" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 6 août 2016

Unité des Chrétiens vaine sans charité

Épîtres aux Corinthiens : Enluminure

Bibliothèque Nationale de France
Fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, l’Église est une et indivisible. Faite de chairs et d’âmes, de faiblesses et de forces, de membres divers et uniques, animée du souffle divin, elle rassemble les hommes et les femmes de toute origine, de tous les temps, de tous les pays. Divine et humaine, elle est ancrée dans le réel et dans les cieux, traversant les siècles et perdurant dans l’éternité. L’ineffable se mêle ainsi aux mortels. Qu’il est bon d’être dans la demeure du Seigneur ! Qu’Il est bon et miséricordieux, Celui qui nous a conduit à la montagne de Dieu !



La maison de Dieu est aussi faite de bois et de pierres que les Apôtres ont plantées autrefois dans les terres romaines et barbares. Écoutant la voix de leur Maître et guidés par le Saint Esprit, ils ont semé la bonne parole, répandant l’enseignement du Verbe fait chair, de Notre Seigneur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour nous sauver et ressuscité des morts avant d’être élevé dans les cieux. Par leurs œuvres, l’Église s’est développée et s’est répandue rapidement sur toute la terre : Jérusalem, Antioche, Rome, Éphèse, Alexandrie, Smyrne, Carthage…


Mais les hommes demeurent des hommes, poussières nées de poussières. Les Apôtres le savent bien. Profondément réalistes, ils ne s’égarent pas dans des utopies ou dans des chimères. L’espérance qui les guide n’est point naïveté. Ils visitent les communautés chrétiennes, veillent sur elles, les reprennent, les réprimandent lorsqu’il le faut. Leurs paroles ne sont pas que douceur. Elles sont aussi sainte colère. Car certaines communautés chrétiennes s’égarent et s’oublient. L’Église de Corinthe en est un exemple. Au temps de Saint Paul, elle est déjà divisée par les troubles. Le premier siècle chrétien n’est pas en effet encore achevé que les chrétiens de Corinthe se font reprendre par l’Apôtre. Ses faiblesses et ses misères nous sont décrites dans une de ses épîtres. Sa lettre est dure, terriblement ironique. Elle nous rappelle combien l’unité des Chrétiens est vaine sans la charité

La ville de Corinthe

Au temps de l’Empire romain, la ville de Corinthe est un des plus importants ports de la Grèce antique. Elle est immensément riche. Célèbre par l’éclat des arts et des sciences, elle attire un grand nombre d’étrangers. Célèbre aussi par ses fêtes religieuses, elle abrite un temple dédié à la déesse Aphrodite.

Temple d'Apollo, Corinthe
En l’an 52, durant son deuxième voyage apostolique, Saint Paul arrive dans cette ville pour l’évangéliser. Il « demeura un an et demi à Corinthe, y enseignant la parole de Dieu. » (Actes des Apôtres, XVIII, 11). En dépit de l’hostilité des juifs, il y fonde une communauté chrétienne qui devient florissante. Elle est composée en grande partie de païens et renferme aussi des juifs. Après son départ de Corinthe, son œuvre est continuée par Apollos, un juif, originaire d’Alexandrie, « homme éloquent et versé dans les Écritures » (Act. Ap., XVIII, 24).

Un esprit de faction

Mais rapidement, l’église de Corinthe est divisée par une querelle d’où naissent des factions, chacune groupée autour d’un prédicateur. Les uns disent en effet « moi, je suis à Paul ! », les autres disent : « moi, je suis à Apollos » ou encore «  et moi, à Cephas ! ». Chacun prend parti pour le prédicateur de qui il a reçu la foi.

Saint Paul
Apprenant leur dispute, Saint Paul adresse aux chrétiens de Corinthe une lettre. Il les exhorte à cesser leur querelle et à rester unis. « Je vous exhorte, mes frères, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, à avoir tous un même langage ; qu’il n’y ait point de divisions parmi vous, mais soyez bien unis dans un même esprit et un même sentiment. »(I Épître aux Corinthiens, I, 10) Saint Paul leur rappelle que Céphas, Apollos et lui-même ne sont que « des ministres par le moyen desquels vous avez cru, selon ce que le Seigneur a donné à chacun. J’ai planté, Apollos a arrosé ; mais Dieu a fait croître. Ainsi celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose ; Dieu, qui fait croître, est tout. » (I Cor., II, 5-7) Il nous ramène à l’essentiel : « Moi, je suis du Christ, tout simplement. » Et seul Dieu assure l’efficacité au travail de chacun. La mission vient de Dieu, son succès également. « Dieu seul est, et Dieu seul agit, puisque Dieu seul donne d’agir »[1]. Tout l’honneur revient donc à Dieu. Et chacun œuvre pour lui. Il est aussi vain de se revendiquer d’un homme puisque tous appartiennent au Christ. Ce n’est point l’esprit de Dieu qui les guide mais un esprit de jalousie et d’orgueil, qui divise les cœurs. Comme tout cela est bien humain ! « Vous êtes encore charnels » (I. Cor., III, 2)

Un esprit enflé de vanité

Dans son épître, Saint Paul dénonce une certaine ivresse doctrinale. Elle semble être une caractéristique des habitants de Corinthe. Plus tard, le Pape Saint Clément devra à son tour apaiser la communauté remuante de cette ville.

« Que nul ne s’abuse soi-même. Si quelqu’un parmi vous pense être sage dans ce siècle, qu’il devienne fou, afin de devenir sage. » (I Cor., III, 18) Si l’un des docteurs de l’église de Corinthe se croit sage, sage de cette sagesse dont Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas voulu, qu’il y renonce. « En effet, la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » (I Cor., III, 20). 

Certains fidèles dotés de dons les utilisent parfois à mauvais escient au lieu de les employer pour l’édification de l’Église. Enflés de leur science et de leurs privilèges, ils prétendent même dépasser ceux qui leur ont apporté l’Évangile. Saint Paul les accable de son ironie. « Nous sommes insensés à cause du Christ, et vous, vous êtes sages en Christ ; nous sommes faibles, et vous êtes forts ; vous êtes en honneur, et nous dans le mépris ! » (I Cor., IV, 10) À eux l’élévation et aux autres souffrances et indignités ! Quelle suffisance ! Quelle vanité ! Tout cela est bien indigne du titre qu’ils portent ! « Qu’as-tu que tu ne l’aie reçu ! Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu ? Déjà vous êtes rassasiés ! Déjà vous êtes riches ! » (I Cor. IV, 7-8) Au contraire, « que personne donc ne mette sa gloire dans des hommes » (I Cor., III, 21). Saint Paul demande alors aux Corinthiens de « ne pas aller au-delà de ce qui est écrit, ne vous enflant pas d’orgueil en faveur de l’un ou de l’autre. » (I Cor., IV, 6) Il leur demande de ne pas emprunter une voie qui n’est pas celle de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Des mœurs perverties

Un autre sujet de querelle indigne Saint Paul. « On entend dire généralement qu’il y a parmi vous de l’impudicité, et une telle impudicité, qu’elle ne se rencontre pas même chez les païens » (I Cor., V, 1) Les mœurs se sont déjà relâchées ! L’Apôtre dénonce en effet un cas d’inceste.

Corinthe est une ville réputée pour sa corruption et ses nombreuses tentations. Le seul nom de Corinthe est synonyme de dissolution et de dérèglement. Le risque pour les chrétiens d’être pervertis est donc grand. Et certains d’entre eux le sont déjà comme le révèle un scandale. Or Saint Paul nous rappelle que « ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu » ! (I  Cor., VI, 9)

Mais la réprimande de Saint Paul ne concerne pas directement le cas d’inceste. Il s’attaque principalement à l’indifférence des chrétiens de Corinthe à l’égard de ce péché. Il s’indigne en effet que l’incestueux n’ait même pas été excommunié, c’est-à-dire exclu de la communauté ! Les chrétiens de Corinthe ne sont même pas émus du scandale !

L’indifférence coupable

Saint Paul dénonce donc leur indifférence alors qu’ils s’enflent de leurs privilèges et s’enivrent de leurs discussions. Comment des chrétiens peuvent s’enfler et se glorifier alors que leur communauté porte en elle un tel scandale ! « Et vous êtes enflés d’orgueil ! Et vous n’avez pas été plutôt dans le deuil, afin que celui qui a commis cet acte fût ôté du milieu de vous ! » (I Cor., V, 2) Ils auraient dû pleurer comme nous pleurons sur un mort ! Ils auraient dû aussi expulser de leur sein le coupable s’il ne venait à se repentir. Car nous le rappelle Saint Paul, il ne faut pas avoir de relations avec les impudiques de ce monde. « Ôtez le méchant de chez vous. » (I Cor., V, 13) Comme il le précise, il ne s’agit pas de rompre avec les gens de ce monde sinon « il vous faudrait sortir du monde » (I Cor., V, 10), fuir dans le désert. Il parle des impudiques chrétiens, c’est-à-dire ceux qui portent le nom de frère. Car ils déshonorent l’Église de Dieu. Il faut laisser Dieu juger les non-chrétiens…

Dans une lettre qu’il adresse aux Thessaloniciens, Saint Paul nous exhorte de nouveau à rompre la communion avec les chrétiens rebelles. « Et si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous vous adressons dans cette lettre, notez-le et ne le fréquentez pas, afin qu’il éprouve de la honte. » (II Thess., III, 14) Par cette exclusion, il s’agit bien de l’édifier. Car rajoute-t-il aussitôt, « ne le regardez pourtant pas comme un ennemi, mais avertissez-le comme un frère » (II Thess., III, 15).

Saint Paul redoute aussi l’action perfide qu’exerce autour d’elle une faute scandaleuse. « Un peu de levain fait lever toute la pâte » (Épître aux Galates, V, 9). Ce proverbe est familier à l’Apôtre. Une faute suffit pour infecter toute la communauté. Lorsqu’elle n’est pas réprimée, elle perd de son horreur. Son influence est encore plus dévastatrice. 

Ainsi pour le bien des coupables et de la communauté, il est nécessaire de les excommunier, c’est-à-dire de les retrancher de l’Église …

Une charité refroidie…

Enfin, Saint Paul nous apprend que certains chrétiens « osent aller en jugement devant les injustes, et non devant les Saints » (I Cor., V, 1), c’est-à-dire devant des fidèles. « Un frère est en procès avec un frère, et cela devant des infidèles ! » (I Cor., VI, 6) Autre véritable scandale ! Car ce sont bien les Chrétiens qui doivent juger le monde et « ce sont des gens méprisés dans l’Église que vous prenez pour juges ! » (I Cor., VI, 4)


Dans la jeune communauté chrétienne de Corinthe, la charité s’est déjà refroidie, la discipline s’est relâchée, la vie morale s’est affaiblie, donnant lieu à de véritables scandales. Et personne ne semble en être offusqué !

Ainsi confronté aux querelles des chrétiens de Corinthe, Saint Paul nous expose les raisons de leurs divisions : jalousie, vanité, indifférence, refroidissement de la charité. Avant que n’éclatent les disputes, les cœurs sont déjà dominés par un esprit contraire à celui de Notre Seigneur Jésus-Christ.

De sa lettre, nous pouvons finalement retenir deux choses. 
D’une part, le retour à l’unité impose une conversion. Puisque la division naît d’un esprit tourné vers soi et vers le monde, il est nécessaire que l’âme se retourne vers Dieu. 
D’autre part, le salut des fidèles impose parfois l’exclusion de ceux qui peuvent le menacer dans sa foi ou dans sa morale. La charité le commande. 

Ainsi la recherche de l’unité des Chrétiens ne doit pas remettre en cause la fin de l’Église, c’est-à-dire l’union des âmes à Dieu. La fin et les moyens ne doivent pas être confondus. La première des charités est de dénoncer les erreurs et de rappeler la vérité.

Le retour à Dieu

Saint Paul aux Colossiens

Joseph-Benoît Suvée, XVIIIe.
La franchise et l'honnêteté de Saint Paul sont efficaces. Après plusieurs interventions, Saint Paul parvient à apaiser les dissensions qui ont frappé l’église de Corinthe. Tite lui apporte en effet la bonne nouvelle. « Il nous a raconté votre ardent désir, vos larmes, votre zèle pour moi, en sorte que ma joie en a été plus grande. »(II Épître aux Corinthiens, VII, 7) Il sait que sa première lettre les a attristés mais il ne s’en repent pas car « vous avez été attristé selon Dieu » et « cette tristesse selon Dieu produit un repentir pour le salut, qu’on ne regrette pas, au lieu que la tristesse du monde produit la mort. » (II Ep. Cor., VII, 9-10) La première épître a conduit les fidèles à la pénitence, ce qui est indispensable pour un retour à Dieu. Après avoir été excommunié, le fidèle responsable de l’inceste a reconnu sa faute et a demandé pardon…

Mais les divisions persistent à cause d’un clan judaïsant. Ce dernier accuse Saint Paul d’être trop sévère, versatile et charnel, et d’agir avec intéressement. Dans sa deuxième lettre, il se défend de ses accusations et réfute leur calomnie. Il revendique l’autorité d’Apôtre. Il la défend avec énergie. Ses mots sont de nouveau durs. « Je déclare à ceux qui ont péché auparavant et à tous les autres pécheurs, que, si je retourne chez vous, je n’userai d’aucun ménagement. »(II Ep. Cor., VIII, 3) Ainsi il leur demande de s’éprouver eux-mêmes  pour voir s’ils sont dans la foi. Le retour de l’unité passe par un examen de conscience.

Les lettres de Saint Paul sont pleines d’ardeur et de confiance. L’Apôtre veut regagner le cœur des âmes. Comme une mère inquiète de ses enfants, il parle aux Corinthiens avec douceur et sévérité, avec prière et menace, avec tendresse et éloquence. « Notre bouche s’est ouverte pour vous, ô Corinthiens, notre cœur s’est élargi. Vous n’êtes point à l’étroit dans nos entrailles, mais les vôtres se sont rétrécis. Rendez nous la pareille, - je vous parle comme à mes enfants,- vous aussi, élargissez vos cœurs. » (II Ep. Cor., VI, 11-13) Comme un père avec ses enfants, il veille sur leur salut, même si cela nécessite sévérité et remontrance.











[1] Dom Paul Delatte, Les Épîtres de Saint Paul, replacées dans le milieu historique des Actes des Apôtres, tome I, 1928.

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