Dans la Sainte Écriture,
le terme d’« Église » est
intimement lié à Notre Seigneur Jésus-Christ. Au sens premier du terme, il
désigne l’ensemble des chrétiens que Dieu a convoqués. Dans la sainte Écriture, elle est décrite comme un corps aux multiples
membres, un corps dont la Tête est Notre Seigneur Jésus-Christ, comme une
maison édifiée sur Saint Pierre. Elle est une en dépit de la diversité de ses
membres. Tous les caractères de l’Église se dessinent dans le Nouveau
Testament.
Le terme d’Église semble
cependant difficile à saisir clairement. Les Apôtres et les évangélistes l’emploient
pour désigner tantôt une communauté chrétienne locale, tantôt la totalité des
Chrétiens, ou encore l’ensemble des Églises locales.
Pour mieux comprendre
encore ce qu’est l’Église dans sa réalité même, nous allons entendre leurs
successeurs directs, c’est-à-dire les Pères apostoliques. Leurs ouvrages sont
d’une très grande richesse, notamment pour leur témoignage et leur intérêt
historique. C’est pourquoi nous allons nous attarder sur leur conception de
l’Église.
La Didaché
La Didaché contient trois
parties : une instruction morale, des prescriptions liturgiques puis
disciplinaires. Elle nous donne en particulier la situation des communautés
chrétiennes au début du christianisme. L’ouvrage donne clairement et avec fermeté
des prescriptions. « Il y a deux voies, l’une de la vie, l’autre
de la mort » (I, 1). La Didaché donne les préceptes de la
voie qui conduit à la vie et les vices qui jalonnent la voie de la mort. Le
terme de voie est aussi employé pour désigner l’Église.
L’auteur de la Didaché
utilise quatre fois le terme d’Église selon deux sens : soit pour désigner
la communauté locale des chrétiens devant laquelle les fidèles devaient
confesser ses manquements (IV, 14), soit pour désigner l’ensemble des Chrétiens
(IX, 4 et X, 1). Lorsqu’il porte le deuxième sens, l’auteur souligne que
l’Église appartient au Christ par l’emploi du possessif (« ton Église »). Il nous renvoie au
terme employé par Notre Seigneur Lui-même.
Dans le rite de
l’institution de l’Eucharistie, l’auteur de la Didaché compare « le pain rompu, d’abord dispersé sur les
montagnes » puis « recueilli
pour devenir un » avec l’Église du Christ « rassemblée des extrémités de la terre dans son royaume » (IX,
4). Dans la prière qui suit, il demande à Notre Seigneur Jésus-Christ de
préserver son Église de tout mal et de la rassembler dans son royaume. Il
distingue donc l’Église du Royaume de Dieu.
La Didaché évoque aussi
« la sainte vigne de David »
(IX, 1) que Dieu a fait connaître par Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon les
annotations de l’ouvrage, elle désigne son Église. Dans la Sainte Écriture,
elle est une image biblique qui désigne le peuple de Dieu.
Enfin, la Didaché
nous donne une structure des premières communautés chrétiennes. Elle comprend
des évêques et des diacres stables qui leur sont attachées. Ils sont élus. Il
existe aussi des apôtres, des prophètes et des docteurs. Ce sont plutôt des
fonctions ou ministères puisque les évêques et les diacres peuvent aussi les
exercer. Ces fonctions portent toutes sur la prédication. Elles peuvent aussi
être exercées par des prédicateurs ambulants. L’ouvrage demande de les éprouver
et juger de leur orthodoxie. « Si
donc quelqu’un vient de vous et vous enseigne tout ce qui vient d’être dit,
recevez-le. Mais si le docteur lui-même s’est perverti et enseigne une
autre doctrine en vue de détruire, ne l’écoutez pas ; enseigne-t-il, par
contre, pour accroître la justice et la connaissance du Seigneur, recevez-le
comme le Seigneur » (IX, 1). L’Église locale apparaît donc très structurée
et hiérarchisée.
La première Épître de
Saint Clément
La première Épître
de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe est une lettre écrite par la
Pape Saint Clément, troisième successeur sur le siège de Rome. Elle daterait
des dernières années du premier siècle. Elle serait même contemporaine des
derniers écrits du Nouveau Testament. Cette lettre nous permet de mieux
connaître la foi et la vie religieuse des chrétiens de Rome. Elle est surtout
importante car elle témoigne de l’autorité de l’évêque de Rome. C’est en effet
le premier document qui manifeste l’intervention de l’Église romaine auprès
d’une autre Église.
« L’Église de Dieu qui séjourne à Rome à
l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe », telle est le début de la
lettre de Saint Clément. Le terme « séjourne »
traduit le mot grec « paroiken »,
qui signifie « habiter auprès de »
ou encore « vivre au milieu de ».
Il donnera plus tard le terme de « paroisse ».
Il rappelle le terme utilisé dans la Sainte Écriture, c’est-à-dire la situation
précaire des chrétiens qui sont ici-bas « des étrangers et des voyageurs » (II Pierre, II, 11). Ce
sont deux Églises en communion.
Saint Clément écrit pour
mettre fin à une discorde qui divise les chrétiens de Corinthe. Un schisme les
divise en effet comme au temps de Saint Paul. Il revient sur la cause profonde
de cette nouvelle crise, c’est-à-dire sur la jalousie. Saint Clément en appelle alors
à l’humilité et à l’unité. « Qu’il
demeure donc entier ce corps que nous formons en Jésus-Christ ! »
(XXXVIII, 1), corps dont le chef est Notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel
nous trouvons notre salut. Il compare l’ensemble des chrétiens à une armée en
compagne, « sous les ordres de ce
chef irréprochable » (XXXVII, 1), où chaque soldat occupe son poste
exécutant les ordres. Saint Clément reprend la comparaison paulinienne du corps
où chaque membre est nécessaire et utile au corps entier. Il rappelle ainsi la
diversité des fonctions de l’Église et sa hiérarchisation. « Tous ensemble conspirent et collaborent dans
une unanime obéissance au salut du corps entier. »(XXXVII, 5)
Plus tard, après avoir
évoqué l’institution de l’épiscopat, Saint Clément revient sur la nécessité de
l’unité, reprenant l’image du corps. « N’avons-nous
pas un seul Dieu, un seul Christ, un seul esprit de charité répandu sur nous,
une seule vocation dans le Christ ? Pourquoi déchirer et écarteler les
membres du Christ ? Pourquoi
vous révolter contre votre propre corps ? En venir à ce point de démence
d’oublier que nous sommes membres les uns des autres ? » (XLVI, 6-7)
Saint Clément revient
ensuite sur l’institution de l’épiscopat. Rappelant l’exercice du culte sous
l’Ancien Testament, il montre que l’exercice du culte se fait selon les
prescriptions divines et « non pas
n’importe comment et sans ordre » (XL, 2). Dieu « a déterminé lui-même, en son souverain bon
plaisir, où et par quels ministres nous devions nous en acquitter, afin que
tout se passe saintement selon son bon plaisir, et soit ainsi agréable à sa
volonté. » Tout doit se faire « selon son bon plaisir » et
non selon le nôtre. Ainsi de même, « que
chacun d’entre nous, frères, à son rang, plaise à Dieu par une bonne
conscience, sans vouloir franchir les limites régulières de son office, en
toute dignité. » (XLI, 1)
Envoyés par Notre Seigneur
Jésus-Christ, Lui-même venu de Dieu, les Apôtres ont annoncé partout la bonne
nouvelle et fondé des communautés. « A
travers les compagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi
qu’ils prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur
esprit, ils les établirent évêques et diacres des futurs croyants. »
(XLII, 4) L’épiscopat est bien une institution et non une réponse à un besoin
passager. Les chefs des communautés, que sont les évêques, sont établis par les
Apôtres, eux-mêmes envoyés par Notre Seigneur Jésus-Christ. Leur dignité vient
de Dieu. « Ils instituèrent les
ministres que nous avons dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort
d’autres hommes éprouvés succédèrent à leurs fonctions. » (XLIV, 1)
Ils sont indispensables à la structure de l’Église. Et les évêques reçoivent
leur charge « avec l’assentiment de
toute l’Église » (XLIV, 4).
Selon la lettre de Saint
Clément, le conflit qui divise les chrétiens de Corinthe a provoqué
découragement, doute et tristesse. Des chrétiens se sont révoltés contre l’évêque
de la ville. Nous apprenons en effet que « l’Église
de Corinthe s’est révoltée contre ses presbytres à cause d’un ou deux
individus. » (XLVII, 6) Les presbytres désignent généralement les
anciens. Dans l’épître de Saint Clément, il serait question de chef religieux
selon les annotations de l’ouvrage.
Or « la charité ne fait pas de schisme, ne
fomente pas de révolte ; elle accomplit toutes choses dans la concorde,
c’est la charité qui fait la perfection de tous les élus de Dieu ; sans la
charité, rien n’est agréable à Dieu. » (XLIX, 5) Sans la charité, point
de salut. Être élu de Dieu ne suffit pas. Faut-il encore demeurer dans la
charité jusqu’au bout par la grâce de Dieu. « Toutes les générations, depuis Adam jusqu’à ce jour, ont passé, mais
ceux qui ont été trouvés dans la charité par la grâce de Dieu demeurent dans le
séjour des saints, qui se manifesteront lorsqu’apparaîtra le royaume du Christ. »
(L, 3)
Car c’est bien « Notre Seigneur Jésus-Christ [qui] nous a appelés
des ténèbres à la lumière, de l’ignorance à la connaissance de la gloire de son
nom. » (LIX, 2) Saint Clément priera pour que le nombre des élus du
monde entier soit maintenu intact.
Saint Clément demande donc
aux instigateurs du schisme de se soumettre aux « presbytres » et de faire pénitence. « Vous donc qui êtes à l’origine des dissensions,
soumettons-vous aux presbytres, laissez-vous corriger afin de vous repentir et
de ployer les genoux de votre cœur. »(LVII, 1) L’important est d’être
compté dans le troupeau du Seigneur et de ne pas en être exclu.
La première épître de
Saint Clément témoigne donc l’aspect hiérarchique de l’Église, la dignité de
l’épiscopat et l’obéissance qui est due aux chefs établis dans l’Église. Elle
nous donne aussi des éléments sur l’appartenance à l’Église : y appartenir,
c’est déjà une élection divine. C’est Notre Seigneur Jésus-Christ qui appelle
l’homme à y entrer. Nous retrouvons le sens premier du terme. Mais cette
élection demeure insuffisante pour gagner la vie éternelle. Sans la charité,
tout est vain. Or le schisme est une faute à l’égard de la charité. Par
conséquent, tout schismatique, non repenti, provoque son exclusion de l’Église.
Rompre avec la hiérarchie revient à s’exclure du corps auquel on appartenait. Or,
le salut appartient à ceux qui y demeurent attaché.
La lettre est aussi
intéressante car elle montre clairement l’autorité de Saint Clément en tant
qu’évêque de Rome à l’égard de l’église de Corinthe. Le Pape envoie même des
messagers pour faire appliquer ses recommandations. Cela montre son importance
dans le christianisme dit primitif.
Enfin, retenons que le
terme d’Église prend encore le sens d’Église locale même si elle semble surtout
indiquer l’ensemble des chrétiens. C’est surtout une Église bien visible et
déjà structurée qui nous apparaît dans l’épître.
L’homélie
de Saint Clément
La seconde Épître
de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe serait un apocryphe du début
du IIe siècle. Son authenticité n’est pas reconnue par tous. Elle serait en
outre une homélie.
Un chapitre (XIV) de
l’homélie nous intéresse dans le cadre de notre étude. L’auteur de l’homélie parle
d’abord d’une « Église spirituelle »,
qui a été créée avant le soleil et la lune. « Si nous faisons la volonté de Dieu, nous appartiendrons à la première
Église » (XIV, 1). Il nous renvoie à Saint Paul qui avait dit aux Éphésiens
que Dieu « nous a élus dans le
Christ, dès avant la création du monde » (Éphésiens, I, 4).
Il revient aussi sur
l’analogie entre le lien du mariage avec ceux qui lient le Christ et l’Église,
lien entre l’homme et la femme qui existent depuis la Création, depuis Adam et
Ève. « L’homme, c’est le Christ. La
femme, c’est l’Église. » (XIV, 2) L’Église est donc « née au commencement » (XIV,
2). Mais « cette Église qui était
spirituelle est devenue visible dans
la chair du Christ » (XIV, 3).
L’auteur de l’homélie fait
alors le rapprochement entre le corps et l’esprit, entre l’Église visible qui
est le corps du Christ et le Saint Esprit qui y habite. « Or si nous disons que la chair est l’Église
et que l’Esprit est le Christ, c’est donc qu’à outrager la chair, on outrage
l’Église. Commettre une telle action, c’est s’exclure du Christ. » Il
faut donc garder intacte la chair pour avoir part à l’Esprit. L’auteur de
l’homélie s’oppose en fait à une hérésie qui n’attache d’importance qu’au spirituel, considérant comme négligeables le corps et ses
activités. L’aspect visible de l’Église s’oppose à leur doctrine. Si l’Église
est née avant le commencement, elle est devenue visible par Notre Seigneur
Jésus-Christ pour nous sauver.
Les Lettres de Saint
Ignace d’Antioche
Saint Ignace, évêque
d’Antioche, est le successeur de Saint Pierre sur le siège d’Antioche,
autrefois métropole de l’Orient. Sur la route qui le mène à Rome et au martyre,
il adresse sous Trajan (98-117) six lettres à des communautés chrétiennes qui
l’a reçu (Smyrne, Éphèse, Philadelphie, Magnésie, Tralles) ou à Rome. Une
dernière lettre est adressée à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne. Leur
authenticité n’est pas remise en cause, sauf certains passages. C’est donc un
témoignage exceptionnel des premières heures du christianisme, notamment à
l’égard de l’Église.
À l’image de Saint Paul,
Saint Ignace écrit « à l’Église
d’Éphèse », « à l’Église
qui est à Magnésie du Méandre », « à Tralles », « qui
est à Philadelphie d’Asie », ou
encore « à Smyrne d’Asie »,
ou enfin « à l’Église qui préside
dans la région des Romains ».
Aux Éphésiens, Saint Ignace demande d’être unis et précise en quoi consiste cette unité. Il s’agit « de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque » (Éphésiens, IV, 1) comme l’ensemble des prêtres est uni à l’évêque, comme « les évêques […] sont dans la pensée de Jésus-Christ » (Éphésiens III, 2), et « Jésus-Christ, notre vie inséparable dans la pensée du Père » (Éphésiens, III, 2). Les fidèles doivent être unis afin de « participer toujours à Dieu. » (Éphésiens, IV, 2) Ils doivent être profondément unis « comme l’Église l’est à Jésus-Christ, et Jésus-Christ au Père, afin que toutes choses soient en accord dans l’unité » (Éphésiens, V, 1) L’unité des chrétiens doit être à l’image de l’unité de Dieu.
« Nous
devons regarder l’évêque comme le Seigneur Lui-même » (Éphésiens,
VI, 1) puisqu’il est envoyé par Notre Seigneur Jésus-Christ. Aux Magnésiens, il
revient sur la relation existant entre l’évêque et Notre Seigneur Jésus-Christ,
entre « l’évêque visible »
et « l’évêque invisible » (Magnésiens,
II, 2). « Par respect pour celui qui
nous a aimés, il convient d’obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n’est
pas cet évêque visible qu’on abuse, mais c’est l’évêque invisible qu’on cherche
à tromper. » (Magnésiens, II, 2) Aux
Philadelphiens, il précise que l’évêque a obtenu son ministère « qui est au service de la communauté »,
non « pas de lui-même, ni par les
hommes », « ni par vaine
gloire, mais par la charité de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ. »
(Philadelphie,
I, 1)
Saint Ignace va encore
plus loin. Ceux qui s’assemblent en dehors de l’évêque ne sont pas
véritablement chrétiens même s’ils portent le nom. « Tous accourez pour vous réunir comme en un seul temple de Dieu, comme
autour d’un seul autel, en l’unique Jésus-Christ » (Magnésiens,
VII, 2). Sans les serviteurs de l’Église de Jésus-Christ, que sont l’évêque,
les prêtres et les diacres, « sans
eux, on ne peut pas parler d’Église. » (Tralliens, III, 1)
Finalement, il n’y a pas d’Église sans les Apôtres et leurs successeurs, sans
sa structure hiérarchique. L’Église n’est pas seulement l’assemblée des
chrétiens. « Là où paraît l’évêque,
que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est
l’Église catholique. »
(Smyrniotes,
VIII, 2) Ainsi il n’est pas permis de participer à des sacrements en dehors de
l’évêque. Sans évêque, point d’Église locale…
Saint Ignace demande aux
Éphésiens d’éviter ceux qui sont indignes de Dieu. Il les loue ainsi de ne pas
avoir reçu ceux qui portent une mauvaise doctrine, c’est-à-dire le docétisme. Il
demande aussi aux Magnésiens de ne pas se laisser séduire par les doctrines
étrangères. Il demande aux Tralliens de « s’abstenir de toute plante étrangère, qui est l’hérésie. » (Tralliens,
VI, 1). Il compare la mauvaise doctrine comme un poison qui donne la mort.
« Soyez donc sourds quand on vous
parle d’autre chose que de Jésus-Christ » (Tralliens, IX, 1),
c’est-à-dire contredit la profession de foi. Il leur demande de fuir « ces mauvaises plantes parasites »
qui « portent un fruit qui donne la
mort » (Tralliens, XI, 1). Aux Smyrniotes, il recommande de ne pas
recevoir les docétistes, ni même les rencontrer mais seulement de prier pour
eux afin qu’ils se convertissent.
Saint Ignace défend aussi
aux Églises de se diviser. Les fauteurs de schisme n’ont pas droit à l’héritage
du Royaume de Dieu. Cependant, « tous
ceux qui se repentiront et viendront à l’unité de l’Église, ceux-là aussi
seront à Dieu, pour qu’ils soient vivants selon Jésus-Christ. » (Philadelphie,
III, 2) Or l’unité de l’Église s’exprime autour de l’autel lorsque les
chrétiens se rassemblent autour de l’évêque. « Si quelqu’un n’est pas à l’intérieur du sanctuaire, il se prive du pain
de Dieu […] Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là déjà fait
l’orgueilleux […] Ayez soin de ne pas résister à l’évêque, pour être soumis à
Dieu. » (Éphésiens V, 2-3) Il présente l’évêque comme le gardien de
l’unité de son Église. Il demande ainsi à Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, de
se préoccuper de l’union, « au-dessus
de laquelle il n’y a rien de meilleur. » (Polycarpe, I, 2) L’évêque
est le pilote d’un navire, dont « le
moment réclame, comme l’homme battu
par la tempête attend le port, pour
obtenir le salut. » (Polycarpe, II, 3) Il est celui qui
demeure ferme devant l’erreur comme le réclamait déjà Saint Paul à Timothée.
L’unité se fonde sur
l’unité de foi et autour de l’évêque, célébrant l’Eucharistie qui manifeste
leur unité et leur donne la vie éternelle. Saint Ignace demande en effet aux
Éphésiens de se réunir « dans une
même foi, et en Jésus-Christ […] rompant
un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais
pour vivre en Jésus-Christ pour toujours. » (Éphésiens, XX, 2) La
communion est le signe de l’unité de l’Église. Ainsi demande-il aux
Philadelphiens de ne participer qu’à une seule Eucharistie car « il n’y a qu’une seule chair de notre
Seigneur Jésus-Christ, et un seul calice pour nous unir en son sang, un seul
autel, comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres » (Philadelphiens,
IV, 1).
Enfin, rappelons une des
phrases de la lettre adressée aux Smyrniotes : « là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est
le Christ Jésus, là est l’Église catholique. »
(Smyrniotes,
VIII, 2) C’est la première fois que le terme de « catholique » est associé à l’Église. Il désigne la véritable
Église. Voyons aussi le rapprochement entre Notre Seigneur Jésus-Christ et
l’évêque.
Une autre lettre attire
notre attention, celle adressée aux Romains. Elle débute d’une manière
brillante. La salutation que Saint Ignace adresse à l’Église de Rome mérite
d’être citée. Elle est dite « digne
de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange,
digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du
Christ, qui porte le nom de Père ». Par rapport aux autres
salutations, elle exprime nettement la prééminence de l’Église de Rome sur les
autres Églises.
Finalement, dans ses
lettres, Saint Ignace d’Antioche s’attache à défendre l’unité des Églises
locales dont le gardien et le signe sont l’évêque. Il est dans un temps où
elles sont menacées par les hérésies (docétisme, judéo-christianisme) et
fragilisées par son expansion. C’est bien l’évêque qui doit veiller à son
unité, unité fondée sur l’unité de foi et de charité. Il n’y a point d’Église
sans évêque.
L’évêque Saint Polycarpe
Évêque de Smyrne, Saint
Polycarpe est disciple de Saint Jean. Il nous reste de lui une épître adressée
aux chrétiens de Philadelphie et les actes de son martyre, c’st-à-dire le récit
de son supplice, sous forme de lettre de l’église de Smyrne adressée aux
chrétiens de Philomelium en Grande Phrygie.
Dans son épître, Polycarpe
écrit « à l’Église de Dieu qui
séjourne comme une étrangère à Philippes ». Il utilise le même terme que
Saint Clément de Rome. Dans l’Acte des martyrs, l’auteur écrit « à l’Église de Dieu qui séjournée à
Philomelium » mais aussi
« à toutes les communautés de la Sainte
Église catholique qui séjournent en tout lieu ». Nous voyons donc une
distinction entre les deux termes, l’un désignant l’Église locale et le second l’Église
universelle. C’est bien « l’Église
catholique répandue par toute la terre. » (Le martyre de Polycarpe,
VIII, 1) Pourtant, dans le même ouvrage, il utilise aussi le terme d’« Église catholique de Smyrne » (Le
martyre de Polycarpe, XVI, 2). Mais dans la lettre, le mot semble aussi
dire plus que cela. Polycarpe est « l’évêque
de l’Église catholique de Smyrne » (Le martyre de Polycarpe,
VIII, 1). Cette phrase nous ramène à ce qu’écrivait Saint Ignace d’Antioche. Il
s’oppose à toute communauté hérétique qui prétend être l’Église.
Conclusion
Ainsi, après le temps des
Apôtres, à la fin du Ier siècle et au début du IIème siècle, le terme d’« Église » désigne encore soit
l’Église locale, soit l’Église universelle. Cependant, deux tendances s’affirment
clairement. D’une part, l’Église locale est perçue comme « l’Église de Dieu qui séjourne » dans une ville. Le terme de « paroisse » sera plus tard employé.
Elle est centrée autour de l’évêque. C’est lui qui la légitime. « Là où est l’évêque là est la
communauté ». D’autre part, l’expression d’« Église catholique »
est utilisée pour désigner l’Église universelle, « répandue par toute la terre », mais aussi pour la
distinguer des communautés hérétiques qui prétendent être l’Église. L’Église
catholique n’est donc pas une autre Église que celle fondée par Notre Seigneur
Jésus-Christ. Le terme « catholique »
n’a pas pour rôle de la subdiviser ou de la préciser. Il désigne la véritable
et seule Église de Dieu. Il n’a pas de sens sans le Christ. « Là où est notre Jésus-Christ, là est
l’Église catholique ».
Au temps apostolique,
l’Église est indissociable à l’évêque auquel doivent être soumis les chrétiens.
Il est le guide de son unité, unité de foi qui exclue fermement toute doctrine
étrangère à celle transmise par les Apôtres, unité de culte au moyen des
sacrements, unité de charité ou de gouvernement qui s’affirme clairement sur le
siège de Rome. L’Église est dès le départ décrite comme étant hiérarchique, dotée
de membres aux multiples fonctions. Tout cela manifeste bien la perception de
l’Église comme société visible. Les évêques s’opposent même à toute idée
d’église spirituelle. Elle est faite de chair comme le Verbe s’est fait chair.
Car si l’Église a été créée dès le commencement et si elle comprend des saints
dans le ciel, Notre Seigneur Jésus-Christ l’a rendue visible pour notre salut.
Elle est répandue par toute la terre, destinée à tous les hommes, à tous les
temps, comme l’exprime si bien le terme de « catholique ».
Dès le début du IIème
siècle, l’expression « Église
catholique » désigne finalement et d’une manière juste et admirable la
véritable Église de Notre Seigneur Jésus-Christ, le terme de « catholique » n’ayant pour fonction
de la distinguer des communautés hérétiques ou schismatiques qui prétendent être l’Église et de
montrer sa nature. Les Pères apostoliques cherchent avant tout à préserver
l’unité et à la défendre contre l’hérésie et le schisme. L’Église de Notre
Seigneur Jésus-Christ et l’Église catholique sont donc clairement identiques. L’appartenance
à l’Église est enfin nettement perçue comme une nécessité si nous voulons avoir
part au salut. Telle est la ferme conviction des Pères apostoliques …
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