Saint
Irénée (130-202), évêque de Lyon, est un des Pères de l’Église, successeurs des Pères
apostoliques. Auditeur fervent de Saint Polycarpe, il a vécu à Smyrne en Asie
Mineure. Il a ainsi pu « encore
percevoir un écho direct de la parole de ceux qui avaient été les témoins oculaires
de la vie du Christ »[1]. En 177,
il devient évêque de Lyon, succédant à Pothin, fondateur de l’Église vers l’an
150 et mort en prison. Il est donc un témoin précieux et authentique de
l’Église des premiers temps mais surtout un garant de l’enseignement de
l’Église.
Saint
Irénée nous a laissé un écrit connu sous le nom de Contre les Hérésies[2].
Il apparaît comme un « pasteur
lucide, pleinement conscient des responsabilités qui pèsent sur lui à un
tournant critique de l’histoire, à une heure où l’hérésie gnostique ne cesse de
gagner du terrain et menace de submerger les communautés chrétiennes. »[3] Nous
avons cherché à savoir comment ce grand évêque conçoit l’Église.
Remarquons
avant tout que Saint Irénée utilise le terme d’Église aussi bien dans le sens
d’Église répandue dans le monde que dans le sens d’Église locale. Les deux sens
sont encore confondus.
L’unité
de l’Église et unité de foi
La
première information frappante que nous donne Saint Irénée sur l’Église est son
Unité. « L’Église garde avec soin,
comme n’habitant qu’une seule maison, elle y croit d’une manière identique,
comme n’ayant qu’une seule âme et qu’un même cœur, et elle les prêche, les
enseigne et les transmets d’une voix unanime, comme ne possédant qu’une seule
bouche » (I, 10, 2). Une est sa foi. Pourtant, selon Saint Irénée,
de nombreux obstacles s’opposent à cette unité. Son universalisme en est un. L’Église
se répand en effet dans le monde entier et rencontre des hommes aux langues
diverses. Pourtant, elle garde son unité et transmet fidèlement aux hommes ce
qu’elle a reçu en dépit de leur diversité.
Aux
premiers siècles du christianisme, l’Église se trouve face à l’hérésie
gnostique. Saint Irénée oppose son unité aux multiples et innombrables
variations de doctrines gnostiques. « Toute
la véritable Église possède une seule et même foi à travers le monde
entier » (10, 3). L’un s’oppose à la pluralité.
Comment
Saint Irénée explique-t-il l’instabilité et le pluralisme de l’hérésie
gnostique ? L'hérétique se repose uniquement en sasagesse,
c’est-à-dire « une fiction de son
imagination » (III, 2, 1). Lorsque la Sainte Écriture les récuse, ils
lui renient toute authenticité et fiabilité. Ils fabriquent leur propre canon. Lorsque
la Tradition s’oppose à leurs doctrines, ils prétendent qu’elle n’est ni
complète ni intègre. « Il se trouve
donc qu’ils ne s’accordent plus ni avec les Écritures ni avec la
Tradition. » (III, 2,2)
Or
l’attitude de l’Église est différente. Le dépôt de la foi est précieusement
gardé dans l’Église grâce à la succession des évêques. La foi de l’Église est
la foi des Apôtres précieusement gardée. La Tradition qui se manifeste par la
succession légitime des évêques est garante de l’unité de la foi.
Les
hérétiques sont « les disciples […]
de leur propre jugement perverti : d‘où la diversité de leurs opinions,
chacun d’entre eux recevant l’erreur suivant sa capacité. L’Église, au
contraire, qui tire des Apôtres sa ferme origine, persévère à travers le monde
entier dans une seule et même doctrine sur Dieu et sur son Fils. »
(III, 12,7)
La
Tradition, garant de l’unité de la foi
Pour
la première fois, le terme de « Tradition »
est employé dans un écrit chrétien connu. Saint Irénée la définit comme venant
« des apôtres et qui, grâce aux
successeurs des presbytres[4],
se garde dans les Églises » (III, 2, 2). Elle se distingue des
versions écrites des Évangiles. Elle est perceptible en toute Église. Cette
Tradition n’est pas celle d’une Église locale mais bien de l’Église. Elle se
manifeste par la succession connue et ininterrompue des Apôtres.
La
conservation de la foi s’explique donc en particulier par la succession ininterrompue des évêques. Comme il ne peut pas énumérer les successions de
toutes les Églises, Saint Irénée choisit « l’Église très grande, très ancienne et connue de tous » (III,
3, 2). Il s’agit de l’Église de Rome, « elle en qui toujours, au bénéfice des gens de partout, a été conservée
la Tradition qui vient des Apôtres. » (III, 3, 2) Ce privilège
s’explique par l’excellence de ses origines. Saint Irénée voit en Saint Pierre
et Saint Paul ceux qui « fondèrent
et établirent l’Église de Rome » (III, 3, 2). L’énumération de la
succession des évêques de Rome à partir des Apôtres est pour Sainte Irénée une
preuve « très complète qu’elle est
une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l’Église, depuis
les Apôtres jusqu’à maintenant, s’est conservée et transmise dans la vérité. »
(III, 3, 3) Car chaque évêque enseigne fidèlement ce qu’il a reçu. « Les Apôtres et leurs disciples enseignaient
exactement ce que prêche l’Église » (12, 13). Et ce que chacun reçoit
est la doctrine que l’Église transmet et qui est la seule vraie.
L’Église,
seule gardienne de la foi
Pour
Saint Irénée, l’unité de foi est gage de vérité. Par conséquent, l’enseignement
de l’Église est vrai. « Le message
de l’Église est donc véridique et solide, puisque c’est chez elle qu’un seul et
même chemin de salut apparaît à travers le monde entier. » (V, 20, 1) La
vérité est donc à recevoir de l’Église.
En
outre, tous peuvent la trouver. « C’est
elle qui est la voie d’accès à la vie, tous les autres sont des voleurs et des
brigands. » (III, 4, 1) Ainsi faut-il rejeter toute doctrine ou parole
venant des hérétiques. Il faut non seulement ne pas délaisser la doctrine de
l’Église mais aussi se réfugier dans l’Église pour fuir les erreurs.
Seule
l’Église a reçu le « Don de Dieu »,
c’est-à-dire le Saint Esprit. Elle est sans cesse sous son action. « Là où est l’Église, là est aussi l‘Esprit de
Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce. Et
l’Esprit est Vérité. » (III, 24, 1) Ceux qui s’excluent de l’Église
s’excluent de l’Esprit et par conséquent « ne se nourrissent pas non plus aux mamelles de leur Mère en vue de la
vie et n’ont point part à la source limpide qui coule du corps du Christ. »
(III, 24, 1) L’Église est la Mère qui allaite ou encore le corps du Christ qui
abreuve. Elle est encore « plantée
comme un paradis dans le monde »
(V, 20, 2). Ainsi exclus de la vérité, ils ne peuvent qu’errer dans l’erreur et
« ballottés par elle »
(III, 24, 2) puisqu’« ils ne sont
pas fondés sur le Roc unique mais sur le sable » (III, 24, 2).
Les
missions de l’évêque
Saint
Irénée s’applique donc à s’opposer aux hérétiques et à les ramener à l’Église tout
en raffermissant les néophytes. Car telle est la mission des évêques, la mission
des pasteurs de l’Église, « gardienne
fidèle de la foi » (V, Préface). Non seulement il faut s’attaquer aux
erreurs mais éviter aussi que les plus faibles puissent se laisser entraîner
par des doctrines étrangères. Il faut enfin réintégrer les égarés dans l’Église.
Nous retrouvons l’idée traditionnelle de la véritable recherche de l’Unité de l’Église.
Conclusion
Comprenons
Saint Irénée. Il doit s’opposer à une hérésie qui menace sérieusement l’Église.
Son ouvrage se concentre naturellement sur la foi. Il montre alors en quoi
l’Église est véritablement l’Église du Christ par rapport aux différentes
sectes gnostiques. L’unité de sa foi est un fait qui démontre sa véracité, son
authenticité.
Il
nous rappelle aussi de manière admirable que sous l’action du Saint Esprit,
l’Église garde et transmet précieusement l’enseignement de Notre Seigneur
Jésus-Christ, conservant ainsi la foi des Apôtres. Elle prêche donc la Vérité
sans laquelle il n’est point possible de se nourrir de la vie. Or l’hérésie est
nouveauté et instabilité. Elle se divise en multiples doctrines et sectes.
L’unité de foi distingue la vraie Église de toutes celles qui prétendent
l’être. La Tradition témoigne de cette unité de foi. Elle est donc démontrable
historiquement.
Comme
le démontrera plus tard Saint Augustin, l’Église est finalement la règle de foi.
C’est donc vers elle qu’il faut se tourner pour juger de la véracité d’une
doctrine ou de l’interprétation de la Sainte Écriture. Il faut recourir à elle
comme à une Mère. Gardienne de la foi, l’Église a aussi le devoir d’enseigner
la vérité, de dénoncer et de réfuter l’erreur, d’affermir les fidèles dans la
foi et de chercher à faire changer les hérétiques pour les réintégrer dans
l’Église. Saint Irénée nous en donne le meilleur exemple d’un pasteur dévoué,
protégeant son troupeau et en quête de brebis égarées…
Notes et références
[1] Adelin Rousseau, Introduction dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, traduction A. Rousseau, Sagesses chrétiennes, Cerf, 2001.
[2]
Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom
menteur
[3]
Adelin Rousseau, Introduction dans Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Dénonciation
et réfutation de la gnose au nom menteur.
[4]Les
presbytres désignent les évêques.
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