" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 15 avril 2015

L'idée du Messie au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ

Au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, le peuple juif est un peuple en attente. Qu’il soit pharisien, sadducéen ou essénien, le Juif est en attente du Messie. « Chacun en Israël était convaincu que Yahweh, Dieu juste et tout-puissant, interviendrait au jour fixé par lui, dans un avenir plus ou moins éloigné, pour assurer le triomphe de sa cause […] ».[1] Cette attente est unanimement partagée par les Juifs de la Palestine et de la Diaspora, dans les cercles populaires comme dans les milieux les plus éclairés. Dans cet article, nous allons décrire l’objet même de leur attente, et plus exactement l’image du Messie tel qu’il est perçu par le peuple juif et non tel qu’il est prophétisé selon les Saintes Écritures.


La conception juive du Messie au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ se retrouve dans de nombreux apocryphes, surtout apocalyptiques, dans les écrits rabbiniques[2], sans oublier les manuscrits de la mer Morte. Nous avons déjà évoqué ces derniers documents ainsi que leur espérance messianique dans un article précédent [25]. Nous n’y reviendrons donc pas. Les Évangiles demeurent aussi une source historique fiable que nous devons prendre en compte.

Une vive attente

Rappelons le contexte douloureux, voire humiliant, de l’époque de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le temps des rois asmonéens est bien révolu. Les Juifs de Palestine vivent désormais sous l’occupation romaine. La Terre sainte est devenue une province romaine sous le joug des païens. Le règne d’Hérode le Grand, le cruel impie, a accentué en eux le sentiment d’humiliation et de désespoir, voire de colère. Le contexte social et politique particulièrement difficile a probablement exacerbé l’attente du Messie.

Dans son ensemble, le peuple juif attend le Messie. « Es-tu le Messie ? » demande-on à Saint Jean-Baptiste. Il est incontestable que l’attente du Messie est très vive, y compris dans la Diaspora. « L’attente du Messie n’était nullement estompée dans la masse juive de langue grecque, en dépit de son loyalisme politique envers l’état païen »[3]. Cette attente dépasse la seule aspiration du peuple juif. Dans l’Évangile selon Saint Jean, la Samaritaine attend aussi sa venue. Elle sait que « le Messie (c’est-à-dire le Christ), vient » et « lorsqu'il sera venu, il nous apprendra toutes choses » (Jean, IV, 25).


L'entrée de Jérusalem

Giotto




L’historien juif Flavius Joseph nous parle aussi de cette espérance messianique. Cependant, nous ne devons pas oublier, en dépit de la valeur historique de ses ouvrages, qu’il écrit pour « être compris et admirés de ses lecteurs grecs et romains »[4]. Il présente donc la foi et la pensée juives pour être entendus des Gentils. Ainsi il présente le messianisme juif d’une manière particulière en relation avec les événements dont il est témoin. « […] ce qui excita le plus à la guerre, ce fut un oracle équivoque semblablement trouvé dans les Saintes Lettres, que vers ce temps-là, quelqu’un venu de leur pays gouvernerait toute la terre. Ils le prirent pour eux, et beaucoup de sages se trompèrent sur la solution, car l’oracle visait l’empire de Vespasien, proclamée empereur à Judée. »[5] Ainsi Flavius Josèphe témoigne de l’attente juive, d’un Messie, libérateur des juifs et roi annoncé de l’Univers. Il accuse ce messianisme d’être responsable de la guerre contre Rome et de la destruction du Temple. Enfin il détourne le sens des prophéties vers Vespasien qui serait le Messie tant attendu. Nous constatons enfin que l’historien fait aussi allusion à un « oracle » c’est-à-dire à une prophétie provenant des Gentils.

Toujours selon Flavius Joseph, l’espérance messianique fait naître de nombreuses révoltes au début de notre ère. Les chefs des rebelles se prennent-ils pour le Messie ? Nous ne le savons pas. Certains se présentent cependant comme des prophètes. Nous connaissons notamment un cas précis où l'un d'entre eux se proclame Messie. Il s’agit de Bar Kokipas…

Bar Kokibas, le faux Messie


Bar Kokibas

Détail du Menorah Knesset
Jérusalem
Sous l’empereur Hadrien, en 132, Simon Bar Koziba (ou encore Bar Kokhba) prend la tête d’une nouvelle insurrection juive. Des rabbins, comme l’illustre Aqiba (50-135), voient en lui le Messie tant espéré. Pour le rapprocher de la prophétie de Baalam, "une étoile viendra de Jacob", son nom a été changé en Bar Kokébas, « le fils de l’étoile ». Ce n’est pourtant qu’un des agitateurs populaires de la Palestine. Mais en l’identifiant comme le Messie, des rabbins le désignent comme le libérateur d’Israël. Il connaît des succès et devient un véritable roi avec un état, une capitale, un grand prêtre. Il a aussi sa propre monnaie[6]. Selon des témoignages, Jérusalem serait même sous son contrôle. Selon la tradition rabbinique, Bar Kokébas se distingue par son inflexibilité à faire observer la Loi. Les Romains lui livrent une guerre impitoyable et mènent une dure répression. La révolte est sanglante. Une légion romaine aurait été massacrée. Il finit par être tué en 135. Après sa chute, les rabbins le renient et minimisent l’adhésion de certains des leurs. Un témoignage romain[7] confirme une campagne militaire de l’armée romaine en Palestine pour écraser une rébellion.

Cette histoire montre de manière pratique ce que les Juifs, y compris des rabbins, attendent du Messie : la libération d’Israël. Il est attendu comme un roi glorieux, vainqueur des païens, au service de Dieu. Mais Bar Kokebas est-il le seul rebelle qui se prétendait être le Messie ? Sincères ou simples manipulateurs opportunistes, ces révoltes révèlent l’état d’âme de la population et manifestent une véritable exaltation religieuse, l’attente de la libération du peuple juif tant promise.

Un autre signe manifeste cette attente : la multiplication des écrits apocalyptiques. Dans ces textes, « tout gravite autour d’une idée maîtresse et centrale qui est l’établissement sur terre, dans un temps rapproché, d’un ordre de choses nouveau, idéal, conforme aux aspirations et aux rêves du peuple juif. »[8]

Le messianisme en général

Si l’attente du Messie est vive au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’attend exactement le juif ? De manière générale, il est convaincu que Dieu interviendra, dans un avenir plus ou moins éloigné, pour assurer le triomphe de sa cause, tirer vengeance de l’impiété et de la malice de ses ennemis et établir son règne ici-bas. Il assurera à son peuple purifié la domination sur les nations païennes et la félicité matérielle dans une paix sans finAu temps voulu, il se manifestera d’une manière éclatante et avec une force irrésistible. Les fils de l’alliance seront rassemblés des quatre coins du monde et le royaume de David sera restauré. Jérusalem deviendra le centre de l’univers et le culte de Yahvé se diffusera dans le monde. Le Juif attend donc le triomphe de Dieu de manière terrestre et politique en faveur du peuple élu. « Dans un sens général, c’est l’attente du royaume qui groupera tout l’univers dans le culte du même Dieu, dans la soumission au même Dieu, reconnu comme le souverain incontesté de tous les hommes. Dans un sens plus strict, c’est l’attente d’un roi qui conquerra le monde au vrai Dieu et le gouvernera en son nom. »[9]

Le grand philosophe juif Philon apporte un autre témoignage sur le messianisme juif au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Certes il est mince et peut-être influencé par l’hellénisme mais il est d’une très grande valeur. Il nous informe en effet que l’avènement du Messie se manifestera par une conversion générale qui sera suivie de la victoire des Saints de Dieu et de leur bonheur. Il réduit lui-aussi le Messie à un rôle de libérateur pour la plus grande gloire du peuple d’Israël. Philon confirme ainsi la conception classique du Messie.

Les écrits apocalyptiques

Un écrit apocalyptique se présente comme une révélation ou plutôt comme une vision qui se prétend d’origine divine. Il décrit des événements futurs, souvent en relation avec la fin des temps. La plupart de ces écrits sont apocryphes, c’est-à-dire non reconnus comme étant d’origine divine. Les Juifs ne reconnaissent qu’un seul livre apocalyptique, le Livre de Daniel. Voici quelques titres les plus connus : le Livre d’Hénoch, le Livre des Jubilés, l’Assomption de Moïse, les Testaments des Douze Patriarches, l’Apocalypse d’Esdras, l’Apocalypse de Baruch, l’Apocalypse d’Abraham, les Livres Syballins. Ils ont été écrits entre 160 avant Jésus-Christ et 120 après Jésus-Christ.

Comme tout écrit apocryphe, les apocalyptiques sont friands de merveilleux et de la transcendance. Cependant, il ne faut pas croire que ces ouvrages ne soient remplis que d’inventions. Au contraire, selon le Père Lagrange[26], ils ne sont guère originaux. Ils puisent leur inspiration dans les écrits et les connaissances de leur époque. L’auteur subit l’influence de son temps. Seul le genre littéraire est nouveau.

Dans un de ses ouvrages[10], Lagrange a étudié ces écrits. Ils tournent autour de trois thèmes : le messianisme, le règne de Dieu et la résurrection à la fin des temps. Dans sa conclusion, il note que l’action du Messie dans ces ouvrages n’est presque pas religieuse. Ils ne se préoccupent pas du salut des pécheurs. Ils considèrent en effet que le salut ne peut provenir que de la pratique de la Loi. L'obéissance à la Torah suffit à obtenir les récompenses de Dieu soit par miséricorde divine, soit par l’intercession des Justes. A la fin du monde, les adversaires du peuple d’Israël seront châtiés. « Dieu les livrera aux mains de ses élus : les rois et les puissants, en ce temps-là, périront et seront livrés aux mains des justes et des saints. »[11] De manière générale, les textes reflètent une certaine haine à leur égard.


De manière générale, les écrits apocalyptiques font intervenir le Messie dans un cadre restreint au peuple juif. Nous dirions aujourd'hui très national. Il est un roi juif idéal qui brise les ennemis de Dieu pour instaurer le règne de la paix. Il peut jouer le rôle de vengeur de Dieu et de juge. Dans ce dernier cas, il prépare le jugement définitif de Dieu. Le Messie a surtout un rôle politique. C’est un « recul très caractéristique du sentiment religieux tel qu’on le trouve dans les grands prophètes et chez les psalmistes »[12]


Le Messie tend également à perdre sa personnalité dans des images hardies, un style grandiloquent et emphatique. C’est Dieu qui agit finalement au premier plan. C’est Lui le véritable artisan de la restauration du peuple juif. Le messianisme tend finalement à n’être qu’un messianisme sans Messie. Selon certains ouvrages,  la fin du monde arrive même sans que l’auteur ne parle du Messie. 

Dans certains livres apocalyptiques, le Messie apparaît comme un être humain, de qualités éminentes et transcendantes, muni de dons extraordinaires. Il est aussi un être très mystérieux, voire céleste, dont l’origine demeure inconnue. Effectivement, aucun de ses ouvrages ne traitent de sa naissance. 

Revêtu de la force d’en haut, riche en science et en sagesse, le Messie tient de Dieu une autorité universelle. Il rassemble les tribus d’Israël, tire vengeance de leurs oppresseurs, tient sous son joug les peuples païens, règne glorieusement et paît le troupeau du Seigneur dans la paix et la justice. Cependant, libérateur d’Israël, il n’est point l’auteur du salut éternel. Il prépare le monde de félicité tant attendu. Son règne est donc limité, une pause avant le denier jugement, au cours duquel se manifestera Dieu. Les écrits apocalyptiques rapportent le plus souvent les promesses divines à ce monde meilleur, un monde qui ne passera pas, la Sion restaurée. L’attente du Messie n’est donc pas séparée de l’eschatologie, c’est-à-dire de la fin du monde. Parfois, selon certains commentateurs, le messianisme se confond avec ce monde à venir. « On note chez les auteurs d’écrits apocryphes une tendance marquée à confondre les jour du Messie avec le siècle à venir, ou du moins à les présenter dans une même perspective. »[13] Le temps messianique précède et prolonge celui du renouvellement de la terre, c’est-à-dire du règne de Dieu ici-bas.

Cette vision du Messie est-elle partagée par les Juifs ? Il est en fait difficile de connaître l’importance et l’impact de ces écrits apocalyptiques dans la population juive. Ne sont-ils que « l’écho des croyances de leur temps » [14] ? Ils ne sont certainement pas la cause du messianisme juif.

Le messianisme des Pharisiens

Le triomphe de David
Poussin
Il est aussi difficile de connaître avec précision la conception du Messie chez les Pharisiens et les docteurs de la Loi. Il n’existe aucune sentence rabbinique sur le messianisme avant la destruction du Temple comme il existe très peu de textes provenant des rabbins. Mais si la foi messianique est  grande chez les rabbins à la fin du Ier siècle de notre ère comme nous pouvons le constater dans leurs textes, cela suppose que cette foi ait été transmise par leurs devanciers.

Les Pharisiens s’opposent aux Asmonéens et contestent leur légitimité. En effet, contrairement au prescriptions de la Sainte Écriture, le trône de Judée n’est plus occupé par un descendant de David. Ils voient donc le Messie comme celui qui restaure la royauté de David. Le peuple juif pourra ainsi demeurer de nouveau fidèle à la Loi. Le Messie est surtout donc vu comme un roi légitime. « Qu’il est beau, le roi Messie qui doit surgir de la Maison de Juda ! Il ceint ses reins, il s’avance dans la plaine, il engage le combat contre ses ennemis et met à mort les rois ! »[15]

L’apocryphe intitulé Psaumes de Salomon est souvent présenté comme une œuvre des Pharisiens tant il prône leurs idées. Il est alors considéré comme « le plus ancien monument authentique de l’esprit pharisien »[16]. Écrit sous le règne des Asmonéens, il manifeste une haine contre les rois illégitimes et espère en un roi descendu de David qui restaurera la monarchie et fera régner Dieu par les Juifs, « le roi juste, sous le règne de qui il n’est pas d’iniquité, le roi pitoyable pour les peuples apeurés, le roi pur de tout péché, le roi qui ne faiblit jamais, parce qu’il est fort dans la crainte de Dieu. »[17] Le Messie est donc attendu comme un roi temporaire subordonné au roi éternel qu’est Dieu. Nommé Fils de David, il appartient à la descendance du grand roi et viendra restaurer la monarchie de David. Mais contrairement à l’idée classique, le Messie ne vaincra pas les ennemis d’Israël par les armes. Il les vaincra sans se battre, par la parole et la menace.

Moïse descendant du Sinaï
avec les 10 commandements

Gustave Doré
Les Pharisiens se préoccupent surtout du « monde à venir », c’est-à-dire de la fin des temps et du jugement dernier de Dieu. Le monde nouveau sera une terre de félicité pour les justes et une terre de supplices pour les pécheurs. Le temps messianisque est alors traité comme précédant le jugement de Dieu. Le jugement dernier en est même indépendant. Les Pharisiens distinguent bien la venue du Messianisme avec ce monde de la récompense. Ce sont deux périodes distinctes. Le règne du Messie appartient encore au monde ancien. Les justes doivent donc se préoccuper des mérites à acquérir pour être jugés dignes du monde à venir. « Celui qui acquiert les paroles de la Loi, acquiert la vie du monde à venir. »[18] La bonne œuvre par excellence est l’étude de la Torah. Le monde ici-bas est l’occasion de gagner des mérites pour être récompensé dans l’autre. Les Pharisiens sont donc surtout préoccupés de la vie à avenir[19], et plus précisément des sanctions de la vie morale, beaucoup plus que du Messie.

S’il semble être indépendant du jugement de Dieu et de l’inauguration du monde à venir, le messianisme des Pharisiens est néanmoins rattaché au règne de Dieu. Mais comme Dieu règne depuis la Création, ils ne le conçoivent pas comme un avènement mais plutôt comme une manifestation de son règne comme nous le dit un Targum : « le règne de votre Dieu sera manifesté ». Aux jours du Messie, son règne sera en effet reconnu par tous les habitants de la terre. Et ce temps de la manifestation coïncidera avec celui de la rédemption d’Israël, c’est-à-dire de sa libération et de sa gloire. « Le temps est venu pour Israël d’être délivré ; le temps est venu pour les non-circoncis d’être coupés, le temps est venu pour le royaume des Cuthéens – c’est-à-dire des Romains – d’être aboli ; le temps est venu pour le règne d’être manifesté. »[20] 

Le règne de Dieu se manifestera donc par la grandeur de son peuple. A son avènement, le Messie sonnera la trompette qui rassemblera les Juifs et ramènera les exilés dans leur patrie. Effaçant les rivalités entre les Juifs, il réunira de nouveau les tribus qui se partageront la Palestine. La ville de Jérusalem sera alors glorieuse comme elle ne l'a jamais été. Le monde sera soumis au Messie. Les Romains seront repoussés et humiliés. Les victoires du Messie apporteront ainsi une plus grande gloire à la Loi.

Au temps messianique, tous adoreront Dieu mais n’auront pas les mêmes privilèges. Seul le peuple élu sera glorifié. Les convertis n’y appartiendront pas. Ainsi les rabbins ne sont guère prosélytes. Dieu fera une distinction et jugera les convertis selon leur attitude à l’égard du peuple d’Israël.

Contrairement à certains livres apocalyptiques qui privilégient davantage l’aspect transcendant du Messie, les Pharisiens considèrent le Messie comme un pur homme doué de dons extraordinaires. Il est un homme descendant des hommes et plus particulièrement de David. Ses origines sont modestes et humbles, voire cachées, avant qu’il ne se manifeste et démontre qu’il est le véritable Messie.


Les rabbins ne rappellent guère les traits souffrants et mourant du Messie pour expier les fautes de son peuple. « Si l’on prend dans leur ensemble les textes anciens, on voit que les écoles rabbiniques ont éprouvé une extrême répugnance à parler des souffrances du Messie. »[21] Comment le Messie pourrait-il souffrir lui qui doit faire cesser les souffrances d’Israël ? Il viendra pour régner avec éclat et non pour souffrir. Lorsque des rabbins se souviennent des prophéties messianiques évoquant des souffrances, ils les reportent à d’autres qu’au roi messianique ou à une éclipse de sa fortune sans valeur expiatoire pour le peuple juif ou encore à une préparation de sa mission. « Dans l’ancien rabbinisme, il n’est jamais question de la mort expiatrice du Messie. »[22] Sa mort n’est aussi acceptée qu’après un règne plein de gloire.


Le Talmud parle aussi des douleurs du Messie non au sens que sa vie sera douloureuse mais que sa venue sera comparable à l’enfantement. Le libérateur ne viendra qu’aux jours de calamités, de l’obscurcissement de la Loi. Le signe incontesté de sa venue est l’extrême misère des temps. La période du Messie se caractérisera par la félicité telle que l’ont annoncée les Prophètes, une félicité marquée par la fécondité du sol, la délivrance d’Israël et la gloire de Jérusalem. Ces prophéties sont lues à la lettre. Il ne s’agit pas de rénovation religieuse, d’élévation spirituelle, de salut des âmes mais bien une prospérité matérielle. La nature se transfigurera à l’avènement du Messie.


Les messianismes que nous venons de décrire ne rappellent finalement guère les traits souffrants du Messie mourant pour expier les fautes de son peuple. Ils ferment « les yeux aux textes qui faisaient présager les souffrances du Messie. »[23] Ils sont ignorés des apocryphes et des pharisiens. « Les écoles rabbiniques ont éprouvé une extrême répugnance à parler des souffrances du Messie […] Il n’y a aucun indice que [le texte d’Isaïe] ait été entendu dans le sens messianique, du moins avant le second siècle de notre ère en dehors du Nouveau Testament. »[24]

En conclusion, l’attente du Messie est générale dans les nombreuses communautés juives. Mais qui sera-t-il ? La pensée juive hésite : 
  • soit le Messie est proche de Dieu tout en étant homme et son rôle est de juger et de préparer le monde à venir. Son règne sera alors la manifestation de la toute-puissance divine ;
  • soit le Messie est éloigné de Dieu et il n’est que le sauveur du peuple d’Israël avant que n’arrive le monde à venir, véritable objet de toutes les préoccupations. Sa cause finit par s’identifier à celle de son peuple. Le Messie est alors indépendant de la fin des temps. 


De manière unanime, les Juifs attendent l’avènement d’un roi glorieux, vainqueur des impies et restaurateur de la gloire d’Israël. Il est ainsi à la fois le libérateur du peuple de Dieu, l’annonciateur de la fin des temps, du règne matériel de Dieu. Dans tous les cas, son rôle religieux est très réduit. La valeur expiatoire de ses souffrances et de sa mort  est écartée. Elle est même objet de scandale…




Références



[1] Introduction à l’étude des Saintes Écritures, publiée sous la direction de A. Robert et A. Tricot, Initiation biblique, chapitre XX, Desclée & Cie, 1938. 
[2] Il est vrai que les écrits rabbiniques sont postérieurs au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ mais ils sont censés transmettre l’enseignement oral des pharisiens. Nous avons ainsi l’enseignement des rabbins dits tannaïtes de première génération allant jusqu'à 90 après Jésus-Christ. 
[3] Grelot, L’espérance juive à l’heure de Jésus, Desclée, 1994 citée dans Apologétique, Tome 3, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, 7.1.2.2.5, Abbé Bernard Lucien, Nuntiavit, 2011. 
[4] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, études bibliques, 150 av. J.C. à 200 ap. J.C., 1ère partie, chapitre I, I, Lecoffre, 1909, source gallica.bnf.fr, Institut catholique de Paris. 
[5] Flavius Josèphe, La guerre juive, VI, 5, 4 cité dans Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 1ère partie, chapitre I, I. 
[6] Voir Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 4ème partie, chapitre VII. Les monnaies parlent d’un Simon et d’une Jérusalem libérée. Lagrange l’identifie à Bar-Kokébas. Est associé à son nom Eléazar, sans-doute le grand-prêtre. 
[7] Dion Cassius, historien romain, cité dans La révolte de Bar Kohba, www.lamed.fr, traduction et adaptation de Jacques Kohn.
[8] Revue pratique d’apologétique, article « Le Christ », avril 1930, Beauchesne, dans Manuel d’Écriture Sainte, R.P.J. Renié, Tome IV, Les Évangiles, n°170, Vitte, 1943. 
[9] Touzard, Dictionnaire apologétique, Tome II, Beauchesne, 1915. 
[10]Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 2ème partie, chapitre I. 
[11] Livre d’Hénoch, XXXVIII, 5, dans Le Messianisme chez les Juifs, Lagrange, 2ème partie, chapitre II. 
[12] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, Gabalda, 1909, cité dans Apologétique, Tome 3, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, 7.1.2.2.2.
[13] Introduction à l’étude des Saintes Écritures, chapitre VII. 
[14] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, Gabalda, 1909, cité dans Apologétique, Tome 3, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, 7.1.2.2.2.
[15] Targum cité dans Daniel-Rops, Histoire Sainte, 4ème partie, chapitre III. 
[16] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre II. 
[17] Daniel-Rops, Histoire Sainte, 4ème partie, chapitre III. Voir aussi Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 1ère partie, chapitre I, II. 
[18] Hillel, Aboth, II, 7cité dans Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre III. 
[19] « Mérite individuelle, survivance de l’âme, récompense ou châtiment, en sont les aspects essentiels. », Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre III. 
[20] Midrach du Cantique, II, 2 cité dans Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre II. 
[21] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre VII. 
[22] Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, 3ème partie, chapitre VII. 
[23] Lagrange cité dans Daniel-Rops, Histoire Sainte, 4ème partie, chapitre III. 
[24] Lagrange, Le Judaïsme avant Jésus-Christ, p. 251.
[26] Le Père Marie-Joseph Lagrange (1855- 1938) est un exégète et théologien catholique, fondateur de l'École Biblique et Archéologique Française et de la Revue biblique.
[25] Émeraude, article "Les Manuscrits de la mer Morte", janvier 2015.

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