La
fête de Noël est-elle d’origine païenne ? Certaines voix l’affirment sans
le moindre doute. Pour se justifier, elles la comparent avec les célébrations
païennes qui se déroulaient, notamment à Rome, le jour du 25 décembre comme les
fêtes saturnales, le culte de Mithra et la fête du « sol invictus ». Mais comme nous l’avons vu dans le dernier
article, ces comparaisons sont insuffisantes pour arriver à une telle
conclusion. Le jour du solstice d’hiver est si riche en symboles que ces
célébrations sont en fait bien différentes. Pourtant, en dépit de la
superficialité de leur argumentation, la question demeure, le doute subsiste.
Car si ce jour si symbolique a été choisi pour fêter la naissance de Notre
Seigneur Jésus-Christ, on pourrait en conclure que le récit lui-même est
symbolique comme le sont les mythes de Saturne et de Mithra. Nous revenons donc à
la question. Il faut donc lui apporter une réponse.
D’autres
arguments en faveur d’un récit symbolique
Selon
certains « érudits », les
premiers Chrétiens n’ont jamais fêté Noël. Ils auraient été influencés par les
païens. En outre, rien ne nous permet de croire que Notre Seigneur est né le 25
décembre. Selon une hypothèse parmi tant d’autres, les bergers ne pouvait
envoyer leur bétail dans les champs en hiver mais plutôt vers le début du
printemps jusqu’à la saison des pluies, c’est-à-dire en automne. Par
conséquent, puisque des bergers qui paissent leur troupeau dans la nuit
viennent L’adorer, la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ ne pourrait pas
avoir lieu en hiver. La date de la fête de Noël serait par conséquent
symbolique. Certains commentateurs en viennent donc à considérer le récit de la
Nativité comme étant lui-aussi symbolique.
Selon
les explications les plus communes, les premiers récits évangéliques étant
silencieux sur la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, des chrétiens
auraient essayé de pallier ce silence par des histoires. Avides de merveilleux
et influencés par les religions orientales, ils auraient imaginé les récits
tels que nous les connaissons aujourd’hui. Les écrits apocryphes souligneraient « l'extrême efflorescence dans la pensée
chrétienne quant à l'origine de Jésus »[1]. Les Chrétiens
auraient donc unifié toutes ces « traditions »
par la canonisation des Évangiles.
Les
récits sur la Naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ ne seraient donc pas
historiques. « Les récits des Évangiles de l'enfance relèvent surtout
de théologoumènes », c’est-à-dire « des affirmations théologiques présentées dans les récits fictifs
bibliques comme des faits historiques de la part des auteurs bibliques qui
ont plus une visée doctrinale qu'un souci historique. »[2] Il
précise ensuite que « le récit de la
crèche, l'annonce aux bergers, l'adoration des bergers et des mages ne doivent
pas faire l'objet d'une lecture littéraliste mais appartient au registre
littéraire du merveilleux et à la théologie métaphorique ».
Ainsi
ignorée des premiers chrétiens, la fête de Noël serait une fête d’origine
païenne provenant des antiques religions ou des cultes orientaux. On en vient
alors à remettre en doute ce qu’elle célèbre, c’est-à-dire la Nativité de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Son véritable origine ne serait pas chrétienne mais
païenne. Le récit évangélique ne serait qu’une copie des mythes connus à
l’époque. Mais si nous fêtons notre anniversaire à une date différente de celle
de notre naissance, devons-nous en conclure que notre naissance n’a jamais eu
lieu ?
Mais
comment ces « érudits »
peuvent-ils affirmer de telles choses ? Effectivement, leurs hypothèses
sont séduisantes à première vue mais leur argumentation est-elle bien solide,
irréprochable comme on le prétend souvent ? Que savons-nous en effet des
célébrations de Noël au temps des premières communautés chrétiennes selon les
sources historiques ?
Les
premières conclusions
Mosaïque, Rome, 705-707 |
Cependant,
selon des sources historiques, nous savons que la naissance de Notre Seigneur
Jésus-Christ était déjà célébrée au II siècle bien avant l’Édit de Milan, qui
octroie au christianisme la liberté de culte. Nous savons aussi que jusqu’au
IVe siècle, il existait plusieurs coutumes sur la date de célébration de la
Nativité dont l’une, celle de Rome, a dominé et s’est lentement imposée dans toutes
les communautés chrétiennes. Précisons maintenant les connaissances historiques
dont nous disposons sur la fête de Noël…
La
fête de Noël à Rome
Selon
Dom Guéranger, se rapportant au Liber pontificalis, la messe de
minuit de Noël a été instituée par le Pape et martyr Saint Télésphore
(127-137). Il a aussi inséré le Gloria in excelsis au commencement
du Saint Sacrifice de la Messe.
Comme
nous le rappelle Benoît XVI[3],
Hippolyte de Rome affirme que Notre Seigneur Jésus-Christ est né le 25
décembre dans son commentaire du livre du prophète Daniel, écrit vers l’an 204.
Mais selon Mgr Duchesne[4], cela ne
signifie pas que la fête de la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ soit célébrée en ce jour à Rome. Cependant, cette date nous apparaît importante
puisqu’elle est antérieure à la date du décret instituant la fête du « sol invictus » par Marc Aurèle (ou
par Héliogabale). Cela confirme donc la volonté de Marc Aurèle d’englober dans
son nouveau culte l’ensemble des religions de l’empire romain.
À Rome, en 350[5],
le pape Jule Ier institue la date officielle le 25 décembre à partir de
recherches sur le jour précis de la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La première mention de la fête de Noël dans un calendrier romain des martyrs,
intitulé chronographe[6], est daté
de 354. Cependant ce martyrologe est établi à partir du calendrier philocalien[7], dressé
à Rome en l’an 336. Il fait certainement écho d’une habitude encore plus
ancienne.
Enfin,
dans un sermon, Saint Ambroise[8] nous
décrit la prise de voile de sa sœur, Sainte Marcelline, lors d’une cérémonie
organisée par le pape Libère la nuit de Noël 353. « On ne relève aucune allusion à la nouveauté de cette fête, mais, au
contraire, toute le contexte donne l’impression qu’il s’agit d’une solennité de
vieille date, à laquelle le peuple a coutume d’accourir en foule, en vertu
d’une ancienne habitude. »[9]
Ces
différents textes nous confirment l’usage antique de célébrer à Rome la fête de
Noël le 25 décembre avant le IIIe siècle.
La
fête de Noël dans la chrétienté
Dans
les autres régions, la date de la fête de la Nativité varie au IIIe siècle. Certaines
églises orientales la fêtent en avril ou en mai. En Orient, elle est parfois
confondue avec la fête de l’Épiphanie célébrée le 6 janvier. Progressivement,
les Chrétiens orientaux distingueront ces deux fêtes. La tradition romaine
s’impose progressivement vers le Ve siècle. L’empereur Théodose II codifie en
425 les cérémonies de la fête de Noël.
Dans
deux homélies, celle du 25 décembre 380 et du 6 janvier 381, Saint Grégoire de Nazianze (329-390)
distingue les fêtes de Noël et de l’Épiphanie. Il semblerait même qu’il aurait
introduit la fête de Noël à Constantinople en 380. Saint Grégoire de Nysse,
mort en 394, distingue aussi les deux fêtes[13]. Après
l’an 400, Saint Astérios, évêque d’Amasée, dans le diocèse du Pont, distingue
deux fêtes de Noël, celle des Latins et celle des grecs, la première célébrant
la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, la seconde son baptême. Ainsi à la
fin du IVe siècle, l’usage romain s’est donc imposé à Constantinople, à Césarée
de Cappadoce et dans le Pont.
Pour
l’Égypte, il faut attendre encore quelques années, vers 430, pour voir la
coutume romaine s’imposer. Nous avons ainsi la trace d’une homélie faite par
Paul, évêque d’Émèse, sur la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, le 25
décembre 432, dans la grande église d’Alexandrie.
Revenons
à Jérusalem. Entre 401 et 410, dans une homélie, Saint Jérôme défend fermement l’usage
de Rome de fêter la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ le 25 décembre,
une tradition qu’il présente plus vénérable que celle des Orientaux. « Nous soutenons, nous, que le Christ est né
en ce jour et qu’il a été baptisé à l’Épiphanie. »[14] Entre
455 et 458, Basile de Séleucie[15] fait
l’éloge de Juvénal, l’évêque de Jérusalem qui « a commencé à célébrer la naissance illustre et vivifiante et adorable
du Seigneur »[16]. L’épiscopat
de Juvénal a commencé vers 422 pour s’achever en 458. Dans une vie de Sainte
Mélanie[17], nous
apprenons que cette sainte a été à Bethléem avec sa nièce le 25 décembre 439
pour fêter la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ. Tout semble donc
indiquer que Noël était célébré le 25 décembre avant 439 à Jérusalem. Selon les
conclusions de B. Botte, l’introduction de la coutume romaine aurait lieu aux
alentours de 430. Mais selon d’autres experts, elle serait postérieure à 451[18].
En
Afrique, dans le sermon CLXXXIV, Saint Augustin parle de la fête de la
naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ. « C’est aujourd’hui que revient et que brille parmi nous la solennité
anniversaire de la naissance de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. »[19]
Quatorze sermons lui sont consacrés. De manière générale, les sermons sont
datés de 391 à 420. Saint Augustin distingue clairement les fêtes de Noël et de
l’Épiphanie aux dates dès lors traditionnelles. Un sermon plus ancien, d’Optat
de Milève, évêque de Numidie, mort en 392, nous parle de la célébration de Noël,
du « mystère de la nativité du
Christ »[20]. Ce
sermon serait daté de 360. Il est donc l’un des premiers témoignages de la
célébration de cette fête en Afrique.
La
fête de l’Annonciation dans l’histoire de l’Église
Icône de l’Annonciation tempera sur bois. Andreï Roublev, XV° siècle. |
Selon
l’historien Sixte Jules l’Africain, la fête de l’Annonciation est connue dès
l’an 221[21].
En Afrique, à la fin du IVe siècle, une fête en l’honneur de l’Incarnation de
Notre Seigneur Jésus-Christ est fixée le 25 mars comme nous l’apprend Saint
Augustin dans le traité De Trinitate, écrit entre 400 et
416.
Parfois,
certains commentaires situent les premières traces de cette fête au VII siècle.
Ils citent en effet le Xème concile de Tolède. En effet, en 656, les évêques
d’Espagne se réunissent à Tolède non pas pour instituer la fête mais pour modifier
sa date[22] car
souvent, elle se retrouve en un temps où l’Église est surtout tournée vers la
Passion, dans le jeûne du Carême. Ainsi les évêques le reportent au 18 décembre
pour servir de préparation à la Nativité. Plus tard, l’Église d’Espagne
reviendra néanmoins à la pratique de l’Église romaine. La fête de l’Expectation
de la Sainte Vierge, toujours célébrée le 18 décembre, est un lointain souvenir
de cette pratique.
En
Orient, le concile « in Trullo »
règle la discipline de l’Église sur la célébration liturgique de l’Annonciation
lorsqu’elle tombe dans les jours de Carême. Dans un ouvrage de 630, intitulé Chronicon
Paschale, il est dit explicitement que la fête de l’Annonciation est
fixée au 25 mars selon la tradition des anciens Docteurs ecclésiastiques, dès
l’année 624. Romanos, un poète oriental du temps de l’empereur Justinien, écrit une hymne pour la fête de l’Annonciation. Nous sommes alors au VIe
siècle, vers 550. Une homélie de Saint Proclus a trait à l’Incarnation de Notre
Seigneur Jésus-Christ et au message de l’archange Saint Gabriel, ce qui nous
renvoie à la fête de l’Annonciation. Selon le chroniqueur Saint Théophane, elle
est dite en présence de Nestorius durant son patriarcat, c’est-à-dire entre
428 et 431. Finalement, au début du Ve siècle, la fête de l’Annonciation était
déjà célébrée à Constantinople. Deux homélies, l’une du prêtre Hésychius et
l’autre du prêtre Chrysippe de Jérusalem, qui date du Ve siècle, concernent
aussi la fête de l’Annonciation. Le
prêtre Chrysippe, mort en 479, a été ordonné prêtre en 453.
Basilique de l'Annonciation, Nazareth |
Conclusions
Ainsi,
selon de nombreuses sources historiques, nous pouvons conclure que la Nativité
de Notre Seigneur Jésus-Christ était célébrée bien avant le IIIe siècle,
confirmant ainsi la Tradition de l’Église. L’usage romain de la célébrer le 25
décembre existerait déjà au IIe siècle. Il s’est étendu et a fini par dominer
sur toutes les églises au début du Ve siècle. Auparavant, les autres
communautés l’ont incluse dans la fête de l’Épiphanie fêtée le 6 janvier.
Or
à cette époque, au II siècle, à Rome, la fête « sol invictus » n’a pas encore été instituée, le culte du
mithracisme ne domine pas encore. Et c’est bien de Rome, prétextant une
tradition très ancienne, que la date du 25 décembre s’est imposée dans tout
l’Orient, là où les cultes orientaux sont prédominants.
Ces
différentes informations tirées de nombreuses sources historiques peuvent remettre en cause l’argumentation de tous ceux qui affirment si
nettement l’origine païenne de la fête de Noël, notamment de la fête « sol invictus » comme on le prétend
si souvent. En outre, leurs argumentations ne suffisent pas puisque, comme nous l’avons déjà évoqué,
il faut saisir la signification des célébrations pour pouvoir les comparer et
parvenir à des conclusions plus satisfaisantes.
Notes et références
[1]
Simon Mimouni, Les origines de Jésus dans la littérature
chrétienne apocryphe, dans P.
Geoltrain, Aux Origines du christianisme, Gallimard, Le
Monde de la Bible, 2000, p. 528-529 dans Wikipédia, article
« Nativité », 10 décembre 2015.
[2]
Wikipédia, article « Nativité »,
10 décembre 2015.
[3]
Benoît XVI, Audience générale du mercredi 23 décembre 2009, dans Noël
à Rome, La crèche racontée par le Pape, 23 décembre 2009, chiesa.espresso.repubblica.it.
[4]
Voir Origines
du cule chrétien, Mgr Duchesne.
[5]
Voir Dictionnaire
de liturgie, abbé Migne, Paris 1863.
[6]
Ample calendrier, sorte d’almanach antique, de Furius Dionysius Filocalus,
copié à l’origine dans un manuscrit du IVe siècle, compilation composé au plus
tôt en 336. Voir Wikipédia, article « Chronographe
de 34 ».
[7]
Première version du chronographe de Filocalus.
[8]
Saint Ambsroise, De virginibus, III. Discours du pape Libère pour la prise de
voile de Marceline à Saint Pierre de Rome.
[9] Cardinal Schuster, Liber
sacramentorum, tome II, 1939.
[10] Elle est appelée
ainsi dans la Peregrinatio ad loca sancta, dite de Sainte Sylvie.
[11] Saint Jean
Chrysostome, Homélie II sur Noël, www.portdusalut.com.
[12]
Siméon Vailhé, Introduction de la fête de Noël à Jérusalem, dans Échos
d’Orient, tome 8, n°53, 1905, http://www.persee.fr, 19/10/2015.
[13]
Voir Les fêtes de Noël et d‘Épiphanie d’après les sources littéraires
cappadociennes du IVe siècle, Mossay, dans Revue des études byzantines,
1968, volume 26, n°1.
[14]
Saint Jérôme, Homélie dans Revue d’histoire et de littérature religieuse,
tome I, dans Introduction de la fête de Noël à Jérusalem, Siméon Vailhé.
[15]
Mort après 458.
[16]
Basile de Séleucie, cité dans Introduction de la fête de Noël à Jérusalem,
Siméon Vailhé.
[17]
Analecta
Bollandiana, tome XXII, n°62. Cette biographie aurait été écrite par
Géronce, prêtre et supérieur des monastères de Sainte Mélanie sur le Mont des
Oliviers.
[18]
Voir Dormition
et Assomption de Marie : histoire des traditions anciennes, Simon
Claude Mimouni, Beauchesne, 1995.
[19]
Saint Augustin, Sermon CLXXXIV, www.clerus.org.
[20]
Saint Optat de Milève, sermon, dans Un Sermon de Saint Optat pour la fête de
Noël,
[21]
Sixte Jules l’Africain, (v.160/180 – v. 240), Chronographia.
[22]
Voir L’année
liturgique, Dom Guéranger, abbaye de Saint Benoît de Port-Valais, www.abbay-saint-benoît.ch,
2006.
[23]
Dictionnaire
d’archéologie chrétienne et de liturgie, tome I, dans Origine
de la fête de l’Annonciation, Vailhé Siméon, dans Échos d’Orient, tome 9,
n°58, 1906, http://www.persee.fr.
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