" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 10 février 2015

Notre Seigneur Jésus-Christ : le témoignage des païens


Le monde serait-il plus sensible au témoignage de païens ? Trois illustres historiens du IIe siècle peuvent en effet témoigner en notre faveur. Tacite (55 - 128) en est le premier. Il est l’un des plus grands historiens romains. Ses Annales écrites vers 116 est une source majeure pour l’histoire du premier siècle de notre ère.
Tacite mentionne Jésus une fois à l’occasion du récit de l’incendie de Rome sous Néron. « Aussi, pour faire cesser ces rumeurs, [Néron] accusa les chrétiens qui étaient haïs pour leurs abominations, les chargea de cette culpabilité, et les punit par toutes sortes de tortures affreuses. Ce nom leur vient de Christ, qui fut mis à mort par Ponce Pilate, procurateur de Judée sous le règne de Tibère ; mais la superstition pernicieuse qui fut réprimée pour un temps perça de nouveau, pas seulement en Judée où le méfait tenait ses origines, mais aussi dans la cité de Rome, où tout ce qu’il y a d’affreux et de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle. »[1]
Le passage est largement jugée authentique. Il nous informe de l’époque de la mort de Notre Seigneur, de l’ordre d’exécution et de l’existence du mouvement chrétien avant l’exécution. 
Cependant, sûr de ses connaissances, le monde pourrait nous apprendre que Ponce Pilate n’était pas procurateur mais préfet de Judée. Ce détail pourrait remettre en cause la fiabilité du texte. En fait, l’exacte titulature de Ponce Pilate est un de ses vieux débats qui agitent les historiens. Flavius Joseph et Philon, juif alexandrin, philosophe et exégète, né vers l’an 20 avant Jésus-Christ, le désignent aussi comme procurateur. Les évangélistes parlent plutôt de « gouverneur » (Matth., XXVII, 2). Or une inscription trouvée sur le site de Césarée en 1961 précise que Ponce Pilate était préfet de Judée[2]. En outre seul un préfet pouvait permettre une exécution capitale. Il est vrai que parmi ses tâches, il doit s’occuper de la levée des impôts qui est la fonction même du procurateur. Cependant le titre de procurateur était donné au gouverneur de Judée bien plus tard, avant l'empereur Claude (11-54). Tacite serait donc mal renseigné. Ou un simple anachronisme ? Nous pourrions aussi conclure que les sources de Tacite ne viendraient pas des registres officiels de Rome mais plutôt des chrétiens ou d’un autre historien, par exemple de son ami Pline le Jeune.
Voyons en effet Pline le Jeune (61 - 114 ). Nous possédons aujourd'hui une lettre qu’il a écrite à Trajan lorsqu’il était proconsul de Bithynie en 111-113. Pline raconte son action contre le christianisme qu’il juge méprisable. Il explique aussi l’attitude des chrétiens et leur culte. Il se plaint qu’à cause de leur influence, les temples de sa région sont abandonnés. Il demande alors à l’empereur des instructions sur la manière de les traiter. Nous possédons aussi la réponse de Trajan qui lui donne des instructions. Elles sont similaires à ceux que nous pouvons lire dans un rescrit d’Hadrien qui nous est parvenu grâce à Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique (IV, 9). Sa réponse est aussi connue par Saint Justin[3]. Le monde pourrait écouter avec intention ses informations sur l’influence et l’importance du christianisme au IIe siècle mais serait-il suffisant pour le convaincre ? Comprendra-t-il que l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ était une certitude pour les Romains ? Ils ne la remettent jamais en cause alors qu’ils tentent de combattre le mouvement chrétien.
Suétone ( 69 - 125) est le troisième historien. Il est l’auteur d’une Vie des douze Césars composée vers 117-122. Il mentionne l’expulsion des Juifs de Rome par l’empereur Claude parce qu’ils étaient « devenus, sous l’impulsion de Chrestus une cause permanente de désordre »[4]. Saint Luc mentionne le même événement dans les Actes des Apôtres (XVIII, 2).
Moins connus mais aussi importants, d’autres témoignages sont utiles à rappeler. Nous avons par exemple une lettre de Mara bar Serapion[5], stoïcien syriaque, daté du VIIe siècle mais écrite probablement après 73. Après avoir accusé les Grecs d’avoir tué Socrate et Pythagore, il montre que Dieu les a vengés. De même, il parle d’un « Roi des Juifs » dont Dieu a vengé la mort. « Quel avantage les Juifs gagnèrent-ils en exécutant leur Roi sage ? Leur nation fut abolie peu de temps après cet événement […] Dieu vengea justement ces trois hommes […] ; et les Juifs, ruinés et arrachés de leur pays, vivent dans la complète dispersion. [...] Le Roi sage ne mourut pas non plus à toujours, il vit dans les enseignements qu’il a donnés.  »[6] Fait-il référence au titre que Ponce Pilate a inscrit sur la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Fidèle à sa philosophie, Mara bar Serapion ne souligne que la sagesse de ce Roi. Il confirme son exécution.
En l’an 55, dans une Histoire du monde méditerranéen oriental, un autre païen, l’historien Thallus, mentionne un miracle qui aurait eu lieu lors de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est mentionné par Georges Syncellus (vers 800) qui cite lui-même Jules l’Africain (vers 220). « Dans le troisième livre de son Histoire, Thallus explique les ténèbres comme étant une éclipse de soleil, ce qui me semble bien déraisonnable. » Le monde pourrait sourire de ce témoignage de troisième main. Soulignons cependant qu’il est le plus ancien que nous possédons et qu’il tente non pas de récuser l’existence de Notre Seigneur ou le phénomène qui accompagne sa mort mais de justifier les ténèbres qui ont eu lieu lors de sa mort. Un historien du Ier siècle, Phlegon, est aussi cité par Jules l’Africain et par Origène[7]. Il mentionne une éclipse de soleil au temps de Tibère.


Dans la Vie de Pélégrinus, Lucien de Samosate (vers 115-200) raconte la vie d’un converti au christianisme qui devient apostat. Cet ancien chrétien attaque le christianisme et le critique avec ironie. Il décrit les chrétiens qui « vouent un culte » à « l’homme qui fut empalé en Palestine pour avoir introduit dans le monde un culte nouveau ». Ils « adorent ce sophiste crucifié et suivent ses lois ». Ce païen hostile et méprisant nous donne donc encore une vision des chrétiens du IIe siècle. Il n’attaque nullement l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ mais insiste sur les aspects dégradants de sa mort. Le grand adversaire du christianisme du IIe siècle, Celse, lui-aussi, ne remet jamais en cause la réalité des faits. Ses successeurs, dont Porphyre, suivront le même chemin.


Nous constatons donc que les adversaires du christianisme les plus proches du temps de Notre Seigneur Jésus-Christ n’ont rejeté ni son existence ni les principaux faits que nous connaissons, notamment son enseignement, sa condamnation, sa crucifixion. Au IIe siècle, tout paraît d’une extrême évidence non seulement pour les chrétiens mais aussi pour les juifs et les païens. Les philosophes attaquent le christianisme en insistant sur l’absurdité de l’enseignement, la folie des chrétiens et sur l’immoralité de leur culte sans remettre en cause les faits historiques.
Le monde pourrait-il encore refuser ce témoignage si évident ? S'il persiste dans son refus, il devrait alors s’interroger sur ses propres connaissances historiques. Il verrait peut-être que des choses si évidentes aujourd’hui, telles que l’existence de César, s’appuient en fait sur des témoignages plus fragiles et plus incertains. Aujourd’hui, rares sont finalement ceux qui contestent l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ et les grands événements que relatent les Évangiles. L’objet des contestations concerne plutôt leur interprétation et leur caractère surnaturel.









Références
[1] Tacite, Annale, 15.44 cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[2] Mentionné par Jean-Pierre Lemonon, L’inscription de Pilate, dans Les Origines du christianisme. L’inscription n’est pas complète. Sur la pierre trouvée, on peut lire S TIBERIEUM NTIVS PILATVS ECTUS IVDA..E. L’auteur propose la lecture suivante « […]s Tiberieum [Po]ntius Pilatus [praef]ectus Iuda[ea]e/[fecit]. » Elle a été trouvée en 1961 par des archéologues italiens lors d’une fouille au théâtre de Césarée.
[3] Justin, Ière apologie, LXIX.
[4] Suétone, Claude, 25.4, cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[5] Manuscrit Syriaque n° 14658 du British Muséum (date : 73 environ).
[6] Cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[7] Voir Origène, Contre Celse, livre 2, 14, 33, 59.

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