" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 14 octobre 2016

La Catholica


Au temps apostolique, des doctrines hérétiques se répandent dans les communautés chrétiennes. Certains chrétiens renient notamment le mystère de l’Incarnation, prétendant que Notre Seigneur Jésus-Christ n’était pas fait de chair [1]. Le Pape Saint Clément de Rome, les évêques Saint Ignace d’Antioche ou encore Saint Polycarpe de Smyrne, dont nous avons certains écrits authentiques, demandent alors fermement aux fidèles de ne pas les recevoir et de ne pas écouter ces doctrines étrangères à l’enseignement de Notre Jésus-Christ qu’ont transmis les Apôtres. Or les hérétiques se proclament eux-mêmes être l’Église. Ainsi dès l’origine du christianisme, se font face différentes communautés qui toutes prétendent être l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pour désigner la vrai Église et la distinguer des fausses, Saint Ignace d’Antioche utilise l’expression « Église catholique ».

Bien plus tard, au IIIème puis au IVème siècle, l’Église est aussi menacée par des hérésies en Afrique du Nord. Des schismes viennent également la frapper. Le manichéisme ou le donatisme font des ravages dans les communautés chrétiennes. Et eux-aussi prétendent être l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pourtant, l’Église est une, une par la foi, une par la charité. Comment donc distinguer la vrai Église ? Comment des doctrines dissemblables et contradictoires peuvent-elles en effet prétendre venir de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Dieu serait-Il changeant ou insensé ? Comment l’Église peut-elle être dirigée par des têtes opposées dans un corps divisé ? Notre Seigneur Jésus-Christ peut-Il être démembré, opposé à Lui-même ? Or toute société déchirée et opposée à elle-même est vouée à la mort comme notre Maître nous l’enseigne. Il ne peut donc avoir deux Églises de Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais comment reconnaître la vraie ? Telle est la question que se posent notamment Optat de Milève et Saint Augustin.

Face au Donatisme

L’Afrique chrétienne a souvent été une terre de schisme. Au IVe siècle, le donatisme continue de diviser les communautés chrétiennes. Le but de notre article n’est pas de le définir. Nous l’avons déjà  fait dans un autre article [1]. Il est important de savoir que Parmenianus, un des chefs des Donatistes, et Optat de Milève [11], un défenseur de l’Église catholique, sont d’accord sur trois points :· 
- l’Église est une et indivisible ; 
- le salut n'est possible que dans l'Eglise ;
- les hérétiques sont exclus de l'Eglise.

Comment distinguer les Catholiques et les Donatistes ? Lorsque l’hérésie est la source d’une division, il est plutôt facile de reconnaître celui qui quitte l’Église puisque l’Église se reconnaît par sa foi, qui est la foi catholique. Pourtant, cela n’est pas si simple puisqu’il faut définir la règle de foi. Nous en reparlerons plus loin. La question est assurément plus délicate pour deux parties qui se réclament de la même foi catholique. Comment savoir entre eux où est l’Église ?

Selon Parmenianus, une épouse légitime se reconnaît par les biens que lui a constitués son époux en l’épousant. Ainsi comme elle est l’épouse du Christ, la véritable Église se reconnaît par les biens que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a donnés. Parmenianus les appelle « dotes Ecclesiae ». Si les hérétiques n’ont pas ses biens, ils ne sont pas l’Église. Optat trouve cet argument excellent. Il va même les utiliser contre Parmenianus. Les « dotes Ecclesiae » sont au nombre de six : la « cathedra », symbole de l’unité de l’Église locale, l’évêque, l’Esprit, l’eau de la piscine baptismale et le symbole baptismal, l’autel et enfin le sacerdoce.

Contrairement à Parmenianus, qui considère les catholiques comme des hérétiques, Optat de Milève voit chez les donatistes des schismatiques[4]. Il se demande alors comment il est possible de différencier le schismatique du catholique, les deux demeurant fidèles au dépôt de la foi.

Pour Optat, le schismatique est celui qui a rompu avec l’Église visible. Il s’est rebellé contre son autorité. Il est donc sorti volontairement de l’Église. Pour montrer que les donatistes sont des schismatiques, il revient sur les origines de l’affaire. Il rappelle notamment la condamnation qu’ils ont reçue de la part des conciles régionaux, des autorités politiques et d’un concile de Rome. Une sentence de l’Empereur rejette en outre la prétention des Donatistes. Ils ne sont pas en effet l’Église puisque la « Catholica » est l’Église qui est répandue dans le monde entier. Or leurs communautés ne se sont vraiment diffusées qu’en Afrique du Nord. Cet argument sera souvent utilisé.

En s’appuyant sur des décisions du concile de Rome, Optat considère l’Église catholique comme la seule légitime d’abord « parce qu’elle est à Carthage l’Église historique, enracinée dans le passé et remontant à l’origine » et « parce qu’elle fait partie intégrante de la catholicité totale »[5]. Deux arguments montrent donc l’authenticité de l’Église locale : l’argument apostolique et l’argument géographique, c’est-à-dire en un mot sa catholicité temporelle (ou historique) et géographique, catholicité voulue par Dieu. Nous avons déjà montré que la catholicité répond à la volonté de sauver tous les hommes. Or l’église des Donatistes ne répond pas à ces deux critères. Elle ne peut donc se présenter comme étant la vraie Église.

L’argumentation d’Optat de Milève n’est pas nouvelle. Nous avons déjà vu dans une des lettres de Saint Ignace d’Antioche, datée du IIe siècle. L’expression « Église catholique » a été employée par opposition aux hérétiques. Elle est aussi présente dans le Fragmentum Muratorianum, un écrit rédigé vers 200. La Catholica est aussi utilisée par le Pape Cornélius dans une lettre adressé à Saint Cyprien, par Saint Cyprien et par un participant au concile de Carthage de 256. Deux évêques de Rome opposent aussi aux Donatistes la catholicité de l’Église. Une église limitée à un coin de l’univers ne peut prétendre être la véritable Église. L’expression « Église catholique » désigne donc bien l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le qualificatif « catholique » est en quelque sorte un marquant pour la distinguer des communautés et autres églises qui prétendent être l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le terme de « Catholica » est même employé, notamment par Optat mais surtout par Saint Augustin, comme synonyme d’Église. C’est la « Catholica » qui possède la vérité. C’est la mère qui enfante les chrétiens. Saint Augustin développe l’image de la vigne dont nous devons craindre d’être retranchés pour notre salut car un serment coupé n’a plus de vie. Il identifie « Catholica » et l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Rappelons que, comme nous l’avons déjà évoqué[6], nous entendons aujourd’hui la catholicité géographique au sens moral. L’Église a la capacité de s’étendre partout. C’est sa vocation. Elle est surtout son objectif final. Ainsi une communauté qui ne s’attache pas à la succession des apôtres et demeure limitée moralement ne peut prétendre être l’Église.

Dans son argumentation, Optat rappelle que Saint Pierre est le chef des Apôtres. Il est le fondement de l’Église. Aucun des autres Apôtres ne peut élever sa « cathedra » particulière contre celle de Saint Pierre. La « cathedra Petri » assure même l’union de tous les Apôtres. Elle sauvegarde l’unité de l’Église. L’union à cette « cathedra » est donc un argument en faveur de la légitimité de l’Église locale. Or le schismatique s’élève contre la « cathedra Petri ». 

Après Optat de Milève, Saint Augustin reprend le combat contre le Donatisme et tente de résoudre la querelle. Il s’appuie fortement sur l’argumentation d’Optat de Milève. Il utilise l’argument de la « cathedra Petri » mais progressivement il l’abandonne au profit de l’argument de la catholicité qui lui apparaît plus forte. Ne pas se rattacher à la racine chrétienne qui se trouve dans les sièges qui remontent aux Apôtres, c’est être retranché de la société chrétienne. Et sur les sièges apostoliques repose la succession apostolique des évêques. Cependant, le siège de Rome a la particularité d’être celle de Saint Pierre, qui est le premier des Apôtres, le fondement de l’Église.

Saint Augustin défend donc fermement que l’Église catholique est bien l’Église du Christ. Pour résoudre le schisme, il propose à un évêque donatiste de se rencontrer. Que dit-il à son interlocuteur ? Il faut chercher « quel différend, quelle cause initiale, quelle raison, a introduit dans l’Église du Christ une si déplorable et douloureuse scission ! »[7]

Aux fidèles qui pourraient avoir peur de la situation, Saint Augustin les rassure puisque la « Catholica » leur est une assurance. Il est l’héritage du Christ contre lequel rien ne peut s’opposer. Ils peuvent donc s’appuyer sur la promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ. Au-delà, rien n’est sûr…

Ainsi contre le Donatisme et leurs prétentions de former la véritable Église, Optat de Milève puis Saint Augustin utilisent trois arguments principaux : l’apostolicité, la catholicité, temporelle et géographique, et la communion avec le siège de Rome. Les Donatistes sont bien conscients de leurs faiblesses. Alors qu’en 313 les Donatistes se disaient catholiques, en 393 ils se réclament de l’Évangile.

Face à l’hérésie

L’hérésie consiste dans la négation formelle et obstinée d’une vérité de foi. Les hérétiques « ont préféré s’acharner à défendre leurs erreurs plutôt que de veiller à les corriger »[8]. Elle est donc une erreur consciente commise contre la règle de foi. La question est donc de savoir qui est l’autorité qui définit cette règle.



Avant d’y répondre, notons une remarque de Saint Augustin. L’hérésie est reconnaissable en s’opposant à l’Église catholique qui la réprouve, en se donnant une dénomination particulière, en faisant sécession. Mais elle peut aussi se dissimuler à l’intérieur de l’Église. Or le schisme se détache volontairement de l’Église. Les schismatiques « se sont laissés emportés […] au souffle de l’orgueil, et de leur propre initiative, séparés de nous. » [9] L’hérésie en est éconduite d’autorité. Certes, dans les deux cas, les hérétiques et les schismatiques n’appartiennent plus à la « Catholica ». Ce sont des rameaux coupés de la vigne, retranchés de l’unité de l’Église. Ils n’ont pas le droit à l’héritage de la vie éternelle. Ils doivent pour cela retourner à l’Église catholique. Comme un rameau coupé, ils n’ont plus de lien avec elle…

Aux hérétiques, Saint Augustin affirme que l’Église catholique est bien la seule et vraie Église de Notre Seigneur Jésus-Christ. Certes c’est une question de foi mais cet article de foi peut s’appuyer sur des arguments de crédibilité. Elle a pour elle la continuité par opposition à l’hérésie qui est toujours une nouveauté. Cela nous renvoie au terme de catholicité au sens temporel. Nous pouvons remonter en effet dans les temps jusqu’à l’origine, jusqu’au premier qui a cru, jusqu’à Notre Seigneur Jésus-Christ en personne, auteur premier de notre foi. Le nom « catholique » est ainsi attribué à la foi de l’Église. La foi catholique est la foi des apôtres et de tous ceux qui se rattachent par la succession de ses évêques depuis que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé l’Église. L’authenticité de l’Église catholique se prouve donc historiquement. L’Église catholique est donc celle qui enseigne la foi catholique. Ainsi, l’Église catholique est règle de foi. S’il y a donc hérésie, cela ne peut provenir de l’Église catholique mais de celui qui s’en sépare.

Saint Augustin défend l’autorité de l’Église catholique, une autorité voulue par Dieu. C’est par elle que nous recevons les Saintes Écritures. C’est par elle que nous pouvons justifier des doctrines. C’est par elle finalement que nous observons la tradition apostolique. Car tout cela est reçu dans l’Église universelle. Lorsqu’une coutume n’est pas instituée par un concile œcuménique alors qu’elle reçue dans toute l’Église catholique, elle appartient à la Tradition et fait donc partie du dépôt de la foi. Le concile œcuménique vient même confirmer la coutume universelle et antique lorsqu’elle est contestée ou confuse. Telles sont notamment les pensées de Saint Cyprien. Les évêques peuvent ainsi être en désaccord sur un point de doctrine jusqu’au jour où la controverse est tranchée par un concile œcuménique. Le concile œcuménique ne fait donc que confirmer la foi catholique, il ne fait pas la foi. Lorsque l’Église catholique a parlé, la liberté de controverse est épuisée…

Notre Seigneur Jésus-Christ ne sépare pas la vraie foi de la vraie Église.  « Dans la chaire de l’unité, il a placé l’enseignement de la vérité. »[10] Il y a hérésie car l’Église est nécessairement dans la vérité. Pour Saint Augustin, l’Église est infaillible dans son universalité. Elle est colonne et fondement de la vérité. Elle est protégée par son chef qui la commande, chef invisible qu’elle a dans le ciel, parce qu’elle est corps mystique du Christ.

Conclusion

Face à la multitude des dénominations chrétiennes, il est important de discerner la vraie et seule Église. Car la foi nous demande de croire en une Église. La catholicité demeure un des critères d’authenticité incontestables. L’Église définit dans les symboles de foi les quatre critères, ou notes, qui la caractérisent : unité, catholicité, apostolicité, sainteté. Car destinée à tout l’univers, à tout le genre humain, à tous les temps, l’Église est et ne peut qu’être catholique. Elle peut être occidentale ou orientale, séjournant à Carthage ou à Thagaste, elle demeure une et catholique.

Reprenant une coutume populaire, déjà présente au IIe siècle et surtout au IIIe siècle, l’expression « Église catholique » servait à l’origine à identifier la vraie Église. Il est donc étrange aujourd’hui de vouloir distinguer l’Église catholique de l’Église du Christ ! Mais peut-être, est-ce le résultat d’une confusion, présente certainement dans l’opinion, entre l’Église romaine et l’Église catholique ou entre l’Église occidentale et l’Église catholique ? Or certaines Églises orientales unies à Rome sont bien catholiques. Si ce n’est pas le cas, de quelles autorités pouvons-nous dire qu’il n’y a pas pleine et entière identification entre l’Église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ et l’Église catholique ? De telles idées s’opposent aux Pères de l’Église. Qu’on nous montre donc l’unanimité des Pères de l’Église sur cette question !




Notes et réferences
[1] Hérésie appelée docétisme. Voir Emeraude, septembre 2013.
[4] Les Donatistes nient la validité du baptême catholique. Ils sont véritablement hérétiques.
[5] Battifol, Le catholicisme de Saint Augustin, d’après Optat de Milève, I, 28.
[6] Voir Émeraude, articles "Universalité du Royaume de Dieu" et "Le grain de Sénévé", mai 016.
[7] Saint Augustin, Epist., XXXIII, 5.
[8] Saint Augustin, La vraie religion, n°9, œuvres de Saint Augustin, tome VIII, traduction J. Pegon.
[9] Saint Augustin, La vraie religion, n°9, œuvres de Saint Augustin, tome VIII, traduction J. Pegon.
[10] Saint Augustin, Epistol., CV, 16 dans Le catholicisme de Saint Augustin, Pierre Battifol, 1920.
[11] Milève (ou Mila) est une ville antique de la Numidie, aujourd'hui située en'Algérie.

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