" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 24 septembre 2016

L'Église selon les Pères apostoliques

Dans la Sainte Écriture, le terme d’« Église » est intimement lié à Notre Seigneur Jésus-Christ. Au sens premier du terme, il désigne l’ensemble des chrétiens que Dieu a convoqués. Dans la sainte Écriture, elle est décrite comme un corps aux multiples membres, un corps dont la Tête est Notre Seigneur Jésus-Christ, comme une maison édifiée sur Saint Pierre. Elle est une en dépit de la diversité de ses membres. Tous les caractères de l’Église se dessinent dans le Nouveau Testament.

Le terme d’Église semble cependant difficile à saisir clairement. Les Apôtres et les évangélistes l’emploient pour désigner tantôt une communauté chrétienne locale, tantôt la totalité des Chrétiens, ou encore l’ensemble des Églises locales.

Pour mieux comprendre encore ce qu’est l’Église dans sa réalité même, nous allons entendre leurs successeurs directs, c’est-à-dire les Pères apostoliques. Leurs ouvrages sont d’une très grande richesse, notamment pour leur témoignage et leur intérêt historique. C’est pourquoi nous allons nous attarder sur leur conception de l’Église.

La Didaché




L’ouvrage porte aussi le titre « doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze Apôtres ». Le mot grec « Didaché », traduit généralement par « doctrine », signifie plutôt « enseignement » dans le sens de « façonner les disciples ». Le titre précise en outre que la doctrine vient de Notre Seigneur Jésus-Christ et qu’elle est transmise par les Apôtres. Il a été retrouvé en 1875 à Constantinople. Son origine est peut-être syro-palestinienne. L’œuvre daterait de la fin du Ier siècle ou du début du IIème siècle.

La Didaché contient trois parties : une instruction morale, des prescriptions liturgiques puis disciplinaires. Elle nous donne en particulier la situation des communautés chrétiennes au début du christianisme. L’ouvrage donne clairement et avec fermeté des prescriptions.  « Il y a deux voies, l’une de la vie, l’autre de la mort » (I, 1). La Didaché donne les préceptes de la voie qui conduit à la vie et les vices qui jalonnent la voie de la mort. Le terme de voie est aussi employé pour désigner l’Église.

L’auteur de la Didaché utilise quatre fois le terme d’Église selon deux sens : soit pour désigner la communauté locale des chrétiens devant laquelle les fidèles devaient confesser ses manquements (IV, 14), soit pour désigner l’ensemble des Chrétiens (IX, 4 et X, 1). Lorsqu’il porte le deuxième sens, l’auteur souligne que l’Église appartient au Christ par l’emploi du possessif (« ton Église »). Il nous renvoie au terme employé par Notre Seigneur Lui-même.

Dans le rite de l’institution de l’Eucharistie, l’auteur de la Didaché compare « le pain rompu, d’abord dispersé sur les montagnes » puis « recueilli pour devenir un » avec l’Église du Christ « rassemblée des extrémités de la terre dans son royaume » (IX, 4). Dans la prière qui suit, il demande à Notre Seigneur Jésus-Christ de préserver son Église de tout mal et de la rassembler dans son royaume. Il distingue donc l’Église du Royaume de Dieu.

La Didaché évoque aussi « la sainte vigne de David » (IX, 1) que Dieu a fait connaître par Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon les annotations de l’ouvrage, elle désigne son Église. Dans la Sainte Écriture, elle est une image biblique qui désigne le peuple de Dieu.

Enfin, la Didaché nous donne une structure des premières communautés chrétiennes. Elle comprend des évêques et des diacres stables qui leur sont attachées. Ils sont élus. Il existe aussi des apôtres, des prophètes et des docteurs. Ce sont plutôt des fonctions ou ministères puisque les évêques et les diacres peuvent aussi les exercer. Ces fonctions portent toutes sur la prédication. Elles peuvent aussi être exercées par des prédicateurs ambulants. L’ouvrage demande de les éprouver et juger de leur orthodoxie. « Si donc quelqu’un vient de vous et vous enseigne tout ce qui vient d’être dit, recevez-le. Mais si le docteur lui-même s’est perverti et enseigne une autre doctrine en vue de détruire, ne l’écoutez pas ; enseigne-t-il, par contre, pour accroître la justice et la connaissance du Seigneur, recevez-le comme le Seigneur » (IX, 1). L’Église locale apparaît donc très structurée et hiérarchisée.

La première Épître de Saint Clément

La première Épître de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe est une lettre écrite par la Pape Saint Clément, troisième successeur sur le siège de Rome. Elle daterait des dernières années du premier siècle. Elle serait même contemporaine des derniers écrits du Nouveau Testament. Cette lettre nous permet de mieux connaître la foi et la vie religieuse des chrétiens de Rome. Elle est surtout importante car elle témoigne de l’autorité de l’évêque de Rome. C’est en effet le premier document qui manifeste l’intervention de l’Église romaine auprès d’une autre Église.

« L’Église de Dieu qui séjourne à Rome à l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe », telle est le début de la lettre de Saint Clément. Le terme « séjourne » traduit le mot grec « paroiken », qui signifie « habiter auprès de » ou encore « vivre au milieu de ». Il donnera plus tard le terme de « paroisse ». Il rappelle le terme utilisé dans la Sainte Écriture, c’est-à-dire la situation précaire des chrétiens qui sont ici-bas « des étrangers et des voyageurs » (II Pierre, II, 11). Ce sont deux Églises en communion.

Saint Clément écrit pour mettre fin à une discorde qui divise les chrétiens de Corinthe. Un schisme les divise en effet comme au temps de Saint Paul. Il revient sur la cause profonde de cette nouvelle crise, c’est-à-dire sur la jalousie. Saint Clément en appelle alors à l’humilité et à l’unité. « Qu’il demeure donc entier ce corps que nous formons en Jésus-Christ ! » (XXXVIII, 1), corps dont le chef est Notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel nous trouvons notre salut. Il compare l’ensemble des chrétiens à une armée en compagne, « sous les ordres de ce chef irréprochable » (XXXVII, 1), où chaque soldat occupe son poste exécutant les ordres. Saint Clément reprend la comparaison paulinienne du corps où chaque membre est nécessaire et utile au corps entier. Il rappelle ainsi la diversité des fonctions de l’Église et sa hiérarchisation. « Tous ensemble conspirent et collaborent dans une unanime obéissance au salut du corps entier. »(XXXVII, 5)

Plus tard, après avoir évoqué l’institution de l’épiscopat, Saint Clément revient sur la nécessité de l’unité, reprenant l’image du corps. « N’avons-nous pas un seul Dieu, un seul Christ, un seul esprit de charité répandu sur nous, une seule vocation dans le Christ ? Pourquoi déchirer et écarteler les membres du Christ ? Pourquoi vous révolter contre votre propre corps ? En venir à ce point de démence d’oublier que nous sommes membres les uns des autres ? » (XLVI, 6-7)

Saint Clément revient ensuite sur l’institution de l’épiscopat. Rappelant l’exercice du culte sous l’Ancien Testament, il montre que l’exercice du culte se fait selon les prescriptions divines et « non pas n’importe comment et sans ordre » (XL, 2). Dieu « a déterminé lui-même, en son souverain bon plaisir, où et par quels ministres nous devions nous en acquitter, afin que tout se passe saintement selon son bon plaisir, et soit ainsi agréable à sa volonté. » Tout doit se faire « selon son bon plaisir » et non selon le nôtre. Ainsi de même, « que chacun d’entre nous, frères, à son rang, plaise à Dieu par une bonne conscience, sans vouloir franchir les limites régulières de son office, en toute dignité. » (XLI, 1)

Envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ, Lui-même venu de Dieu, les Apôtres ont annoncé partout la bonne nouvelle et fondé des communautés. « A travers les compagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. » (XLII, 4) L’épiscopat est bien une institution et non une réponse à un besoin passager. Les chefs des communautés, que sont les évêques, sont établis par les Apôtres, eux-mêmes envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ. Leur dignité vient de Dieu. « Ils instituèrent les ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succédèrent à leurs fonctions. » (XLIV, 1) Ils sont indispensables à la structure de l’Église. Et les évêques reçoivent leur charge « avec l’assentiment de toute l’Église » (XLIV, 4).

Selon la lettre de Saint Clément, le conflit qui divise les chrétiens de Corinthe a provoqué découragement, doute et tristesse. Des chrétiens se sont révoltés contre l’évêque de la ville. Nous apprenons en effet que « l’Église de Corinthe s’est révoltée contre ses presbytres à cause d’un ou deux individus. » (XLVII, 6) Les presbytres désignent généralement les anciens. Dans l’épître de Saint Clément, il serait question de chef religieux selon les annotations de l’ouvrage.

Or « la charité ne fait pas de schisme, ne fomente pas de révolte ; elle accomplit toutes choses dans la concorde, c’est la charité qui fait la perfection de tous les élus de Dieu ; sans la charité, rien n’est agréable à Dieu. » (XLIX, 5) Sans la charité, point de salut. Être élu de Dieu ne suffit pas. Faut-il encore demeurer dans la charité jusqu’au bout par la grâce de Dieu. « Toutes les générations, depuis Adam jusqu’à ce jour, ont passé, mais ceux qui ont été trouvés dans la charité par la grâce de Dieu demeurent dans le séjour des saints, qui se manifesteront lorsqu’apparaîtra le royaume du Christ. » (L, 3)

Car c’est bien « Notre Seigneur Jésus-Christ [qui] nous a appelés des ténèbres à la lumière, de l’ignorance à la connaissance de la gloire de son nom. » (LIX, 2) Saint Clément priera pour que le nombre des élus du monde entier soit maintenu intact.

Saint Clément demande donc aux instigateurs du schisme de se soumettre aux « presbytres » et de faire pénitence. « Vous donc qui êtes à l’origine des dissensions, soumettons-vous aux presbytres, laissez-vous corriger afin de vous repentir et de ployer les genoux de votre cœur. »(LVII, 1) L’important est d’être compté dans le troupeau du Seigneur et de ne pas en être exclu.

La première épître de Saint Clément témoigne donc l’aspect hiérarchique de l’Église, la dignité de l’épiscopat et l’obéissance qui est due aux chefs établis dans l’Église. Elle nous donne aussi des éléments sur l’appartenance à l’Église : y appartenir, c’est déjà une élection divine. C’est Notre Seigneur Jésus-Christ qui appelle l’homme à y entrer. Nous retrouvons le sens premier du terme. Mais cette élection demeure insuffisante pour gagner la vie éternelle. Sans la charité, tout est vain. Or le schisme est une faute à l’égard de la charité. Par conséquent, tout schismatique, non repenti, provoque son exclusion de l’Église. Rompre avec la hiérarchie revient à s’exclure du corps auquel on appartenait. Or, le salut appartient à ceux qui y demeurent attaché.

La lettre est aussi intéressante car elle montre clairement l’autorité de Saint Clément en tant qu’évêque de Rome à l’égard de l’église de Corinthe. Le Pape envoie même des messagers pour faire appliquer ses recommandations. Cela montre son importance dans le christianisme dit primitif.

Enfin, retenons que le terme d’Église prend encore le sens d’Église locale même si elle semble surtout indiquer l’ensemble des chrétiens. C’est surtout une Église bien visible et déjà structurée qui nous apparaît dans l’épître.

L’homélie de Saint Clément

La seconde Épître de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe serait un apocryphe du début du IIe siècle. Son authenticité n’est pas reconnue par tous. Elle serait en outre une homélie.

Un chapitre (XIV) de l’homélie nous intéresse dans le cadre de notre étude. L’auteur de l’homélie parle d’abord d’une « Église spirituelle », qui a été créée avant le soleil et la lune. « Si nous faisons la volonté de Dieu, nous appartiendrons à la première Église » (XIV, 1). Il nous renvoie à Saint Paul qui avait dit aux Éphésiens que Dieu « nous a élus dans le Christ, dès avant la création du monde » (Éphésiens, I, 4).

Il revient aussi sur l’analogie entre le lien du mariage avec ceux qui lient le Christ et l’Église, lien entre l’homme et la femme qui existent depuis la Création, depuis Adam et Ève. « L’homme, c’est le Christ. La femme, c’est l’Église. » (XIV, 2) L’Église est donc « née au commencement » (XIV, 2). Mais « cette Église qui était spirituelle est devenue visible dans la chair du Christ » (XIV, 3). 

L’auteur de l’homélie fait alors le rapprochement entre le corps et l’esprit, entre l’Église visible qui est le corps du Christ et le Saint Esprit qui y habite. « Or si nous disons que la chair est l’Église et que l’Esprit est le Christ, c’est donc qu’à outrager la chair, on outrage l’Église. Commettre une telle action, c’est s’exclure du Christ. » Il faut donc garder intacte la chair pour avoir part à l’Esprit. L’auteur de l’homélie s’oppose en fait à une hérésie qui n’attache d’importance qu’au spirituel, considérant comme négligeables le corps et ses activités. L’aspect visible de l’Église s’oppose à leur doctrine. Si l’Église est née avant le commencement, elle est devenue visible par Notre Seigneur Jésus-Christ pour nous sauver.

Les Lettres de Saint Ignace d’Antioche

Saint Ignace, évêque d’Antioche, est le successeur de Saint Pierre sur le siège d’Antioche, autrefois métropole de l’Orient. Sur la route qui le mène à Rome et au martyre, il adresse sous Trajan (98-117) six lettres à des communautés chrétiennes qui l’a reçu (Smyrne, Éphèse, Philadelphie, Magnésie, Tralles) ou à Rome. Une dernière lettre est adressée à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne. Leur authenticité n’est pas remise en cause, sauf certains passages. C’est donc un témoignage exceptionnel des premières heures du christianisme, notamment à l’égard de l’Église.

À l’image de Saint Paul, Saint Ignace écrit « à l’Église d’Éphèse », « à l’Église qui est à Magnésie du Méandre », « à Tralles », « qui est à Philadelphie d’Asie »,  ou encore « à Smyrne d’Asie », ou enfin « à l’Église qui préside dans la région des Romains ».


Aux Éphésiens, Saint Ignace demande d’être unis et précise en quoi consiste cette unité. Il s’agit « de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque » (Éphésiens, IV, 1) comme l’ensemble des prêtres est uni à l’évêque, comme « les évêques […] sont dans la pensée de Jésus-Christ » (Éphésiens III, 2), et « Jésus-Christ, notre vie inséparable dans la pensée du Père » (Éphésiens, III, 2). Les fidèles doivent être unis afin de « participer toujours à Dieu. » (Éphésiens, IV, 2) Ils doivent être profondément unis « comme l’Église l’est à Jésus-Christ, et Jésus-Christ au Père, afin que toutes choses soient en accord dans l’unité » (Éphésiens, V, 1) L’unité des chrétiens doit être à l’image de l’unité de Dieu.

« Nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur Lui-même » (Éphésiens, VI, 1) puisqu’il est envoyé par Notre Seigneur Jésus-Christ. Aux Magnésiens, il revient sur la relation existant entre l’évêque et Notre Seigneur Jésus-Christ, entre « l’évêque visible » et « l’évêque invisible » (Magnésiens, II, 2). « Par respect pour celui qui nous a aimés, il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n’est pas cet évêque visible qu’on abuse, mais c’est l’évêque invisible qu’on cherche à tromper. » (Magnésiens, II, 2) Aux Philadelphiens, il précise que l’évêque a obtenu son ministère « qui est au service de la communauté », non « pas de lui-même, ni par les hommes », « ni par vaine gloire, mais par la charité de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ. » (Philadelphie, I, 1)

Saint Ignace va encore plus loin. Ceux qui s’assemblent en dehors de l’évêque ne sont pas véritablement chrétiens même s’ils portent le nom. « Tous accourez pour vous réunir comme en un seul temple de Dieu, comme autour d’un seul autel, en l’unique Jésus-Christ » (Magnésiens, VII, 2). Sans les serviteurs de l’Église de Jésus-Christ, que sont l’évêque, les prêtres et les diacres, « sans eux, on ne peut pas parler d’Église. » (Tralliens, III, 1) Finalement, il n’y a pas d’Église sans les Apôtres et leurs successeurs, sans sa structure hiérarchique. L’Église n’est pas seulement l’assemblée des chrétiens. « Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. » (Smyrniotes, VIII, 2) Ainsi il n’est pas permis de participer à des sacrements en dehors de l’évêque. Sans évêque, point d’Église locale…

Saint Ignace demande aux Éphésiens d’éviter ceux qui sont indignes de Dieu. Il les loue ainsi de ne pas avoir reçu ceux qui portent une mauvaise doctrine, c’est-à-dire le docétisme. Il demande aussi aux Magnésiens de ne pas se laisser séduire par les doctrines étrangères. Il demande aux Tralliens de « s’abstenir de toute plante étrangère, qui est l’hérésie. » (Tralliens, VI, 1). Il compare la mauvaise doctrine comme un poison qui donne la mort. « Soyez donc sourds quand on vous parle d’autre chose que de Jésus-Christ » (Tralliens, IX, 1), c’est-à-dire contredit la profession de foi. Il leur demande de fuir « ces mauvaises plantes parasites » qui « portent un fruit qui donne la mort » (Tralliens, XI, 1). Aux Smyrniotes, il recommande de ne pas recevoir les docétistes, ni même les rencontrer mais seulement de prier pour eux afin qu’ils se convertissent.

Saint Ignace défend aussi aux Églises de se diviser. Les fauteurs de schisme n’ont pas droit à l’héritage du Royaume de Dieu. Cependant, « tous ceux qui se repentiront et viendront à l’unité de l’Église, ceux-là aussi seront à Dieu, pour qu’ils soient vivants selon Jésus-Christ. » (Philadelphie, III, 2) Or l’unité de l’Église s’exprime autour de l’autel lorsque les chrétiens se rassemblent autour de l’évêque. « Si quelqu’un n’est pas à l’intérieur du sanctuaire, il se prive du pain de Dieu […] Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là déjà fait l’orgueilleux […] Ayez soin de ne pas résister à l’évêque, pour être soumis à Dieu. » (Éphésiens V, 2-3) Il présente l’évêque comme le gardien de l’unité de son Église. Il demande ainsi à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, de se préoccuper de l’union, « au-dessus de laquelle il n’y a rien de meilleur. » (Polycarpe, I, 2) L’évêque est le pilote d’un navire, dont « le moment réclame, comme l’homme battu par la tempête attend le port, pour obtenir le salut. » (Polycarpe, II, 3) Il est celui qui demeure ferme devant l’erreur comme le réclamait déjà Saint Paul à Timothée.

L’unité se fonde sur l’unité de foi et autour de l’évêque, célébrant l’Eucharistie qui manifeste leur unité et leur donne la vie éternelle. Saint Ignace demande en effet aux Éphésiens de se réunir « dans une même foi, et en Jésus-Christ […] rompant un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours. » (Éphésiens, XX, 2) La communion est le signe de l’unité de l’Église. Ainsi demande-il aux Philadelphiens de ne participer qu’à une seule Eucharistie car « il n’y a qu’une seule chair de notre Seigneur Jésus-Christ, et un seul calice pour nous unir en son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres » (Philadelphiens, IV, 1).

Enfin, rappelons une des phrases de la lettre adressée aux Smyrniotes : « là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. » (Smyrniotes, VIII, 2) C’est la première fois que le terme de « catholique » est associé à l’Église. Il désigne la véritable Église. Voyons aussi le rapprochement entre Notre Seigneur Jésus-Christ et l’évêque.

Une autre lettre attire notre attention, celle adressée aux Romains. Elle débute d’une manière brillante. La salutation que Saint Ignace adresse à l’Église de Rome mérite d’être citée. Elle est dite « digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom de Père ». Par rapport aux autres salutations, elle exprime nettement la prééminence de l’Église de Rome sur les autres Églises.

Finalement, dans ses lettres, Saint Ignace d’Antioche s’attache à défendre l’unité des Églises locales dont le gardien et le signe sont l’évêque. Il est dans un temps où elles sont menacées par les hérésies (docétisme, judéo-christianisme) et fragilisées par son expansion. C’est bien l’évêque qui doit veiller à son unité, unité fondée sur l’unité de foi et de charité. Il n’y a point d’Église sans évêque.

L’évêque Saint Polycarpe

Évêque de Smyrne, Saint Polycarpe est disciple de Saint Jean. Il nous reste de lui une épître adressée aux chrétiens de Philadelphie et les actes de son martyre, c’st-à-dire le récit de son supplice, sous forme de lettre de l’église de Smyrne adressée aux chrétiens de Philomelium en Grande Phrygie.

Dans son épître, Polycarpe écrit « à l’Église de Dieu qui séjourne comme une étrangère à Philippes ». Il utilise le même terme que Saint Clément de Rome. Dans l’Acte des martyrs, l’auteur écrit « à l’Église de Dieu qui séjournée à Philomelium »  mais aussi « à toutes les communautés de la Sainte Église catholique qui séjournent en tout lieu ». Nous voyons donc une distinction entre les deux termes, l’un désignant l’Église locale et le second l’Église universelle. C’est bien « l’Église catholique répandue par toute la terre. » (Le martyre de Polycarpe, VIII, 1) Pourtant, dans le même ouvrage, il utilise aussi le terme d’« Église catholique de Smyrne » (Le martyre de Polycarpe, XVI, 2). Mais dans la lettre, le mot semble aussi dire plus que cela. Polycarpe est « l’évêque de l’Église catholique de Smyrne » (Le martyre de Polycarpe, VIII, 1). Cette phrase nous ramène à ce qu’écrivait Saint Ignace d’Antioche. Il s’oppose à toute communauté hérétique qui prétend être l’Église.

Conclusion

Ainsi, après le temps des Apôtres, à la fin du Ier siècle et au début du IIème siècle, le terme d’« Église » désigne encore soit l’Église locale, soit l’Église universelle. Cependant, deux tendances s’affirment clairement. D’une part, l’Église locale est perçue comme « l’Église de Dieu qui séjourne » dans une ville. Le terme de « paroisse » sera plus tard employé. Elle est centrée autour de l’évêque. C’est lui qui la légitime. « Là où est l’évêque là est la communauté ». D’autre part, l’expression d’« Église catholique » est utilisée pour désigner l’Église universelle, « répandue par toute la terre », mais aussi pour la distinguer des communautés hérétiques qui prétendent être l’Église. L’Église catholique n’est donc pas une autre Église que celle fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Le terme « catholique » n’a pas pour rôle de la subdiviser ou de la préciser. Il désigne la véritable et seule Église de Dieu. Il n’a pas de sens sans le Christ. « Là où est notre Jésus-Christ, là est l’Église  catholique ».

Au temps apostolique, l’Église est indissociable à l’évêque auquel doivent être soumis les chrétiens. Il est le guide de son unité, unité de foi qui exclue fermement toute doctrine étrangère à celle transmise par les Apôtres, unité de culte au moyen des sacrements, unité de charité ou de gouvernement qui s’affirme clairement sur le siège de Rome. L’Église est dès le départ décrite comme étant hiérarchique, dotée de membres aux multiples fonctions. Tout cela manifeste bien la perception de l’Église comme société visible. Les évêques s’opposent même à toute idée d’église spirituelle. Elle est faite de chair comme le Verbe s’est fait chair. Car si l’Église a été créée dès le commencement et si elle comprend des saints dans le ciel, Notre Seigneur Jésus-Christ l’a rendue visible pour notre salut. Elle est répandue par toute la terre, destinée à tous les hommes, à tous les temps, comme l’exprime si bien le terme de « catholique ».

Dès le début du IIème siècle, l’expression « Église catholique » désigne finalement et d’une manière juste et admirable la véritable Église de Notre Seigneur Jésus-Christ, le terme de « catholique » n’ayant pour fonction de la distinguer des communautés hérétiques ou schismatiques qui prétendent être l’Église et de montrer sa nature. Les Pères apostoliques cherchent avant tout à préserver l’unité et à la défendre contre l’hérésie et le schisme. L’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’Église catholique sont donc clairement identiques. L’appartenance à l’Église est enfin nettement perçue comme une nécessité si nous voulons avoir part au salut. Telle est la ferme conviction des Pères apostoliques …

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