En dépit de la diversité et de l’ingéniosité des
exégètes aux solutions miraculeuses, nous retrouvons les mêmes principes, les
mêmes procédés, les mêmes objectifs. En partant du principe que le
christianisme est d’origine humaine, c’est-à-dire une religion comme une autre,
fondée sur des fictions et non sur des faits historiques avérés, ils le comparent
avec les diverses religions, les récits mythiques et légendaires, voire
folkloriques, afin de déterminer des filiations et des dépendances, et pour les
plus ambitieux la religion primitive, originelle. Ainsi derrière l’étalage de
science qui accompagne des déclarations prometteuses, nous retrouvons parfois une
volonté continue de dénigrer et de s’opposer à la foi chrétienne, à l’Église et
à son enseignement. Dans notre article, nous présentons les principales failles
des méthodes employées en nous bornant aux récits évangéliques.
Les « plagiats » du christianisme
La méthode la plus répandue pour démontrer des liens de
dépendance entre les récits évangéliques et un mythe censé être plus ancien est
de les rapprocher puis de juxtaposer les éléments similaires pour faire naître
des liens de dépendance. Comme le mythe est supposé plus ancien, la conclusion
paraît évidente : le christianisme les a empruntés pour forger une
nouvelle fable. Par ces parallélismes en apparence frappants, on tente de
montrer que le christianisme a plagié les religions païennes de manière
volontaire ou inconsciente. On dénonce par ailleurs son manque d’originalité,
voire l’esprit mensonger des premiers chrétiens. Finalement, on en déduit que le
christianisme n'est que la survivance du paganisme sous une nouvelle forme
d’expression religieuse, ou encore une synthèse des religions au temps de son
développement.
Les exemples de comparaisons ne manquent pas. Notre
Seigneur Jésus-Christ est ainsi comparé à
Isis, le dieu sauveur, qui ressuscite après avoir été tué, à Asclépios, un
dieu sauveur, médecin des âmes, ou encore à Mithra, le dieu solaire, né dans
une grotte. On rappelle aussi les naissances miraculeuses de certains dieux,
provenant de l’union d’immortels avec des femmes dont certaines sont vierges,
enfantant alors un homme-dieu. La déesse Cybèle est souvent évoquée. Son titre de mère
des dieux nous renvoie à celui de Sainte Marie. On compare aussi les éléments
cultuels, les sacrifices, les formes de piété. L’eucharistie et le baptême sont
ainsi comparés aux rites du mithracisme, au taurobole notamment. La fête de
Noël est associée aux fêtes saturnales, aux célébrations du Mithra ou encore au
jour solennel du « sol invictus »[1].
Tout est bon à comparer, même l'incomparable…
Toutes ces comparaisons s’appuient sur des connaissances
qui proviendraient notamment des découvertes archéologiques. Tout cela semble
sérieux et scientifiquement démontré. Tant de similitudes entre les récits
évangéliques et les histoires païennes nous conduiraient à croire que le
christianisme ait été fortement influencé par les religions païennes au point
d’en être une forme évoluée. Est-ce vraiment le cas ?
Une tactique forte ancienne
Cette
méthode n’est en fait guère nouvelle. « Vous avez converti les sacrifices des païens en agape, leurs idoles en
martyrs à qui vous offrez les mêmes hommages ; vous apaisez les ombres des
morts avec du vin et des aliments ; vous célébrez les mêmes fêtes que les
Gentils, comme les calendes et les solstices… »[2]
Cette accusation est celle de Faustus, manichéen au temps de Saint Augustin, au IVème siècle (entre 350 et 400).
Elle
provient aussi des païens eux-mêmes. Au IIème siècle, Celse utilise à profusion « la méthode comparative pour ravaler les
dogmes chrétiens au rang des antiques fictions et des légendes périmées »[3].
La naissance virginale de Notre Seigneur Jésus-Christ serait des vestiges des
fables de Danaé, de Mélanippe, d’Augé et d’Antiope. Le récit de sa résurrection
ne serait qu’une copie de l’histoire d’Aristée de Proconnèse. Mais son attitude
est ambigüe puisqu’en même temps, il flétrit le christianisme comme étant une
innovation en rupture avec la religion des aïeuls.
Les
Juifs accusent aussi les Chrétiens d’imiter les païens. « Vous
devriez rougir de raconter les mêmes choses qu'eux »[4] en
parlant de la naissance virginale de
Notre Seigneur Jésus-Christ.
Enfin,
cette méthode a souvent été reprise dans un passé plus proche par les
adversaires de l’Église. Voltaire compare ainsi les religions dans le but de
montrer que le christianisme n’est qu’une copie dégradante et décadente du
paganisme.
Trop
de suggestions
Le triomphe de Dionysos |
Parfois,
il ne s’agit que de simples allusions. Mais elles dévoilent suffisamment de graves
lacunes et de profondes ignorances de la part de leurs auteurs. Après avoir évoqué les déesses
antiques, l'un d'entre eux affirme par exemple que « la
théologie de Sainte Marie reprend et parfait les conceptions immémoriales,
asiatiques et méditerranéennes, de la parthénogénèse (faculté
d’autofécondation) des Grandes Déesses. »[6]
Il n’hésite pas à parler de la divinisation de Sainte Marie.
Un
peu de recul, de connaissances et d’esprit critique suffisent pour déceler et dénoncer de telles
impostures.
Des erreurs philologiques
Les ressemblances qu’on évoque avec plus ou moins de
détails sont-elles bien réelles ou artificielles ? Telle est une des
questions que nous devons nous poser. Ou dit autrement, proviennent-elles des
faits eux-mêmes ou de leur description ? Les similitudes qu’on exhibe parfois avec
force peuvent en effet être purement fictives au sens où elles n’existent que
dans les mots et non dans la chose en elle-même.
De manière générale, de telles similitudes peuvent
provenir de deux erreurs ou fautes caractéristiques. D’une part, la religion
antique est décrite avec un regard moderne, profondément influencé par le
christianisme. Sans être chrétiens, ce sont bien une main et un esprit façonnés
par une société christianisée qui écrivent et comparent, qui interprètent et
projettent leurs idées. Même l’adversaire le plus acharné du christianisme ne
peut se défaire de cet héritage encore vivace. L’image qu’on donne d’un récit
antique est alors imprégnée de christianisme. On ne parvient pas si facilement à
prendre le recul nécessaire pour se détacher de son environnement, de ses
habitudes intellectuelles, de sa façon de penser. Il est aussi très probable
que cette description soit fortement teintée d’esprit chrétien de manière
volontaire afin de mieux souligner les similitudes recherchées…
Prenons un exemple. Dans un ouvrage savant, on présente
Osiris comme un Dieu-Sauveur qui meurt violemment avant de ressusciter ou
encore de sa résurrection après un baptême dans les eaux du Nil. Toujours dans
le même ouvrage, on décrit les mystères de Mithra et d’Attis : « le néophyte participait rituellement à
un scénario liturgique autour de la mort et de la résurrection (ou de la
re-naissance) de la divinité. En somme, l’initiation réalisait une sorte
d’imitatio dei. »[7]
Ou « le premier repas initiatique se
réduit en somme à l’expérience de la valeur sacramentaire du pain et du vin ».
On n’hésite pas ainsi à parler en théologien pour expliquer les cultes
païens. Les Égyptiens auraient-ils développé une théologie qu’ils nous
auraient transmise avec une si grande précision ?
Certes, il est parfois nécessaire et inéluctable d’utiliser des
références chrétiennes, suffisamment connues par l’opinion, pour faciliter la
compréhension d’une religion et d’un culte devenus étrangers et inaccessibles
tant les principes et les idées auxquels elle se référe nous sont inconnus.
Les lecteurs ont besoin de se raccrocher à des choses et à des images qu’ils
connaissent et qu’ils peuvent manipuler pour comprendre. Un passé enfoui n’est
abordable que s’il est traduit dans un langage que nous pouvons entendre. Nous
retrouvons ce même besoin dans la science lorsqu’il s’agit de vulgariser une
théorie complexe. Nous retrouvons aussi les mêmes erreurs[8].
À force de simplifier et d’interpréter, on finit par égarer le lecteur, voire par
le tromper. Ainsi le langage employé pour décrire un mythe est imprégné de concepts chrétiens. Finalement,
des similitudes naissent dans la description quand elle est en fait absente
dans le fait décrit.
D’autre part, il est difficile de décrire des religions
sans employer le langage actuel, son style, son vocabulaire, eux-mêmes
influencés par le christianisme. On arrive même à employer la terminologie
chrétienne, parfois volontairement. Cet abus de langage crée alors de la
confusion, invente des liens, provoque des parallèles. Les similitudes ne
proviennent pas alors des faits en eux-mêmes mais des mots. Elles n’existent
pas dans la réalité historique mais uniquement dans l’esprit du lecteur.
Cette confusion est encore accrue lorsqu’on emploie des
mots comme s’ils étaient éternels, comme si les générations les ont toujours
employés avec le même sens, la même signification, le même esprit. C’est
méconnaître l’inéluctable évolution de la langue. Il est donc trompeur de
souligner une ressemblance en partant des mots seuls. Certains ouvrages
manquent de rigueur et de prudence dans les termes employés. Ont-ils au moins
recours à la philologie pour justifier leurs discours ?
Ainsi tout parallélisme qu’on tente d’établir entre
deux faits si éloignés dans le temps et l’espace est-il véridique ou artificiel
?
Des erreurs historiques
Une autre erreur consiste à décrire une religion
antique comme éternellement figée et immuable. Or, elle a nécessairement évolué au cours du
temps, en particulier sous l’influence des religions qu’elle a rencontrée ou des circonstances notamment politiques. En se répandant, elle a généralement absorbé des
éléments provenant d’autres religions et d’autres pratiques. Mithra en est un
exemple caractéristique. Quand on parle d’une religion déterminée, faut-il donc
l’associer à une époque précise, à une phase de son développement, sinon on
arrive à des confusions regrettables. Le paganisme de Julien l’Apostat,
fortement influencé par le christianisme, ne peut être comparé au paganisme de
ses aïeuls. La rigueur historique permet ainsi d’éviter bien des confusions.
Tout en étant très antiques par ses origines, des
mythes incorporent des éléments d’âge plus récent et moins ancien que les
récits évangéliques. Certains d’entre eux font l’objet d’une cure de
rajeunissement, en particulier pour s’opposer au christianisme. Les cas
d’Apollonius de Tyane ou d’Asclépios en sont des exemples caractéristiques. Le
mithracisme et le néo-paganisme ont aussi imité son adversaire pour le
combattre comme l’attestent de nombreux historiens. Les défenseurs de la foi
ont rapidement souligné ces plagiats manifestes, voire caricaturaux.
Prenons l’exemple du culte d’Isis. D’abord
localisé dans une ville parmi d'autres avant de s'imposer localement puis dans toute l'Égypte, il devient culte public avec l’avènement des rois. Puis
après Ptolémée, elle devient un culte à mystère en 300 avant Jésus-Christ,
devenant une sorte de synthèse entre les religions grecques et égyptiennes. Reprenant
les attributs de plusieurs divinités, il s’identifie aussi à Dionysos et à
Asclépios, devenant un dieu universel, maître du ciel et de la terre. Introduit
à Rome sous Caligula, elle devient fortement marquée par un rituel
impressionnant et par l’espoir d’immortalité pour ses adeptes. D’abord
fortement associé à Isis, Osiris est ensuite remplacé par Sérapis par Ptolémée.
Le premier est dans certains mythes présenté comme le dieu du royaume des morts,
retrouvant la vie après être dépecé par son frère, quand le second est plutôt
décrit comme le dieu du Soleil, un dieu qui ne meurt point. Nous voyons donc
dans les religions antiques une très grande fluctuation. Elles ne sont pas
aussi figées que nous pouvons le croire. À l’époque de Notre Seigneur
Jésus-Christ, le culte d’Isis version Sérapis prédomine.
Il est en fait très difficile de fixer la chronologie
d’un mythe ou d’une religion. Tout n'est qu'hypothèse et intuition. Cela nécessite beaucoup de prudence, d’hypothèses,
de sens critique, bien souvent absents dans les articles des beaux penseurs, si
affirmatifs dans leurs déclarations.
Question de sources historiques
Lorsque des savants nous décrivent avec détails et
certitude des religions orientales comme celles des mystères orientaux, nous
sommes un peu déconcertés. Leurs connaissances soulèvent de sérieuses
questions. D’où viennent-elles ? Comment les connaissent-elles ? Ce sont
en effet des cultes à mystère, fondés sur une initiation. Localisées, peu
répandues et destinées à une certaine élite, ces religions gardent secrets leur
savoir, l’organisation de leurs cérémonies, et tout ce qu’elles contiennent,
secrets jalousement gardés que seuls les initiés peuvent connaître.
Cependant, certaines religions ont dévoilé une part du
mystère qui les recouvrait. Le mystère d’Osiris provient par exemple essentiellement
d’un historien grec de l’ère chrétienne, vers le IIIe siècle. Tout en le décrivant
avec un esprit grec et un vocabulaire évolué, dans un monde qui commence à
devenir chrétien et qui entre en conflit avec la nouvelle religion, il le
décrit comme s’il était sous sa forme originelle. Comme cette description porte
quelques influences chrétiennes, on finit par croire que la religion originelle
qu’il semble décrire a influencé le christianisme. Conclusion bien
hâtive et peu convaincante !
Le plus souvent, notre connaissance des religions
anciennes ne provient pas directement de sources historiques fiables. Elle est
même difficile, voire impossible, pour les cultes à mystère qui ont su
préserver leurs secrets. Le passé nous laisse en fait peu de traces pour
comprendre réellement ce que croyaient et pratiquaient des hommes à une époque
lointaine. Il faut donc être prudent lorsqu’on nous donne une description
précise d’une religion antique, surtout lorsqu’elle n'est censée être connue que
par des initiés.
Ressemblances superficielles
Mais en dépit de toutes les difficultés que nous venons
de décrire, imaginons que nous connaissions une religion antique telle qu’elle
était pratiquée et crue. Imaginons aussi que ses croyances soient clairement connues
dans ses concepts et sa terminologie. Faisons en plus l’hypothèse que nous
disposons suffisamment de preuves pour être convaincus de son antiquité. Enfin,
supposons que nous trouvions des points de ressemblances avec le christianisme
en toute objectivité. Reste alors à démontrer qu’il y a imitation, copie ou
plagiat. En effet, si nous pouvons établir des ressemblances, cela
signifierait-il nécessairement qu’il y a imitation ou dépendance ? Le
simple fait d’établir des parallélismes ne suffit pas en effet pour le
démontrer. En restant sous ce seul plan, nous sommes encore loin de la
démonstration, de la science. Il ne s’agit pas en effet de persuader mais de
convaincre.
Devons-nous par exemple croire que la vieille religion romaine ou
le mithracisme aient influencé le christianisme car le jour de Noël correspond
à la date d’une de leurs célébrations ? Le solstice d’hiver n’a pas le
même sens pour les Romains fêtant les fêtes saturnales, les disciples de Mithra
ou du « sol invictus », ou
pour les Chrétiens. La similitude n’implique pas systématiquement imitation. Un symbole
identique peut en effet revêtir plusieurs significations différentes. Le
jugement ne doit donc pas s’arrêter à l’image mais aller jusqu’au concept
qu’elle est censée porter.
Revenons aux réalités humaines
Loin de toute volonté polémique ou fallacieuse, les
similitudes entre religion soulèvent en fait une question intéressante à se
poser. Pourquoi certains éléments, porteurs de symboles, sont-ils communs à des
religions éloignées dans le temps et l’espace ? Pourquoi le solstice
d’hiver est-il si prisé par les religions ? Pourquoi des hommes
emploient-ils les mêmes images tout en l’enrichissant de sens différents ?
La cause réside probablement dans l’origine et le développement de la religion.
Prenons le cas du christianisme. Des païens convertis ne peuvent oublier le
contexte religieux dans lequel ils ont vécu. Ils ont nécessairement repris des
attitudes et des symboles païens, fortement ancrés dans leur existence et dans leurs pensées, tout en
les vidant progressivement de l’esprit païen pour les emplir lentement de
l’esprit chrétien. La langue notamment s’enrichit progressivement de nouveaux
mots et concepts tout en gardant des termes anciens. La forme demeure mais
l’esprit change radicalement. L’Occident ne s’est pas fait chrétien en un jour.
Ainsi au-delà du culte, du rite, de la fête, faut-il chercher l’esprit qui
l’anime.
Nous voyons l’Église fortement préoccupée de prendre en
compte cette réalité humaine. Lors de la conversion des peuples anglo-saxons,
le missionnaire Saint Augustin de Canterbory raconte au pape Saint Grégoire le Grand une étrange
habitude des païens convertis. Avant la messe, ils se livrent à une sorte de
repas rituels à l'imitation des païens. Saint Grégoire lui demande de ne pas interdire cette coutume si elle
n’est pas contraire à l’esprit chrétien pour laisser le temps faire son
ouvrage. Elle finit en effet par disparaître progressivement et par être
interdite lorsque le moment opportun était venu.
Ainsi, au lieu de chercher des similitudes pour établir
des parallèles, parfois très sophistiqués, probablement dans l’esprit
fallacieux de démontrer l’origine humaine du christianisme, il faut surtout comprendre
la cause des similitudes et prendre en compte l’esprit qui anime ces points
similaires. Faut-il aussi comprendre les dépendances contextuelles et
discerner, au-delà des ressemblances formelles, les dissemblances profondes qui
se cachent derrière les symboles. En clair, il faut resituer les points
similaires dans leur environnement en prenant en compte les réalités humaines, beaucoup
plus prégnantes que nous le pensons. L’homme a besoin de temps pour modifier
son comportement et sa vision du monde, pour se libérer de ses erreurs et de
ses habitudes afin de s’attacher aux vérités. Cessons donc de croire en l’homme
virtuel, qui d’une baguette magique serait devenu l’homme chrétien tel qu’il le
sera plusieurs siècles après sa conversion. Ne pensons pas dans l’éternité…
Le véritable élément comparatif
Au-delà des conclusions hâtives et pernicieuses, nous
pouvons voir dans ces similitudes formelles, mêmes artificielles, un point
commun essentiel, voire fondamental, entre un grand nombre de religions :
le besoin inhérent à tout homme de se raccrocher à des éléments qui lui sont
proches pour exprimer ses croyances et organiser un culte. L’idée du sacrifice
est probablement identique à toutes les religions. Le soleil vainqueur des
ténèbres est un bel exemple de symbole pour décrire le processus naturel de la
vie, cycle comprenant la naissance, l’affaiblissement, la mort puis la
renaissance.
Les différents et nombreux religions et cultes révèlent le besoin d’établir des liens
avec Dieu ou des divinités. Or comment peuvent-elles y parvenir, Dieu étant inaccessible et
invisible ? L’homme a besoin de symboles, de faits sensibles et concrets pour exprimer
des choses insensibles et accéder à un monde inatteignable de manière naturelle.
Où peut-il trouver ces « moyens
d’expression » si ce n’est dans les manifestions de la présence divine,
c’est-à-dire dans la nature ? Les ressemblances que nous pouvons trouver
dans les religions montrent finalement ce sentiment fort de la présence de Dieu
dans les choses qui entourent les hommes, dans leur vécu, dans leur histoire
personnelle et collective. L’homme est un être religieux profondément concret. Les concepts
ne suffisent pas pour nourrir sa foi.
Nous comprenons alors les véritables dissemblances qui
séparent les religions. S’il utilise les choses qui l’entourent comme moyens
d’expression de ses croyances, l’homme les regarde différemment selon la
religion qui l’anime. Le disciple de Mithra regarde-t-il le Soleil comme
l’adepte du culte d’Isis ou de la vieille religion romaine ? Pour
confronter deux religions, faut-il alors comparer la vision qu’elles ont du
monde, de la vie et de l’homme. Or comment est-il possible de voir dans les
idées de Création ex-nihilo et de Providence, propres au christianisme, une
quelconque origine dans le paganisme ?
Des silences significatifs
Dans de nombreux articles défendant l’origine païenne
du christianisme et des récits évangéliques, nous constatons souvent que leur
auteur oublie d’évoquer l’influence chrétienne dans les religions païennes.
Nous avons souvent évoqué cette influence dans les exemples manifestes
d’Apollonius de Tyane ou de Julien l’Apostat [11]. Pire encore, on insinue que le
christianisme les a imités ! Mais admettre cette influence revient à
souligner la nouveauté et la force du christianisme.
Le combat acharné qu’ont mené les véritables défenseurs
du paganisme montre en outre l’incompatibilité profonde du christianisme avec la
société dans laquelle elle se répand. Le paganisme et le christianisme sont
fondamentalement opposés. Les idées de Providence, de Création ex-nihilo, de
Résurrection sont inconcevables pour les païens. Or ces idées reposent dans les
symboles, dans le rite, dans les récits. Comment pouvons-nous alors croire à
une dépendance religieuse entre eux en dépit des ressemblances ?
Enfin, ces « savants »
oublient le combat qu’a mené l’Église pour s’opposer à toute confusion dans son
enseignement et dans son culte. Dans ses sermons sur Noël, le Pape Saint Léon
insiste pour dénoncer ceux qui demeurent fidèles à des attitudes païennes qui
manifestent un attachement au culte du soleil. Il condamne par exemple l’habitude
païenne de se retourner vers le soleil levant, et, courbant la tête, de s’incliner en l’honneur du soleil. « Que
les fidèles rejettent donc de leurs habitudes cette damnation perversité et se
gardent de mêler l’honneur dû à Dieu seul aux rites d’hommes qui sont esclaves
des créatures. »[9]
Il revient alors à la signification chrétienne du jour de Noël, au sens exact du
symbolisme chrétien.
Certes le christianisme ne refuse pas l’usage des
symboles que peut nous donner la nature mais, comme nous le rappelle Saint
Paul, il faut éviter les abus afin de demeurer dans la foi. Il faut user
« avec mesure et selon la raison, de
toute la beauté des créatures et de toute la parure de ce monde. » (I.
Cor., IV, 18)
Les récits, le culte, les symboles, etc. sont donc
associés à un enseignement officiel. Les dissocier revient alors à ne plus les
comprendre et à établir des similitudes erronées, fondées non sur des réalités
mais sur des convictions injustifiées, c’est-à-dire sur des a-priori.
Conclusion
L’étude de comparaison des religions
nécessite beaucoup de prudence, de rigueur philologique et historique, et
finalement de sens critique, très souvent absents dans de nombreux articles et ouvrages. « Fautes
de ces précautions préalables, tout flotte au gré du dilettantisme
érudit. »[10]
Bien aventureux, présomptueux et insensés sont ceux qui pensent trouver dans
des ressemblances plus ou moins superficielles entre les religions païennes et
le christianisme des causes, des imitations et des liens de dépendance. Leur force de persuasion réside plus sur notre ignorance et nos naïvetés, sur une
méconnaissance profonde des réalités humaines, sur notre silence. De telles études révèlent le
plus souvent une volonté fallacieuse de s’attaquer au christianisme.
L’objectivité et l’honnêteté y sont souvent absentes. Combattre de telles
erreurs revient souvent à démasquer et à dénoncer cette malhônneteté…
Notes et références
[1] Voir Émeraude, janvier 2016, article "Noël et les fêtes païennes".
[2] Faustus dans Contra Faustum, XX, 4, de Saint Augustin, Patrologie latine, dans La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, Pierre de Labriolle, 4ème partie, III, cerf, 2005.
[3] Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, 2ème partie, I.
[4] Saint Justin, Dialogue avec Tryphon, LXVII, 1, trad. par M. de Genoude, numérisé par Marc Szwajcer, édition Royer, 1843.
[5] Chantepie de la Soussaye, Préface au Manuel d’histoire des religions, 1904 dans Préface de Hervé Duchêne, Cultes, Mythes et Religions, Reinach, Robbert Laffont, Bouquin, 1996.
[6] Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome II, , n°238, Payot, 1978.
[7] Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome II, n°205.
[8] Voir Émeraude, décembre 2015, article « Relativité et relativisme ».
[9] Saint Léon, 7ème Sermon de Noël, §5, Sermons, Tome I, les éditions du cerf, 2008.
[10] Pierre de Labriolle, La réaction païenne, étude sur la polémique antichrétienne du Ier au Vie siècle, 4ème partie, VI, Cerf, 2005.
[11] Voir notamment Émeraude, décembre 2015, articles "Julien l'Apostat, un exemple d'évolution religieuse", "Contre Julien l'Apostat, un abîme entre le christianisme et la paganisme" et "Apollonius de Tyane, un exemple de l'influence chrétienne sur le paganisme".
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