effet tourner autour de lui. Cela signifie aussi que le bien et le mal ne se distinguent qu’à la seule lumière de ce bonheur. La conscience, qui n’invente ni ne créé, est alors elle-même éclairée par cette morale. Elle ne s’éveille et s’écrie que lorsque son bien-être est atteint. Le reste lui est indifférent. Telle est la morale développée dans notre société depuis plus d’un siècle.

Pourtant, la crainte de voir ce bien-être menacé devrait pousser l’homme à changer d’attitude. Certes, éclairé par sa conscience, il s’alarme et cherche des solutions mais il n’est pas dupe. Il connaît la raison du drame. Il sait que toute solution efficace remettra en cause nécessairement son bonheur et donc s’opposera à sa morale. La confrontation est alors aussi inévitable que fulgurante. La majorité des hommes n’ont pas d’autres choix que de refuser cette remise en question avec la bénédiction de leur conscience. Elle supportera finalement l’état déplorable de la planète. Il apaisera ses craintes en sous-estimant le danger, en y restant indifférents ou en accusant l’État et les autres…

Nos contemporains peuvent alors manifester dans les rues de Paris pour sauver la planète sans que leur conscience ne soit véritablement troublée par leur incohérence. Bien au contraire. Leur comportement est à l’image de la morale qu’ils ont acquise. Car finalement, ce n’est pas la planète qui est au cœur de la manifestation mais eux-mêmes. Des slogans montrent clairement qu’ils ont en effet peur de perdre le bien-être qu’ils jouissent aujourd’hui sans mesure. Leur regard reste fondamentalement anthropocentrique…

 « Bienheureux les pauvres d’esprit parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » (Matthieu, V, 3).

 


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