" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 1 octobre 2016

Qu'est-ce que l'Église ? Réponse par les images

Parfois, les mots sont bien incapables d'exprimer la vérité. Hésitants, ambiguës, ils s’ajoutent les uns aux autres sans pouvoir exprimer ce que l’esprit veut dire. Ils peuvent aussi être précis et justes mais demeurer obscurs et inefficaces pour un esprit trop enfermé dans ses certitudes ou dans ses erreurs. Ainsi faut-il parfois refuser toutes formulations, définitions, ou autres palabres pour se contenter d’une belle histoire.  Les yeux de l’âme peuvent saisir ce que ses oreilles ne peuvent entendre. Est-ce le cas pour l’Église ?  Il est en effet difficile de La définir. Il existe plusieurs définitions, comme celle de Bellarmin, du catéchisme de Trente ou encore celle du Concile de Vatican II.

Dans la Sainte Écriture, Notre Seigneur Jésus-Christ apprécie beaucoup les paraboles. Elles portent encore aujourd'hui de remarquables enseignements. Quatre d’entre elles nous parlent en particulier de ce qu’est l’Église. Elles sont riches de vérité. Elles sont aussi suffisamment fortes pour répondre à tous ses contradicteurs.

L’Église, signe visible

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne, et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu’ainsi donc luise votre lumière devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matthieu, V, 14-16)

Commentant ces paroles, Saint Jean Chrysostome justifie la raison de la visibilité de l’Église. « C’est à vous de veiller à ce qu’il ne cesse jamais de briller, non seulement pour vous, et pour ceux que vous devrez éclairer, mais encore pour la gloire de Dieu. »[1] Elle est visible pour affermir les fidèles dans la foi, pour appeler les hommes à se convertir, pour manifester la gloire de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ appelle ses disciples à rayonner devant les hommes et à manifester leur foi comme leur charité afin que Dieu soit visible par leur présence. Comme une lumière est par nature visible à tous, l’Église est perceptible pour tous les hommes.

Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ nous renvoient à une prophétie d’Isaïe. « Et il arrivera dans les derniers jours que la montagne préparée pour la demeure du Seigneur sera établie sur le sommet des montagnes, et elle sera élevée au-dessus des collines, et tous les peuples y afflueront. » (Isaïe, II, 1-3) Or comme nous le rappelle Saint Augustin, « une ville placée sur une montagne […] ne peut être cachée »[2].

L’Église n’est pas simplement visible au sens absolu, elle l’est aussi au sens relatif, ou dit autrement elle est aussi reconnaissable par rapport à tout ce qui pourrait être l’Église. Elle doit être reconnue comme étant la véritable Église, celle fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, distinguée des fausses Églises.

Notre Seigneur Jésus-Christ donne un signe, celui de la vie de charité qui doit animer ses membres. « Je vous donne un commandement nouveau : c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. C’est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jean, XIII, 35) Ce n’est pas un signe qui nous permet de reconnaître l’Église mais plutôt un signe de l’appartenance à l’Église. Cependant, nous pouvons voir l’Église dans ses membres et la reconnaître en eux, qui sont les siens, comme la véritable Église. 

Une Église sous la forme spirituelle

Dans la Sainte Écriture, l’Église apparaît aussi comme une communauté de grâce avec Dieu. « Le royaume de Dieu est au-dedans de vous. » (Luc, XVII, 21) Elle apparaît comme un ensemble de mystères qui a été donné de connaître à ses disciples. Elle est saisie avec la foi. « Heureux vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. » (Matthieu, XIII, 16) Effectivement, nous entrons dans l’Église par le baptême et par l’adhésion à la foi. Aux Apôtres, Notre Seigneur Jésus-Christ demande d’enseigner toutes les nations « les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé » (Matthieu, XXVIII, 19) Dans l’Église, nous confessons le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et nous y observons ses commandements.

Dans le discours des Béatitudes, Notre Seigneur nous présente les conditions pour y entrer et demeurer. Il nous demande notamment d’être pauvres d’esprit, doux, miséricordieux, pacifiques. Ainsi « cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice » (Matthieu, VI, 33).

Et dans le prologue de l’Évangile selon Saint Jean, nous écoutons avec ravissement qu’ « à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom ; qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »(Jean, I, 12-13) Le caractère spirituel de l’Église est nettement marqué dans ce passage comme dans tout l’Évangile selon Saint Jean. L’Église se présente comme un royaume de la vérité et de la grâce, de la lumière et de la vie

Le bon grain et l’ivraie

Pour mieux comprendre ce qu’Il enseigne à ses disciples et à nous-mêmes, Notre Seigneur Jésus-Christ propose à ceux qui veulent bien L’entendre des paraboles simples et d‘une force extraordinaire au point qu’elles demeurent encore présentes dans les mémoires. Belles et riches images à méditer... La parabole du bon grain et de l’ivraie en est un exemple.

Imaginons Notre Maître assis sur une barque proche du rivage. Au bord de la mer est assemblée une foule attentive, admirative, buvant des paroles inaltérables, sources de vie. « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ. » (Matthieu, XIII, 24) Au grand jour, un semeur sema dans son champ comme font tous les paysans. Mais dans la nuit, le champ délaissé, « son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du froment, et s’en alla. » (Matthieu, XIII, 25)

Rappelons que l’ivraie est réputée nocive, donnant surtout des nausées et des vertiges. Au début, lorsqu’elle pousse, elle est assez semblable au blé en herbe puis deviennent reconnaissable une fois la pousse avancée. Ainsi « les serviteurs du père de famille s’approchant, lui demandèrent : Seigneur, n’avez-vous pas semé du bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? » (Matthieu, XIII, 27)

Si les serviteurs furent surpris, le maître ne le fut pas. Il reconnut la main de son ennemi. Alors ils lui demandèrent s’ils pouvaient arracher les mauvaises herbes. « Non, de peur qu’arrachant l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment avec elle. Laissez l’un et l’autre croître jusqu’à la moisson, je dirai aux moissonneurs : arrachez d’abord l’ivraie, et liez-là en gerbes pour la brûler ; mais le froment, rassemblez-le dans mon grenier. » (Matthieu, XIII, 28-30)

Notre Seigneur Jésus-Christ nous donne Lui-même la clé de lecture. Le semeur, c’est Lui-même, qui sème dans le monde. « Le bon grain, ce sont les enfants du royaume, et l’ivraie les enfants du malin. L’ennemi, qui l’a semée, c’est le démon. La moisson, c’est la consommation des siècles ; et les moissonneurs sont les anges. » (Matthieu, XIII, 38) Ainsi le maître laisse vivre ensemble dans son champ les fils du Royaume et les fils du démon. Quand viendra le jugement, à la fin des siècles, les anges sépareront le bon grain de l’ivraie, les justes des méchants. Les uns jouiront des splendeurs du Royaume de Dieu, les autres brûleront dans les fournaises du châtiment, « là sera les pleurs et les grincements de dents. » (Matthieu, XIII, 42) Saint Augustin voit dans l’ivraie les doctrines hérétiques et les philosophies mauvaises.

De même, vivant dans le monde, l’Église est une société dans laquelle s’entremêlent l’ivraie et le bon grain. Ce n’est qu’à la fin des temps que les justes et les pécheurs seront jugés et distingués. L’Église fait bien partie du champ du monde. Elle n’est pas que l’ensemble des saints. Le démon peut y semer le désordre et la confusion. Le péché peut donc atteindre ses membres. Et ce serait folie de vouloir arracher la mauvaise herbe. Car en voulant se défaire des mauvais, nous risquons de toucher aux bons. En outre, le mauvais le restera-t-il toute sa vie ? Ainsi non seulement les membres de l’Église ne sont pas tous saints mais les mauvais peuvent le devenir avant leur jugement. Il faut donc laisser opérer la justice divine

L’Église, l’hôtellerie du Bon Samaritain

Descendant de Jérusalem à Jéricho, le Bon Samaritain voit sur le chemin un homme dépouillé, chargé de coups, presque mort. Il s’approche de lui et bande ses plaies. Il le met sur sa monture, le mène dans une hôtellerie et prend soin de lui. « Aie soin de cet homme, et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. » (Luc, X, 35) L’histoire du Bon Samaritain est une des paraboles illustres qui manifestent non seulement l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ - l’amour du prochain - mais également son action - le soin des âmes – dont l’Église en est la continuation.



Les Pères de l’Église ont vu dans l’homme à demi-mort l’humanité toute entière. Comme il est tombé aux mains des brigands, volé et blessé, elle a été dépouillée par la désobéissance du premier homme. C’est l’homme déchu, couvert de blessures, à demi-mort, profondément atteint par le péché mortel. Descendu de la Jérusalem céleste, Notre Seigneur Jésus-Christ est venu le guérir et le relever. Touché par une sincère compassion et habité d’une sincère miséricorde, Dieu fait homme s’est fait son prochain. Il a comblé l’abîme qui sépare l’infini de la poussière. Il a soigné nos plaies, adouci nos peines, guéri nos âmes. Il nous a apporté le remède qui seul peut nous toucher et nous relever. Puis, Notre Seigneur conduit l’âme à l’hôtellerie. Selon Saint Chrysostome, « cette hôtellerie, c’est l’Église qui reçoit tous ceux qui sont fatigués des voies du monde, et accablés sous le poids de leurs péchés ; c’est là qu’après avoir déposé ce fardeau, le voyageur harassé se repose et reprend de nouvelles forces ». L’Église prend soin des hommes tombés sur le chemin de la vie que Notre Seigneur Jésus-Christ a recueillis et lui a confiés. Elle lui offre un repos assuré et une sécurité complète jusqu’au jour où Il reviendra le reprendre.

Conclusion

Au travers de quatre paraboles, nous saisissons quelques caractères de l’Église : sa visibilité, sa spiritualité, la mixité de ses membres et sa puissance salvatrice. Elle est une société visible et reconnaissable, dotée d’une âme. Si son corps comporte des éléments bons et mauvais, son âme est sainte. Elle peut accueillir tous les hommes et leur donner tout ce dont ils ont besoin pour réparer leurs blessures et vivre de nouveau. Elle ne se résume donc pas à une société ni à son esprit ou encore à des moyens de salut. Tout cela paraît bien réducteur. Il est en fait bien difficile de renfermer un mystère si grand dans des mots pauvrement humains. Fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, elle poursuit son œuvre jusqu’au jour où elle entrera dans le Royaume de Dieu…

En prenant en compte ces différentes réalités de l’Église, nous pouvons répondre à ses contradicteurs qui généralement ignorent ce qu’elle est. Mais les mots, répétons-nous, sont bien inaudibles pour des esprits renfermés. La meilleure voie est parfois de montrer ce qu’est l’Église, notamment en se montrant digne d’elle.




Notes et références
[1] Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur Saint Matthieu, 15, dans La Chaîne d’Or, tome I, Saint Thomas d’Aquin, trad. l’abbé J.-M. Péronn, librairie et éditeur groupe Saint-Rémi.
[2] Saint Augustin, In Ep. Joan, I, 13.

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